about you and still loves you.
Ses doigts agiles s’activaient à pétrir, à modeler et à créer sous l’impulsion de son esprit fertile. L’explosion de tous les possibles éclataient dans son esprit, formant d’abord une sculpture piriforme, avant que sa main ne prenne le partit d’enfoncer son pouce à l’intérieur, résultant en quelque chose de plus campaniforme. Hélas, rien de ce qu’elle produisait ne la satisfaisait et elle écrasa la matière molle de son poing. « Dame Aelys… ? » La voix hésitante ramena la noble à la raison et elle se mit à dévisager la servante comme si sa bouche ne déversait que sabir. Réalisant que l’attention était dirigée sur elle et sur la sculpture qu’elle s’ingéniait à produire sur de la simple pâte à pain, la jeune fille retira ses doigts enduis de farine et les épousseta sur un tablier non loin d’elle. Guère captivée par le récit que lui faisait la servante sur l’état des garde-mangers et sur le manque de provision à venir à cause de la guerre, l’esprit d’Aelys s’était égaré sur cette pâte aux propriétés presque similaires à celle de l’argile. Du moins, cela pouvait être modelé à sa guise. La frustration de longs mois à ne point voir fleurir de ses doigts une quelconque création arrivait au bout de ce qu’elle était capable de supporter. Sage et obéissante en ces temps si difficiles et peu prospères, la jeune fille réunissait tous ses efforts pour être un appui suffisant pour sa mère et son frère Gaelor. Seulement, son esprit sauvage partait à la dérive et souffrait de toutes les privations des loisirs des temps anciens.
La guerre avait emporté avec elle l’entrain des beaux jours et le quotidien se voilait de pénombre et d’inquiétudes. Un instant ne s’écoulait pas sans que son esprit ne se retrouve sur les champs de bataille auprès d’Aedar, de Maegon ou de l’un de leurs cousins. Que n’aurait-elle point donné pour être à leurs côtés ! Néanmoins, l’agitation du quotidien l’empêchait de tomber dans l’oisiveté et l’éloignait de la pensée qu’elle était inutile au sein du Palais Riahenor. Des responsabilités importantes incombaient à présent à ceux qui étaient restés en arrière et qui devaient permettre à la ville ou à leur demeure de prospérer en ces temps belliqueux. Face à rudesse de ce quotidien, les festivités valyriennes, la parade des invités et les punitions répétées face à ses désobéissances venaient à lui manquer. Il lui fallait faire preuve de beaucoup de courage et d’efforts pour qu’elle ne songe pas aux absents, notamment à sa sœur dont elle aurait tant souhaité la présence pour la soulager quelque peu de ses obligations. A présent qu’aucun des jumeaux ne peuplaient le palais, elle se retrouvait être l’aînée contrainte de montrer l’exemple, surtout pour Rahelys. Une mission à laquelle elle se pliait bien mal, n’ayant jamais eu l’âme d’une enfant sage. Par chance, Gaelor prodiguait bien plus de sagesse autour de lui et Aelys trouvait régulièrement du réconfort en sa compagnie ou dans ses étreintes.
Se raccrochant à ses désirs ardents de rendre sa famille fière, Aelys écouta diligemment les propos des servantes, prenant également des notes dans les livrets tout en résistant à la tentation de ne point griffonner quelques croquis dans un coin de page. Il finit par prendre son congés, enchaînant toutes les corvées administratives et de maintenances auxquelles elle avait été assignée pour la journée. Pas une seule seconde de répit, aussi s’octroya-t-elle le droit de voler quelque gâteau en quittant les cuisines sous le regard courroucé des cuisiniers. Le reste de l’après-midi se poursuivit avec la même lassitude, si bien que la fatigue arracha un cérémonieux bâillement à Aelys quand l’horizon se mit à luire d’ambre et de mordoré. Elle offrit de s’autoriser une pause, se réfugiant dans la quiétude des jardins. Bientôt, l’ombre merveilleuse et féroce de Salya s’étendit sur elle. Une véritable joie vint la pourfendre à la proximité de sa dragonne qu’elle n’avait plus le plaisir de monter à sa guise. Trop d’obligations terrestres l’arrachaient à l’appel des cieux. Au moins pouvait-elle profiter de sa présence jamais lointaine.
Ce fut avec un nouveau pincement au cœur qu’elle dut secouer la tête et prévenir Salya qu’elle ne grimperait toujours pas sur son dos en dépit des invitations affichées du reptile majestueux. Cela ne l’empêcha pas de venir se poser là où son imposante stature le lui permettait, ayant acquis à présent une taille colossale. Aelys se rassura à la présence de sa jumelle venue du ciel et qui s’était embrasée autrefois avec elle pour naître à nouveau. Une union sacrée qui liait leurs âmes à jamais dans l’éternité. « Ma féroce Salys… comme j’ai hâte que nous reprenions nos jeux d’antan. » Ce fut également l’occasion pour la Dame Dragon de conter toutes ses peines, ses inquiétudes et ses agacements à son amie ailée jusqu’à ce que ses doigts algides ne lui rappellent que le jour se couchait et qu’il était temps qu’elle regagne les contreforts du Palais. Bien à regret, elle se déchira à la compagnie de Salys pour retrouver les murs de l’imposante demeure qui bruissait d’une animation particulière. Décontenancée, Aelys crut bien qu’un malheur venait d’être porté depuis les champs de bataille. Néanmoins, il semblait qu’il n’y avait aucune alarme dans la rumeur qui enflait chez les Riahenor. Sa curiosité était piquée jusqu’à ce qu’elle n’entende un morceau des murmures.
Dame Saerelys est rentrée !
L’information la laissa coite d’incrédulité. Elle crut à un mensonge, à une invention de son esprit. Sa fatigue pouvait-elle lui jouer quelques malins tours ? Pressant le pas dans les couloirs, elle se mit en quête d’une âme plus éclairée qui pourrait l’informer sur le véritable état de la situation. Il n’était pas possible que sa sœur puisse être là sans qu’ils n’en aient été informés au préalable. Dans sa dernière missive, Saerelys ne parlait aucunement d’un retour à la maison. L’esprit chamboulé, la réponse aux doutes d’Aelys se trouva en bas des escaliers. Une silhouette familière se tenait droite. Bien qu’elle ne lui apparut soudain pas si familière que cela. Sa mémoire affichait le souvenir d’une jeune fille tout juste sortie de l’enfance, au visage encore doux et plein. La Saerelys qui lui faisait face avait été façonnée différemment par les années. Pourtant, il n’était point de doute possible. « Sae… » bredouilla Aelys, ne parvenant à y croire. Elle descendit quelques marches, les mouvements saccadés. Quand soudain, aussi soudainement que le vent chasse la tempête, son expression se modifia pour prendre les attraits orageux de la plus profonde fureur. « Immonde créature palustre ! » s’écria Aelys en se précipitant vers son aînée, manquant à plusieurs reprises de dévaler les escaliers dans une position moins confortable. Le brasier dangereux de son regard ne prédit aucunement le geste qui suivit où elle se jeta dans ses bras et la serra de toutes ses forces. « Sae, comme tu m’as manqué ! » Oscillant entre fureur et bonheur, elle finit par repousser le corps de sa sœur, l’âme courroucée. « Comment se fait-il que tu sois ici sans que nous soyons prévenus ?! J’ai appris ton arrivée par des bruits de couloirs. Des bruits de couloirs, Sae ! » s’époumona-t-elle, l’orgueil blessé et le cœur vexé. Un flot incontrôlable d’émotions la submergea, amenant bientôt des sanglots à sa gorge, dans un maelstrom incohérent de colère, de joie et de chagrin. « J’ai cru que tu ne reviendrai jamais… » A nouveau, ses bras vinrent chercher le réconfort d’une étreinte. Si elle avait pu, elle l’aurait étranglée dans ce corps à corps impérieux. « Je te déteste. »