Elle le revoyait toujours.
Encore et toujours, inlassablement. Les tempes douloureuses, le cœur au bord des lèvres. Une vision qui tournait dans ses pensées, comme une odieuse pièce de théâtre dont elle était encore et toujours la spectatrice. Un fait que n’avait pu qu’être amplifié par sa convalescence. Les Mages médecins avaient jugé son état suffisamment préoccupant pour lui demander de tenir le lit le mois durant. Quelques sorties lui étaient cependant autorisées, pour se rendre aux offices religieux notamment. Pour recevoir certaines de ses ouailles, bien qu’elle ne pouvait s’éterniser comme la Grande Prêtresse aimait pourtant le faire. Les personnes à venir quémander sa présence s’étaient faites plus nombreuses, après le Rêve de Caraxes. Le reste de son temps, Maesella le passait ici, dans sa couche, ou sur une chaise confortable, installée au plus près de la fenêtre. Au moins pouvait-elle profiter du charme particulier de Mhysa Faer, ainsi installée.
« Maesella, tu somnolais encore. Il te faut te reposer davantage. »
Son poing appuyé contre sa joue, son coude reposant sur l’accoudoir de sa chaise, la Nohgaris rouvrit plus largement les yeux. Son regard glycine se posa alors sur Rhaedor, qui se trouvait devant elle. Son époux tenait un plateau dans les mains, sur lequel reposait un gobelet d’argent. Déposant ce qu’il tenait sur un meuble tout proche, le Mage tira un autre siège dans sa direction. Ainsi installés, les deux époux se faisaient désormais face. Maesella laissa alors Rhaedor prendre ses mains dans les siennes, appréciant la chaleur qu’elles dégageaient. Depuis son retour sur la terre ferme, il semblait à la Nohgaris qu’elle avait perdu une grande partie de sa propre chaleur. L’épuisement, sans doute. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’elle était convalescente, et pourtant, ses pensées restaient comme plongées dans un épais brouillard.
« … Tu avais raison. lâcha finalement la Grande Prêtresse, à voix basse. L’autre jour… Tu avais raison. J’aurai du t’écouter, mon aimé.
- Ce n’est rien, Maesella. Ce n’est rien. Rhaedar frictionna délicatement ses mains dans les siennes, comme pour les réchauffer. Caraxes t’as mise à l’épreuve et tu nous es revenue, Vermax en soit louée. C’est là tout ce qui compte.
- Rhaedor… Ils… Ils étaient... »
Le masque de fermeté que Maesella portait en permanence s’était comme fendillé, laissant entrevoir quelques larmes. A chaque fois qu’elle fermait les yeux plus de quelques instants, ces visages en lambeaux lui revenaient à l’esprit. Quand ce n’était pas ce dragon transpercé qui obnubilait ses songes. Aux quelques larmes vinrent s’ajouter des frissons, malgré la douceur de la saison. Dans un bruissement de tissus et d’étoffes, Rhaedor se leva, rejoignant le lit tout proche. Alors, la Grande Prêtresse masqua son visage avec ses mains. Balerion l’avait déjà mainte et mainte fois éprouvée. Combien de fois avait-elle cru que le crépuscule de sa vie arrivait ? C’est alors que la Grande Prêtresse sentit un léger poids sur ses épaules. Redressant la tête, les regards des deux Nohgaris se croisèrent alors.
« Veux-tu… Veux-tu m’en parler, Maesella ? Rhaedor lui frictionna légèrement les épaules, au-travers de la couverture qu’il venait de lui apporter.
- Aide-moi à me lever, je te prie. » répondit simplement l’intéressée.
Grimaçant à cause de sa cheville douloureuse, Maesella eut toutes les peines du monde à se maintenir sur ses jambes. Tremblante comme une feuille, se sentant aussi fragile qu’un vieux parchemin, la Grande Prêtresse trouva refuge dans les bras de son époux. Posant sa tête sur son épaule, la Nohgaris lui murmura quelques mots. Avec le temps, et le temps passé en sa compagnie et parmi les Enfants de Vermax, Rhaedor en était venu à maîtriser des rudiments de d’autres langues. La garder serrée contre lui, voilà ce qu’elle lui avait demandé en Yi-Tien. Pas d’autres mots, elle n’en avait pas la force. Pas pour le moment, du moins. Toutes ces images… Elle ne parvenait pas encore à les formuler.
« … M’accompagneras-tu ? murmura finalement Maesella, après plusieurs minutes passées ainsi.
- Comme toujours. Viens donc, il te faut te reposer. Nous reparlerons plus tard. »
Maesella se contenta de hocher la tête, s’appuyant sur Rhaedor pour rejoindre sa couche. Une fois installée, la Grande Prêtresse sentit ses muscles se détendre quelque peu. Il en fut de même pour la douleur à sa cheville. Ces… Ces choses ne l’avaient pas manquée. Que cela soit son bras ou sa cheville, il lui faudrait attendre quelques jours avant que les Mages ne puissent réellement la soigner. Elle était encore trop faible pour supporter l’un de leurs sorts. Son époux ne tarda pas à se glisser à ses côtés, lui tendant le gobelet qu’il lui avait ramené. Acceptant silencieusement le petit récipient, Maesella le vida d’une traite, ne connaissant que trop bien son contenu. Une mixture qui lui assurerait un sommeil sans rêve, si Gaelithox le souhaitait. Dormir. La Grande Prêtresse posa sa tête contre l’épaule de son époux, les yeux clos, poussant un soupir de soulagement. Dormir.
( Gif de andromedagifs. )