Thermopolium du Quadrant Nord & An 1066, mois 11.
Kaerys ne venait toujours pas. Une certaine inquiétude se lisait désormais sur les traits de la jeune Riahenor. Un sentiment que ses deux camarades semblaient partager, désormais. Bien sûr, leur amie n’avait jamais été la plus ponctuelle, au point qu’ils leur était déjà arrivé de dissimuler ses quelques retards. Mais jamais elle n’aurait manqué un rendez-vous comme celui qui se déroulait à présent. Coupes et verres étaient désormais vides, Daeron proposant de partir à la recherche de Kaerys en reposant son propre récipient. S’ils étaient des membres du Troisième Cercle, les Mages les plus âgés ne manqueraient pas de leur faire quelques remontrances, s’ils tardaient trop à s’en retourner au Collège. Plus encore sans prévenir. D’un même mouvement, Saerelys et Aemond acquiescèrent à la proposition du membre le plus âgé de leur groupe.
« Saerelys, Aemond, Daeron, enfin je vous trouve ! »
Les trois intéressés, déjà debout, se retournèrent. Alors que Saerelys entreprenait de s’envelopper à nouveau dans son châle aussi sombre que sa tunique, son regard améthyste se posa sur la nouvelle-venue. Il s’agissait d’une autre membre du Troisième Cercle, Rhaelle, qui partageait un certain nombre de leurs cours. Il avait été décidé par les Mages qui les encadraient que Kaerys et elle travailleraient ensemble pour la journée. Fronçant les sourcils, l’Appelée de Caraxes observa rapidement les alentours. Il n’y avait personne avec Rhaelle. Ses traits étaient défaits, sa chevelure dans un grand désordre. On aurait dit qu’elle avait cavalé dans tout le Quadrant Nord avant d’arriver ici !
« Du calme, Rhaelle, du calme. tempéra Saerelys, s’approchant d’elle. Inspire profondément, là, voilà. La Riahenor avait délicatement appliqué ses mains sur le ventre et le dos de l’autre jeune femme, afin de s’assurer que tout allait pour le mieux. Tout va bien, nous sommes là, tu nous a trouvé. Que se passe-t-il ? Kaerys n’est pas avec toi ? »La question de Saerelys ne resta pas sans réponse bien longtemps. Alors que Rhaelle résumait la situation, son souffle lui étant désormais revenu, le visage de la jeune Riahenor se décomposa. Il en fut de même pour Aemond et Daeron, qui échangèrent finalement des regards effarés. Kaerys avait été prise à parti par plusieurs hommes, passablement avinés. Quelques coups avaient été échangés, Kaerys n’étant guère âme à se laisser capturer. Elle avait ordonné à Rhaelle de fuir, faisant diversion en ce but. C’était ainsi que l’autre novice s’était retrouvée devant eux, expliquant qu’elle avait du faire profil bas pour arriver jusqu’ici. Car ces hommes avinés, elle les avaient recroisé sur son chemin, ce qui expliquait son propre retard.
« Rhaelle, reste ici, d’accord ? Saerelys tâchait de se montrer rassurante. Il y a d’autres de nos camarades dans la taverne, tu ne peux pas les manquer. Alors que Rhaelle acquiesçait, l’autre novice reprit, à voix basse. Tu vas leur expliquer la situation calmement, et vous allez retourner au Collège par petits groupes, pour ne pas attirer l’attention. Trouvez nos supérieurs et expliquez leur la situation. Dites leur que nous sommes encore ici, que nous allons retenir ces brutes jusqu’à leur arrivée. D’accord ? »L’air grave, Rhaelle avait acquiescé avant de se diriger vers les quelques tables où les novices s’étaient réunis. Se frictionnant les mains, inquiète, Saerelys posa ses prunelles sur ses deux autres amis. Ils devaient retrouver Kaerys et la ramener au Collège. Au plus vite. Rhaelle leur avait donné suffisamment d’informations pour qu’ils puissent retrouver la quatrième membre de leur quatuor. Combien de temps faudrait-il pour que leurs camarades arrivent au Collège ? Au vu de l’urgence de la situation, sans doute assez peu de temps. Alors que le trio était en train de s’interroger sur la suite des événements, un premier groupe passa devant eux, l’un de ses membres adressant un signe de tête à Saerelys en quittant la taverne. Rhaelle menait la marche, encadrée par les deux autres novices. Au vu de leur nombre, deux autres groupes composés d’une semblable manière ne tarderaient pas à faire de même.
« Ma famille a quelques amis dans les environs. rappela alors Aemond, songeur. Il ne me faudra que peu de temps pour rallier la demeure la plus proche et demander du secours en attendant que les autres arrivent au Collège.
- Nous ne pouvons pas nous passer d’une telle aide si tu penses pouvoir nous la procurer. Tout en prononçant ces quelques mots, Saerelys avait ôté l’épingle ornée d’un petit cormoran qui se trouvait plantée dans sa chevelure. Lorsque que tu voudras nous retrouver, jette mon épingle sur le sol. Elle est ensorcelée de manière à me revenir qu’importe ce qu’il se passe. Elle te guidera jusqu’à nous quoiqu’il arrive. »Récupérant l’épingle, Aemond l’observa quelques secondes avant de hocher la tête. Il disparu ensuite à l’extérieur, suivant le deuxième groupe de novices qui s’en retournait au Collège. Instinctivement, Saerelys se saisit de l’une des mains de Daeron. Ce dernier la serra fermement, promettant à sa camarade qu’ils la retrouveraient. Que tout irait bien. Alors, silencieusement, la Riahenor hocha à son tour la tête et tous deux disparurent dans la rue. D’un mouvement discret du menton, Daeron indiqua un homme qui quittait la taverne peu de temps après eux, emportant une chaise avec lui. Quel étrange comportement. Plus encore au vu de son apparence. Rhaelle aurait sans doute pu confirmer leurs craintes, à ce sujet. N’écoutant que leurs instincts respectifs, Daeron et Saerelys suivirent l’homme, qui ne tarda pas à s’engouffrer dans une ruelle située non loin de la taverne.
« Grands Dieux Kaerys, si tu m’entends, réponds-moi ! songea Saerelys, son sang crépitant dans ses veines.- Sae ? Sae !!! Par Arrax, tu ne peux pas savoir comme je suis contente de t’entendre ! Tu es avec Daeron et Aemond ? Rhaelle va bien ?
- Doucement, doucement ! Une migraine n’arrangera en rien nos affaires. Saerelys se massa les tempes, sous le regard intrigué de Daeron. Rhaelle va bien. Elle est retournée au Collège, pour chercher de l’aide. Aemond ne devrait pas tarder, mais Daeron est avec moi. Comment te sens-tu ?- Je suis la moins amochée, je pense. Le visage de Kaerys se dessina alors dans l’esprit de la Riahenor, montrant ainsi qu’elle se portait bien. Un visage qui fut rapidement accompagné d’un rire. Tu te rends compte, il y en a un qui pense que je ne sais pas incanter par la pensée. Je ne suis pas une novice du Deuxième Cercle, pourtant !
- Peux-tu me montrer où tu te trouves exactement ? Une nouvelle image se formait dans l’esprit de la novice, qui hocha la tête, les yeux clos. L’homme dont tu me parles est seul ou non ?- Ils sont assez nombreux. Six en tout, je pense. Faites vite, ils me pensent responsables de quelque chose. Je ne saurais pas te dire quoi exactement. Quelque chose en lien avec la bataille navale, d’après ce que j’ai entendu. La voix de Kaerys cessa de résonner dans son crâne pendant quelques secondes. En d’autres circonstances, j’aurai pu me transformer et fuir, mais je pense manquer de temps pour agir de la sorte.
- Tiens bon, ma sœur ! Nous arrivons ! »Un dernier rire mental résonna dans les pensées de Saerelys. Alors, la jeune femme rouvrit les yeux, faisant part de sa conversation mentale à Daeron. Six hommes. L’aide d’Aemond ne serait pas de trop, de même que celle du Collège. Néanmoins, la jeune femme voulait encore croire qu’il était possible d’arranger les choses. A l’aide des images mentales de Kaerys, découvrir le lieu du petit tribunal populaire ne fut pas une chose complexe. Ce fut aux côtés de Daeron que Saerelys pénétra dans la ruelle. Les deux jeunes gens n’avaient pas pris la peine de se cacher, au contraire. Les Dieux étaient témoins du fait qu’ils n’avaient rien à se reprocher.
« Messieurs, puis-je vous interroger quant à la raison d’un tel attroupement ? »Empreinte d’une étrange douceur, la voix de Saerelys avait résonné. Resserrant son châle sur ses épaules, la jeune femme quitta la présence apaisante de Daeron, sous le regard surpris de ce dernier. Comme s’il avait s’agit de la chose la plus naturelle du monde, la jeune femme s’était approchée de l’un des hommes, reconnaissant là des traits familiers. Un sourire factice s’étira alors sur ses lèvres. Et pourtant, comme elle aurait été heureuse de le revoir, en d’autres circonstances. Comme il était regrettable de voir l’un de ses anciens patients prendre à parti l’une de ses plus proches amies.
« Heureuse de voir que Tessarion t’a rendu l’entièreté de ta santé après la bataille, Maenar. N’avais-je pas raison ? Tu n’as gardé aucune cicatrice de la bataille. Il faudra que tu reviennes me voir, lorsque tes responsabilités te le permettront. Je vois que tes muscles sont encore quelques peu raides, sous ta peau. La main de Saerelys s’était posée sur le bras de l’homme, le palpant doucement. Ne t’en fais pas, cela ne t’empêchera pas de travailler d’ici-là. Le but est surtout de t’éviter de nouvelles blessure dans le fut... »Mimant l’étonnement, Saerelys remarqua finalement la présence de Kaerys. Son sang se para alors d’une douce chaleur. Son regard croisa à nouveau celui de Maenar. Ôtant sa main de son bras, la Riahenor interrogea son ancien patient du regard, avant que son regard ne dévie en direction d’Hordar. Ainsi, lui aussi faisait partie de cette mascarade. Un fait regrettable de plus à ajouter à la liste, déjà bien trop longue. Contenant son aura, qui n’aurait pu qu’être écrasante et agressive, Saerelys demanda alors, son ton emprunt d’une certaine tristesse et d’étonnement :
« Messieurs, puis-je savoir la raison de cette curieuse scène ? Ne reconnaissez-vous donc pas Kaerys ? Les prunelles améthystes de la jeune femme se posèrent sur les autres personnes qui se trouvaient là, les interrogeant du regard. Il me semble reconnaître certains d’entre vous. Serais-ce une méprise de votre part, à son sujet ? Elle a été parmi les premières à se jeter dans les flammes afin de vous en sortir. L’attacher de la sorte, voilà une bien étrange manière de saluer l’aide qu’elle vous a spontanément apportée. Puis-je vous demander de la libérer ? Le regard de la Riahenor s’était posé par la suite sur Maenar. Sa famille serait fortement attristée de la savoir ainsi traitée et je gage que ses parents seraient prêts à vous récompenser tous autant que vous êtes s’ils apprenaient que leur fille a été escortée jusqu’à leur demeure par vos soins. »Comme bien des novices, Kaerys était de noble sang. Ses traits en étaient la preuve la plus évidente. Une jeune femme pour laquelle sa famille ne manquerait pas de faire justice, s’il lui arrivait malheur. Saerelys ne manquerait pas d’appuyer une telle demande, qui plus est. Ils avaient tout à perdre, à retenir sa camarade de la sorte. Tout à gagner à la libérer immédiatement. La novice ne mentionna pas ce fait, cependant. Elle gageait que leurs esprits étaient encore assez clairs pour arriver par eux-mêmes à une telle conclusion.