Il fallait qu’elle les voit.
Si le vin et les autres spiritueux avaient eu raison d’elle, de même que la fatigue suivant la bataille navale, Saerelys n’avait pu occulter plus longtemps ses pensées. Une grande agitation régnait toujours, à Mhysa Faer. Certaines familles étaient déjà sur le départ, ce qui ne pouvait que causer davantage de trouble. Les rues étaient encombrées, de même que le port, où la ferveur religieuse avait laissé place à un grand brouhaha, bien des voyageurs ayant choisi la voie des flots pour s’en retourner à leur foyer. Une solution que Saerelys jugeait inenvisageable. Voler en compagnie d’Aedar était en cela la solution la plus rassurante, pour ce qui était de leur retour prochain à Valyria. Mais avant cela, il lui restait une tâche à accomplir. La plus importante, sans aucun doute. Une tâche qu’elle avait bien trop repoussée.
Enveloppée dans ses vêtements sombres de novice, la tête voilée d’une pareille manière, la Riahenor passait inaperçue. Le tumulte était en cela un bouclier fort efficace. Appelée de Caraxes. Telle serait son titre pour l’année à venir. Dès lors, les sollicitations n’avaient pu qu’être nombreuses. Se dissimuler lui permettait de souffler quelques instants, de n’être qu’une novice parmi tant d’autres l’espace d’une heure ou deux. Une situation tout aussi problématique. Aussi, les siens étaient au courant de son simulacre de disparition, Riza l’accompagnant afin d’assurer discrètement sa protection. Tout cela n’était que le résultat d’un savant équilibre. De conditions que la jeune femme avait appliqué à la lettre, à la demande de ses proches et selon ses propres principes.
Le Temple de Caraxes était une bâtisse imposante. Imposante et grouillante de vie. Les offrandes étaient encore nombreuses, pour des raisons évidentes. Elles débordaient, ici et là, dégoulinant sur les marches du parvis dans certains cas. Alors qu’elle gravissait les marches, le regard mauve de Saerelys se posa sur les portraits, laissés ici à l’attention de Caraxes et de ses émissaires. Riza lui fit un léger signe de la main, indiquant qu’elle l’attendrait, ici, dans le vestibule de la bâtisse. La novice se contenta de hocher la tête, remarquant qu’un Prêtre venait à sa rencontre. La novice lui remit bien volontiers l’offrande qu’elle avait emmené avec elle, demandant à ce qu’elle soit consacrée afin d’assurer le rétablissement des marins blessés durant la bataille navale.
L’homme semblait empressé, ce qui se comprenait aisément. Les marins qui avaient souffert du Rêve de Caraxes avaient été portés ici, Enfants de Tessarion et de Balerion s’occupant des tâches qui pouvaient découler d’une telle présence. Quant au clergé de Caraxes, il avait encore fort à faire, bien que le Rêve en lui-même soit désormais achevé. Saerelys coupa cependant tout repli au Prêtre en ôtant le voilage qui recouvrait sa chevelure d’argent et la base de son visage, dévoilant ainsi son identité. Alors, l’homme s’inclina, l’invitant à le suivre alors même que la novice n’avait pas encore fait part de la raison de sa visite.
« Que puis-je pour te rendre service, Dynaste ? Souhaites-tu t’adresser à Caraxes pour le remercier de ses grâces ?
- Cela serait la moindre des choses, il est vrai. Avant cela, je souhaiterai me rendre au chevet des membres de mon équipage qui n’ont pas eu autant de chance que moi. M’est-il possible de les rencontrer ?
- Les Enfants de Tessarion ne devraient pas s’y opposer. Je te prie de me suivre, je vais te mener jusqu’à eux. »
A l’odeur de l’eau de mer se mêlant bientôt celle du sang et des plantes, alors qu’ils s’enfonçaient dans les couloirs du Temple. Deux odeurs bien familières, pour la novice. Aussi les oublia-t-elle, portant son regard sur les fresques qui paraient les murs, saluant de temps à autre les autres personnes qu’elle pouvait rencontrer d’un mouvement de tête. Bientôt, le Prêtre s’arrêta, lui indiquant une porte de la main. Une porte laissée entrouverte, menant à une pièce étonnamment calme. Quelques gémissements s’élevaient, de temps à autre, brisant ce lugubre calme. Quant à cette odeur… Saerelys fronça quelque peu le nez, non pas par dégoût mais par intérêt, cherchant à savoir pourquoi elle lui était familière. Le mélange était cependant difficilement identifiable, la faute à un trop grand nombre d’éléments.
Alors, Saerelys entra, laissant le Prêtre s’en retourner à ses occupations. Un certain nombre de couches avaient été dressées, ici et là, afin d’accueillir autant de personnes que nécessaires. Il était aisé de remarquer que les blessés avaient été séparés selon les maux dont ils souffraient. Grands brûlés, membrés lésés, brisés, hématomes… Il y avait là bien des cas d’école, hélas. La présence de la novice sembla attirer l’attention d’une autre personne, qui l’interrogea à voix basse quant à la raison de sa présence. La jeune femme ne tarda pas à y répondre, de la même manière. Elle voulait juste se rendre utile. Remercier cet équipage et ces hommes dont elle n’avait eu que peu de nouvelles et s’assurer de leur bon rétablissement.
( Gif de linarph. )