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Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Un léger rayon de lumière jaillit au travers des lourdes tentures qui offraient à la pièce cette aura tamisée. Les nombreuses voilures sombres plongeaient les appartements de Gaeron Taellarys dans une pénombre assez confortable pour apaiser ses maux. Nul rayon de l’astre du jour ne pouvait le toucher sans qu’il ne gémisse de ses feux trop ardents et cuisants. Il ne trouvait sa salvation que dans l’obscurité et les vapeurs d’herbes et d’essence qui imprégnaient les lieux, la quiétude de ses longs repos et la chaleur bienveillante de cette main qui serrait doucement la sienne. Le réconfort de ce contact tendre parvenait à lui redonner suffisamment de vigueur pour ouvrir les yeux et éprouver l’univers qui l’entourait, arraché à ses délires et ses rêves vaporeux. Ses prunelles pures contemplaient ce visage qui lui rappelait tant les contours gracieux d’un être chéri et aimé au-delà de toute mesure. Quelquefois, ses confusions maladives l’amenaient sur des chemins incohérents et malheureux où les fantômes d’autrefois prenaient vie une nouvelle fois. Des résurgences gonflées d’espoir qui s’écrasaient sur les contreforts escarpés de la réalité. Le chagrin le frappait avec une telle violence qu’Elineor avait rarement le cœur à le détromper de ses douces chimères. Sa main se faisait caressante sur son visage buriné par le temps et les épreuves. « Tu me manques… » bredouilla-t-il, amenant un sourire empli de compassion sur les lèvres de sa fille. Sa bouche maudite n’osa formuler de réponse de crainte de se trahir par quelque balbutiement. Ses tendresses se déployèrent par les soins qu’elle lui prodigua, épongeant son front fiévreux d’un linge humide et frais.

Un geste devenu si naturel au fil du temps qu’Elineor ne parvenait à se persuader qu’elle n’aurait plus l’occasion de l’exécuter. Ses jours en ces lieux étaient comptés, l’ombre menaçante de son destin s’approchant d’heure en heure pour venir définitivement la cueillir et l’arracher aux siens. S’il était entendu qu’elle ne pleurerait point les siens, son cœur se lacérait à la simple idée d’abandonner son père à une progéniture si indifférente. L’une, auréolée de ses vanités et de ses artifices, l’autre, enivré de ses excès et de ses vides. Hélas, l’avenir qu’on lui prédestinait l’écarterait de ce chevet qu’elle ne quittait que très rarement.

Lorsque le temps eut raison des forces de Gaeron, il s’en alla trouver refuge dans un sommeil où, l’espérait-elle, il rencontrerait l’étreinte réconfortante de Daerya Notheos. Discrète, son pas léger la mena hors des appartements de son père. Elle se dirigeait vers sa propre chambre, cherchant quelque solitude, quand la voix duveteuse d’Alyhrys réclama sa présence derrière elle. Elle fit volte-face, observant sa demi-sœur se démener avec une chevelure encore humide. Elineor la rejoignit dans ses appartements où elle venait d’entrer. Helys s’affairait autour de sa maîtresse pour parvenir à lui sécher et lui démêler correctement sa soyeuse chevelure d’argent. A son plus grand dam, la jeune femme était une bien piètre poupée qui ne cessait de s’agiter et de voguer d’une toilette à une autre, cherchant celle qui lui siérait le mieux. Un combat perpétuel auquel devait se confronter la servante chaque matin. « Aide-moi à choisir ma tenue, Eli. Je ne sais sur laquelle me décider. » Alyhrys s’enfuit à l’autre bout de la chambre, à la recherche d’autres vêtements, obligeant Helys à devoir lui courir après. Cette dernière devait se mordre la langue pour ne point ordonner à sa maîtresse de se tenir tranquille. Une vaine lutte dans laquelle elle n’osait se projeter. Elineor se mit à étudier toutes les étoffes étalées sur le lit. « Quelle toilette expose le mieux notre richesse ? Je ne tiens point à paraître quelconque, si sauvages soient-ils. Faudrait-il seulement qu’ils aient la moindre appréhension de ce que l’élégance peut signifier. » La benjamine Taellarys eut un sourire sardonique. « N-n’est-ce p-pourtant parce q-que nous s-sommes pauvres que j-je dois ép-pouser l’un d’eux ? » Cette ironie cinglante ne trouva aucune faveur aux yeux de son aînée qui lui jeta un regard assassin. Sachant qu’elle ne pouvait se permettre plus d’insolence, Elineor se replongea dans son étude, désignant bientôt du doigt une robe de soie raffinée, sertie de motifs d’or et de pierres. Si l’ostentatoire était de rigueur, elle ne manquerait point d’atteindre son but.

Alyhrys sembla satisfaite de ce choix et ses traits se détendirent d’un seul coup. Pour le plus grand bonheur de Helys, elle vint se poser face à sa coiffeuse. Un soulagement de courte durée puisqu’elle fut congédiée presque aussitôt avec agacement par sa maîtresse qui tendit plutôt la brosse à Elineor. Réprimant un soupir de lassitude, la jeune femme s’approcha, brossant délicatement la chevelure de sa demi-sœur. Alors que cette dernière n’accordait que peu d’attention à ce qui l’entourait dès lors qu’elle trouvait son reflet dans un miroir, elle se mit à étudier sa benjamine. « Par Arrax, que tu es pâle. Il est à espérer que ce Tortionnaire, comme il se fait appeler, ne soit point exigeant en matière de beauté. » La main d’Elineor trembla. D’une rage sourde et maîtrisée. Une colère qui l’empêcha d’assouvir ses pulsions en tirant sur le cuir chevelu d’Alyhrys. « Enfin, la rumeur dit qu’il est boiteux. Vous voilà bien assortis. » L’héritière Taellarys se mit à glousser de son propre trait d’esprit, n’ayant jamais eu de meilleur public qu’elle-même. Elineor préféra ignorer ses remarques désobligeantes pour se concentrer sur son ouvrage, enduisant ses boucles d’huiles précieuses avant de laisser à Helys le soin de lui nouer un chignon complexe agrémenté de richesses et de merveilles. « Assieds-toi à présent. Il serait de bon ton de t’arranger un peu. Il n’est point question qu’il succombe à mes charmes. » Docile, Elineor ne laissa faire, sachant pertinemment qu’elle ne saurait réchapper aux volontés de sa sœur qui se plut à la parer plus qu’elle ne l’avait jamais été dans son existence. Elle se refusa toutefois à quitter le saphir qui brillait à son cou, unique héritage de sa défunte mère. Un merveilleux gage d’amour de la part de son père. Une promesse qu’ils se retrouveraient un jour.

Finalement, un serviteur vint quérir les Dames Teallarys, annonçant l’arrivée prochaine des Tyvaros. Le cœur d’Elineor se serra dans sa poitrine, consciente de cette nouvelle prison qui allait se refermer sur elle, telle les serres d'une créature féroce. Un désir irrépressible de s’enfuir vint titiller son esprit pour s’arracher à ce destin qu’elle abhorrait. Loin de cette destinée incertaine, loin des fils qui la retenaient à cette famille et à ses complots. Instrument malgré elle à dessein de réparer les inepties des idiots et des inconséquents. La jeune femme ne trouva la force d’avancer qu’à l’impulsion de sa demi-sœur qui vint enrouler son bras autour du sien pour la conduire vers l’entrée de la demeure. Il semblait que, en tout point, cette affaire l’amusait. Elle qui s’était pourtant insurgée de cette association profane avec une telle engeance. A présent que l’entreprise ne la concernait plus, elle y trouvait un divertissement profond. Fameux divertissement que ne partageait aucunement Maelor.

Le jeune Seigneur se tenait déjà aux portes de la demeure des Taellarys, joyau de Draconys, autour d’une armée de conseillers. La mine sombre et amère, il contemplait d’un œil torve le convoi qui se rapprochait progressivement d’eux. Bien qu’il ait consenti le premier à une telle alliance, une bile acide lui remontait de ses tripes face ce stratagème avilissant. Une preuve de faiblesse qu’il parvenait difficilement à accepter et qui le plongeait souvent dans la plus vive des fureurs. Son attention fut toutefois détournée par l’arrivée des deux Dames. Ne se départant point de sa mine obscure, il s’approcha d’Elineor qu’il attrapa fermement par le bras. Sur le ton de la confidence, il se pencha à son oreille. « Ne t’avise pas de prononcer la moindre parole tant qu’il ne t’aura pas culbutée. » Un goût de cendre agrippa la langue de la jeune femme qui dut se retenir de tout commentaire acerbe. Son regard s’exprima pour elle, transperçant la carcasse nerveuse de son demi-frère qui finit par s’écarter, déstabilisé malgré lui par ce regard translucide.

Quelques instants plus tard, le cortège arrivait en bas des marches, accompagnée de leur progression par le vol des dragons Taellarys au-dessu d'eux, vigilants et attentifs. Une bien maigre équipée constituée que d’une maigre poignée de personnes. Deux silhouettes se détachaient de ce groupe, se distinguant par une allure plus roide. Un homme et une femme. L’air vint à lui manquer sans qu’elle ne puisse commander à ses poumons. Son frère, Maelor, fut le premier à s’avancer pour recevoir les invités. Tandis que l’homme s’approchait, il fut aisé d’identifier son boitement. Alyhrys ne put retenir un gloussement qui provoqua un frisson inexpliqué chez Elineor. Cette dernière lui adressa un regard noir en guise de réprimande à cette moquerie incontrôlée alors qu’elles se joignaient à leur aîné. « Valaena Tyvaros. Daemon Tyvaros. C’est un honneur de vous accueillir en notre demeure. Nous espérons que votre voyage fut agréable. » Si les mots se voulaient cordiaux, il était difficile de ne point cerner l’acidité au fond de sa voix. Le regard d’Elineor n’osait se poser sur celui qui prendrait bientôt sa main, plus curieuse qu’elle n’aurait voulu l’admettre. « Hélas, mon père se trouve trop souffrant pour venir vous saluer comme il se doit. Toutefois, laissez-moi vous présenter Alyhrys Taellarys, ma fiancée, ainsi que ma seconde sœur, Elineor Taellarys. » Alyhrys ne leur fit l’offrande que d’une esquisse de révérence, prenant soin d’adopter une attitude majestueuse, escomptant obtenir admiration et contemplation. Quant à Elineor, elle se courba, non sans jamais baisser le regard, captivant d’un regard froid et pâle ces intrus… Ainsi était-ce le Tortionnaire...


Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

« Balerion soit loué, il était temps. »

Penchant une tête par l’ouverture de la voiture qui le menait au domaine des Taellarys, Daemon Tyvaros laissa échapper un long soupir. Le but du voyage était enfin en vue. Juchée au bout d’une vallée descendant des contreforts des Montagnes Peintes, Draconys était une cité jadis fondée pour protéger le cœur de la Péninsule contre de possibles incursions rhoynardes. Riche de commerce et du brassage des cultures si cher aux populations du Nord, la ville avait prospéré au-delà de toutes les espérances de ses fondateurs : elle était devenue un véritable carrefour commercial incontournable. Il s’agissait de la seconde plus grande cité de la Valyria septentrionale après Mantarys, la capitale régionale.

Planté au milieu du paysage de champs fertiles et de lacs poissonneux, le palais des Taellarys avait un air vieillement vénérable et décrépi. Sa pierre sale et abimée jurait avec la beauté du paysage alentour. D’aucuns auraient pu dire que le château était victime d’une malédiction. Daemon, lui, y concédait une part de vérité : pour des nobles, être désargenté était une véritable malédiction. Il ne s’expliquait pas encore le pourquoi du comment mais on lui avait murmuré que cette famille s’endettait chaque jour qui passait pour maintenir son train de vie depuis que ses sources de revenus se tarissaient à vue d’œil.

Un cri lui fit lever les yeux vers l’azur et Daemon eut le loisir de constater que son attelage était désormais escorté depuis les airs par quelques dragons. Bien que Valyrien, Daemon ne put s’empêcher de contempler le vol grâcieux et puissant de ces créatures fantastiques qui avaient tant apporté à son peuple. Il était habituel de voir des dragons voler dans la Péninsule, mais Daemon n’avait jamais su s’y faire : il continuait de s’arrêter dès qu’il le pouvait pour observer leur vol. Ceux-là semblaient jeunes ou mal nourris car ils n’étaient pas bien grands. Daemon s’adressa à Sozlana Zhadhik, sa seconde et amie : une Ghiscarie à au visage balafré.

« Sozlana ! Pas trop impressionnée par la puissance de ma future belle-famille ? »

- Par tous les tétons de la Harpie, Daemon : si tu crois que vos gros lézards volants me rendent toute chose, tu as manqué plusieurs épisodes. J’ai connu des mines de sel mieux tenues que ce domaine... »

Satisfait d’avoir vérifié si la redoutable jeune femme avait toujours sa répartie légendaire, Daemon retourna à l’intérieur de la voiture. Il retrouva le visage réprobateur de sa mère.

« Fais en sorte qu’elle se fasse discrète. Ils sont peut-être ruinés mais ils restent nobles. Qui dit nobles, dit susceptibles. Tu n’as pas besoin d’en rajouter. Ils ne voudront pas de nous, ici. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu t’acharnes à vouloir culbuter une sang-dragon quand tu pourrais renouer une alliance aussi productive qu’avec les Qohiar. »

Daemon regarda sa mère en gardant le silence. Elle faisait référence à la famille de sa défunte épouse Visenya. Elle venait d’une famille de la petite bourgeoisie de Mantarys et Daemon aurait eu une existence assurément paisible à ses côtés. La guerre lui avait indirectement enlevé cette existence et quand bien même le mariage n’avait pas été d’amour, il s’était toujours bien entendu avec son épouse. Valaena ne comprenait pas l’aspiration profonde de son fils à s’élever plus haut qu’aucun Tyvaros n’était encore parvenu. Il ne pouvait pas être noble, mais l’or et l’influence feraient de lui un être aussi incontournable qu’un Dynaste. Il devait cela à son grand-père, à son père, à son frère, à sa veuve et à son enfant mort-né. Il ne répondait pas à sa génitrice pour la simple et bonne raison qu’ils avaient déjà eu cette discussion un nombre incalculable de fois et qu’elle ne comprenait toujours pas. Elle se faisait âgée et Daemon souhaitait la protéger afin qu’elle puisse jouir au plus possible d’une fin de vie opulente. Attrapant sa canne au pommeau d’argent, il s’amusa à la faire tourner entre ses mains en attendant le moment où les cahots cessèrent et où l’attelage s’immobilisa.

La porte s’ouvrit, laissant apparaître un serviteur en livrée fatiguée. Daemon prit appui sur sa canne et se pencha en avant pour sortir le premier, préférant être le premier visage Tyvaros que sa belle-famille verrait. En tout, son convoi se comportait seulement du carrosse et de deux cavaliers portant les couleurs de la compagnie mercenaire des Fils du Feu. Sozlana se faisait discrète, ayant sauté de l’attelage dès son arrêt pour se dissimuler à la vue des Taellarys au prétexte de commencer à décharger les valises. Suivi de sa mère, Daemon débuta l’ascension des marches du perron tandis qu’un jeune homme à l’air fringant et sûr de lui descendait à leur rencontre. Il se présenta comme le fils Tallaerys, Maelor. Le seigneur était trop souffrant pour les recevoir selon lui, mais Daemon n’y vit qu’une première insulte. Il resta de marbre tandis que Maelor lui présentait ses sœurs, dont l’une gloussa. L’autre s’avérait être sa promise. Elineor. Ils échangèrent des regards froids, scrutateurs, alors qu’ils se découvraient tous deux. Un pâle sourire vint perler aux fines lèvres du Tyvaros alors qu’il saluait sa promise d’un signe du chef avant de se tourner de nouveau vers son interlocuteur principal.

« Le voyage fut interminable, seigneur Maelor. Et pourtant, nous connaissons la région ainsi que la route. Enchanté d’enfin faire votre connaissance. J’ai entendu parler de vos prouesses au combat. »

C’était évidemment faux mais un peu de flatterie ne pouvait guère faire de mal dans ces premiers échanges. Daemon pensa ignorer la sœur aînée qui déployait des trésors de dédain aristocratique mais il décida de ne pas tomber dans son jeu. Il s’efforça de donner aux deux demoiselles une révérence aussi roide que travaillée.

« Mes dames, c’est un enchantement et un honneur de pouvoir vous rencontrer. Monseigneur Maelor est un homme heureux d’être si bien entouré. »

Suivant ce dernier qui guidait tout ce beau monde vers l’intérieur du palais, Daemon prit soin d’adopter une démarche aussi souple possible alors que sa canne claquait à chaque pas sur le sol de marbre de la demeure des Taellarys. Tandis que Maelor commençait à leur faire visiter la vaste demeure emplie de souvenirs de familles, de trophées divers et variés ainsi que d’autant témoignages de la grandeur et de la richesse de leur nom. Selon toute vraisemblance, les rumeurs de problème de trésorerie semblaient exagérées. Toutefois, Daemon trouvait cet empressement presque suspect. Il avait rencontré bien des familles nobles, certaines parmi les plus riches et influentes de Valyria. Personne ne lui avait fait visiter le domaine ainsi. Fallait-il y voir une marque de respect et d’ouverture des Taellarys ? Daemon en doutait, ces mots n’avaient guère cours dans la noblesse-dragon. Par ailleurs, le palais ne l’intéressait que peu. Il était là pour rencontrer sa promise et discuter de l’arrangement conduisant au mariage. Après une galerie, deux salons, une bibliothèque et une vaste salle de bal, Daemon n’y tint plus. Alors qu’ils parcouraient un vaste couloir dont les murs étaient recouverts tantôt de tapisseries, tantôt de mosaïques plus anciennes, Daemon profita d’un moment de répit dans la visite pour s’adresser directement à Maelor d’une voix impatiente.

« Seigneur Maelor, je vous remercie bien humblement de l’honneur que vous faites à ma mère et moi-même. Toutefois, je dois vous confesser que mon cœur bat plus fort pour une certaine personne ici que pour ces superbes pierres. Nous accorderiez-vous un moment à Dame Elineor et moi-même pour faire connaissance ? »



Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Ses prunelles se dérobaient ostensiblement à son ombre. Fuyantes. Peureuses. Intimidée. Comme si éviter Daemon Tyvaros parviendrait à nier son existence. Jusqu’alors, son fiancé n’avait jamais été qu’une figure intangible, un être impalpable égaré dans la distance. Si sa crainte demeurait pleine et entière, elle n’était composée ni de chair ni d’os ni de sang. Aussi n’était-il que ce fantôme aveugle que le monde surnommait le « Tortionnaire », une créature cruelle et ambitieuse, à la réputation aussi souillée que ses mains.

A présent, il était cette haute silhouette dont elle ne pouvait réfuter la présence inquiétante qu’il incarnait tandis qu’il gravissait les marches usées du palais d’une posture aussi droite et digne que le lui permettait sa jambe meurtrie. Elineor ne sut dompter cette curiosité qui amena son regard couard à voguer subrepticement vers Daemon. Elle se lança dans une étude si brève de crainte qu’il ne la remarque, qu’elle ne parvint à ancrer son visage sur sa rétine. Seule demeura ce désagréable malaise qui irradia dans chaque fibre de son être. Le néant l’agrippa aux tripes. Un vide glacial manqua de la faire frissonner. Elle dut lutter pour ne rien laisser transparaître de sa faiblesse. Il se dégageait de cet homme une aura de danger. Une roide menace qui la tétanisait sur l’une des marches de l’escalier. La voix du mercenaire ne fit que raffermir ce sentiment si étouffant. Le danger. Le pouvoir. La peur. La cruauté. Il inspirait toutes ces menaces, suintant du moindre de ses pores. L’héritage et le sort de sa famille n’avait jamais revêtu que peu d’importance pour la dernière Taellarys. C’était un nom qu’elle portait comme un mal, une immonde tare, une terrible malédiction. Les Taellarys étaient son pire fardeau, ses plus grandes douleurs et ses plus grandes haines. Une malédiction accrochée à sa carcasse dont elle ne pouvait honnir le nom qu’en silence. Toutefois, elle en venait à craindre l’association d’une telle famille à la sienne. Une dynastie retorse et cupide qui portait la violence de son règne dans chaque souffle.

A l’évocation des prouesses de Maelor lors de la grande guerre contre les Ghis, la dame s’admit déroutée. Bien que quiconque n’aurait osé faire mention d’un tel fait devant le nouvel héritier des Taellarys, il était su que le nom de Jaemarr, bien que voué aux ténèbres, détenait toutes les gloires en dépit de son trépas. Une mort regrettée. Une mort déplorée de tous. Un malheur pour la maison Taellarys qui perdait son joyau le plus précieux. Si ce n’était point la politesse qui s’exprimait au travers de la bouche du Serpent, l’insolente était osée. Son incertitude s’évanouit dès lors que les présentations furent de mise. Déplorant le jeu futile d’Alyhrys, Elineor se plia à une révérence respectueuse, bien qu’elle ne put se résoudre à baisser son regard. Ses prunelles pâles accrochèrent celles de celui qui lui était destiné. Un frisson atroce lui remonta le long de l’échine, la submergeant vertèbre par vertèbre. Son regard voulut échapper à cette fouille qu’il lui infligea, mais son aura agissait tel un sortilège. Un charme méphitique dont elle ne parvint à s’extirper. Son cœur s’arrêta de battre dans sa poitrine tandis qu’elle étudiait plus amplement les contours anguleux de ce visage qui tapisserait son futur quotidien. Il ne pouvait point être caractérisé de bel homme, mais tout du charisme qu’il incarnait tendait à prétendre le contraire. Une apparence qui aurait pu se révéler charmante si la brutalité de son âme n’éclatait pas à-même le maigre sourire qu’il lui accorda. Elineor ne songea point à le lui rendre, ébranlée par ce contact impudique. Le maléfice ne prit fin que lorsqu’il reconcentra son attention sur Maelor. La maîtrise de soi lui revint peu à peu, bien qu’aucun répit ne lui fut accordé au regard mauvais que Valaena Tyvaros lui servait.

Déterminée à demeurer discrète et muette, Elineor baissa les yeux et joignit les mains sur sa robe, les liant l’une et l’autre afin d’en réprimer les tremblements. Il était aisé de s’effacer dès lors que les présences opulentes de Maelor et Alyhrys gonflaient l’espace. Le jeune Seigneur ne manquait point de s’étendre en vaines paroles, compensant par la richesse de son discours l’agonie du décor qui les encerclait. Quant à sa sœur, elle déployait des artifices aristocratiques dont elle ne gratifiait pas même ses pairs. Un théâtre grotesque auquel la jeune Taellarys ne souhaitait pas prendre part. Elle se confortait dans sa position silencieuse, en arrière de ce cortège qui jalonnait les salles du palais. Avec honte, elle déplora le manège grotesque qu’instaura Maelor, paradant au cœur de la demeure et contant prouesses et richesses. Un stratagème odieux dont les intentions grossières laissaient clairement apparaître l’affront. Un besoin absurde d’écraser les Tyvaros par la supériorité de leur nom et de leur histoire. Une insolence qu’Elineor jugea dangereuse. Un éclat intelligent brillait dans les regards froids de cette famille de basse extraction. S’ils demeuraient polis, ils n’en étaient pas moins dupes. Cette audace malveillante pourrait mettre en péril ce fragile arrangement, ou pire, donner quelques envies à Daemon de se venger sur l’objet de cette union…

Endurant cette affligeante démonstration de vanité, l’Oiseau profita de cette visite pour observer le mercenaire depuis sa place isolée. En dépit du mal qui affligeait sa jambe, triste legs d’anciennes batailles, démarche était ferme et énergique. Une certaine raideur semblait l’habiter, sûrement motivée par un orgueil éméché. Irradiaient en lui les flammes d’une vigueur que l’âge ne lui avait pas ôté. Son étude la poussait à inspecter les moindres facettes de cette silhouette, de ses attitudes et de ses traits afin de décrypter la nature d’un être aussi énigmatique et inquiétant. Un examen qui trouva son terme dans l’impatience de Daemon Tyvaros. L’angoisse la pétrifia tandis qu’il exprimait son désir de se retrouver seul avec sa promise. Si l’impertinence de ses paroles ne pouvait être que saluée par Elineor, elle n’en demeurait pas moins angoissée à la perspective d’être confrontée à son fiancé. La réaction d’Alyhrys fut la première à s’afficher, réprimant vainement une exclamation scandalisée. Quant à Maelor, il fallait connaître ses ombres et ses ténèbres, ses colères et ses vices pour comprendre que le rictus qui transperçait ses lèvres n’était le fruit que d’une rage immense et dévastatrice. Mais telle la lave dissimulée au creux d’un volcan, rien ne transparut de la colère qui l’agitait. « Tes sentiments t’honorent cher Daemon. Hélas, je crains qu’un tel premier échange ne puisse être laborieux pour ma tendre sœur. Vois-tu, elle est affligée d’un terrible mutisme qui l’empêche… » L’indignation la disputa à la raison. Révulsée par un tel discours, sa voix fendit celle de Maelor comme le vent écrase l’herbe sur le sol. « Non. » Il ne saurait l’avilir de la sorte. Cependant, sa colère s’éteignit sous le poids des regards qui se braquèrent sur sa frêle silhouette. Le désir douloureux de disparaître l’envahit toute entière. « Je… je p-peux parler. » Submergée par l’angoisse, ces quelques mots furent une épreuve atroce. Rien en comparant du regard de Maelor qui la transperçait de part en part. Enragé. Furieux. Avide de vengeance. Qui trahissait le sourire léger qui trônait sur son visage. « Il semble que l’impatience ne soit pas le seul à t’étreindre, Daemon. Allons, laissons à ces deux promis le privilège de faire connaissance. » Sous le regard médusé d’Alyhrys, il initia le départ du reste de cette assemblée. Louvoyant entre toutes ces silhouettes, il se pencha à l’oreille d’Elineor quand il fut à sa hauteur. « Quoi qu’il te demande, fais-le. » Le tremblement qui l’agita ne sut être réprimé, l’empêchant de se mouvoir les prochains instants. Quand elle vint à réaliser qu’ils ne résidaient plus que deux êtres dans ce vaste couloir, Elineor ouvrit la bouche, puis se ravisa. L’air lui manquait tant qu’elle prit la direction des jardins, non sans enjoindre au Serpent de la suivre.

La brise tranquille qui les cueillit ne lui fut d’aucun réconfort. Marchant côte à côte, elle osait tout juste des regards dans sa direction tandis qu’ils pénétraient dans les jardins de la demeure Taellarys. Une arborescence qui avait grandement perdu de sa magnificence au cours des dernières années. Presque sauvage. Sèche. Sans structure ni maîtrise. Abandonnée. Piètre décor qu’Elineor offrait là à leur première conversation dont elle n’osait initier l’amorce. Chaque phrase lui semblait dénuée de toute substance et affreusement futile. Elle ne tempéra son allure qu’à la proximité d’un pommier dont les fruits pendaient avec gourmandise. Sa main blanche partit à la conquête de l’un d’eux, décrochant une pomme dont elle lissa sa peau sous la caresse. « Les f-fruits du palais sont rép-putés pour leur goût exq-quis. » Elle lui tendit la pomme, seul trésor encore scintillant au cœur de cette noblesse terne. Elineor déglutit avec difficulté, inquiète de cette proximité avec cet homme au surnom si cruel. « Le d-dernier joyau qu’il n-nous r-reste ici. Goûte. »



Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

Lorsque Maelor Tallaerys lui répondit, Daemon se rendit compte de sa gaffe.

Il avait vouvoyé son hôte, l’insultant gravement ou, pire, passant lui-même pour un pécore ne connaissant rien aux règles de politesses. Le seigneur-dragon n’avait guère relevé, sans doute dans un effort de diplomatie et de bienséance. Mais le mal était fait et le Serpent entendait déjà sa mère lui faire la réflexion plus tard, tandis que Sozlana serait probablement écroulée de rire à l’écoute de la mésaventure. Surtout, le Tyvaros était furieux d’avoir gâché sa première impression. S’il ne comptait guère sur l’amitié des Tallaerys, il espérait à terme une forme d’entente cordiale basée sur un respect mutuel de chacun et des intérêts communs. Tout cela était probablement déjà obsolète, désormais.

Mais lorsque la jeune femme qui était sa promise prit la parole pour la première fois, tout cela n’eût soudainement plus aucune importance.

Dans une belle histoire contée par les bardes et les trouvères qui se promenaient parfois de villes en villes, la première rencontre entre deux amants laissait sans voix car c’était un véritable coup de foudre qui les surprenaient tous deux jusqu’aux tréfonds de leurs âmes respectives. Pour Daemon, c’était un coup de fourbe car nul ne l’avait prévenu que la jeune femme était bègue. Il comprenait mieux pourquoi les Tallaerys avaient eu autant d’empressement à sceller l’affaire avec un roturier. Bien plus grave que des problèmes de trésoreries, même apparent, l’appauvrissement du sang des Tallaerys signifiait un fait bien plus grave pour les Valyriens : la fin prochaine de leur maîtrise des dragons, et, à terme, celle de leur statut de nobles. En cela, ils passeraient rapidement pour des abandonnés des Dieux si une telle information venait à se savoir avant que leur situation ne soit stabilisée. Et cela était encore pire que d’être ruinés. Une famille noble ruinée disposant encore de dragons pouvait espérer se refaire de mille et une façons : se tailler une part d’un territoire non-revendiqué, se mettre au service des armées de Valyria, conclure des mariages juteux avec de la haute-bourgeoisie avide de reconnaissance sociale… mais personne ne voudrait d’abandonnés d’Arrax dont la lignée serait bientôt souillée de dégénérés de toute sorte qui horrifiaient tous les Valyriens.

Cela arrivait parfois à des familles plus ou moins ancienne, sans que les mages ne sachent l’expliquer. En quelques générations, la dégénérescence contaminait tous les nouveaux nés qui étaient difformes, stériles et d’un sang si faible qu’on l’aurait qualifié d’impur. Les seuls à avoir trouvé une explication à ce phénomène qui semblait entièrement aléatoire étaient les prêtres d’Arrax qui expliquaient aux familles anxieuses de leur sort qu’ils avaient mécontenté le Dieu des dieux. Cela leur assurait des dons constants de toutes les familles nobles sans aucune garantie de succès mais toute la noblesse ou peu s’en fallait pratiquait ces dons comme une assurance contre ce terrible destin. De là à imaginer que c’était ce qui guettait les Tallaerys, il était encore bien trop tôt pour le décider, mais le doute s’instillerait partout.

Suivant la jeune femme dans les jardins, Daemon regardait autour de lui. L’endroit était vaste, et il regorgeait de spécimens différents. Il ne connaissait rien à la botanique et ne s’y intéressait guère mais il pouvait constater les différentes feuilles, fleurs et écorces qui peuplaient cette étendue. En y déambulant, la sensation de décrépitude qu’inspirait palais lui semblait exagérée en comparaison de l’état des jardins. Les Tallaerys avaient manifestement coupé court aux frais extérieurs depuis longtemps… ce qui signifiait que leurs problèmes d’argent ne dataient pas d’hier et qu’ils étaient sans doute plus préoccupants qu’ils ne le laissaient paraître. Daemon nota l’information dans un coin de sa tête et prit la pomme que lui tendait Elineor. Il plongea ses yeux dans ceux de la jeune femme en prenant le fruit et le croquant. Puis, il hocha la tête d’un air surpris. En effet, la pomme était délicieuse : sa chair était charnue et sucrée, elle n’était ni sèche, ni farineuse et d’une merveilleuse couleur rouge-rosée. Continuant son exploration sans un mot, Daemon observait autour de lui en croquant sa pomme. Il imaginait la magnificence qu’avait dû être celle de ces jardins avant leur abandon aux herbes folles. Le domaine était trop vaste pour être rentable, et il n’y avait bien que des aristocrates aux revenus quasi illimités pour se lancer dans un tel chantier. Daemon n’était pas un comptable ou même un marchand, mais il était mercenaire. Le rapport coûts/bénéfices était la première chose qu’il regardait avant d’envisager un contrat ou une action concernant la compagnie des Fils du Feu. Un trop grand domaine engloutirait rapidement la marge que pouvait dégager une quelconque activité économique rentable. Ayant terminé sa pomme, il lança le trognon sans autre forme de cérémonie et pivota autour de sa canne vers la jeune femme.

« Tu as raison, ces pommes sont excellentes. Peut-être que si ton frère avait un moindre semblant d’esprit pratique, il transformerait cette friche infâme en un verger florissant. Ce n’est pas aussi noble que des pierreries, mais ça permet de manger, voire de gagner de l’or. »

La remarque maussade et acide tomba comme une outre d’eau sur un sol trop dur. Dans le silence qui suivît, seul le bruissement du vent se glissant entre les feuilles des arbres et des haies emplît l’air chargé de senteurs douces et parfumées. Daemon se sentait furieux qu’on ait ainsi tenter de le tromper. A quoi donc pensaient cette famille ? Qu’il ne souhaiterait pas entendre parler sa promise avant de l’épouser ?

« Depuis combien de temps les problèmes financiers sont-ils apparus ? »

Il se pencha vers la jeune femme, un regard inquisiteur pesé sur elle.

« Je ne suis pas né de la dernière pluie, il est donc inutile de nier. Je suis curieux de savoir dans quoi je mets les pieds. Depuis quand ? Et qui gère l’argent de ta famille ? »

Soupirant d’agacement, Daemon se demandait encore si ce voyage allait véritablement donner sur quelque chose de concrètement intéressant pour lui. Il n’était guère philanthrope et n’avait guère désir de financer le train de vie d’une famille dégénérée.

« A voir ta famille et leur attachement à cette union, je pense qu’il est probable que nous nous marions un jour, Elineor. Comme je suis relativement nouveau à Valyria et que j’imagine combien ta famille a dû souhaiter te faire demeurer ici, je gage que tu dois avoir des questions me concernant. »

Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Enveloppée du silence de cette première confrontation précipitée, Elinéor s’égara dans la morne contemplation de leur pitoyable décor. Royaume déchu d’un palais d’or et de lumière. Irradiée d’une gloire jalousée et enviée. Malmenée par les tempêtes effroyables du temps et de règnes navrants. La déliquescence de la famille Taellarys ne s’était pas abattue sur eux avec la férocité des vagues traitresses qui terrassent les hardis marins. Elle s’était faite vicieuse, silencieuse et dévastatrice. Un poison insidieux se déversant dans les veines de cette dynastie à la gloire agonisante. Jaemarr l’Ancien fut des derniers de cette noblesse désossée à en incarner la précieuse quintessence du prestige. Un règne auréolé d’un orgueil salutaire dont les fruits laborieux avaient pourri entre les doigts fragiles de son héritier, Gaeron. Une main molle, portée uniquement pas l’ineptie des élans de son cœur, et non le regard tourné vers son héritage. Une couronne épineuse et écrasante sur une tête transpercée des affres d’une mélancolie démente. Carcasse dépourvue d’envergure qui gisait dans les linceuls de son lit, ni tout à fait mort ni tout à fait vivant.

L’espoir avait pourtant éclairé la voie à l’aube de l’avènement de Jaemarr le Jeune. Un esprit sagace et aiguisé sous la lame des enseignements exigeants de Baessa Taellarys. Toutes les qualités fortuites à un Seigneur dont le royaume expire s’incarnaient dans cet héritier, tel un message des Quatorze. Une volonté céleste pour les Taellarys que sa douairière n’avait point manqué d’interpréter favorablement. Sûrement se serait-elle détournée de l’adoration d’Arrax si Balerion ne l’avait pas accueillie avant Jaemarr. La volonté de ce dernier était ferme et résolue. Ni trop prompt ni trop indolent. Ni trop audacieux ni trop couard. L’équilibre dont cette malheureuse dynastie hurlait le manque. Arrax dressait sur sa route un hymne glorieux et salutaire si les griffes de la mort ne s’étaient pas jetées sur sa carcasse. Une tragédie aux attraits redoutables de malédiction qui ne confirmait que trop l’abandon des Taellarys auprès du corps divin. Reniés des Dieux. Maudits dans leur sang. Punis jusqu’à la lie de leurs coffres.

Depuis longtemps enflait le murmure que cette famille avait perdu la grâce des Quatorze. Une disgrâce dont Baessa désignait autrefois son propre fils pour odieux responsable. Elle entrevoyait dans les desseins divins une punition pour avoir parjuré son sang. L’alliance mortifère d’un sang pur à une monstrueuse inapte avait achevé d’écraser le courroux d’Arrax sur eux. La douairière tenait pour preuve flamboyante l’hideuse progéniture que leurs engeances mêlées avaient créée, marquée sur sa langue du mécontentement des Dieux. Une infamie que l’ancienne Taellarys n’avait jamais pu tolérer, jamais pu souffrir. Rage, revanche, vengeance s’étaient abattues sur cette triste créature enfantée dans le soupir d’une trépassée. Une existence si courte et interminable à porter le déclin des siens sur son âme et sa naissance, à chercher les ténèbres pour s’y enfouir et cesser d’être.

Elinor discernait les turpitudes funestes de leur déchéance dans chaque tuile brisée des toitures si riches, dans la moindre tenture abîmée traçant leur règne glorieux, dans la précieuse vaisselle écaillée, dans les innombrables feuilles noircies de chaleur et de négligence des jardins jadis somptueux, dans les râles de faim de ces dragons qu’elle ne monterait jamais. Tandis que la pomme dorée quittait sa main pour trouver son chemin vers celle, calleuse, de Daemon Tyvaros, l’Oiseau Maudit s’autorisa une contemplation hardie de son promis alors qu’il se détournait pour observer alentours cette nature défraichie. Une silhouette allongée, roide et austère. Une musculature nerveuse et taillée dans le métal. Un visage anguleux où trônaient deux yeux prêts à fouiller l’âme. Un frisson ébranla les frêles épaules de cette injuste sacrifiée sur l’autel de l’ambition Taellarys. Son regard s’accrocha sur cette canne qui lui servait d’appui, non sans qu’un affreux malaise n’étreigne ses tripes. Ses membres pouvaient encore sentir la morsure douloureuse des coups de canne assenées froidement par Baessa.

« Tu as raison, ces pommes sont excellentes. Peut-être que si ton frère avait un moindre semblant d’esprit pratique, il transformerait cette friche infâme en verger florissant. Ce n’est pas aussi que des pierreries, mais ça permet de manger, voire de gagner de l’or. » Cette remarque la piqua brutalement et éveilla en elle la fureur ardente d’une fierté que l’effroi avait éteinte. Sa bouche ne sut partout déverser le fiel d’une colère muette. Lave en fusion, rage indomptée. N’avait-il pas déjà affirmé son impertinence en osant s’affranchir de tous les usages lorsqu’il avait refusé le tutoiement à Maelor ? Se croyait-il ainsi déjà en territoire conquis, trônant sur les cendres d’un royaume à la gloire étiolée ? Un silence les cueillit, accrochant le regard pâle et tempétueux d’Elineor à celui de son promis. Hélas, les flammes de sa colère moururent sous les glaces de ses prunelles implacables. Elle retomba dans la contemplation piteuse de ses mains nouées l’une à l’autre sur sa robe.

Un sursaut l’étreignit à la vive réaction de Daemon, pressant la jeune noble de tant de questions que le souffle sembla lui manquer, comme s’il aspirait de son exigence et de sa proximité tout l’air dont elle disposait. Loin d’être un parvenu, il ne décelait que trop les manèges grossiers orchestrés par son frère Maelor. Un sentiment désabusé la transperça en songeant à ces machinations absurdes. Que croyait-il fomenter à agir de la sorte avec une famille à la réputation si féroce et cruelle ? Sa détermination chancela sous les assauts d’une angoisse terrible. Que se passerait-il lorsqu’elle quitterait les murs du palais Taellarys au bras de cette brute calculatrice ? A quel destin se vouait-elle en offrant son existence à un sauvage pour sauver les siens ? A peine osa-t-elle maudire les Quatorze de punitions si retorses… « La… la g_guerre. » bredouilla l’Oiseau Maudit autant que sa langue ne la trahit. Un courroux terrible s’empara de son être à l’écoute de cette voix qui affichait tant de faiblesses. Elle rassembla ce qu’il lui restait de courage pour offrir un peu de fermeté à ses mots imprécis et tremblants. « La g-guerre contre les G-ghiscaris a p-provoqué de grands troub-bles. » Ce n’était qu’une demi-vérité. Leur déclin prenait sa racine bien avant l’affrontement contre l’empire Ghis, toutefois, l’absence de Jaemarr le Jeune et la mort de Baessa avaient achevé de précipiter leur famille dans la ruine. « Maelor s-s’occupe des affaires familiales… Notre p-père est très souffrant. » Sa loyauté envers sa famille rendait ses confessions plus laborieuses à présenter, mais son regard glissait trop souvent vers cette canne dont elle craignait les assauts. L’homme inspirait une terreur atroce qui l’empêchait de maîtriser sa raison. Elle se maudissait de son impotence. L’acidité de son âme s’exprima pour elle. « Si t-tu es si avisé, D-Daemon Tyv-varos, tu aurais dû s-savoir qu’une noble d-dynastie ne s’associe pas à ta f-famille sans di-dissimuler une lente agonie pour motif. » Elineor crut bien qu’un esprit malin avait pris possession de sa bouche pour s’exprimer de la sorte. Néanmoins, la dignité lui dicta de relever le regard et d’affronter celui de son promis, si cinglant soit-il.

« A voir ta famille et leur attachement à cette union, je pense qu’il est probable que nous nous marions un jour, Elineor. Comme je suis relativement nouveau à Valyria et que j’imagine combien ta famille a dû souhaiter te faire demeurer ici, je gage que tu dois avoir des questions me concernant. » Les questions s’étaient bousculées tel un torrent dans son esprit des semaines durant. L’inquiétude lui avait ravagé les tripes. L’incertitude l’avait conduite au bord de la démence. L’angoisse avait manqué de la faire fuir une fois encore. Mais l’ombre gigantesque et menaçante de Maelor rodait dans les ténèbres, prête à fondre sur elle comme il l’avait fait autrefois. Ses mains cruelles l’enchaînaient à ce destin misérable et la peur commandait une loyauté tremblante. A présent qu’elle se retrouvait devant l’objet de toutes ses interrogations, la curiosité lui manquait. Elle amorça un pas en arrière, comme si s’affranchir de cette proximité troublante parviendrait à lui rendre la parole. « Est-ce là t-ta première union ? » parvint-elle à formuler maladroitement. Elle gageait que non. A l’âge qu’il semblait avoir, la chose était rare. Hélas, Maelor s’était bien gardé de lui dévoiler la moindre information, préférant attiser le vent de panique qui se soulevait chez sa cadette à la perspective de cette rencontre. Sa question lui parut soudain pitoyable. « Qu’as-tu fait pour êt-tre appelé le T-Tortionnaire ? » Une curiosité redoutée l’étreignit. Désireuse de savoir, craignant les cauchemars qui allaient la hanter…




Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

Seul le vent faisant bruisser les arbustes et les haies fut la seule réponse qu’offrît Daemon à Elineor.

Il toisait cette jeune femme qui devait un jour s’unir à lui et lui donner des héritiers. Si le Tyvaros brûlait d’une flamme inextinguible de s’élever dans la hiérarchie sociale valyrienne, il ne pouvait pas le faire seul. Il pouvait toutefois compter sur Elineor pour qu’elle lui donnât de fils puissants et des filles désirables. Ainsi, il pourrait construire une dynastie traversant les siècles comme l’avaient jadis fait les Vaekaron, Arlaeron et autres Haeron.

Daemon avait la guerre, la vraie. Celle que mentionnait le jeune Oiseau lorsqu’elle lui racontait le début de ses difficultés familiales. Les pieds dans la poussière et le sang, face aux phalanges de piquiers de l’Empereur. Il se souvenait, entouré de ses fidèles Fils du Feu, lorsqu’ils voyaient passer au-dessus d’eux les grands dragons de la noblesse qui n’attaquaient pas leurs ennemis. On leur expliquait que c’était le dessein des Dieux que les Valyriens triomphent sans user de leurs frères dragons. Et pendant des mois, cette doctrine avait tenue.

Bhorash avait tout changé.

Comme bien des Valyriens, Daemon avait développé une telle haine de la vision de ces murailles qu’il avait participé au dernier assaut avec une véritable réticence. Et pourtant, la quatrième bataille avait été la bonne. La vue de cette cité fortifiée écrasée sous le feu-dragon avait eu quelque chose de satisfaisant pour tous les Valyriens présents ce jour-là. Daemon se souvenait encore du plaisir qu’il avait eu à voir les murs fondre sous la chaleur qui se dégageait de la cité. On racontait qu’il y avait eu plusieurs milliers de morts dans la cité. Un corps humain ne laissait aucune trace s’il était consumé à plus de trois mille degrés. Et plusieurs mages avaient attesté que cette température avait été dépassée dans le centre de l’incendie, laissant un nombre théorique de victimes encore plus élevé que celui qui avait été rétabli. Les Ghiscaris n’étaient que des chiens inférieurs qui ne méritaient pas de fouler la terre valyrienne. Si Valyria devait s’étendre à leurs dépens, Daemon n’y voyait aucune espèce d’objection.

Peut-être qu’il pourrait retourner vers Anogaria ou même revendiquer de nouvelles terres comme colon dans le Vieil Empire. Il se voyait déjà gouverneur de Meereen, une ville qu’il connaissait bien. Quand il dirigeait les Fils du Feu, Daemon s’y était rendu plusieurs fois, parfois en escortant une caravane, parfois en allant y chercher du travail. Il connaissait les puissants de la ville, les meilleures échoppes, les entrepôts les mieux gardés, les bordels les plus fréquentés, et ses défenses. C’était cette connaissance des lieux qui lui avait permis de mettre en coupe réglée la cité lorsqu’elle avait été livrée au pillage par les généraux valyriens. Mais la vieille putain était résistante, Daemon le savait. Elle était plus dynamique, plus ambitieuse que sa mère Ghis, écrasée par l’aura de l’empereur et la volonté qu’il y régnait de ne surtout rien changeait. Daemon n’avait mis les pieds qu’une fois dans la plus grande ville du monde connu. Il avait été stupéfait de l’organisation stricte de son plan urbain, de sa propreté et de la multitude de pyramides, de ziggourats, de marchés et de fortifications. La cité était bien plus vaste que tout ce qui existait, et elle comptait près d’un demi-million d’habitants. Rien ne l’égalait, mais Valyria avait le potentiel de la dépasser.

A divaguer sur ses souvenirs de guerre, il en oubliait l’instant présent. Il avait laissé son regard voguer vers le lointain, observant les friches et le manoir fatigué. La noblesse ne venait-elle vraiment que du sang ? Qui pouvait se revendiquer noble et laisser un tel héritage se dilapider au point de devoir se lier à un Tyvaros ? Cela dit, il trouvait légitime que la jeune Elineor ait des questions à lui adresser et il s’efforça de passer outre l’abrupte façon de sa promise d’aborder ces dernières pour lui répondre de manière transparente.

« Non, j’ai été marié. C’était avant la guerre. Elle s’appelait Visenya et était fille d’une famille bourgeoise possédant des vignes autour de Mantarys. Nous étions mariés depuis quelques mois lorsque Ghis a attaqué. Elle était enceinte et a fait une fausse-couche sur la route vers Anogaria. Elle est morte et notre enfant avec elle. »

Le timbre de voix de Daemon ne laissait transparaître aucune espèce d’émotion.  Il n’était pas du genre à s’épancher et encore moins à avoir des regrets. Il omettait toutefois qu’il était celui qui avait insisté pour qu’elle prenne la route malgré sa grossesse avancée. Il était inquiet de voir les Ghiscaris déferler sur la région de Mantarys. Cette crainte s’était rapidement avérée justifiée lorsque les légions de l’Empereur avait bousculé les défenses frontalières valyriennes, jeté le siège devant Tolos puis étaient parties en direction de Mantarys. Les vignobles de la famille de son épouse avaient été en partie ravagés par les troupes remontant vers la capitale du Nord de Valyria. Pourtant, son regard s’éteignait légèrement quand il mentionnait Visenya. Ils avaient fini par s’apprécier l’un et l’autre et Daemon aurait pu, à terme, changer sa vision du monde et se ranger pour elle, pour construire une famille à ses côtés. Mais la guerre avait tout changé. La guerre ne changeait jamais.

Il avait toutefois conçu une forme de distance froide pour les relations intimes où il aurait dû ouvrir son cœur. Daemon n’était pas là pour aimer et chérir mais pour s’élever. S’il pouvait concevoir un concubinage voire un partenariat avec une femme, il n’y voyait pas de vie commune mais plutôt un contrat leur permettant à tous les deux d’obtenir ce qu’ils souhaitaient. Daemon, lui, souhaiter obtenir le plus de cette vie et le transmettre à ses enfants. Peut-être qu’un jour ses descendants pourraient quitter le sol qu’il foulait et s’élever dans les cieux sur le dos d’un dragon. Et pour cela, il avait besoin d’Elineor. Il la regarda, scrutant son visage comme s’il voulait y déceler un défaut quelconque. Elle était d’une beauté saisissante, même parmi les standards valyriens. Elle avait ce regard clair qui lui donnait un air de virginité absolue bien que sa chevelure rappelait qu’elle n’était probablement de sang pur. Cela importait peu à Daemon qui comptait bien sur elle pour jeter les bases d’une nouvelle dynastie. S’ils voulaient un jour pouvoir compter sur des descendants chevauchant des dragons, il leur faudrait songer à des unions consanguines parmi leurs descendants.

A la seconde question d’Elineor, Daemon lui jeta un regard peu amène. Il était le Tortionnaire, mais pas celui de Valyria. Mais ce surnom le précédait partout où il se rendait : qu’Elineor n’ait aucune connaissance de la façon dont il avait acquis cette identité le surprenait. La communication entre le frère aîné et la sœur cadette ne semblait guère structurée dans cette famille. Il lui jeta un regard d’une dureté sans précédent. On y lisait la froide détermination d’un homme qui avait trahi ses engagements, qui avait utilisé ses connaissances de temps de paix pour maximiser le massacre et le pillage d’habitants d’une cité qui lui avait jadis ouvert ses portes et qui avait bâti sa fortune la traite d’individus vaincus.

« Magnifique surnom, n’est-ce pas ? A quoi bon en avoir un si ce n’est pour instiller la peur et le respect dans le regard des autres ? Le Tortionnaire est né à Meereen, Elineor. As-tu déjà entendu parler de cette cité ? Sans doute, elle est assez connue, même ici. C’est une ville située à l’étranger, dans l’empire de Ghis. Elle est vaste et riche. Mais lors de la guerre, nous l’avons capturée. Pendant le pillage de cette dernière, j’ai chargé mes hommes de prendre le plus d’esclaves et de les ramener à Valyria. Avec les bonnes chaînes, guider un troupeau d’esclaves est à peine plus difficile que de contrôler un troupeau de moutons. Sauf que les moutons n’ont jamais connu la liberté. Les Ghiscaris, si. Il a donc fallu les remettre dans le droit chemin et les préparer à servir leurs  nouveaux maîtres… le surnom est venu de mes méthodes de contrôle de cette foule. »

Il lâcha le regard d’Elineor pour lui laisser un peu d’espace pour respirer et puis se tourna vers le verger, faisant quelques pas parmi les herbes folles, les massifs non taillés et les arbres morts. Un arbre fruitier ne vivait guère longtemps s’il n’était pas entretenu, mais Daemon doutait qu’un aristocrate trop soucier de maintenir son niveau de vie eût connaissance d’une telle information. Il avait donc plusieurs points qu’il souhaitait évoquer avec sa promise.

« Comment envisages-tu cette union, de ton côté ? Tu sais que je ne demande rien de plus que ce qui serait attendu de toi dans une union plus classique. A la différence que je te ferai quitter cet endroit : ça, il faudra t’y faire car je compte bien m’installer à demeure dans la capitale. Si tu le souhaites, nous rechercherons ensemble un domicile à la hauteur de notre réputation. Les Tyvaros ne sont pas connus à Valyria car nous venons d’arriver, et les Taellarys ont mauvaise presse : je me suis renseigné. Mais toi et moi, nous leur montrerons. »

Se retournant, il fit de nouveau face à sa promise. Il croisa les mains dans son dos, et lui déclara avec roideur :

« Je n’attends qu’une seule chose. Ta loyauté, pleine et entière. Il n’y aura pas d’autre place pour que tu te sentes loyale à quiconque d’autre que moi. Tu ne me trahiras pas, tu ne trahiras pas mon nom. Si tu le fais, je le saurai, et je te détruirai. Et le nom de Taellarys avec toi. »

Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Immobile et frémissante, Elineor contemplait cet horizon qu’elle craignait. De sa situation présente, elle en éprouvait les plus vives inquiétudes. Quelques semaines auparavant, en dépit de l’émoi palpable qui ébranlait la carcasse décrépie du palais Taellarys, elle existait secrètement au cœur de ces murs à l’éclat fané. Un antre dont elle avait fini par connaître tous les secrets, à déceler jusqu’au moindre interstice de pénombre pour s’y dissimuler. Il n’était rien de ces lieux qu’elle ignorait, les ayant trop arpentés, à en user le pavé maintenant défraîchi, à s’incarner elle-même dans ce décor victime d’un mauvais sort, comme si un maléfice s’était abattu sur ce monstre d’opulence et de richesse, les merveilles absorbées dans un maelström ravageur. De lumière, le palais s’était transformé en ténèbres. Désavoué des Quatorze. Maudit dans leur sang et dans la pierre. Nié dans sa noblesse et son prestige. Un territoire de malédiction qui était le seul que n’avait jamais connu l’Oiseau Solitaire, protégée des ravages d’un monde qui n’aurait su la souffrir autant que les siens. Trop laide, trop petite, trop frêle pour paraître auprès de cette société aux standards si exigeants d'après sa famille. La pureté d’un sang qui se disputait à l’inaptitude de celui de sa mère, un poison atroce qui profanait ses chairs et l’empêchait d’être pleinement Taellarys. Maudite jusqu’à sa langue qui lui jouait des tours si cruels. Le regard médusé de Daemon ne lui avait pas échappé lorsqu’il avait entendu son mutisme pour la toute première fois. Un mélange de stupéfaction et de ce qui luisait comme une colère profonde. Si inapte était-il, il n’en était pas moins au fait du sort réservé à ceux qui ne se conformaient pas à la perfection valyrienne. Une vie d’opprobre et d’infamie, la preuve d’une tare immonde qui malmenait la réputation illustre des Taellarys. Il lui semblait que, si Baessa était toujours en vie, elle aurait réprouvé une telle union, si insignifiant soit le nom des Tyvaros, juste à l’idée que cet Oiseau Maudit puisse s’enfuir de sa cage et s’exposer au regard de la société de Valyria. Qu’en serait-il à présent que Maelor s’apprêtait à outrepasser cette règle et à projeter Elineor dans le monde, preuve frappante d’une lignée dégénérée ? La jeune femme craignait qu’une violence plus âpre encore ne vienne la saisir dès lors qu’elle serait affranchie de la protection du palais de son enfance.

Ses prunelles pâles étudièrent celui qui était désigné comme son promis par les lois absconses d’un besoin désespéré et d'un orgueil à l'agonie. La terreur qui ébranlait son être à la proximité du mercenaire ne s’émoussait point à mesure qu’ils conversaient, mais la curiosité alliée à une obstination souvent délétère avait toujours été le pire ennemi d’Elineor. S’arrachant à la contemplation inquiète de sa canne, son regard partit à la découverte de cette silhouette mince et élancée. Il demeurait d’une haute stature, les membres vibrant d’une force et d’une rudesse certaine. Si l’une de ses jambes lui faisait défaut, il ne se départait guère d’une démarche assurée et droite. Un personnage étrange dont l’aspect glabre de son visage anguleux n’était pas sans rappeler celui d’un serpent. Les traits imparfaits de sa figure auraient pu le rendre laid si un charme terrifiant n’imprégnait pas chacune de ses expressions et jusqu’au timbre envoûtant de sa voix. Un charisme entre cruauté et fascination qui pétrifiait la damnée sur place. Au cours de ses nuits d’angoisse et de doute, elle avait dessiné son visage un millier de fois dans son esprit, mais aucune de ses esquisses n’auraient pu prédire un charme si redoutable et menaçant.

A présent que l’objet de toutes ses interrogations s’érigeait devant elle et lui offrait la possibilité de répondre à ses interrogations, Elineor se maudissait que sa bouche se retrouve si dépourvue de mots. La gorge sèche, sa langue s’essaya à quelques paroles intriguées qui lui parurent bien pitoyables et affreusement formulées. Prête à recevoir les foudres d’un orgueil bafoué, la noble s’avoua désarçonnée par le naturel avec lequel il s’empara de sa question. Plus horrifiée par le ton froid avec lequel il délivrait l’information de son premier mariage et du destin tragique de son épouse et leur enfant à naître que par le propos lui-même, Elineor dut s’ingénier à de nombreux sortilèges pour empêcher son expression de trahir sa terreur. Ses doigts s’entrelacèrent avec force les uns aux autres, appliquant une pression douloureuse pour que sa figure demeure de marbre. L’air lui manqua et ce fut d’un timbre étouffé qu’elle réclama sa prochaine question.

Un regard implacable vint s’écraser sur elle. Son cœur se tordit à contempler deux yeux si puissants la scruter de la sorte. A chaque instant, il semblait qu’il disséquait un peu plus son âme, dévoilant ses secrets les plus intimes, ses peurs et ses tourments. Cernait-il la terreur qui enflait dans sa poitrine ? Pouvait-il entrevoir les hurlements de son âme ? Au discours qu’il lui tint, Elineor ne put maintenir sa composition calme plus longtemps. Si l’indignation la plus vive gonflait son être et agitait la tempête d’une révolte dictée par son éthique et sa raison, une fascination inattendue s’imprima sur son visage. Médusée et envoûtée par ses propos atroces. Ensorcelée et terrifiée par les paroles que contait sa voix grave. Une fable atroce qui fit frissonner Elineor jusqu’aux tréfonds de son âme. Elle ne réalisa que l’air manquait à ses poumons que lorsque son promis s’éloigna d’un pas et détourna son regard vers le paysage mortuaire qui les entourait. Il lui fallut reprendre sa respiration, calmer l’éclatement de sa poitrine, éteindre les flammes d’une peur irraisonnée.

La voix de Daemon claqua à nouveau dans l’air étouffant qui portait leurs paroles. A chaque mot, son courage faiblissait. A chaque mot, sa détermination s’émoussait. A chaque mot, une conviction atroce s’abattait sur ses tripes comme le tonnerre. La parfaite certitude qu’elle ne pourrait jamais lier son destin à un être si monstrueux que ne l’était cet odieux serpent. Lorsque son regard la captura à nouveau, une tempête nouvelle s’éleva en elle, faisant claquer l’étendard de ses peurs. Ses propres prunelles s’arrachèrent à l’étude impudique de son promis pour contempler la carcasse étiolée de son enfance, palais perdu dans la distance, unique royaume d’une existence décevante et déplorable. Le silence les cueillit tous les deux alors qu’elle s’abîmait dans des souvenirs bien trop douloureux et médiocres pour regretter entièrement d’y être extirpée. « Ma loyauté p-pleine et entière… » répéta la jeune femme, toujours aspirée dans la tourmente des temps de jadis. Puis, comme déracinée de ses pensées, elle ramena son regard sur Daemon. Le Tortionnaire. Le cruel. Avec la même intensité dont ses yeux se gorgeaient lorsqu’elle dévisageait sa famille, elle fixa le mercenaire. Deux pâles joyaux redoutables luisant dans le déclin du jour. « Tu l’obt-tiendras, D-Daemon. Si tu t-te montres f-fidèle aux Taellar-rys en retour. » La terreur précédemment ressentie habitait toujours son être, noyée sous un océan de conviction et de détermination. « Nous p-pourrons nous marier. Et j’ir-rai là où tu le commander-ras. Je me p-plierai à toi et à tes ambit-tions si tu le souhait-tes. T-toi et moi pourrons êt-tre ce « nous » que tu év-voques. » Sa langue marqua une pause. Croyait-elle à la moindre parole qu’elle proférait ? Saurait-elle lui offrir la loyauté et la descendance qu’il lui réclamait alors que tout son être n'aspirait qu'à la fuite ? Aussi haute qu’honneur… Ses pas la rapprochèrent de Daemon Tyvaros pour s’ériger à son côté, être son égale, être à sa même hauteur. « Mais tu ne m’ép-pouseras pas uniquem-ment, Daemon T-Tyvaros. P-pas uniquement ma nob-blesse. Pas un-niquement mon nom. Tu ép-pouses ma famille. Et en te permettant d’êt-tre à moitié Taellar-rys, tu devras aid-der cette famille à prosp-pérer. » Droite. Fière. D’une souveraineté qu’elle empruntait à Baessa Taellarys, elle prophétisa ses dernières paroles. « Ne t-trahis jamais les Taellarys. Al-lors, je te serai loyale et je serai t-tienne. Pleinement et ent-tièrement, Daemon Tyvaros. »



Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

Dans un premier temps, Daemon Tyvaros crut qu’il avait mal entendu. Et quand elle continua à parler, il se rendit compte que son ouïe ne lui avait pas fait défaut. Elle avait un côté ridicule avec son bégaiement qui la rendait difficile à prendre au sérieux. Pourtant, il voyait bien dans son regard qu’il y avait une forme de détermination froide à lui imposer ses propres vues. Il fronça tout de même les sourcils, plongeant son regard acéré droit dans les pupilles colorées de sa promise, cherchant à dépecer son âme, à mettre à nu ses émotions et à jeter une lumière crue sur ses craintes ainsi que ses espoirs. Il la laissa venir à ses côtés, la toisant d’un regard attentif. Pas chaleureux pour un sou, mais pas hostile non plus.

Ainsi le bel oiseau savait parler.

Et la moindre des choses qu’on pouvait dire, c’est qu’il avait de quoi chanter.

Daemon écouta attentivement ce qu’elle avait à lui dire. Elineor n’était pas une sotte, il s’en rendait compte désormais. Elle était pétrie de loyauté pour une famille visiblement trop heureuse de pouvoir l’éloigner en échange d’un sac d’or. Toutefois, Daemon respectait la loyauté… jusqu’à un certain point. Une loyauté était toujours déçue, et de son expérience, il valait mieux être le premier à agir. Il y avait quelque chose de bien plus utile que la loyauté aveugle et c’étaient les accords où chaque partie en ressortait gagnante. Tant qu’aucune n’avait de raison de briser le pacte, l’équilibre perdurait et on pouvait habiller cet arrangement de loyauté pour apaiser la conscience de tout le monde.

Dans le monde des communs, on n’avait pas le temps de s’embarrasser de tels apparats. Ce qui comptait, c’était le résultat : car si le résultat était mauvais, on ne mangeait pas. Alors oui, Daemon écoutait ce que cette jeune noble avait à lui dire. Il fronça le nez plus d’une fois à l’évocation de conditions qui semblaient fort à des ultimatums mais il ne pipa mot. Il comprenait dès à présent que la loyauté de cette jeune femme ne lui serait pas aisément acquise. La façon avec laquelle elle monnayait son allégeance en échange d’une autre l’engageant lui encore davantage aux côtés de cette famille perdue le dépassait. Qu’espérait-elle accomplir ? Elle lui signifiait simplement qu’il devrait trouver un arrangement mutuellement bénéfique pour que leur mariage perdurât… ce qu’il avait anticipé.

Toutefois, il n’appréciait que moyennement le couplet sur la noblesse achetée. Il n’était peut-être qu’un roturier, mais il s’était élevé à un niveau jamais atteint par un membre de sa famille. Il était cousu d’or, et il n’appréciait que peu de devoir subir les leçons d’une enfant à peine capable d’aligner trois mots. Plus grand qu’Elineor, il se baissa vers elle, pour se mettre à son niveau et la foudroyer du regard.

« Je ne suis pas un banquier ou un conseiller en gestion d’un domaine, Elineor. Je suis un soldat, un mercenaire, un homme de ce peuple sur lequel vous vous reposez tant. N’oublie pas que ta famille, je l’aide déjà à « prospérer » en la sauvant de la ruine. N’oublie pas que sans moi, sans mon or, vous êtes condamnés à l’oubli. Et ce sera ton échec, tu le sais autant que moi. »

Daemon avait comme le sentiment qu’Elineor ne lui avait pas tout dit mais il n’avait aucune idée de ce que ça pouvait être. Après tout, il avait bien vu combien elle s’était sentie soumise et reléguée au second plan en présence de sa famille, c’était après tout la raison de leur rencontre dans ce jardin. Il désirait toutefois prolonger la mise au point.

« Que cela soit bien clair entre toi et moi. Je n’ai aucun désir d’être Taellarys, et encore moins à moitié, lâcha-t-il avec un mépris manifeste. Tu ne te rends pas souvent à Valyria. Tu constaterais à quel point votre nom est synonyme du mot « malédiction » par là-bas. La bonne fortune a tourné, les Dieux vous ont oublié… et j’en passe. Je n’ai aucun désir d’être associé à ta famille plus que ce sera nécessaire. Mais je le ferai, en vertu du pacte que nous passerons. Et tu seras aussi une Tyvaros. Et nos enfants seront des Tyvaros. Et leurs héritiers aussi, jusqu’à ce qu’un Tyvaros puisse revendiquer un dragon. Alors, et seulement alors, nous pourrons avoir le repos et notre mission sera accomplie. Et nos âmes seront libérées. »

Cette tirade déclamée, Valyria se redressa et fit quelques pas pour laisser à Elineor le temps de se remettre de ses émotions. En un sens, il respectait la tentative de la jeune femme de poser sur la table de nouveaux termes mais il ne pouvait accepter un tel marchandage. Toutefois, il avait suffisamment d’expérience à négocier les talents des Fils du Feu pour savoir ce qu’il en était. Un interlocuteur humilié ou débouté dans la totalité de ses demandes n’était pas une issue à poursuivre. Après ses quelques pas, Daemon se retourna donc vers la jeune femme.

« Je ne m’engagerai pas à soutenir contre vents et marées les tiens, Elineor. Mais je te propose ceci, en plus du reste : je trouverai au moins une opportunité pour eux où ils pourront véritablement inverser le destin. S’ils s’y prennent bien, pour de bon. S’ils manquent leur coup, pour un moment seulement. Ce ne sera pas dans mes mains, mais l’opportunité pourra les propulser à un niveau de richesse et d’influence jamais atteint… mais nous ferons en sorte de ne pas y être mêlés. Nous devrons rester loin d’eux. C’est ma contre-proposition. Une opportunité en or, une seule, en plus de l’or que je vais verser. Mais une opportunité accompagnée d’un isolement des discussions avec les tiens. Tu ne devras plus discuter avec ton frère que le plus discrètement possible. »



Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Les abominables contorsions de son âme manquaient de lui faire perdre courage à chaque syllabe tressautante. Elineor tentait de singer les attitudes altières de Baessa Taellarys. L’ancienne douairière avait vu s’éteindre avec elle les derniers flamboiements prestigieux de cette noblesse gangrénée. Souveraineté. Orgueil. Honneur. Le nom des Taellarys claquait sur sa langue avec toute l’illustre emphase dévouée à leur histoire. Elle incarnait ces derniers soupirs de noblesse que ni Maelor ni Alyhrys n’étaient capables de défendre aujourd’hui. La poigne de la Dame Dragon s’érigeait avec force, intransigeance et cruauté. Le rôle se révélait ardu à interpréter pour une créature si pitoyable que l’était Elineor. Une frêle silhouette à la peau pâle et translucide, la vulnérabilité gravée à-même l’ovale gracieux de son visage, la terreur imprégnant ses prunelles hésitantes et la bouche affublée d'un mauvais sort. Le visage de Baessa hantait l’esprit de l’Oiseau Maudit, tantôt démon, tantôt divinité. Elle avait été le pire de ses tourments à l’ère de son enfance, suscitant constamment son courroux et ses violences. Une figure redoutable dont Elineor s’était défiée, s’évanouissant dans chaque ombre pour ne point lui faire l’offense d’exister. Elle lui devait la vie autant que ses malheurs, ayant la parfaite conscience que d’autres familles nobles n’auraient pu souffrir le parjure de sa naissance. Maudite par Arrax, d’un sang à moitié inapte, dédaignée des dragons, frappée d’une faible constitution. Sa grand-mère n’avait eu de cesse de lui répéter que des dynasties plus terribles auraient eu le droit de l’égorger dès son premier souffle. Sa place, de pouvoir se tenir face à Daemon Tyvaros, elle la devait à l’indulgence des Taellarys. A la pitié qu’elle était parvenue à susciter en leurs cœurs. A présent que la rançon de cette mansuétude lui était exigée, il ne lui était pas permis de se défiler en dépit de la terreur qui imprégnait chaque fibre de son être.

Elineor n’était en aucune façon une créature d’intrigue et son allure lui ôtait le moindre pouvoir d’intimidation. Néanmoins, elle pouvait se féliciter d’une certaine sagesse qui lui permettait de tenir un tel langage à son promis. S’il avait su lire dans son esprit, sûrement y aurait-il découvert le tremblement de ses doutes et de ses incertitudes. En engageant sa loyauté auprès de Daemon, elle réclamait qu’une semblable allégeance soit octroyée à sa famille. Une contrepartie qu’elle n’était guère en position de demander, leur situation les laissant aux abois. Malgré tout, le spectre redoutable de Baessa et l’ombre vicieuse de Maelor rodaient autour de sa silhouette frémissante. Plus que le regard acéré du mercenaire, elle craignait le courroux de son aîné. Son esprit éprouvait déjà la douleur de ses coups assenés roidement, de la perversité de son langue et des menaces qui l’accableraient. Elle n’ignorait rien du sort qui lui serait réservé si elle cédait sa fidélité entière à cet inapte déjà coupable d’odieuses insultes envers son nom. Plus que tout autre chose, Maelor détestait l’ingratitude et considérait déjà que sa benjamine en était pétrie depuis sa naissance. Elineor connaissait le prix de ses sentences. Et Daemon, bien que serpent terrifiant et sinistre, n’éveillait pas les mêmes craintes chez elle que son frère en était capable.

Tandis qu’elle lui tenait ce tremblant discours, elle dut lutter pour ne point céder à la morsure de son regard. Deux globes d'acier froid qui la décharnaient toute entière, la disséquaient, grignotaient son âme et ses chairs pour ne plus abandonner qu’une carcasse agonisante et dépouillée. A la sauvage expression qu’il lui adressa, Elineor manqua de flancher. Qui devait-elle redouter le plus entre le serpent avide et le noble désespéré ? Le souffle manqua à l’Oiseau alors qu’il l’emprisonnait de sa proximité. Son visage si proche de sien qu’elle pouvait en éprouver la chaleur. Toute la prestance empruntée à Baessa s’évanouit dans la défaite de ses illusions. Son cœur s’écrasa dans sa poitrine à l’évocation de cet échec qu’elle ne pourrait signer que de sa main. En la sacrifiant aux Tyvaros, les Taellarys la condamnaient mais déposaient également entre ses mains la prospérité de leur famille. A la merci complète de cet homme d’ambition, il lui faudrait se plier à la moindre de ses exigences si sa famille souhaitait s’extirper de l’opprobre qui agrippait son squelette desséché. Si l’aide de Daemon ne leur était plus acquise, que la faute soit imputable à Elineor ou non, elle en subirait les terribles conséquences. Non abusée par la naïveté, la jeune femme savait que plus aucune raison ne la retiendrait d’être affligée d’un sort funeste. Dès lors que le mercenaire la répudierait ou nierait son alliance avec les Taellarys, son destin serait scellé par sa famille. L’atroce perspective la fit frissonner.

L’orgueil se disputa à la peur alors que Daemon lui tenait un discours tranchant. L’orgueil blessé d’entendre les siens être dédaignés de la sorte. La honte écrasante de réaliser qu’elle incarnait cette malédiction. La fierté abattue par la soumission qui lui était exigée. Il fut permis à son cœur de battre à nouveau dès lors que Daemon la libéra de son regard. Ses bras s’enroulèrent autour de ses épaules comme pour ramener un peu de chaleur à ce corps dont le serpent avait aspiré toute la vie. Un silence morne emplit l’espace. Les lèvres d’Elineor n’osaient se mouvoir, sachant que leur règne était terminé.

Une légère surprise la saisit lorsqu’il reprit finalement, plus enclin à parlementer et à proposer un ultime marché. Balayant le discours de sa promise, il décrivit des largesses auxquelles l’oiseau ne s’attendait guère. Pas plus qu’elle ne comprit véritablement ses conditions finales. Malgré tout, le choix leur était donné. Et si sa famille savait tisser plus ingénieusement les fils du destin, peut-être sauraient-ils agripper la chance qui leur était présentée. Une potentielle félicité qui gonflait la poitrine d’Elineor d’un espoir inattendu. Sa vie condamnée pour la gloire retrouvée des Taellarys… sûrement n’était-ce qu’un maigre tribut, si insignifiante et futile était-elle, pour conjurer la malédiction qui les persécutait depuis de trop nombreuses années.

Les prunelles violettes d’Elineor se plongèrent sans pudeur dans le regard d’acier de son promis, cherchant là à sonder la sincérité de ses mots. Les intuitions de la jeune femme n’étaient guère des alliées de confiance pour lui permettre de juger l’âme d’autrui. Trop peu exposée dans le monde. Réduite à la seule compagnie de sa famille et d’un homme qui avait jadis abusé de sa naïveté. Le temps se suspendit, le décor bruissant tout juste d’une brise passagère. Un souffle à l’haleine glaciale en cette saison partout chaude. Pétrifiée jusqu’alors, Elineor s’approcha de son promis. Prudente, sa main partit à la rencontre de celle de Daemon, se posant avec elle sur le pommeau de sa canne. Geste symbolique d’un pacte scellé entre eux. Son contact lui parut affreusement rude et osseux. « Alors, ainsi en sera-t-il, Daemon Tyvaros. » souffla-t-elle d’une voix qui ne sut lui faire défaut dans la gravité du moment. A nouveau, son regard partit à la conquête du sien. De son promis. De son futur époux. De celui dont elle porterait la descendance. Du potentiel salut de la famille Taellarys.

Un bruissement bouscula cet échange muet et sacré. Comme si l’épiderme de Daemon était devenu brûlant, l’Oiseau ôta abruptement sa main, non sans qu’il ne sente probablement un frisson l’ébranler. Elineor détourna le regard, croyant discerner la silhouette qui venait à leur approche. L'ombre implacable et redoutable de son frère. Mais il n'en était rien. Réprimant l'affolement qui s'était emparé de sa poitrine, elle se recomposa un masque imperturbable et s'approcha de cet arbre qui se faisait témoin silencieux de leur échange. Elle caressa du bout des doigts son écorce immuable, jusqu'à gracieusement éprouver l'épiderme des fruits qu'il portait avec gourmandise. Piètre relique d'une gloire aujourd'hui éteinte. « Ta mère ne semble que p-peu goûter à notre hosp-pitalité. » nota Elineor. Un constat simple et dépouillé du moindre jugement. Elle se retourna vers son promis, non sans respecter la distance qu'elle soutenait entre eux. Nouant ses mains derrière son dos, elle s'accola contre le tronc du pommier. Leur serment nouvellement scellé encourageait sa curiosité et Daemon semblait plus ouvert à une sincérité froide qu'à des mensonges enjôleurs. Ce n'était point pour lui déplaire, en dépit des frissons que les octaves de sa voix provoquaient sur le ramage de l'Oiseau. « Se pourrait-il q-que cette union dép-plaise aux tiens ? »



Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

« Alors, ainsi en sera-t-il, Daemon Tyvaros. »

Daemon coula un regard dubitatif face au fatalisme d’Elineor Taellaerys. Il s’était imaginé une jeune oie un peu boiteuse, d’une fadeur indicible et d’un intellect aussi inspirant qu’une salade ghiscarie ; il trouvait dans sa rencontre une personne aussi inattendue que surprenante. Il y avait dans Elineor Taellarys une force très fragile et pourtant très brillante. Comme une flamme face au blizzard, elle dansait avec toute la puissance dont elle irradiait ses alentours immédiats avec ce risque toujours imminent de sembler s’éteindre en un souffle. Si elle pouvait être forte, elle semblait pouvoir être mouchée d’une simple pression.

Lorsqu’elle imposa une proximité plus grande entre eux, Daemon la dévisagea avec froideur. Il sentait le contact doux et ardent de son sang noble. Elle était peut-être de sang mêlé mais dans ses veines coulait tout de même le sang du Dragon. Elle était une noble fille de Valyria, et personne ne pouvait lui enlever ça : c’était pour cette raison précise qu’il l’épousait. Et il découvrait cette noblesse, cette puissance contenue, qui faisait d’Elineor un personnage bien plus intéressant qu’au premier regard. Un bruissement lui fit briser le contact qu’elle avait initié avec raideur, comme si elle craignait qu’on les surprît ainsi. De toute cette séquence, Daemon était restait immobile. Le frémissement du buisson voisin n’avait pas alerté l’ancien mercenaire qu’était Daemon : il savait que ce n’était pas un être humain qui avait provoqué ce bruit mais bien un rongeur, un petit oiseau voire simplement un courant d’air. Il toisa avec distance la panique qui envahissait progressivement le visage de sa promise pour disparaître peu à peu, telle la marée sur les rares plages de sable noir de la Péninsule.

Ainsi en serait-il. Contre une opportunité pécuniaire pour les siens, Elineor rentrerait dans le rang… et Daemon dans sa couche.

Elineor fit ensuite une réflexion sur la mère de Daemon. Le souvenir de cette dernière, râlant tout le voyage et désapprouvant cette union future, arracha au Serpent un sourire indiscernable ; ou peu s’en fallait. Le seul marqueur de son si fin sourire fut le soubresaut d’un grain de beauté à proximité de la commissure de ses lèvres. Il la laissa vaquer à son contact avec l’arbre dont il avait goûté l’un des fruits. Il le détailla. Son écorce était grise, assez uniforme. C’était un arbre en bonne santé. Ses fruits étaient rouges et jaunes : ils tombaient par grappes entières, alourdissant les branches les plus légères qui pointaient vers le sol, couvrant l’herbe alentour d’une ombre bienfaisante. Toutefois, Elineor avait raison. Valaena Tyvaros était une femme à poigne ; elle avait vécu dans un camp de guerre une bonne partie de sa vie. Elle s’était embourgeoisée sur le tard et elle avait toujours fait en sorte que son fils aîné Daemon soit en mesure d’obtenir davantage que la vie avait à lui offrir. Elle désapprouvait de devoir sponsoriser une famille ruinée par son incapacité à gérer son argent au seul motif que cette dernière était noble. Valaena était de ces rares personnes qui avait une piètre opinion des nobles valyriens, peu importe leur statut. Pour elle, les Tergaryon, Riahenor, Taellarys et autres Maerion et Cellaeron étaient tous des parasites qui dépensaient des sommes faramineuses à maintenir un train de vie hédoniste alors que la majorité des Valyriens trimait chaque jour sous le soleil d’Arrax. Pourtant, elle comprenait sans doute mieux que personne le feu sacré qui poussait Daemon à s’élever ainsi car elle en était la principale architecte. À l’ultime question d’Elineor, Daemon lui répondit du tac-au-tac.

« Les miens n’existent pas. »

Il s’abîma dans la contemplation du pommier l’espace d’un bref instant avant de se rendre compte que sa réponse sibylline méritait sans doute une explication un peu plus développée. Il fit quelques pas, grâcieux malgré sa canne, autour de l’arbre auquel sa promise était adossée.

« Les miens n’existent pas. Sais-tu pourquoi je prononce ces mots ? À la différence des tiens, personne ne tient une chronique des naissances et des morts. Lorsque je disparaîtrai, les noms de mon père, de ma mère, de mon frère et des aïeuls que j’ai pu connaître disparaîtront avec moi. Pas de chronique pour les Tyvaros. Pas de chronique pour Maegor Poigs de Bronze et Aekar le Rude. Pas de procession en l’honneur de Rhaelys ou Valaena. Pas d’hommage à Aelyx. Rien n’existe pour nous car nous venons de la boue, du sang et du sable. Les miens ne désapprouvent rien car ils n’existent pas pour Valyria, et ceux qui sont encore là pour en respirer l’air sont bien peu nombreux. »

Ce faisant, il tournait posément autour de la jeune femme, se rapprochant de manière graduelle. Il s’arrêta auprès de la jeune femme, il se pencha vers son oreille pour lui murmurer la suite, laissant son souffle caresser le lobe d’Elineor.

« Vois-tu, ma mère Valaena est persuadé que vous autres ne m’apporterez que des ennuis. Qu’un homme avec ma fortune devrait trouver une belle demoiselle d’une grande famille de négociant pour faire fructifier cet or qui ne sera pas éternel. Et pourtant, je me tiens devant-toi. Et je te suspecte bien assez intelligente pour deviner pourquoi. »

Il pivota autour de sa canne pour se retrouver face au jeune Oiseau.

« Je ne te connais pas, je ne connais pas ton histoire et je ne connais pas les tiens. Ma conviction la plus intime reste intacte : tu es bien plus que ce que l’on veut bien te faire croire que tu es. »

Il se pencha de nouveau vers elle, pour la scruter sous tous les angles, la dépecer de son regard acéré, lui imposant ses traits taillés à la serpe. Il tendit une main noueuse et impérieuse vers le visage de la Taellarys, lui effleurant la joue d’un revers de pouce décrivant un arc-de-cercle le long de sa pommette.

« Les invisibles peuvent mépriser les nobles. Les nobles peuvent mépriser les sang-mêlés… mais ta noblesse reste entière, intacte. »

Il fit descendre sa main le long du cou de l’Oiseau, stupéfait de voir la terreur et le dégoût hérisser l’épiderme d’albâtre de sa promise.

« J’aimerais que tu me montres la véritable Elineor avant que nous nous mariions. Pas la tâche indélébile des Taellarys. Celle dont les veines sont emplies d’un feu divin. »

La voyant hésiter, stupéfaite, silencieuse et définitivement perdue, il fronça les sourcils. Il fit glisser sa main le long de la poitrine de la jeune femme, dans un geste doux mais emplis de désapprobation.

« Est-ce là tout ce qu’on t’a inculqué ? D’être semblable à du bétail qu’on libre à un dragon pour son repas ? Qu’on t’ordonne de te laisser palper comme un animal au marché ? »

Il laissa sa main continuer de descendre vers le ventre plat de la Taellarys, il y appuya avec retenue un index pourfendeur.

« Ou bien que tu n’es qu’un ventre destiné à recevoir une semence indigne pour financer les prochaines roserais de ta sœur ? lâcha-t-il avec un mépris insondable. Montre-moi la véritable Elineor Taellarys, montre-toi, telle que tu es. Où se cache cette femme dont le sang dragon gonfle ses veines ? Où se trouve ton feu ?»

Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Elineor évoluait en des territoires aussi inconnus que nébuleux. Elle n’avait jamais eu pour elle l’éducation d’une grande Dame bien que son nom lui en aurait réclamé pareil devoir. Elle s’était uniquement contentée de singer là les impérieuses manières de Baessa et cette grâce superbe qu’on ne pouvait retirer à Alyhrys, si futile était sa nature. Elle n’ignorait point qu’elle en incarnait une fade et grossière copie, mais elle s’octroyait la prétention de penser que la basse extraction de son promis ne lui ferait pas remarquer les accents maladroits de sa noblesse reniée. Après tout, il n’était qu’un roturier, un mercenaire qui n’avait point eu l’occasion d’évoluer dans les cercles aristocratiques, et Elineor gageait qu’il pourrait se laisser mystifier par ses manières. Dissimulée dans les ombres du palais Taellarys et écartée de tous les honneurs dus à son rang, elle ne s’en était pas moins faite la spectatrice discrète des leçons inculquées à son aînée. Une attention discrète qui l’avait révélée au regard de l’obséquieux Taecelar Naelreos qui avait décelé en elle une proie facile et vulnérable, prompte à tomber sous les charmes du premier regard tendre offert, semblait-il, sans compromis. Hélas, les affres de sa naïveté l’avaient foudroyée dans l’éclosion de sa jeunesse. Transperçant ses espérances. Annihilant ses espoirs pour lui rappeler cruellement qu’elle était tout juste digne de son existence et des honneurs qui lui étaient offerts gracieusement par les Taellarys. Aussi vouait-elle son allégeance à cette seule dynastie qui lui avait permis de perdurer. Et, face à Daemon, sa loyauté se disputait aux intrigues qu’il étalait dans toute leur vérité crue. Elle ignorait jusqu’où elle devait se renier pour permettre de faire prospérer les siens et de se protéger malgré tout des crocs acérés du Serpent qui lui était destiné. Il lui apparaissait aussi dangereux que redoutable, aussi ambitieux que malveillant, toutes ses facettes se mêlant dans une symbiose parfaite pour nourrir ses volontés prétentieuses.

En dépit de toutes les craintes d'Elineor, il en vint à tisser un compromis entre eux. S’il ne répondait nullement aux audacieuses exigences de la Taellarys, il n’en était pas moins fermé à contenter sa promise d’un accord pour consolider leurs futures alliances. Il semblait à la jeune femme que la tension inquiétante qui régnait entre eux s’était apaisée sous les indulgences du Tyvaros. A cette promesse scellée entre eux, elle espérait trouver, si ce n’était un ami, au moins un allié. Cet hymen ne se destinait point à de l’affection ou de la tendresse. Elineor ne se leurrait aucunement de vaines chimères à ce sujet, mais elle ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’ils sauraient au moins s’accorder l’un à l’autre, ou qu’il la préserverait de sa violence et de sa cruauté. Cependant, l’être longiligne et trouble que formait Daemon s’érigeait dans toute son opacité, ne lui permettant point de déterminer ses véritables intentions. Elle devinait là un esprit stratège, un caractère torve, aiguisé par des années d’injustice, de frustration et de batailles. L’Oiseau Maudit, plutôt que d’être affublé de la malédiction terrible de sa langue, aurait préféré posséder le don de lire dans les pensées d’autrui ou d’en éprouver les sentiments. Ainsi, elle aurait pu sentir les textures de l’âme de Daemon, palper ses véritables intentions et pouvoir appréhender ses réactions. Hélas, il lui apparaissait dans toutes ses paroles imprévisibles, ses regards pourfendeurs, ses attitudes lugubres...

Aussi, quand elle vint à l’interroger sur les impressions que sa propre famille portait sur ce mariage, la réponse de Daemon fut aussi lapidaire que sibylline. Fronçant ses sourcils fins et sombres, Elineor dévisagea celui qui lui était promis avec la sensation manifeste qu’il lui échappait totalement quand elle croyait avoir cerné une bribe de son être. Il contempla sa gracieuse carcasse se mouvoir agilement autour d’elle, comme un prédateur prêt à fondre sur sa proie. Elle s’ingénia à mimer une quiétude qu’elle ne possédait aucunement, les battements de son cœur s’emballant à mesure qu’il disparaissait de sa vision, mais que sa voix vibrait toujours près d’elle, grave, sinistre, profonde. Les doigts d’Elineor s’ancrèrent plus fermement dans l’écorce du pommier, comme si son contact pouvait lui prodiguer un quelconque réconfort à présent que le mercenaire précisait sa pensée.

Un frisson effroyable la parcourut à ce souffle qui offrit une caresse moite à son oreille, remontant le long de son dos, vertèbre par vertèbre. Elle dut s’astreindre à ne pas tressaillir, à ne point faillir. Autant par orgueil que par frayeur des répercussions qui pourraient s’abattre sur elle si elle menait mal cet entretien. Car il ne s’agissait point d’une première rencontre entre promis, mais bien de deux créatures qui s’estimaient l’une et l’autre, défiantes et méfiantes, prêtes à pactiser.

Si Valaena Tyvaros considérait que les Taellarys ne revêtaient qu’une vaste source d’ennuis, Elineor songeait en son for intérieur qu’elle ne pourrait guère lui donner tort. Bien qu’entièrement dévouée aux siens, elle n’en était moins dupe de leurs excès et de leurs déraisons. Rongée par l’inquiétude, la principale angoisse de la jeune femme était qu’ils usent inconsidérément de l’argent cédé par Daemon et qu’ils ne s’en servent que pour assurer un train de vie qu’ils pensaient mériter tout en laissant les mines agoniser. Bien qu’elle n’imagine point de révoltes à ourdir, elle craignait qu’ils ne cherchent à abuser de cette alliance entre Tyvaros et Taellarys. Toutefois, l’Oiseau, bien que maudit et jeune, n’en était pas sotte pour autant et entrevoyait clairement l’intransigeance du mercenaire. Si générosité il y avait, elle ne serait accordée qu’une seule fois, au risque d’un courroux peu désirable de la part de Daemon. Une vengeance revêche contre les siens et contre elle-même. Cette perspective n’était même pas à dessiner. Il lui suffisait de laisser danser les paroles de son promis dans son esprit et de ses menaces inquiétantes. Car Daemon savait ce qu’il faisait. Elineor voyait luire en lui la sagesse et la détermination redoutable d’un homme qui avait eu le temps de fomenter les plans terribles d’une ascension impériale. Une ambition qui se forgeait à même la haine farouche qu’il vouait à ceux auxquels il souhaitait ressembler. Elle n’ignorait en rien que cette union était la première pierre d’un édifice bien plus majestueux et empirique.

Le souffle lui manqua, comme aspiré par l’aura pernicieuse de son futur époux dès lors qu’il imposa un face-à-face. Comme l’oiseau qui s’immobilise face à son assaillant, elle tenta de se composer une expression imperturbable à mesure qu’il poursuivait son ballet macabre, comme si l'immobilité pouvait lui faire oublier son existence.

Tu es bien plus que ce que l’on veut bien te faire croire que tu es.

Le visage d’Elineor se fissura, inscrivant une expression foncièrement interloquée. Que cherchait-il à exprimer par de tels propos ? Ses interrogations moururent à la lisière de sa pensée, assassinées par la caresse putride de cette main qui vint retracer l’ovale de son visage avec lenteur. Si son contact la mortifiait, ses paroles possédaient le don de la mystifier. Incantations redoutables qui gangrénaient sa raison de doutes et d’incertitudes. Il lui semblait qu’il appuyait sur des plaies indécelables, effritant là les nervures désagrégées d’un monument branlant. Les tremblements de ses certitudes la firent bien plus frissonner que sa main qui s’attardait sur ses formes inviolées. La répulsion ne vint qu’après, au discours qu’il lui tint, réprobateur, insolent, provoquant. Les flammes d’une injustice effroyable s’agitaient dans l’esprit de l’Oiseau Maudit, mais comme emprisonné, il étouffait. Seuls les mots de Daemon attisaient le froid brasier qui gisait au fond d’elle. Chaque syllabe du mercenaire se battait avec celles de Maelor.

Quoi qu’il te demande, fais-le.

La voix de son aîné résonnait dans son esprit et s’entrechoquait sur les contreforts de son esprit. Affreuse tourmente qui éprouvait ses frêles épaules de tremblements à peine dissimulés. Une révolte furieuse se soulevait dans la forteresse de son abnégation, autant avivée par les propos de Daemon que par les ordres cruels de Maelor. Indécise, elle ne savait nullement si elle devait répliquer aux assauts de son promis ou se conformer aux exigences de l’héritier Taellerys. Du noble dément ou de l’ambitieux mercenaire, qui craignait-elle le plus ? Qui mettait le plus son existence en péril ?

Elineor ne s’offrit point les largesses de la raison. Ce fut son instinct qui, le premier, répondit pour elle à toutes les tourmentes qui bouillonnaient dans son esprit affolé. « Arrête ! » Sa main repoussa violement celle de Daemon, l’écartant de cette inspection impudique à laquelle il la soumettait sans autre forme de procès. Le regard sentencieux, elle le dévisagea de ses prunelles limpides et translucides. Elle infligea la même sentence à sa morbide proximité, le repoussant pour palper à nouveau l’air qui l’entourait et reprendre à grande goulée une respiration qui lui avait été ôtée. Elle en profita pour s’écarter de quelques pas, s’affranchissant de la proximité réconfortante du tronc du pommier. Avant qu’elle ne puisse s’exprimer, il lui fallut calmer les battements de son cœur et la tempête de ses émotions, mais à aucun moment elle rompit le regard qui les ancrait l’un à l’autre. « Il est vrai, D-Daemon. Je n’ignore r-rien de l’ambition q-qui t’anime… et des rais-sons qui te poussent à m’ép-pouser moi, mê-même si mon sang n’est pas p-pur. » Elle se surprit à décrire la même chorégraphie menaçante qu’il avait opérée sur elle. A présent, c’était elle qui tournait autour de lui. C’était elle qui voulait mener cette danse. « Mais si tu asp-pires à cette noblesse t-tant désirée. Si tu souhait-tes que ton nom survive dans les c-chroniques. Si tu v-veux briller parmi les gr-rands de ce monde, il te f-faudra te plier aux usages de cet univ-vers. A c-commencer par ne pas forcer la v-vertue d’une femme qui ne t’est même p-pas p-promise encore. » Elle le darda d’une expression hautaine, se surprenant à arborer des atours plus Taellarys qu’elle ne l’avait jamais été. « Autrement, tu t-te retrouveras hap-ppé dans la gueule de ces drag-gons que tu ne peux p-posséder. »

Ces mêmes dragons qu’elle redoutait elle-même, ombres écrasantes dans le ciel d’Essos, détenteurs d’un feu sacré et dévastateur. De nombreuses fois, Maelor avait usé de son jumeau pour tourmenter l’existence de son impie benjamine. Les menaces d’Elineor n’étaient donc que fumée dans le vent, mais sa fureur demeurait réelle et palpable. « T-ton esprit est sag-gace, Daemon. Tu aur-ras deviné toute l’op-pprobre d’une exist-tence comme la mienne. Maud-dite par Arrax lui-m-même, tout juste D-dame. Si on me livr-re insolemment à t-toi, avec tout le mép-pris que les miens entret-tiennent pour ta r-race, tu peux ent-trevoir le précipice qui est le nôt-tre, l’ag-gonie de notre nom. Ces jard-dins ne sont que le m-morne décor d’un tombeau déjà creus-sé. »

Petite, menue, elle le contemplait malgré tout avec une irrévérence qu’elle ne manipulait guère. Elle revint se placer face à lui, captivant son regard dans le sien. « Je sais ce que je s-suis. Je sais la clémence qui m’a été offerte. Je sais que je n’ét-tais dest-tinée qu’à l’ombre et à disparaît-tre sans que mon nom exist-tât dans nos c-chroniques. » Oubliée dans et par l’histoire. Occultée de cette dynastie enlaidie d’un tel fardeau, de la preuve effroyable du désintérêt divin. Ni belle ni intelligente ni Valyrienne, tout juste Taellarys et maudite, Elineor savait que son existence n’était due qu’à une grâce improbable. « Alors s’il m’est p-permis de sauv-ver les miens, je f-ferai ce que le d-devoir exigera. » De ferventes paroles bien plus destinées à se convaincre elles-mêmes qu’à fourvoyer l’esprit du mercenaire. Malgré tout, elle discernait la perplexité que de tels propos pourraient agiter chez l’homme. Modulant les accents incandescents de sa voix, elle calma les flammes impétueuses de sa colère. Cette fois, elle vint se placer à un pas de lui, devant lever le menton pour s’accorder le privilège inquiétant d’une union de leurs regards. Elle se sentit dépecée dans chaque fibre de son être mais se refusa à faillir. « Je te serai fid-dèle, Daemon. Tu auras ma loyaut-té, ma noblesse et mon ventre pour p-porter ta descendance. Celle qui sera gravée dans l’hist-toire et des c-chroniques qui porteront ton nom. Je t-te l’ai promis et je ne reviend-drai pas sur ma parole si tu respectes la t-tienne. » Elle marqua une pause, n’ayant sûrement jamais eu à s’exprimer autant, et pourtant, il semblait que son atrophie s’usait à cet exercice du langage. Semblable au doigt qui s’était aventuré en ses territoires inexplorés, elle pointa un index sur la poitrine rude de Daemon, prête à lui pourfendre les chairs. « Mais sache-le en c-ce jour. Je ne serai j-jamais ta putain, Daemon. Ni aujourd’hui ni d-demain. Je veux êt-tre ta femme. Et si tu ne me consid-dères p-point comme ton égal, au moins, lèg-gue-moi ta conf-fiance et ne me réd-duis jamais. »



Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Serpent et l’OiseauElineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, région de Draconys -  An 1066, mois 12

Lorsque Elineor lui répondit avec une verve fort aiguisée pour mentionner les dragons de sa famille, Daemon fut mis face à ses contradictions concernant ces créatures qui accompagnaient les Valyriens depuis que ces derniers dataient leur Histoire. Comme beaucoup de gens du peuple, il ressentait une fierté immense à se réclamer d’un peuple qui avait réussi à domestiquer ces monstres ailés cracheurs de feu. Malgré cette affection certaine pour les dragons qui avaient largement contribué à remporter la victoire sur les légions de l’Empereur de Ghis, Daemon ne pouvait s’empêcher de s’en défier. Les créatures étaient agressives et dangereuses, elles étaient l’apanage de quelques familles qui travailler avec grand soin à en garder le contrôle, tout en réglementant de manière absolue la façon dont certains pouvaient tenter leur chance face à un dragon. Pour preuve, le trafic d’œufs de dragon était l’un des crimes les plus sérieux et les plus sévèrement réprimés de Valyria.

Au-delà de cette réflexion sur les dragons, ce qui surprenait également Daemon était cette menace à peine voilée que venait de lui adresser sa promise. Il aurait aimé se faire la réflexion qu’on le menaçait assez rarement, mais c’était faux. D’autant plus depuis la fin de la guerre et sa patte folle. Il n’était d’ailleurs guère du genre à s’en préoccuper et à y accorder une attention démesurée. Dans son métier original, les menaces étaient monnaie courante et provenait de clients mécontents, mauvais payeurs ou d’opposants peu ravis de voir arriver les Fils du Feu. À cet instant précis, Daemon intégra que sa future épouse pouvait être beaucoup de choses, mais qu’elle resterait farouchement déterminée à sauver les siens. Il s’abstint de tout commentaire.

Lorsqu’elle pointa vers lui un index accusateur, Daemon vit ce qu’il cherchait depuis le début de cette discussion. Le feu sacré. Il était là. Il brûlait derrière ses yeux, il ne pouvait se laisser occulter par un bégaiement ou une nature introvertie. Elle lui convenait. C’était exactement ce genre de personne qu’il recherchait. Désormais, il allait pouvoir préparer les prochaines étapes de son plan pour que les chroniques se souviennent de son nom. Et dans sa tirade, Elineor avait fait mention d’une notion chère au Tyvaros. Un sourire invisible apparu dans son regard alors qu’il songeait à la denrée particulière qu’était la confiance. À Valyria, où l’on poignardait ou empoisonnait pour un oui ou pour un non, selon les intérêts de chacun, la confiance était un bien rare et convoité. La loi de l’offre et de la demande s’y appliquait comme à peu près tout en Valyria : la confiance était énormément demandée et peu d’acteurs en offraient, car ils étaient peu à en être digne. Mue par des intérêts et des idéaux plus nobles que ceux du commun, l’aristocratie valyrienne convoquait souvent ce principe comme s’il était dû et universel. Daemon s’appliqua à répondre à la jeune femme.

« Je ne demande que ce que n’importe quel mari demanderait à son épouse, Dame Taellarys. Comme tu me certifies ta loyauté, ta noblesse et ton ventre, je n’ai pas de raison de te châtier ou de me retourner contre toi. Tu fais cependant bien de mentionner le fait que je pourrais revenir sur ma parole car à Valyria, tu apprendras bien vite que l’on n’est sûrs de rien.»

D’une main osseuse, il écarta délicatement le doigt planté contre son buste.

« Nous ne serons, je crois, jamais égaux car tout nous sépare, et ce qui peut nous rassembler ne comblera jamais ce fossé.»

Le constat tomba comme une sentence : un couperet tranchant l’air avec un sifflement mesquin. Daemon assénait des mots durs depuis qu’il avait commencé à discuter avec la jeune femme car il s’agissait pour tout roturier d’un privilège exceptionnel que de pouvoir malmener verbalement quelqu’un de la noblesse. Pour des gens laborieux comme les Tyvaros, qui avaient prospéré dans l’obligation de vénération des seigneurs et dames dragons, il y avait un sentiment de victoire particulier. C’était mesquin ; le monde était ainsi fait.

« Je ne te lèguerai pas non plus ma confiance ainsi. Pas plus que tu ne le feras me concernant, et tu auras bien raison. Je n’applique pas le principe d’offrir ma confiance par défaut, Elineor. Sur le champ, celui qui est indigne de ta confiance peut être la source de ta mort. Je ne souhaite pas mourir, et nous combattrons bientôt épaule contre épaule sur un champ de bataille très spécifique. Alors nous bâtirons cette confiance, si tu le veux bien. Mais je ne te l’offrirai pas sur seul gage de ton visage harmonieux.»

Pour peu que ça valait, c’était le premier véritable compliment qu’adressait Daemon à sa promise…

« Avant que nous ne retrouvions ton frère, je te redis nos termes. Nous fonderons tous deux une nouvelle noblesse, nos héritiers se marieront entre eux dans la tradition valyrienne ancestrale. Nous mettrons toute notre énergie à bâtir une nouvelle famille noble. En échange, je soutiendrai ta famille avec de l’or et de l’influence. Et, en gage de bonne volonté, je leur trouverai une unique opportunité pour qu’ils puissent rebâtir leur gloire d’antan, et plus encore. Enfin, ma condition finale à tout cela est que nous devrons limiter nos contacts avec eux : publiquement, nous ne nous parlerons plus.»

Plus qu’un contrat, Daemon croyait en le respect de la parole donnée. C’était un premier pas vers la confiance mutuelle qu’ils devaient bâtir ensemble. Il leur restait à présent à retrouver le reste de la famille pour pouvoir continuer les discussions. Le fait que les deux principaux intéressés s’étaient entendus faciliterait les tractations. Il offrit son bras libre, l’autre était appuyé sur sa canne, et ils repartirent côte à côte vers le manoir, faisant le chemin dans les jardins en sens inverse.

« J’ai vu et entendu plusieurs dragons en arrivant ici, mais je n’en vois aucun qui t’accompagne dans ces jardins. Aviez-vous peur qu’il ne me dévore tout cru dès mon arrivée ? Ta créature est-elle si protectrice qu’on m’interdit de la voir ?»





Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

Le Serpent et l'Oiseau
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys & mois 12 de l'an 1066

Un frémissement redoutable s’empara d’Elineor à cette main profane qui s’attardait sur ses contours inviolés. L’Oiseau Maudit n’était pas entièrement étrangère aux jeux du corps, mais elle répugnait à ce que cette caresse soit reçue d’un être qui éveillait autant de frayeur que de répulsion. Elle ignorait encore moins que ce refus ne pourrait être éternel et justifié. Ses promesses devraient être honorées, à l’instar des devoirs conjugaux qui lui incombaient. Toutefois, elle caressait encore l’espoir que tout ceci se déroule en partie selon ses termes et en ménageant ses craintes. Daemon avait ceci de déstabilisant qu’il paraissait agir pour provoquer des réactions en contradiction évidente avec l’intention de ses actes ou de ses paroles. N’était-elle qu’une de ses nombreuses marionnettes, qu’il manipulait entre des doigts fins et biscornus, pour obtenir ce qu’il souhaitait ? Ou bien cet entretien n’était-il qu’une succession d’épreuves dont elle devait ressortir victorieuse pour la plupart ? Cette dernière idée ne laissait guère de place au doute, à mesure qu’elle pouvait cerner le brin de satisfaction qu’il affichait à éveiller l’indignation chez elle, ou du moins, à sa tranquille absence d’insistance. A mesure que ce tête-à-tête se prolongeait, Elineor craignait de se tourner définitivement en ridicule face à son fiancé. Si l’estime de ce mercenaire n’était pas une quête en soi, elle ne pouvait éluder les devoirs auxquels elle devait se plier. Cette union entre les Tyvaros et les Taellarys était l’ultime espoir de sa famille pour ne pas tomber entièrement dans la ruine et l’opprobre. Si l’échec de cet hymen venait à se produire par sa faute, Maelor saurait lui faire payer. Et plus que le courroux de cet étranger, elle craignait plus à sa raison celui de son aîné. A ses yeux, nulle cruauté ne pouvait égaler la sienne.

Ce furent les paroles de Daemon qui continuèrent de la convaincre en ce sens. Si elle se cantonnait à son rôle d’épouse selon les termes édictés précédemment, elle n’aurait jamais à craindre ses colères ou un quelconque châtiment. Bien tristement, cela était assez à la jeune femme pour accepter de lier son existence à cet homme, si vieux, abject et fourbe semblait-il. Elle était même prête à admettre qu’ils ne seraient jamais égaux, bien que cette remarque soulève sa désapprobation. Son menton se releva, mimant sa noble, mais silencieuse vexation. Une expression qu’elle empruntait sans le savoir à sa sœur Alyhrys, si impétueuse et distinguée. Néanmoins, la roide sentence du Tyvaros n’appelait guère de riposte, et elle craignait, en réfutant son discours, qu’il ne lui assène des vérités bien plus brutales. Jugeait-il la terrible affliction de sa langue ? Ou bien la diminuait-il par la condition de son sexe ? Sur la question de la confiance, il ne l’imaginait qu’au travers d’une lutte dans le temps et au renfort de preuves mutuelles. A cet égard, elle approuvait et comprenait ce qu’il disait, n’ayant nulle intention de lui léguer sa dévotion inconditionnelle aussi aisément. S’il représentait son salut pour s’échapper de cet antre maudit, elle ignorait encore si son sort serait plus enviable aux côtés de Daemon.

Il édicta une nouvelle fois leurs termes, marquant là la fin prochaine de cet entretien intime aux allures d’âpre marchandage. Elle le suivait dans ce qu’il récapitulait, mais sa bouche s’ouvrit sur une exclamation muette lorsqu’il évoqua le schisme total entre sa famille et la sienne. Elle s’apprêtait à en réclamer les motifs, mais sa tête était assez bien constituée pour en comprendre les raisons, et le plaisir de cette perspective était bien trop dévorant pour qu’elle ose modifier cet ordre. Elineor marqua ainsi son approbation d’un hochement de tête entendu. D’une manière ou d’une autre, cela conviendrait probablement à ses aînés, qui pourraient profiter de l’illusion de générosité du Tyvaros pour rebâtir leur empire, tout en s’affranchissant de nouer des liens trop intimes et familiers entre leurs deux familles. Et mieux encore, ils abandonnaient leur honteux petit oisillon maudit entre les griffes du serpent…

Son bras s’allia à celui de son futur époux. Hormis un bouleversement provenant d’ailleurs, leur entente était scellée et ils joindraient prochainement leurs deux êtres dans les sacres de Meleys. Guère envieuse de retrouver les siens, elle accompagna docilement Daemon sur le chemin les ramenant à l’austère manoir. Son unique consolation résidait dans la fin imminente de sa résidence en ces lieux.

Son corps se raidit légèrement à la question de Daemon. Sûrement dût-il le sentir car elle sentit peser sur elle son regard, mais il ne pouvait être plus lourd que le plomb qui s’écrasa dans ses entrailles. En digne Taellarys, son épreuve du Feu s’était déroulée alors qu’elle n’était qu’un nourrisson. Bien qu’elle soit bâtarde, Dame Baessa avait insisté pour que cette cérémonie ait lieu, espérant sans aucun doute que cette terrible engeance se consumerait dans les flammes. Seulement, l’enfant avait survécu et un dragon avait éclos. Une créature aussi souffreteuse, petite et malingre que sa maîtresse. Son dragon n’avait même pas survécu quelques années, dévoré par la terrible malédiction qu’elle portait. Elineor  l’avait à peine connu, encore moins chevauché. Ce qu'elle ignorait alors, c'était que sa terrible fin avait été précipitée. « Il est m-mort. » laissa-t-elle tomber, trop honteuse de cet aveu pour s’étendre en explications. Si Daemon avait souhaité en savoir plus, cela n’aurait pu être possible car ils remontaient déjà les marches de la demeure et que Maelor venaient à eux. En dépit de son abject sourire, il avait perdu de cette superbe qu’il affichait à l’arrivée du Tyvaros. Manifestement, l’entretien entre les deux futurs époux avait duré trop longtemps à son goût. Elineor détourna son regard pour échapper à celui de son frère qui crevait silencieusement de curiosité. « Après un tel voyage, je ne doute pas que tu dois être aussi affamé qu’assoiffé, Daemon. Viens donc te restaurer à l’intérieur et conversons un peu. » Ils partirent tous les trois en direction d’une salle de réception où de nombreux mets et breuvages avaient été dressées avec ostentation sur des tables. La jeune femme réprima une grimace en considérant la grossièreté de cette mise en scène, alors que la raison même de la présence des Tyvaros était leur pauvreté. Elle eut un léger soupir agacé, puis délaissa momentanément le bras de son fiancé pour lui apporter une coupe pleine d’un breuvage d’une délicatesse bien trop onéreuse pour les Taellarys. « Elineor, va donc jouer pour nous. » La jeune femme voulut se défendre d’une telle sommation, mais Maelor semblait vouloir converser seul avec Daemon et donc l’éloigner de leur échange. Et en voyant Dame Tyvaros emprisonnée dans une ennuyeuse conversation avec Alhyrys, elle se dit que cela était toujours préférable au futile babillage de sa sœur. Elle s’écarta donc pour prendre place à la harpe et ses doigts s’accordèrent harmonieusement aux cordes.




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