Un art de cécité Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai toujours voyagé au côté de celui qui a été un père, mais aussi un mentor pour moi. Un homme qui n’avait de lien avec mère que celui-là d’avoir assisté à ma naissance le jour même où cette femme dont je ne savais rien, si ce n’est que ce nom de famille que j’ai hérité d’elle, avait rendu son dernier souffle. Il m’a toujours dit que c’était un choix qu’il avait fait que de me prendre sous sa protection, mais je me doutais malgré tout que ma vie s’était imposée à lui. Car au final, sans lui, sans Inno Essiris, le nourrisson que j’étais à l’époque, n’aurait eu d’autres choix que de rejoindre ma pauvre mère dans la mort. Et si je voyais une bénédiction dans la vie que m’avait offert Inno, certain vous diront que je n’avais pas eu de chance que de tomber sur lui, le nomade aux mains ensanglantées, tel était son surnom. Un mercenaire ne vivant que de son labeur sanguin, ne subsistant par l’épée que pour assurer sa propre survie, ainsi que la mienne quand il fut de sa responsabilité de me nourrir et de me protéger.
Et c’est parce qu’il n’avait que cette vie à m’offrir, qu’il m’initia dès l’enfance à une éducation martiale, quasi guerrière. Quand je fus en âge de comprendre les choses, il scella ma vision à l’aide d’un bandeau recouvrant mes yeux. Je devais sans doute avoir quatre ans à l’époque. D’après Inno, pour apprendre son art du combat, je devais comprendre sa manière de sentir l’environnement comme lui auparavant avait dû l’apprendre. Il n’était pas aveugle, mais ce style de combat qui souvent faisait appel à une certaine sensibilité, lui avait été enseigné aussi en étant aveuglé plusieurs années, par un homme qui était sans doute véritablement aveugle. Il appelait d'ailleurs ce style martial, "l'art de cécité". Il me fallut des mois pour m’habituer à une vie sans lumière, plonger dans une obscurité continue, ainsi que des années avant de pouvoir véritablement percevoir le monde qui m’entoure d'une plus manière naturelle, à l’aide de mon odorat, des sons et du toucher. Et pendant les années qui suivirent, il me força à prendre des poses qui mettaient mes muscles et mon endurance à rude épreuve, comme tenir plusieurs heures en équilibre sur mes deux mains, ou bien rester dans une position assise sans appui autre que la force de mes jambes. Puis, je devais avoir huit ans, quand enfin, il m’initia à l’art du combat, dès lors que je m’étais habituée à ma cécité et que j'étais devenue plus endurante.
Il m'apprit plusieurs mouvements en fonction des armes qu'il avait à sa disposition, me devant d'apprendre jusqu’à ce que chaque geste devienne des réflexes qui se manifestaient sans que je n'aie à en songer le mouvement. Répétant chaque jour et chaque nuit les mêmes gestes. Et quand je n’avais pas à répéter ses mouvements, j’étais chargée de nettoyer et de porter ses équipements pendant nos voyages. Leurs poids m’éprouvaient et m’épuisaient plus que de rester dans une position pendant plusieurs heures. Cependant, ils m’endurcissaient aussi, faisant gagner à mon corps délicat quelques muscles et davantage d’endurance. Puis vinrent enfin nos premiers échanges martiaux... Au début, je n’étais rien de plus que la cible de ses coups que je n’arrivais pas à sentir venir, mon corps était marqué par de nombreuses lésions et blessures mineures. Mais pour Inno, mes blessures, ma souffrance et la peur de recevoir ces coups à l’avenir étaient une nécessité autant pour forger mon corps, que mon esprit. Cela faisait partie de l’entraînement que d’apprendre à encaisser les chocs les plus douloureux et cela ne pouvait se faire qu'en recevant des coups. Les muscles qui guérissaient selon lui, devenaient des tissus légèrement plus solides.
Et quand il n’était plus question de muscles et d’endurances, je devais apprendre à travailler la souplesse, l’agilité et l’équilibre à nouveau. À mon treizième été, mon corps était devenu légèrement plus robuste, moins sensible à la douleur des coups, bien que j’aie toujours un long chemin à parcourir avant de pouvoir me comparer aux nombreux guerriers qui s’illustraient sur le champ de bataille. Mais ce fut vers cette époque, que j’avais enfin franchi une étape. Mes échanges avec Inno devenaient plus faciles… Le temps et la persévérance m’avaient donné les moyens de comprendre comment combattre en étant aveugles. J’avais enfin compris qu’il était stupide de chercher à sentir le mouvement de l'arme comme si un mystérieux sens allait miraculeusement m’alerter. Non. La réalité n’était pas aussi simplette. Il me fallut cinq ans, pour comprendre ce que cherchait à me faire comprendre Inno durant nos douloureux affrontements.
La clé était de savoir combiner mes connaissances à mes sens… En effet… Les pas de mon maître sur le sol me permettaient de savoir où il était situé dans l’espace. À l’écoute de sa respiration, j’étais en mesure de me faire une idée de sa position dans l’espace et déterminer s’il était retourné, accroupi, couché ou debout. Car là où il respirait, c’est là où se trouvait la face de son visage. Tout n’était qu’une question d’imagination, d'anticipation par la suite. Et c’est parce que j’avais appris et répéter les mêmes mouvements de combat que lui, que je pouvais déterminer en plus de ses déplacements et de sa respiration, la posture qu'il prenait pour m’attaquer. Un homme debout et qui avait que deux mains, n’avait pas énormément de mouvement d’attaque et certaines armes le limitaient à certains mouvements que j’avais appris à utiliser, à reconnaître en fonction du son de ses déplacements sur le sol : un pas lourd, léger, ou bien qui frotte le sol, étaient autant d'indications sonores importantes que j'émettais aussi selon mes propres postures.
Et donc, ses déplacements, sa respiration et mes connaissances de son corps et de ses attaques, me permettaient d'anticiper les mouvements potentiels. Et pour finir, quand je rentrais en contact physique avec Inno, je savais alors avec une bien plus grande précision où était son arme et le reste de son corps, j’attaquais alors et esquivais ses coups… J’avais appris à comprendre où les combattants, avec leurs styles différents, avaient tendance à attaquer afin de contre-attaquer. Car les mouvements d'un guerrier étaient générés par des réflexes dont il n'avait plus conscience. Inno m'apprit tout de même, que la cécité était toutefois fragile face aux feintes sonores, il me fallait donc apprendre à savoir repérer les feintes en question et ne surtout pas me jeter sur l'adversaire sans être certaine de sa position.
L'an 1054, j’avais seize ans quand enfin, j’arrivais à la dernière étape de mon entraînement. Seize ans étaient l’âge où certains devenaient adultes. Pour Inno, c’était un moment décisif… Et le succès de ce passage à la vie adulte n’en devait pas être autrement. Soit j’étais capable de m’en sortir, soit je ne revenais point de la mission qu’il me donna. Guidé par ce dernier vers un lieu où il me laissa à l’abandon, je ne reçus de sa part qu'une simple consigne, survivre. Des pas lourds m’indiquaient l'approche de plusieurs présences, les lames sortant de leurs fourreaux m’annonçaient l’hostilité de ces personnes en question et leur langue, dont j’ignorais l’origine, me fit comprendre que c’était moi l’étrangère ici. Le changement de rythme dans leur respiration m’indiquait l’adrénaline qui montait dans leur sang, ne me laissant aucun autre choix que de sortir mes propres lames. Soit je survivais, soit je mourrais ou pire, si ces derniers n'avaient pas connu depuis un moment le plaisir de la chair… Inno était un guerrier, mais surtout un homme qui gagnait sa vie en prenant celle des autres. Si je n’étais pas capable de prendre moi-même la vie des autres, alors nos chemins devaient se séparer ici.
C’était en tout ce que j’avais cru comprendre de cette initiation finale, même s’il n’avait jamais réellement dit ces mots. Bien que blessée à certains endroits, j’avais réussi à échapper aux blessures les plus mortelles et surtout, j’avais su prendre la vie de mes adversaires qui se révélaient être des criminels recherchés en Sarnor. J’avais dès lors cessé d’être une enfant… Et pour cadeau, il enleva enfin le sceau qui recouvrait mes yeux depuis mes quatre ans. Malgré l’obscurité de la nuit, la simple lueur des flammes du feu de camp avait suffi à m’éblouir douloureusement. Je pouvais enfin voir le visage de mon père adoptif que j’avais fini par oublier avec le temps. Et maintenant que j’étais plus avisée du monde, des histoires, des régions grâce à son éducation, j’étais persuadée que quelque chose n’allait pas avec l’apparence de mon mentor. S’il était vêtu, parlait et portait le nom d’un Rhoynar, j’étais persuadée d’avoir en face de moi un Dothraki, du moins selon la description qu’il m’en avait faite lui-même. Mais peut-être n’était-ce que moi qui affabulais à cause de l’épée à lame incurvée qu’il utilisait pour combattre et qui était l’arakh, l’arme traditionnelle de ce peuple cavalier. Toujours est-il que je n’ai jamais osé lui poser la question.
Inno m’offrit un masque sans orifice visuel, que je pouvais ou non utiliser pour combattre. Ayant conscience que son style de combat unique, était basé sur la non-vision, je pouvais utiliser le masque pour feindre à nouveau une cécité si le besoin s’en faisait sentir. Au début, j’avais songé qu’il n’était pas si embêtant de combattre avec la vision. Mais alors, je pris conscience que la vue était à la fois une bénédiction et une malédiction. Aveugle, je ne pouvais rien contre les archées… Cependant, la vue fermait mes sens à nombre d’éléments auxquels je prêtais attention sans vision. Ironiquement, la vue me rendait aveugle… Hors combat, quand il fallait voyager, je ne portais pas le masque… Cependant, je le plaçais sur mon visage aussitôt que mes lames sortaient de leurs fourreaux.
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Un art de la guerre L’an 1060, quatre années s’étaient écoulées sur le fleuve du temps depuis que j’étais devenue une femme et une guerrière. J’avais fêté mon vingt-deuxième été. J’étais, tout comme Inno avant moi, devenue une mercenaire quelques années plus tôt dans le but de m’enrichir en vivant du combat et cela faisant donc quatre ans que j’exerçais. Je commençais à peine à me faire connaître dans la Rhoyne, cela dit c'était davantage le surnom de mon maître qui ressortait. C’est durant cette année qu’un groupe de marchands Sarnoris se préparant pour un voyage vers l'Empire Doré, s’entoura de plusieurs guerriers mandatés, dont le duo que je formais avec Inno… Sa réputation et sa renommée étaient telles qu'il était connu dans d'autres régions que la Rhoyne. Ses dernières années, ceux qui demandaient ses services avaient pris l'habitude de me voir en sa compagnie et ce n'était que depuis peu, qu'ils me voyaient réellement former un duo avec Inno durant les missions qu'on lui confiait. C’était une situation exceptionnelle due à la cargaison qu'il transportait et qui demandait davantage de protection. J’ignorais ce que ce groupe transportait, cela n’avait pas vraiment d’importance. C’était la première fois que je prenais la mer et surtout, la première fois que je visitais le royaume de l’Empire Doré de Yi-Ti.
J’avais appris à ne plus être surprise à chaque fois que je voyais un visage différent de ceux que j’avais l’habitude de voir dans la Rhoyne… Cependant, comment restreindre mon étonnement face à l’apparence des Yi-Tiens que je découvrais pour la première fois. C’était pour moi époustouflant et intrigant à la fois. Leurs cités et architectures avaient aussi créé en moi une grande fascination pour leur science artisanale et sans doute, est-ce à partir de là que j’avais ressenti le besoin d’explorer de nouvelles terres et rencontrer de nouvelles ethnies. La curiosité me poussant à l’aventure. Si rien ne s’était passé durant l’escorte de cette guilde marchande, j’avais pris plaisir à ce voyage, si bien que le retour en fût tristement éprouvant. Un voyage qui dura deux ans, sans tension, sans combat, certes, mais qui semblait davantage exposer la réputation de mon mentor vers les contrées de Valyria qui avait déjà porté un œil sur ses exploits dans la Rhoyne et autres régions. Deux mois avant la trahison de Bhorash, ces derniers le contactèrent pour effectuer quelques contrats mineurs, sans se douter qu'il serait accompagné par l'acolyte que j'étais devenue.
Là aussi je fus impressionnée de découvrir une autre facette de Valyria que je pensais déjà connaître via Volantis. Mais il n’en était rien… La beauté des cités de Valyria m’était encore tout simplement inconnue, tout comme l’apparence de ces personnages de haut rang dit sang pur, ayant une beauté particulièrement intrigante. Et évidemment, lieu de richesse, comment résister à l’envie de s’installer dans la région alors même que nos services étaient généreusement payés. Toutefois, bien que j’étais excitée de poser les pieds en Valyria, tout mon être semblait empli d’un sentiment que je n’arrivais pas réellement à comprendre. Elle me poussait à des contemplations silencieuses, si bien que mon mentor trouvât quelquefois mon mutisme alarmant. Je m’étais toujours considérée comme une Rhoynare, bien que je vécusse telle une nomade en compagnie de mon père adoptif depuis ma naissance. Mais une fois en Valyria, je me rappelais à nouveau qu’ici, il y avait peut-être quelque part un individu ou plusieurs avec qui je partageais le même sang. Peut-être que cela me travaillait bien plus que ce que j'imaginais . Avais-je envie de savoir si j’avais de la famille quelque part en Valyria ? Peut-être bien, oui... Est-ce que s’il m’était possible de les rencontrer, ferais-je le choix de le faire ? Probablement pas, non. Pourtant, l'intérêt habitait mon cœur...
Puis, troisième mois de l’an 1062, comme un feu ravageant une forêt, le drame qui eut lieu à Bhorash, fit rapidement le tour d’Essos. Si l’on s’inquiétait de la manière dont pouvait réagir l’Empire de Ghis face à l’incident naval, nul ne se doutait que la situation allait autant empirer. La puissance de l’armée de Ghis était incontestable par son nombre de soldats et les Valyriens semblaient ridicules à comparaison. Pourtant, la guerre était inéluctable et pour protéger leur existence et surtout venger les seigneurs-dragons et dames-dragons massacrés à Bhorash, les républicains Valyriens n’avaient d’autres choix que de prendre des mesures nécessaires. C’est durant le dixième mois de l’année 1062 que dans l’urgence, les Valyriens enrôlent des citoyens et parmi cela, le gouvernement décida de m’utiliser pour soutenir leur troupe. C’était ma première véritable bataille et aussi, la première que je voyais un dragon être utilisé telle une arme. L’an 1063, c’était une année éprouvante… Les Valyriens enchaînaient plus de défaites que de victoires. Première blessure grave durant l’une des batailles pour reprendre Bhorash, je ne devais ma survie qu’à l’intervention miraculeuse d’un mage spécialisé dans la guérison.
Sixième mois de l’an 1064, Inno ne semblait pas dans son état normal, et ce, depuis qu’il apprit l’extermination des Dothrakis qui pillaient la frontière nord de l’empire Ghis. Cette fois, je lui demande s’il y avait une raison pour laquelle il était affecté par les massacres de ces cavaliers. Il me révéla alors qu’il avait effectivement une relation particulière avec les Dothrakis sans en dire davantage. Victoire que personne n’attendait qui arrive en l’an 1065, Meereen à court de vivre capitule, une décision s’imposant à eux sous la révolte de leurs si nombreux esclaves. Mentalement et physiquement, j’étais épuisée et je croyais vaguement que ce succès était une victoire décisive, m’attendant à un foncer vers un nouveau siège impossible à ébranler. Ce ne fut point le cas, c’était véritablement terminé et les pourparlers avaient débuté. La fin de la guerre fut officielle le deuxième mois de l’an 1066, je retournais dans la Rhoyne pour un repos bien mérité en compagnie d’Inno, nos bourses remplies d’or pour nos faits accomplis et services rendus.