Installée à l’ombre de l’atrium, le dos contre une colonne et les jambes légèrement repliées, Saerelys lisait. Le rouleau était déroulé là, dans le creux formé entre ses jambes et son ventre. Des mots muets naissaient et mourraient sur les lèvres de la jeune femme, seuls signes de ces sorts qu’elle aurait pu lancé, qui aurait du exister, si nécessité il y avait eu. De temps à autre, c’était ses doigts qui traçaient quelques symboles dans l’air, comme si leur propriétaire souhaitait s’assurer de sa précision à ce sujet. Puis, ceci fait, Saerelys se plongeait à nouveau dans son parchemin, cherchant une nouvelle chose à expérimenter, bien que, dans les faits, un tel feuillet ne lui était plus d’aucune utilité. Il ne s’agissait-là que d’une relique de l’année précédente, à moins qu’elle n’ait déjà deux ans, alors qu’elle n’arrivait pas encore à exploiter certaines runes plus complexes que d’autres. Une relique qui la rassurait sans doute plus qu’autre chose, maintenant qu’elle avait atteint le Troisième Cercle.
Fermant les yeux quelques instants, Saerelys se remémora une fois de plus ces runes qu’il lui semblaient être connues par cœur. Celle-ci assurait la protection, tandis qu’une autre apportait la sérénité. Quant à celle-ci, pas de doute possible. Il s’agissait d’un symbole destiné à apaiser les douleurs chroniques. Les runes avaient de nombreux pouvoirs, dont certains se rapprochaient des autres pratiques enseignées et pratiquées par les Mages. La Magie était ainsi faite. Toutes ses branches étaient complémentaires les unes des autres, bien que toutes différentes dans les faits. Il s’agissait-là de la raison pour laquelle les novices se devaient de découvrir chacune d’entre elles.
« Toujours en train de rêvasser, Sae ? » ironisa Aelys.
N’ouvrant qu’un œil, la future Mage se retrouva nez-à-nez avec sa sœur. Cette dernière avait pris appui sur ses genoux, au point que la jeune femme ne put que se demander comment elle avait pu ne pas remarquer sa présence auparavant. Saerelys ouvrit son deuxième œil, repoussant gentiment sa sœur, qui s’installa de fait contre la colonne la plus proche, devant elle, les bras croisés, l’air mutin. Prenant le soin d’enrouler son parchemin, bien que son contenu n’était compréhensible que d’elle-seule, la jeune femme le déposa ensuite à côté d’elle. Puis, posant ses mains contre ses cuisses, l’aînée reporta son attention sur sa cadette, un fin sourire aux lèvres.
« Rêvasser, est-ce ainsi que tu qualifies les arts dont je suis la dépositaire ? Mes rêveries pourraient pourtant te causer beaucoup de troubles.
- La vraie question est plutôt de savoir si j’en vaux la peine ! répliqua Aelys, croisant ses bras derrière son crâne, malicieuse. Mais passons veux-tu ? Que faisais-tu, ma sœur ? Ne passes-tu donc ton temps qu’à étudier ?
- Au Collège, il n’y a guère d’autres activités et les runes n’ont jamais été une corvée pour moi, qui plus est. lui fit remarquer Saerelys, avec un léger haussement d’épaules. La Magie est un art des plus précis et nous ne pouvons manquer de concentration à son sujet. Les choses sont sans doute mieux ainsi.
- Ma sœur, que le Collège devrait pourtant te sembler bien lointain lorsque tu es ici ! reprit la plus jeune, avec un petit rire. Ne veux-tu pas faire autre chose quand tu es avec nous ? Tes runes, sans doute les connais-tu par cœur ! Peut-être même pourrais-tu m’en faire une démonstration dès à présent ! Le Collège ne t’aurait pas laissé revenir dans le cas contraire, tu ne crois pas ?
- Et que me proposes-tu pour occuper mon temps, petite sœur ? Existe-t-il une activité que tu aimerais faire en ma triste compagnie ? s’enquit Saerelys, sur un ton faussement attristé.
- Cela se pourrait… remarqua Aelys, un grand sourire trônant désormais sur ses lèvres. Mais je crains que tu ne sois pas dans de bonnes dispositions pour cela, grande sœur ! Si je jurerai qu’Aedar aimerait te voir ainsi vêtue, il n’en irait pas de même pour mon autre sœur ! »
Si Aelys rit à sa propre remarque, Saerelys écarquilla les yeux, ne sachant que répondre à un tel aveu. Sa cadette passait sans doute tout son temps libre à errer dans les cieux avec sa fidèle dragonne. Mais elle… Avait-elle jamais volé ? Lorsque son dragon était trop jeune, leur mère avait sans doute du l’emmener avec elle par moment, comme elle le faisait parfois pour Rhaelys à l’heure actuelle. Peut-être que Père en avait fait de même, bien qu’il ne se montrait que rarement sur le dos de la créature qui partageait pourtant son âme… La jeune femme n’avait plus le moindre souvenir de son dernier vol. Était-ce en compagnie d’Aedar, alors qu’ils profitaient ensemble d’un moment de liberté avant qu’elle ne soit obligée de retourner au Collège ? Peut-être… A moins qu’elle n’ait accompagnée une fois ou deux Aelys ou leur mère ? Saerelys avait beau se creuser l’esprit, aucune de ces propositions ne lui semblait satisfaisante…
« Saerelys ? Tout va bien ? demanda Aelys, dont les traits s’étaient faits plus sérieux, de même que le ton.
- Je… Oui, tout va bien. assura l’intéressée, en reprenant contenance. Voilà bien longtemps que je n’ai pas parcouru les cieux, voilà tout.
- Ma sœur, cela ne s’oublie pas ! C’est tout simplement impossible ! Tu verras, une fois dans les airs, tout te semblera clair ! s’exclama la plus jeune, posant sa main sur l’un des genoux de sa sœur, un sourire compatissant aux lèvres. Mais si tu as peur de moi, je le comprendrai tout à fait ! Gaelor ne s’est jamais totalement remis de notre première escapade ensemble dans les airs ! » reprit Aelys, en pouffant à cette pensée.
La future Mage esquissa un sourire aux mots de sa sœur. Après tout… Après tout cela ne pourrait pas lui faire de mal… N’était-elle pas une descendante de Riahenys ? La Magie qui coulait dans ses veines ne pouvait pas lui ôter ce fait. Et que dire d’Aedar qui lui avait promis dans de nombreuses de ces lettres de l’emmener voler avec lui, lorsque cela leur serait possible. Peut-être même aurait-ce déjà été fait, si la guerre n’avait pas emmené son double loin d’elle. La jeune femme secoua légèrement la tête. Elle n’avait rien à craindre. Elle était un dragon et le resterait. Un dragon différent de ses semblables, mais un dragon tout de même. Qui plus est, l’appel des cieux ne se faisait-il pas souvent entendre dans les tréfonds de son âme ?
Et si, pour une fois, elle prenait le parti d’y céder ?
( Gif de raiha-kasep. )