Pâle comme la mort. C’était ainsi que Saerelys pouvait se décrire à cet instant, alors que sa grand-mère faisait en sorte d’ajuster sa longue chevelure argentée du mieux possible. En temps normal, la jeune fille aurait apprécié passer un tel moment avec sa grand-mère. Mais ce n’était pas le cas aujourd’hui. Saerelys doutait même pouvoir ressentir à nouveau du bonheur ou de la joie un jour depuis qu’on lui avait arraché son double ailé… Tout lui semblait si fade. Si morne. Si gris. C’était comme si, d’un coup d’un seul, tout le bonheur qui l’habitait avait disparu, aspiré dans les méandres de l’enfer. A cet instant précis, la jeune fille se demandait même comment elle faisait pour tenir assise, tant elle se sentait faible.
« Grand-Mère, est-ce que tout cela est vraiment nécessaire ? s’enquit Saerelys, d’une petite voix brisée.
- Il le faut, jeune fille. Il le faut. » déclara Daela, pour seule réponse.
La lèvre inférieure légèrement tremblante, Saerelys ne chercha pas à poursuivre la conversation. Elle savait que sa grand-mère ne tolérerait aucune plainte ou réplique de sa part. Aussi garda-t-elle son mal-être pour elle. Pourrait-elle juste un jour s’en débarrasser ? Comme cette brûlure qui rongeait ses veines et sa chair ? Il n’y avait guère qu’avec Aedar, Aelys et Gaelor que cette dernière passait, du moins, pour quelques heures. La jeune fille retient un soupir. Un tel mal ne se soignait sans doute pas, si ce n’est avec le temps. Peut-être arriverait-elle à le supporter, en fin de compte…
« Nous en avons presque terminé. finit par dire sa grand-mère, en ouvrant une petite boîte en ivoire, qu’elle avait ramené avec elle.
- … Qu’est-ce que c’est ? se risqua à demander sa petite-fille.
- Cela te donnera bonne mine. Regarde donc. »
Glissant ses doigts dans le petit récipient, sa grand-mère en sortit une fine poussière rougeâtre. La déposant délicatement sur les pommettes de sa petite-fille, cette dernière ne bougeant pas d’un cil, Daela l’étala ensuite d’un geste rendu habile par l’habitude. En regardant à nouveau son reflet dans le miroir, il sembla à Saerelys qu’elle avait retrouvé quelques couleurs. Bien sûr, il ne s’agissait-là que d’un artifice qui ne duperait sans doute que les inconnus qui ne l’avaient jamais vue sous son meilleur jour. Un soupçon de vie sur une peau livide. Encore un peu et la jeune fille se serait presque trouvé effrayante.
« Nous en avons fini. déclara alors Daela en posant ses mains sur ses cuisses après avoir essuyé ses doigts et réajusté le peigne retenant la dense chevelure de sa petite-fille, la sortant de ses pensées.
- Merci Grand-Mère... » murmura Saerelys, pour toute réponse.
Tout cela pour une simple rencontre. Pour qu’elle fasse bonne impression. Mais Saerelys n’en avait cure, à cet instant. Elle se sentait vidée de sa substance, de toute son énergie, de toute sa volonté. Sa seule envie était de se cacher du monde extérieur afin de se laisser aller aux larmes qui lui montaient si souvent aux yeux et qu’elle contenait toujours à grand peine. Mais elle n’en avait pas le droit. Pas même après la perte qui était la sienne. Elle devait tenir. Envers et contre ses sentiments et ces flammes qui lui léchaient les veines et les nerfs.
Et tout cela pourquoi ? Pour accueillir une Mage que ses parents avaient fait venir du Collège pour qu’elle puisse la préparer à prendre ce tournant dans sa vie qu’elle n’avait jamais désiré. Saerelys serra ses dents et ses poings. Comment pouvait-elle accepter une telle chose ? Comment ? Si seulement elle avait d’avantage recouvré ses forces. Si seulement. Là, elle aurait sans doute pu faire quelque chose pour se sortir de ce mauvais pas. Peut-être aurait-elle pu rejoindre Aedar ou se cacher quelque part ? Qu’importe que ce comportement paraisse puéril. Elle ne pouvait supporter une telle chose…
« Saerelys, Mealys est arrivée. » lui appris sa mère, de sa voix douce.
En entendant ces mots, Saerelys sentit un frisson lui parcourir le dos. Sa grand-mère fut la première à se lever et à quitter la pièce, emportant avec elle la petite boîte d’ivoire. Ne restait plus qu’elle et sa mère, non loin de la porte. Son dernier rempart avant ce monstre qu’elle ne pouvait et ne voulait pas voir. Un rempart qui s’effacerait bientôt. Beaucoup trop tôt. Poussant un soupir mais hochant la tête pour montrer qu’elle avait compris ce qui l’attendait, la jeune fille se pencha légèrement, l’une de ses mains agrippant le bureau devant lequel elle se trouvait, afin de prévenir le moindre risque de chute. De sa main libre, Saerelys ouvrit un tiroir et en sortit quelques feuillets. Sa plume et son esprit embrumé seraient ses seules armes pour faire cesser au plus vite ce combat. Plus tôt elle comprendrait ce que cette Mage voulait lui inculquer et plus tôt ce calvaire cesserait. Et peut-être qu’après cela, elle trouverait la paix quelques heures…
A cet instant précis, la colère était la seule force qui l’animait.
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