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Même s'il n'avait pas réellement pensé à comment serait sa vie une fois qu'il serait de retour parmi les siens, une fois que ses frères d'armes auraient franchi les portes de Valyria pour enfin retrouver leur foyer, Maekar avait silencieusement espéré pouvoir obtenir un peu de calme afin de commencer à rapidement de l'ordre, dans sa vie comme dans sa tête. Il était un homme discipliné et ce retour avait amené son lot de questions et d'incertitudes, notamment concernant le palais qu'il était supposé considérer comme son foyer. En vérité ce ne fut pas le Triomphe  et la clameur de tout un peuple qui le chamboula le plus, mais bien la toute première nuit qu'il retrouva une chambre qu'il avait quitté trois années plus tôt.
Le palais dans lequel sa famille était installée à Valyria était incroyablement vaste et luxueux, le symbole de la richesse des Tergaryon et de la réussite du chef de famille, un chef d’œuvre de fierté et de démesure agrémenté de jardins d'un beauté sublime et de salles plus époustouflantes les unes que les autres. Maekar aurait dû être transporté de joie à l'idée de retrouver ce terrain connu, de renouer avec le luxe duquel il avait été privé pendant plusieurs années mais, en rentrant dans sa chambre après une soirée plus qu'intense avec sa cadette, il resta là, planté au milieu de la pièce, à jauger du regard une pièce qu'il ne reconnaissait pas.Cette chambre n'était plus la sienne à présent, sa propre chambre était composée d'une modeste tente, d'une couche spartiate et bien trop rude, d'une table sans fioriture et d'un siège en bois tout ce qu'il y avait de plus basique : telle était sa chambre, à présent.

Le général rentra donc dans sa chambre la première nuit, se débarrassant de sa tunique en essayant de plonger dans ses souvenirs pour tourner plus facilement la page, pour reconnaître ce palais comme l'un des lieux dans lesquels il avait grandi, mais la première nuit passée à Valyria fut l'une des plus pénibles de sa vie. Cela faisait quatre ans qu'il ne dormait plus pour des raisons connues seulement des guerriers mais, naïvement, il avait cru que cela changerait en revenant chez lui. Alors pourquoi se retourna t-il dans tous les sens, dans ce lit trop mou à son goût, jusqu'au petit matin ? Parce qu'il s'était habitué à un tout autre genre de vie et que l'adaptation ne se ferait pas instantanément, aussi fut-il contraint de faire preuve de patience durant les journées et les nuits qui suivirent. Le Triomphe avait toujours lieu, il était toujours au centre d'une attention étouffante si bien que le troisième soir après son retour, Maekar fut étrangement soulagé de retrouver ce lit trop mou et cette pièce trop grande.

Certains disaient que les rêves n'étaient que le reflet des pensées inassouvies d'une personne, le reflet de son subconscient, mais le soldat n'avait jamais cru à ces balivernes. Il s’endormit donc dans son plus simple appareil, après avoir rappelé aux gardes de ne le déranger son aucun prétexte. D'une part parce qu'il y avait toujours la possibilité que la belle Elaena lui offre l'une de ses visites nocturnes, mais surtout parce que le Tergaryon savait qu'il pouvait avoir le sommeil agité. Alors qu'il ferma les yeux, son esprit se dirigea donc dans les limbes de son passé et, instinctivement, lorsque l'esprit de Maekar s'éveilla au milieu de ces rêveries, le soldat sut instinctivement où il était par la chaleur étouffante qui lui faisait tourner la tête et ce sentiment constant de nausée. Lorsque ses yeux s'ouvrirent sur son environnement, un seul mot filtra entre ses dents.

« Non... »

L'odeur des corps, le goût métallique du sang dans sa bouche, il n'avait même pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir qu'il était en train de marcher au milieu d'un charnier et pas n'importe lequel, celui qui résulta de la seconde meurtrière bataille pour tenter de prendre Bhorash, seulement 5 mois après que cette cité ne soit passée par le feu-dragon. Prenant une inspiration et retenant la nausée qui s'emparait de lui, Maekar balaya la mer de corps devant lui et, en plus d'occasions qu'il ne l'aurait voulu, quelques visages familiers se présentèrent à lui. Puis le colosse s'arrêta un instant, s'accroupit face à un corps qui n'avait pas sa place ici, il le sut avant même de le retourner, avant même que les yeux figés de terreur de son frère ne se posent sur lui. Instinctivement, le guerrier eut un mouvement de guerrier et tenta de rejeter cette réalité qui n'était pas la sienne.

« Non, non, non. »

L'instant d'après la chaleur ne disparut pas mais laissa la place à un autre champ de bataille dans lequel Maekar et s'est hommes étaient encerclés par ces chiens de Ghis, brandissaient leurs armes et tranchant dans la mêlée avec toute la fougue qui leur restait. Combien d 'heures resta t-il à ce se battre ainsi, à voir ses voisins et compatriotes tomber, l'un après l'autre ? Combien d'heures restait-il encore à se battre, alors qu'il fut le dernier encerclé par une centaine d'ennemis, bien décidé à vendre chèrement sa peau comme le plus féroce des prédateurs acculés ? Il trancha, bloqua, tournoya encore et encore jusqu'à ce qu'une lance vint se ficher dans sa cuisse, le faisait plier l'échine et éructer dans la douleur une insulte à l'encontre de celui qui avait osé le contraindre à poser un genou à terre. Les yeux brillant d'une lueur nouvelle, il se releva et pourfendit son assaillant par une contre-parade dont il avait le secret mais, bientôt, ce fut une lame qui vint mordre son flanc opposé et, à cet instant, il sut.
À terre, il observa ce colosse de Ghis s'approcher de lui avec l'une de leurs larmes courbées, la brandissant en l'air et, juste avant qu'elle ne s'abatte sur lui, Maekar leva la main pour protester contre ce destin tragique. Puis la réalité reprit enfin ses droits.

« NON !  »

Il avait cru que ces nuits agitées étaient à présent derrière lui mais, lorsque le colosse se redressa au beau milieu de la nuit, les yeux écarquillés, en nage et sentant sa peau presque littéralement en feu, il sut que ses démons n'étaient pas restés à Meereen. Le souffle court et haletant, le dos osé contre le chevet du lit comme s'il était dos au mur pour se protéger, Maekar laissa son instinct de survie prendre les rennes en balayant la salle de son regard encore horrifié par ces visions, restant prostré ainsi pendant une bonne minute, avant de se rappeler où il était. Ramenant ses jambes contre sa poitrine, posant sa tête contre ses genoux, mains repliées autour de ses jambes, il resta là ainsi, immobile, en essayant vainement de lutter contre le tremblement de ses mains et de tout le reste de son corps.

Ses démons étaient encore ici.

Ils ne s'en iraient pas.
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« Partenaires commerciaux… Kasath, bien plus ouverte aux marchands que… Mardosh, dont la réputation militaire n’est plus à faire, notamment dans les nombreux combats contre les Dothraki. »
« Et ? »
« Et… Sallosh est la cité de tous les savoirs, il se murmure que toute la connaissance du continent est détenue dans la magnifique bibliothèque. »
« Magnifique… Nul besoin d’avis esthétiques. Elle est grande, voilà tout. »

Je grognais, définitivement agacée par l’attitude d’un Maegon plein de zèle. Cela faisait maintenant cinq heures complètes qu’il me retenait prisonnière dans cette pièce que je venais à exécrer tant elle me sembler rapetisser à mesure que le temps s’écouler. Les fêtes battaient sans doute toujours leur plein dans toute la ville, mais il me serait impossible de rejoindre mes amis à l’une d’elle. Mon cousin avait déclaré être fatigué et ainsi s’il n’était pas d’humeur à s’amuser alors il en serait de même pour moi à priori. Mon père était temporairement reparti vers Oros pour quelques affaires pressantes, et Maekar avait été introuvable une bonne partie de la journée. J’avais eu pour projet de le surprendre en lui rendant visite dans ses appartements en début de soirée afin de le convaincre de se joindre à moi pour la soirée, il se murmurait que la soirée donnée dans une des villas voisines de la nôtre serait grandiose. Pourtant, il n’y avait rien eu de cela, le seul visage qui m’avait été donné de contempler avait été celui de mon cousin.

Sans doute étais-je méfiante et agacée, mais je le soupçonner de prendre un certain plaisir à me tenir éloignée de la fête de ce soir et de Maekar. S’il ne faisait plus aucun doute sur sa volonté de rivaliser en tous points avec mon frère, les raisons de cette isolation sociale m’échappait. A dire vrai, mon cousin n’avait jamais été un savant, il était de ces hommes d’action qui aiment tout autant la guerre que les femmes, qui profitent de chaque fête pour s’adonner à tous les excès permis durant celles-ci. C’était un homme de vie, quelque chose que j’appréciais chez lui car il n’était jamais strict au point de me refuser tout amusement. Cela représentait un contre pouvoir intéressant face à mon père qui m’imaginait cloitrée dans cette pièce jour et nuit pour faire de moi le pantin politique qu’il cherchait à obtenir. Pourtant, les excès festifs pouvaient amener Maegon à s’égarer, et je soupçonnais justement son dernier égarement d’être à l’origine de cette séquestration subtile. Il s’était montré particulièrement cavalier quelques soirs auparavant, et redoutait sans doute que je fasse de cette tentative de séduction, cantonnée au contexte d’une orgie balbutiante, une anecdote sociale comme j’aimais à le faire avec l’aide de Naerys Arlaeron qui s’en délectait toujours. Sans doute avait-il été blessé dans son égo également, s’imaginant que sa position de tuteur auprès de moi aurait une quelconque influence sur ma réponse face à ses avances.

« Nous reprendrons Sanor demain, Maegon s'il te plait, je suis fatiguée. »

Il tentait quelques instant de me forcer à rester, arguant que je tentais d’échapper à mon devoir pour profiter d’une énième festivité. Je l’écoutais me demander si, finalement, je n’étais pas plus encline à abandonner ce rôle d’héritière au profit d’un rôle d’épouse qui, a priori, me conviendrait mieux. Je l’écoutais, oui, mais cela ne faisait que renforcer ma détermination à quitter cette pièce sans attendre.

« Tu peux tempêter autant que tu le souhaites, j’ai travaillé toute la journée. Je ne me rends pas à cette fête, tu as été suffisamment doué pour m’en privé. Je vais me coucher. A moins que cela aussi, cela soit contraire à mon devoir ? »

Je soutenais son regard un instant, puis il rendait les armes, visiblement conscient qu’on ne pourrait plus rien tirer de moi et peut-être tenté de profiter de l’humeur badine des festivités à cette heure si avancée de la nuit. Il me laissait sortir, et j’en profitais pour parcourir le palais d’un pas lent et trainant. J’aimais cet endroit, bien plus que je ne me l’étais imaginé. C’était un palais immense, capable d’abriter les membres principaux des deux branches de la famille Tergaryon sans même que ceux-ci n’aient à se croiser. Notre branche occupait l’ouest du palais, une grande aile et une partie du corps central, alors que Maegon et ses soeurs occupaient l’aile Est. Le soleil se levait sur eux, et se couchait à nos pieds. Il y avait une multitude de pièce où je ne mettais les pieds que lors de mes promenades de découverte, et les couloirs étaient tous ornés de tableaux, de boiseries et de sculptures magnifiques. Ca et là, il était commun de découvrir une cours à ciel ouvert, arborée et fleurie, un bassin en son centre, animée seulement du chant des oiseaux et des pas des quelques jardiniers qui s’occupaient de garder ces endroits en vie malgré les trop rares visites des habitants de ce palais. Les terrasses, elles aussi étaient légion. Certaines étaient de simple promontoires permettant de prendre l’air entre deux occupations, d’autres de véritables salons d’extérieurs, meublés et décorés avec faste. Les thermes privées de la famille étaient depuis plusieurs mois en redécoration, Maegon ayant décidé qu’elles manquaient d’attrait. Peut-être les trouvait-il trop sérieuses, à dépeindre Tessarion lorsqu’il était un admirateur notoire de Syrax et Meleys.

« Non… »

L’aile Ouest était silencieuse, plongée dans une obscurité de rigueur, et cela ne faisait qu’offrir un écho parfait à une voix que je n’étais pas tout à fait sûre de reconnaitre. Je m’arrêtais un instant, surprise et interloquée par le cri dont je ne parvenais pas à détecter la provenance. Reprenant ma route à pas de loup, je tendais l’oreille, à l’affût d’un second cri qui me permettrait d’être guidée. Il n’y avait cependant pas beaucoup d’éventuelles provenance. La voix était masculine, et en l’absence de notre père, Maekar était le seul homme à résider au palais en ce moment. Prise de doute, je m’approchais de l’entrée de ses appartements, gardée, comme les miens, par les gardes de notre famille. Certains d’entre eux provenaient d’Oros, d’autres de Gelios, et ceux-ci étaient des hommes libres, mais à présent des esclaves formés au combat venaient gonfler les rangs de ceux qui étaient chargés de surveiller le palais et de nous protéger en son sein comme en dehors.

« Non, non, non. »

Cette fois, il ne faisait plus aucun doute que les cris venaient de la chambre de Maekar. Il était tard, et ces cris étaient ceux d’un homme… terrifié. Les gardes qui protégeaient la porte m’indiquaient que le général avait expressément demandé de ne pas être dérangé. Idiots. Ils n’étaient pourtant pas nouveaux.

« Et moi je vous demande expressément de me laisser passer. Poussez-vous ! »

Ils se poussaient… ou je les poussais, je m’étais tant précipitée que la différence n’avait pas été évidente. Je parcourais l’entrée, la première antichambre, la deuxième, et enfin atteignais les portes de sa chambre presque à bout de souffle tant par empressement que par angoisse de ce que j’allais trouver en poussant les portes. Mais peut-être avais-je rêvé ? Les gardes n’avaient, après tout, pas bougé… Je restais silencieuse, immobile derrière cette porte, essayant d’entendre ce qui se passait à l’intérieur de la pièce. Il n’y avait plus un bruit, comme si rien ne s’était jamais produit. Peut-être n’avait-il pas crié finalement ?

« NON !  »

Cela n’était plus un cri. Non. C’était un hurlement. Je poussais la porte et entrais dans la chambre définitivement alertée.

Et je me figeais.

Jamais encore je n’avais imaginé être témoin d’une telle scène. Il était bien là, et il était seul. Il avait bien crié, mais ne combattait personne d’autre que des fantômes. Je restais interdite un instant, glacée par la figure de cet homme prostré, le visage dissimulé dans ses bras, le front reposé contre ses genoux. Ses cheveux étaient humides par endroits, et la lumière de la lune qui parvenait jusqu’à lui aux travers des fenêtres faisait briller la sueur qui perlait sur son corps tout entier. Il tremblait. Il tremblait comme jamais je ne l’avais vu tremblé auparavant. Ses mains, peu assurées, étaient blanchies aux jointures tant il serrait ses genoux contre sa poitrine. Peut-être tentait-il par là de se calmer, de canaliser son corps devenu faible d’avoir été si fort. Je n’osais pas dire un mot, car je savais le moment trop intime. Alors, dépourvue de mots, j’ôtais discrètement mes chaussures pour ne pas percer le silence du bruit de mes talons, et avançais à petits pas vers lui. Tout à sa frayeur il ne m’avait pas entendu arrivée, aussi ne souhaitais-je pas l’effrayer. Une fois arrivée près du lit, je pouvais constater qu’il avait senti ma présence. Il n’avait pas pour autant révélé son visage, mais il avait tressailli. Je ne m’approchais pas plus, craignant de le faire réagir trop instinctivement.

« Maekar… »

Il avait l’air d’un enfant. Un enfant terrifié. C’était bien plus que mon coeur était en mesure de supporter et je devais lutter contre moi-même pour ne pas céder à mon propre instinct et le brusquer. Je reculais de quelques pas et attrapait sa robe de chambre que je déposais par la suite, le plus délicatement possible, sur lui.

« Tu trembles… »

Je m’asseyais enfin sur le lit et attrapais ses mains tremblantes, pour les réchauffer entre les miennes, pour les stabiliser, pour les ancrer à quelque chose de ce monde… Car je soupçonnais que ce qui les troublaient venait d’un monde que je ne pouvais voir ni comprendre. Petit à petit, constatant qu’il ne me repoussait pas, je me rapprochais, ne lâchant jamais ses mains pour autant. Je glissais, centimètre par centimètre vers lui. Et finalement l’une de mes mains délaissait les siennes pour écarter quelques mèches de cheveux de son visage, en essuyer la sueur en caressant sa joue d’un geste tendre.

« Souhaites-tu m’en parler ? J’aimerais que tu m’en parles, mais si tu n’es pas… prêt, je ne t’y obligerai pas. »

J’espérais qu’il ne verrait rien de l’émotion qui m’obstruait tant la gorge que j’en perdais le souffle. Je me rappelais de ces hommes tués lors du Triomphe, de la joie que je n’avais pas réussi à ressentir tant la vision m’avait évoqué les horreurs d’une guerre que Maekar avait eu à traverser seul. Je me rappelais de la terreur qui m’avait saisie ce jour-là, alors que je comprenais que nul être ne pourrait sortir indemne d’une telle horreur. Serait-il, dès lors, condamné à les revivre chaque nuit, dépouillé de tout répit en plus de l’innocence de n’avoir jamais vu la mort ? Je le regardais, chassant ma propre tristesse dans les tréfonds de mes tripes pour ne laisser place qu’à la sienne. Je me souvenais alors des mots d’Aerys Maerion, rencontré quelques jours plus tôt… La guerre est peut-être terminée mais elle vit encore… en nous.
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Le jour de l'annonce de l'imminence de la guerre, l'instructeur avait pris le jeune Maekar à part afin de le préparer au mieux à la guerre, afin de lui demander tout ce qu'il savait car il ne serait jamais prêt à faire face à l'horreur du terrain et, naïvement, le Tergaryon n'avait pas pris la pleine mesure de la leçon qui lui fut enseignée. Comment aurait-il pu le faire, lui qui était né avec une cuillère en or dans la bouche ? Lui qui n'avait jamais eu à lutter pour sa propre vie, à se battre pour avoir de quoi se remplir l'estomac ? Il avait cru que tout cela serait simple, qu'avec des efforts il pourrait tout surmonter mais, lorsque le visage d'un de ses camarades tombés le réveilla au milieu de la nuit pour la première fois, le général prit conscience de la portion de son âme que la guerre viendrait arracher à son enveloppe mortelle.
Depuis qu'il était officier il avait dormi seul aussi personne n'avait eu vent de ses démons, mais il savait que tous partageaient les mêmes angoisses, les mêmes peurs, les mêmes visions cauchemardesques et, silencieusement, tous avaient espéré que la paix mettrait fin à ce supplice. Ce soir-là, dans sa chambre, alors que son cœur battait la chamade dans sa poitrine, Le Téméraire apprit à quel point il était toujours aussi naïf, malgré les épreuves traversées.

Le plus dur n'avait pas été de traverser ce cauchemar chaque nuit, le plus dur avait été le pénible retour à la réalité et la prise de conscience que, quoi qu'il puisse faire ou dire, son esprit était un adversaire qu'il ne pouvant défaire à la pointe de sa lame. Il resta donc là, prostré, luttant contre cette chaleur grandissante, luttant pour la douleur qui tentait de se percer un chemin à travers ses tempes, jusqu'à ce qu'une voix ne vienne lever le voile. Maekar ne reconnut pas la voix tout de suite, focalisé sur sa propre respiration comme on le lui avait appris des années plus tôt, jusqu'à ce que le contact d'un tissu sur ses épaules ne ramène un semblant de calme dans son esprit.
Son premier réflexe aurait été de rejeter cette robe de chambre car il était littéralement en train de mourir de chaud et pourtant, dans un souffle, le général brisé parvint tout de même à murmurer :

« E...la ? »

À peine plus qu'un murmure dans une tempête, à peine plus fort que cela. Il était loin le colosse qui motivait ses troupes avec des discours passionnés et puissants, il était loin le pilier sur lequel on pouvait toujours compter, comme s'il ne restait plus de lui qu'une coquille vide. Serrant encore plus ses mains autour de ses jambes, la poigne du Tergaryon faiblit en intensité en sentant cette douce peau familière contre la sienne, comme un oasis après une très longue traversée du désert et, après une profonde inspiration, il tenta de répondre au constat de son tremblement.

« Ce...  »

Il tremblait de chaque fibre de son corps car les souvenirs étaient encore trop vifs dans son esprit mais, bientôt, il fut contraint à davantage de calme lorsque les mains de son aimée se posèrent tout contre les siennes, comme si elle cherchait à partager son calme ou à faire sienne cette douleur sourde. Néanmoins même lorsque la question lui fut posée, même lorsqu'il sentit ces doigts dans ses cheveux, Maekar ne put accepter de faire rentrer cette douleur dans la vie de sa sœur. C'était son fardeau, son propre poids à porter et, pour la première fois de sa vie, il mentit à sa sœur dans un murmure à peine maîtrisé.

« Ce n'est rien de plus qu'un...mauvais rêve. Tu devrais aller te...coucher.  »

Ce n'était pas qu'un seul rêve, pas simplement un mauvais rêve mais le pire d'entre tous. Comment pourrait-il décrire cela ? Écartant ses mains pour venir caresser le dos de la main de sa sœur, toujours dans ses cheveux, le soldat resta ainsi, un instant, avant de se lever de son lit. Il fut contraint de se reprendre à deux fois pour retrouver un équilibre précaire mais, lorsqu'il y parvint enfin, il se dirigea enfin vers un récipient d'eau froide, sur une table non-loin de là où avait été déposée un miroir. S'arrêtant devant la table, il plongea ses mains dans l'eau glacée avant de s'en asperger le visage, acceptant ce choc de températures comme un coup de fouet bienvenue, avant de relever le visage vers le miroir. Il s'était attendu à y voir son visage fatigué et les cernes nées d'un manque évident de sommeil mais, lorsque Maekar posa ses yeux sur le visage d'un de ses amis dont la bouche débordante d'un flot écarlate, le soldat eut un mouvement de recul défensif avant de détourner son regard de cette vision déchirante.

« Je pensais qu'en revenant ici, cela s'arrêterait... »

Il aurait voulu lui mentir davantage pour la rassurer mais, comme d'habitude, en la présence de sa sœur le colosse en disait plus en dix minutes qu'il en dévoilait en dix semaines. Soupirant face à ce constat auquel il ne pourrait échapper, se délestant bel et bien de cette robe de chambre du fait de cette chaleur grandissante, le général vint s'asseoir à nouveau sur le rebord  du lit. Coudes posés contre ses cuisses, les deux mains entourant son visage, il resta là, silencieux, le dos nu tourné vers sa sœur, avant de trouver enfin la force de révéler à demi-mot la nature de ses démons.

« Mais à chaque fois que je ferme les yeux, je les vois. Je les entends. Je les ressens. J'imagine que c'est le prix à payer pour ce que nous avons fait. La paix d'un royaume, contre ma paix intérieure...»

Elle était assez intelligente pour deviner qu'il évoquait le souvenir des soldats tombés mais, lui, non, il n'en dirait pas plus pour le moment. Pourquoi ? Parce qu'il n'arrivait pas à se faire une raison, il n'arrivait pas à tourner la page et c'était pour cela qu'il n'avait pas connu de nuit paisible durant ces trois dernières années. Enfin, dans un souffle, il tourna son visage fatigué vers la belle et se força à se draper d'un sourire à demi-rassurant, avant de lui souffler :

« Ce n'est rien. Cela va finir par passer, ma belle.   »

C'était à se demander s'il essayait de convaincre la belle ou se convaincre lui-même.

En vérité, il n'en savait rien lui-même.
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« E...la ? »

Sa voix, brisée, heurtait mon cœur comme jamais il ne l’avait été. Elle n’était en rien commune avec toutes les facettes que je connaissais de Maekar. Nous avions, bien-sûr, partagé par le passé des moments plus difficiles, des moments de doutes et de peur, notamment cette fameuse nuit où il était revenu pendant la guerre, plein du souvenir de la mort d’Aenar. J’avais déjà eu l’occasion de voir au-delà du rempart de sérieux que Maekar avait érigé entre lui et le monde… Mais jamais encore ne l’avais-je vu si vulnérable. Il n’avait plus rien de l’homme de guerre, du général que tous continuaient de porter aux nues, il ressemblait à un petit garçon tremblant, ébranlé dans ses propres convictions.

« C’est moi, ce n’est que moi… »

Je continuais à caresser son visage, me rapprochant petit à petit à mesure que je le sentais moins prompt à réagir sur le vif. Il restait un instant aussi tendu et tremblant que lorsque je l’avais trouvé, mais à mesure que je forçais son regard à se mêler au mien et que je tentais de le ramener dans le temps présent, je pouvais voir ses muscles s’assouplir légèrement.

« Ce...  Ce n'est rien de plus qu'un...mauvais rêve. Tu devrais aller te...coucher.  »

Il devait savoir qu’il ne pouvait pas me mentir. Il pouvait sans doute berner beaucoup de monde, prenant des allures d’homme réfléchi et responsable, mais il ne pouvait m’opposer cette image composée, pas à moi et certainement pas maintenant. Comme déjà conscient que je n’en croyais mot, il se levait, s’éloignant de moi pour plonger ses mains dans l’eau et en asperger son visage, comme l’on tenterait de laver une souillure invisible.

« Si tu penses pouvoir te débarrasser de moi si aisément, tu es plus idéaliste que je ne le pensais. »

Je tentais un trait d’humour, osant même un léger sourire alors que l’atmosphère devenait plus étouffante à mesure que les secondes s’écoulaient. Il restait un instant silencieux, contemplant son propre reflet dans le miroir. Son visage était plus blanc que jamais, seuls les cernes ornant ses yeux se démarquaient de l’ensemble immaculé. Elles étaient la marque d’une guerre qui s’était ancrée en lui, elles étaient la preuve que mon inquiétude était justifiée. Lors du triomphe, je n’avais pu me joindre à la liesse populaire lorsque les ghiscaris avaient été exécutés. Il ne fallait bien sûr pas y voir une quelconque empathie pour ces hommes, bien que je n’aie guère eu l’instinct de les diaboliser, mais bien le pressentiment que cette vision qui me heurtait était un simple aperçu de ce à quoi nos hommes avaient été confrontés. Et comment trouver le sommeil et la paix lorsque les souvenirs d’enfance et la joie ont été grignotés par les images vivaces de la mort et du carnage ?

« Je pensais qu'en revenant ici, cela s'arrêterait... »

Il se débarrassait du manteau, visiblement toujours incommodé par une chaleur fiévreuse due à l’échauffement d’un esprit torturé. Je ne disais rien, sentant qu’il avait finalement décidé de me laisser entrer. Il souffrait donc de cette agitation depuis longtemps, peut-être même depuis le début de cette guerre. Etait-ce donc cela, la vie ? La gloire et la postérité contre une vie de tourments.  Je le regardais s’asseoir, me tournant le dos et courbant ce dernier pour déposer son visage au creux de ses mains. Je craignais tant qu’il tente à nouveau de dresser un rempart entre nous que je n’esquissais aucun mouvement, comme pour ne pas lui redonner conscience qu’il s’apprêtait à se livrer et partager la souffrance qui le tenait éveillé chaque nuit.

« Mais à chaque fois que je ferme les yeux, je les vois. Je les entends. Je les ressens. J'imagine que c'est le prix à payer pour ce que nous avons fait. La paix d'un royaume, contre ma paix intérieure...»

Il tournait son visage, et j’avais tenté de dissimuler les larmes qui déjà affluaient à mes yeux et menaçaient de s’en échapper. Mon doux amour. Comment supporter de le voir ainsi ? Je me relevais sur les genoux, entourant son cou de mes bras et déposant ma joue contre l’une de ses omoplates. D’un geste doux je laissais mes doigts se balancer et caresser la peau de sa poitrine.

« Ce n'est rien. Cela va finir par passer, ma belle. »

Etait-il possible de trouver des mots suffisamment justes pour apaiser sa souffrance ? Etais-je seulement capable d’apaiser quoique ce soit, moi, qui étais restée protégée de tout danger et qui n’avais jamais regardé en face la mort, même la plus sereine ? Je me sentais ridicule et inutile, incapable de trouver un mot de confort pour cet homme qui me livrait sa peine et trouvait encore la force de tenter de me rassurer. J’embrassais son dos, sa nuque, essayant d’apporter une paix que mes mots ne pourraient jamais obtenir tant ils seraient insignifiants. Après un instant de silence, je me détachais de lui pour me relever, quitter le lit et m’agenouiller devant lui. Il avait fui mon regard trop longtemps. D’un geste doux je forçais son visage à se relever et ses yeux à confronter les miens. Je déposais mes mains sur les côtés de visage, le forçant cette fois à redresser son torse et avançant à genou pour me retrouver entre les siens.

« Ce n’est pas rien Maekar, et je t’interdis de faire comme si c’était insignifiant pour me protéger. »

Je laissais le silence retomber un instant, ne relâchant par une seule seconde ma prise et son regard, comme pour appuyer un peu plus mon sérieux.

« Tu es chez toi. La guerre est terminée. Et tu retrouveras cette paix intérieure qu’elle t’a volée. En attendant que tu la retrouves, tu vas partager ta souffrance avec moi. Tu ne vas pas me l’épargner. Nous ne serons pas trop de deux pour la porter et la combattre. »

Je me hissais difficilement afin que mes lèvres se déposent sur son front, comme pour aspirer ces pensées et ces rêves qui le tourmentaient.

« Je te prends tout entier, Maekar Tergaryon. Glorieux. Sérieux. Moqueur. Tendre. Vulnérable. Brisé… M’entends-tu ? Ta peine est mienne. »

C’était à présent sur ses lèvres que je déposais un chaste baiser.

« Nous avons toute la nuit, et toutes les autres à venir. Qui est-ce que tu vois et entends ? Qu’est-ce qui te hante ? »

Il devait mettre des mots sur ces fantômes. Les mots rendaient les choses plus réelles, et il était plus aisé de combattre un ennemi fait de chair et de sang, qu’un ennemi insaisissable.  

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Maekar Tergaryon, Seigneur Dragon, le fléau de Bhorash, le Téméraire, général des armées de Valyria, voilà ce qu'il s'était efforcé d'être durant ces dernières années car tel était ce qu'on attendait de lui, telle était la force qu'incarnait une personne comme lui mais, lorsqu'il s'était retrouvé tout seul dans sa tente, après une bataille ardue, tous ces titres s'envolaient comme autant de feuilles dans la tempête. Il avait été instruit par les meilleurs, formé pour être un guerrier formidable, un leader vers lequel les autres pourraient se tourner lorsque la tempête ferait rage mais, en vérité, il n'en restait pas moins un homme dont la guerre avait su faire craqueler la carapace.
Il était devenu aisé et naturel pour lui de se draper d'une expression froide et solide lorsque la situation l'exigeait, c'était devenu un réflexe en vérité mais il n'y avait que deux personnes au monde qui connaissaient la véritable nature de son âme. Celle qui l'avait mis au monde pour commencer, c'était l'évidence même, puis il y avait cette déesse qui venait de rentrer dans ses quartiers durant la pire période possible. Pourquoi ? Parce qu'il se devait d'être fort pour elle, d'être un roc face à la pluie battante sinon il ne méritait pas de partager sa vie et de l'appeler son épouse, ou tout du moins était-ce ce dont il avait essayé de se convaincre mais, malgré ses plus intenses efforts, elle avait toujours été capable de voir à travers cette carapace avec plus de facilité qu'aucune autre personne dans la vie du soldat.

« Tu me connais trop bien. Cela en devient effrayant.   »

Idéaliste, l'était-il seulement ? Non, il essayait simplement de ne pas partager ses démons avec sa sœur pour la préserver aussi longtemps que possible, mais il savait aussi qu'elle était au moins aussi têtue que lui et qu'elle n'était pas prête de lâcher l'affaire. Il resta donc là, silencieusement, tentant de soutenir son regard de ses prunelles dans lesquelles se reflétait sa brisure, sa craquelure que ses cauchemars ne faisaient que mettre davantage en lumière. Le plus honnêtement du monde, il n'avait jamais compris ou essayé de comprendre ce que cette demoiselle voyait en lui et, bien entendu, il ne fut que plus confus de l'entendre affirmer qu'elle voulait partager cette souffrance accumulée pendant quatre années. Savait-elle vraiment ce que cela signifiait ? Savait-elle vraiment qu'il y avait une limite à ce qu'elle pouvait lui demander , à ce qu'elle pouvait absorber poour protéger l'homme qu'elle aimait ? De toute évidence non.

« Tu ne veux pas de cette souillure, crois-moi...  »

En vérité il avait été tellement habitué à garder les épaules droites et la tête haute qu'il ne savait plus comment faire rentrer d'autres personnes dans sa vie ou, plus exactement, quelle portion de sa personne est-ce qu'il pouvait ou devait partager. Comment pouvait-il consciemment amener la noirceur de la guerre dans une âme aussi pure que celle de la femme qu'il aimait ? Il ne le pouvait pas, peut-être ne le devait-il pas mais, lorsqu''elle commença à énumérer tous les aspects de sa personne, un seul parvint à sortir du lot et attirer son attention.

« Brisé...   »

C'était étrange d'entendre cet adjectif dans une autre bouche que la sienne, cela rendait ce constat bien plus réel qu'il n'aurait voulu paraître, mais pouvait-il seulement le nier ? Non, les hommes forts et invulnérables ne se réveillaient pas en sueur au milieu de la nuit, hantés par des actes et exactions dont seuls les autres soldats avaient eu vent. S'était trompé pendant tout ce temps, cru plus fort qu'il ne l'était en réalité ? Ou peut-être avait-il cru qu'à force de faire semblant tout finirait par s'arranger ? Toutes ces questions furent balayées par le baiser furtif qu'il reçut et, l'espace d'un instant, il resta silencieux alors que la belle lui demandait enfin de partager ce qui le troublait ? En guise de réponse, Maekar incita délicatement son aimée à s'asseoir sur le lit, à côté d'elle, alors qu'il se dirigeait vers la porte de ses appartements pour la fermer.

« Es-tu vraiment sûre de ne pas avoir besoin de dormir ? Il se fait tard.    »

Il connaissait déjà la réponse mais cela ne coûtait rien de demander, non ? Une fois que la porte claqua et que le calme regagna ses quartiers, l'homme se tourna et posa son dos contre ladite porte, fermant les yeux et prenant de profondes inspirations, pendant quelques précieuses secondes, afin de se calmer et se faire une raison. Elle ne s'en irait pas sans savoir et il ne pouvait que lui en être reconnaissant, pour cela. Aussi, après quelques précieuses secondes, Maekar rouvrit les yeux et s'avança vers le lit, les yeux balayant le sol devant ses pieds, avant de jeter le premier pavé dans la marre.

« Tous ceux qui ne sont pas revenus. Tous ceux qui sont tombés devant moi, par ma main ou non. »

Ryanis, Lianor, Maeris, trois de ses camarades de chambrées, trois des premiers noms qui lui revenaient toujours en tête, trois des malchanceux dont les dernières heures furent longues et sanglantes, trois de ceux qui ne reverraient jamais leurs familles. Un pas après l'autre, il vint enfin s'asseoir jusqu'au bord du lit et tenta de lever sa tête pour supporter le regard de la belle, avant de poursuivre son explication.

« Je te ferai grâce des détails  quelque peu...sanglants. Tout ce que je peux dire c'est qu'à chaque fois que je ferme les yeux, j'ai l'impression d'y être à nouveau. Soit mon esprit n'a pas encore compris que tout est fini, soit...  »

Soit....les derniers mots tardèrent à sortir de sa bouche comme s'il se refusait à ce constat et, instinctivement, son regard se baissa et se perdit dans les draps froissés, comme pour masquer la véritable nature de ses pensées. La suite parvint dans un souffle, à peine plus qu'un murmure.

« ...il me punit pour toutes ces vies prises.   »

La tête toujours baissée, Maekar essaya de retrouver sa composition et vint s'allonger sur son lit, les bras croisés derrière la tête et le regard à présent perdu dans le plafond. Se faisant violence pour essayer de sourire, il essaya de conclure son intervention par une note tristement réaliste.

« Enfin bon, ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air. Je m'y suis fait, à force.  »
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« Es-tu vraiment sûre de ne pas avoir besoin de dormir ? Il se fait tard.    »

D’un geste discret il m’invitait à m’asseoir à ses côtés, et j’hésitais un instant, craignant qu’il ne tente tout simplement de se dégager du lien que j’avais imposé entre nos regards. Un instant d’hésitation. Finalement j’acceptais, je me relevais lentement afin de prendre place sur le lit, le regardant se lever à présent et refermer les portes pour nous offrir une intimité qu’un tel palais n’offrait que trop rarement. Il restait ainsi un long instant, dos contre la porte, les yeux fermés, le souffle court. Je lui en demandais beaucoup, je n’en doutais guère, pourtant je ne doutais pas non plus que les fantômes ne pourraient que prospérer au coeur du silence dans lequel il s’était muré. Le héros de guerre avait ses limites. Même lui. Et la souffrance était de ces obstacles qui mettent à genoux les colosses les plus redoutables. D’aucun pouvait se targuer de combattre la peur, d’en être étranger, de supporter la douleur physique, de repousser la tristesse des adieux… Bien fou serait celui capable de prétendre être insensible aux images les plus vives de la mort. De ces images capables de hanter un homme pour le reste de ses jours. De ces images qui visitent tout d’abord l’esprit avant de l’habiter, pour finalement le prendre en otage et ne plus laisser rien d’autres que les images d’une vie passée et les cris de ceux dont les yeux ne s’ouvriraient plus.

« Si tu ne dors pas. Moi non plus. »

Je m’asseyais en tailleur sur le lit, le dos contre la tête de lit en bois sculptée contre laquelle le dos de mon frère s’était lui-même reposé, comme pour reprendre pieds dans une réalité vacillante. A le voir ainsi, la réalité qui m’avait frappée durant le triomphe, cette réalité qui m’avait tant brisé le coeur, me sautait aux yeux. La guerre ne m’avait pas seulement éloignée de Maekar, elle l’avait éloigné de lui-même. Elle avait pris ses jours mais aussi ses nuits. Elle avait volé sa paix d’esprit et menaçait de ne jamais la lui rendre.

« Tous ceux qui ne sont pas revenus. Tous ceux qui sont tombés devant moi, par ma main ou non. »

Il restait à distance, comme une énième tentative de me laisser en-dehors de cette souffrance qu’il endurait seul, en silence, depuis bien trop longtemps. Pourtant, à mesure qu’il s’ouvrait, que son esprit prenait la résolution de s’ouvrir à moi, son corps se rapprochait également. Je l’observais s’asseoir au bord du lit tout près de moi, tâchant d’être aussi silencieuse et immobile qu’une statue, trop consciente que cette confession lui coûtait, et qu’il déposait entre mes mains une confiance qu’il ne confiait pas à la légère.

« Je te ferai grâce des détails  quelque peu...sanglants. Tout ce que je peux dire c'est qu'à chaque fois que je ferme les yeux, j'ai l'impression d'y être à nouveau. Soit mon esprit n'a pas encore compris que tout est fini, soit...  »

J’avais ma salive avec difficulté, ma gorge étant plus serrée que jamais. Il me passait les détails sanglants, mais je n’avais plus de mal à les imaginer, elles n’étaient que trop présentes à mon esprit pour que je puisse l’ignorer. J’imaginais la chair brûlée, les corps transpercés, les yeux sans vie. J’imaginais Aenar, étendu comme un simple pantin, le corps ensanglanté, privé du souffle vital. N’avais-je d’ailleurs pas fait de cauchemar si… réel, du corps de Maekar dans pareille position, désarticulé et sans vie, gisant aux pieds de l’ennemi alors même que la guerre faisait rage. J’avais tremblé et pleuré des nuits entières à la simple idée que son parfum n’envahirait plus mon univers, que ses mains n’effleureraient plus ma peau, que son regard ne réchaufferait plus mon coeur et mon corps avec ce talent dont lui seul connaissait le secret. Combien de nuits avais-je passées à me remémorer le contact de sa peau, l’odeur de ses cheveux, le gout de sa bouche, simplement pour repousser la vision terrible de ce corps sans vie. Combien de fois m’étais-je bornée à l’imaginer à mes côtés, frôlant la folie tant son image me semblait réelle, tant il me semblait que je pouvais le toucher. Une image que j’invoquais pour chasser l’autre. Sans réel succès.

« ...il me punit pour toutes ces vies prises.  »

Bien malgré moi je laissais mon front se plisser. Il se punissait lui-même. Il s’accablait d’avoir ôté la vie à des hommes qui, finalement, n’étaient autre que des hommes. C’était omettre une chose bien tangible et contre laquelle nous ne pouvions rien : c’était eux, ou lui. Il n’avait eu qu’un choix : tuer ou être tué. La guerre n’était jamais le fait de ceux qui se battent réellement, elle était décidée en plus hautes sphères et le gros contingent des morts était sans doute de ces hommes écrasés par une guerre qu’ils n’avaient pas cherché. Et s’il était vrai que les vivants l’étaient parce qu’ils avaient réussi à ne pas être tués, ils devaient cet exploit à leur capacité à tuer plus vite.

« Enfin bon, ce n'est pas aussi grave que ça en a l'air. Je m'y suis fait, à force. »

J’inspirais longuement, fermant les yeux un court instant pour reprendre mes esprits et ne pas me lancer trop hâtivement dans un discours qui se voudrait rassurant mais sonnerait probablement creux.

« Viens. »

D’un geste de la main je l’invitais à se rapprocher de moi, à quitter le rebord du lit pour me rejoindre au centre. A vrai dire, je n’attendais que quelques secondes et face à sa très légère hésitation je me penchais en avant pour attraper son bras et l’attirer de force vers moi. Toujours en tailleur, le dos droit, je le dirigeais comme l’on disposerait une poupée, et il n’opposait aucune résistance. Il comprit rapidement ce que j’avais en tête et n’eut guère besoin que je le guide davantage pour déposer sa tête au creux de mes jambes croisées, le reste de son corps étendu devant moi. Je choisissais de laisser le silence retomber quelques instants, nous en avions besoin tous deux. Alors, pour combler de silence, je laissais mes mains caresser avec tendresse ses cheveux, les déposant distraitement sur mes cuisses qui encadraient son visage. Mes doigts ne recherchaient que sa peau, et c’est bien vite qu’ils se mirent à tracer les traits de son front, du centre vers les tempes. Des tempes, le bout de mes doigts poursuivaient jusqu’au menton, se rejoignant à sa pointe avant de remonter vers les tempes et de tracer un chemin le long de l’arête du nez. La bouche devait être dessinée. Son contour était aisé à dessiner, mes doigts le connaissaient par coeur, mon coeur tout autant. Je me baissais doucement, déposant mes lèvres sur les siennes, échangeant la peau de mes doigts pour celle, plus humide, de mes lèvres. Un premier baiser comme timide, effleurant à peine ses lèvres. Je rompais le contact. Puis un deuxième baiser, plus appuyé, plus franc. Je rompais le contact. Enfin un troisième baiser, durant lequel je laissais mes lèvres s’entrouvrir pour unir davantage que nos lèvres.

Pourtant, là n’était guère l’objet de notre échange. Alors je me relevais, à regrets, et laissais mes mains rejoindre ses épaules, les caressant doucement tout d’abord, avant de les masser avec plus de puissance.

« Je me suis toujours demandé ce que te poussais à tant te passionner pour l’art militaire. Je me souviens de ces longs après-midi d’entraînement, ces efforts sans limite que tu jetais dans l’art du combat… Je t’admirais, bien sûr… Mais je ne comprenais pas. Vois-tu, ma vie était faite essentiellement de robes, de danse, de politesse et de jardins luxuriants. Comment aurais-je pu seulement comprendre cette ambition qui était tienne ? »

Ma voix était douce, posée, elle s’élevait presque au rythme de mes mains qui continuaient à masser ses épaules, s’égarant régulièrement sur son torse pour quelques caresses que je m’autorisais malgré le sérieux de la situation.

« Et puis tu es parti à la guerre. Toi et Aenar, vous êtes partis. Et tous les yeux étaient braqués sur Aenar. Il était plus tempêtueux. Il était plus… imprudent. Mais tous voyaient cela comme le symbole d’une grande force. Aucun n’avait compris que la véritable force résidait en toi. »

Je laissais le silence retomber à nouveau, marquant par cela même la force de mes propos.

« Cette force qui ferait de toi un Général. Il était extraverti et spontané, lorsque tu étais réfléchi et prudent. Il est parti, et tu es revenu. Alors, seulement, j’ai compris. »

Je prenais une longue inspiration, fermant les yeux à l’inspiration alors que mes mains s’immobilisaient un instant, à plat sur son torse. Ma voix se faisait plus douce encore, devenant chuchotement.

« Tu t’étais pris de passion pour l’art militaire car tu savais, au fond de toi, que là était ton destin. Tu pressentais, là où tous étaient aveugles, que c’est à travers cela que tu deviendrais celui que tu es vraiment. Pas le fils de Vaegon Tergaryon. Pas le frère d’Aenar. Tergaryon Pas le second fils. Pas mon frère. Toi. »

Mes mains reprenaient leur massage, tentant de dénouer les tensions que je sentais au niveau de ses épaules.

« Il faut côtoyer la mort. Il faut approcher ses lèvres des siennes… pour renaître. Et là encore elle trouve de nombreux subterfuges pour nous éloigner du chemin de notre destinée. Elle te hante, elle sème des graines de doute et de culpabilité dans ton esprit car aucun grand homme ne doit oublier sa propre finitude. Mais elles ne sont que cela… »

Je retenais mon souffle.

« … Des graines. D’infimes graines. »

Mes yeux plongeaient dans les siens pour la première fois depuis que j’eu pris la parole. Je me penchais au-dessus de lui pour attraper ses mains et les amener au dessus de son visage pour les embrasser.

« Oui, ces mains ont ôté des vies. Je les aime tout autant. Plus peut-être même. Oui, tes camarades sont tombés au combat. Je les honore chaque jour. Ils sont morts pour défendre la liberté de notre peuple, pour défendre notre pouvoir et faire résonner le nom de Valyria dans le monde entier. Là était leur destin. Et ils l’ont réalisé. Tout comme tu réaliseras le tien. »

J’étais comme à bout de souffle, littéralement étranglée par l’émotion qui me submergeait. Sans prévenir je soulevais sa tête pour retirer mes jambes avant de la reposer contre le matelas et de me déplacer légèrement pour lui faire à nouveau face. A cheval sur lui je me saisissais de son visage, une main sur chaque joue, approchant mon visage du sien pour que nos yeux ne soient plus séparés par rien, que le monde disparaisse, qu’il n’y ait que nous.

« Ta mission, à présent, est de vivre. Tu m’entends ? De vivre entièrement, inconditionnellement. Les morts ne souffrent plus. Tu souffres car tu es vivant. C’est même cela qui nous définit. Mais je refuse que tu laisses les fantômes te voler à moi, nuit après nuit. Je refuse que tu les laisses te voler à toi-même. Alors tu vas prendre le temps dont tu as besoin. Tu vas retourner à Oros si tu en as besoin. Et tu vas nous revenir. Tu vas revenir, les deux pieds, dans le monde des vivants. Et nuit après nuit, tu balayeras les graines de discorde qui cherchent à te faire perdre l’esprit. »

Je collais mon front au sien.

« N’oublies pas que tu es mien, Maekar Tergaryon. Tu es mien comme je suis tienne. Et que je sois damnée si je laisse cette guerre me prendre ce qui est mien. Si tu sombres… Je sombre. Et je suis certaine que ce n’est pas ce que tu voudrais pour moi. »

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La plupart des valyriens pensaient que les premiers nés de chaque famille avaient la vie facile, le destin marqué dans la pierre depuis leur premier souffle en ce monde et, pendant longtemps, Maekar avait fait partie de ces personnes là. Il s'était imaginé que la vie de son aîné, Aenar, avait toujours été infiniment plus simple que la sienne car sa voie allait être pavé de richesses et de gloire à la tête de la famille, il avait même honte d'admettre qu'il l'avait longtemps jalousé pour avoir tout ce qui lui serait toujours refusé. Comme toujours il avait fait son possible pour enfouir ces sentiments tout au fond de son âme comme si c'était un crime de penser ainsi, un crime à son propre sang, mais son monde s'était retrouvé chamboulé le jour où il avait été amené devant le corps sans vie de l'homme qu'il avait longtemps envié.
Maekar était resté là, agenouillé devant cette dépouille pendant ce qui lui sembla être une éternité, laissant pour la première fois de sa vie la tristesse et le désespoir voler à travers lui, s'insinuer dans chaque pore de sa peau pour en retirer l'essence vitale car, pendant un court instant, il avait espéré que la douleur l'emporte lui aussi. En cet instant, seul dans cette tente, il avait souhaité  mourir et rejoindre son aîné de l'autre côté du voile afin de ne plus souffrir, mais la vie n'avait pas voulu lui accorder ce seul et unique vœu. Il avait continué à vivre, s'était relevé et, au fil des mois, à cette douleur étaient venues s'ajouter beaucoup d'autres comme si son destin était d'être continuellement testé, pour quantifier le nombre de morts qu'il pourrait supporter avant de se briser en un milliard de morceau.

Il ne s'était pas brisé et, pendant un instant, il avait cru pouvoir s'en sortir et reprendre sa vie en main, mais chaque nouvelle nuit fut un rappel constant de ce qu'il avait perdu. Ne pouvait-il donc pas oublier ? Ne pouvait-il pas faire table rase de ces quatre dernières années et recommencer à zéro, pour être l'homme qu on attendait de lui ? Il l'avait espéré pendant un long moment mais, maintenant qu'il avait eu sa discussion avec son père, Maekar réalisait que la vie de son aîné n'avait jamais été plus aisée que la sienne. Peut-être était-ce cette erreur de jugement qui le tenait encore éveillé la nuit, qui l'empêchait de lâcher prise et, pour une raison qu'il ne connaissait que trop bien, Maekar savait que cette nuit avait été plus compliquée et intense que toutes les autres.  Pourquoi ? Parce qu'il avait fait l'erreur d'espérer que tout se terminerait avec la guerre, qu'une fois les portes de Valyria passées tous ses démons resteraient derrière lui mais, en se levant en sueur, il sut que tout ceci n'était qu'un vœu pieu et naïf de l'enfant qu'il n'avait jamais été.

Et puis elle rentra, elle le vit dans son état de faiblesse le plus pur. Il avait bien essayé de la renvoyer de là où elle venait pour son propre bien, pour maintenir cette image du grand frère fort et digne qu'il s'efforçait d'ériger partout où il passait, mais il était trop tard pour faire machine arrière. Elle était là, chamboulée par cette vision d'une infinie faiblesse mais même toutes ces émotions ne parvinrent pas à la faire rebrousser chemin. Pourquoi ne s'enfuyait-elle pas ? Cela aurait été tellement plus simple pour elle, mais non, elle était toute aussi têtue que lui : il fallait se rendre  à l'évidence.


Telle une poupée entre les mains de son marionnettiste, le jeune homme se laissa attirer vers celle qui l'avait pris dans ses filets, jusqu'à ce que sa tête repose entre ces douces cuisses. Il n'y avait bien qu'avec elle qu'il se laissant faire aussi facilement et, déjà, lorsqu'il sentit les doigts de sa cadette tout contre sa peau, Maekar sentit une partie de ses démons desserrer leur emprise sur son cœur et son esprit. Pendant un instant le général trouva que sa sœur lui donnait trop de crédit concernant une force qu'il ignorait posséder, car il avait toujours cru que sa retenue signifiait qu'il ne possédait simplement pas le feu inhérent à tous mes autres valyriens mais, en fouillant dans sa tête, il trouva deux contre-arguments. Par deux fois dans sa vie il sentit un feu grandir en lui jusqu'à ce que cela en devienne horriblement douloureux : le jour où il perdit son frère, puis le jour où il passa Bhorash par le feu-dragon. Comment pouvait-il ignorer, dans ce cas, le feu et la force en lui ? Sans doute parce qu'il était trop modeste pour l'admettre, même ici.
Si elle avait raison sur un point, en revanche, ce fut sur le désir de son aîné se tracer sa propre voie et de ne pas être le fils de, le frère de, mais bien un guerrier à part entière. Il était difficile pour lui d'exprimer comment et quand il avait compris que la voie des armes était la sienne, encore maintenant il lui était difficile d'expliquer cette certitude, mais il le savait au plus profond de son âme. Il n'était pas le plus grand bretteur de l'histoire de son pays, pas le plus illustre général, mais il restait un homme solide, un roc que ni la tempête ni le sang ne feraient fuir ou défaillir.

De cela, au moins, il en était sûr.

« Ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de me plaindre, de toute façon. Pas avec ce qui m'attend, ce qui nous attend.  »

Ce qui les attendait ? La vie de sénateur puis la lutte pour qu'enfin leurs fiançailles soient enfin officialisées : telles furent les deux choses dans la tête du soldat. Bien sûr il chassa ces pensées pour la moment, se concentrant sur le discours sa belle et sur l'émotion poignant qui pouvait être lue dans ces prunelles. Voulait-il emporter sa dulcinée avec lui, dans les ténèbres de son esprit ? Voulait-il que cette corruption se répande jusqu'à elle ? La réponse fut claire et sans appel.

« Non, en effet. Ce n'est pas ce que je veux, pour toi. Jamais. »

Parce que le jeune homme que tu as connu et admiré est partiellement mort en même temps que son frère. Tels furent les mots que le général se refusa de formuler en cet instant, tâchant de luttaer contre ce sentiment de fatalité qui grandissait à présent en lui. Il n'avait jamais été homme à baisser les bras, même lorsque toutes les chances étaient contre lui alors pourquoi le ferait-il maintenant ? Pourquoi abandonnerait-il, à présent, alors que la guerre était enfin derrière lui et qu'il avait une chance de se...soigner ? Ce n'était pas son genre de se relâcher de cette façon, même à la faveur de la nuit, même lorsqu'il se sentait épuisé il continuait d'avancer alors pourquoi ce soir-là serait-il différent ? Il ne pouvait pas l'être, il ne devait pas l'être et, afin de remettre un peu d'ordre dans sa tête, Maekar ferma les yeux en sentant le front de sa belle contre le sien.
Comment pouvait-elle être infiniment plus douée que lui avec les mots ? Comment parvenait-elle à faire envoler ses doutes avec une telle aisance ? Il avait déjà la réponse, car ce n'était pas le sens des mots mais la personne qui les formulait qui était en cause, ici. Ces mots dans la bouche d'une autre femme auraient sonné creux, vide de toute substance, de toute passion mais dans la bouche de la belle Elaena ? Ses mots avaient toujours su s'insinuer au travers de la carapace du général et, lorsqu'elle lui rappelle qu'il  l'appartenait, le premier sourire franc de la soirée vint se dessiner sur le rude visage du soldat.

Elle avait entièrement raison. La vie de Maekar n'était pas la sienne, pas depuis qu'il était devenu un officier, pas depuis qu'il était devenu Sénateur et, surtout, pas depuis qu'il s'était autorisé à aimer sa sœur plus que de raison. Il ne pouvait donc plus se permettre de se laisser aller à ces...émotions. Souriant face aux propos de sa bien-aimée, l'homme déposa un doux baiser sur le front de sa sœur, tout en ajoutant sur un ton plus léger :

« Depuis quand es-tu devenue aussi sage ? Les leçons de Maegon semblent porter leurs fruits.  »

S'il recommençait à user de sa verve pour se moquer de sa sœur c'était toujours bon signe, signé qu'il était de nouveau lui-même. Elle le savait aussi bien que lui, après tout. Se redressant non sans effort, sentant son cœur se calmer enfin et ses muscles arrêtant enfin de trembler, le soldat vint se mettre en position assises, jambes croisées, avant que son regard ne se perde dans celui de la belle, juste en face de lui. Malgré ses efforts et sa discipline mentale il ne pouvait cesser de la regarder, cesser de l'admirer avec ses prunelles brûlant de plus d'amour et de désir qu'il ne pensait posséder et, ici, dans l'intimité de cette chambre, il aurait aimé que le temps s'arrête à nouveau. Une main absente vint se poser contre une joue de la demoiselle, la caressant, avant de passer délicatement dans ses cheveux sans que le général n'ait réellement conscience de son geste.
L'instinct, l'envie, le désir du cœur. Tout ceci à la fois.

Elle était belle, belle d'âme et de corps comme il aimait à le penser, parfois. Il resta là, une éternité, à la dévorer du regard jusqu'à ce qu'enfin il ose s'avancer, il osa déposer un autre baiser sur ces douces lèvres sucrés. Reposant enfin sa tête au creux de l'épaule de son aimée, Maekar s'autorisa enfin à vocaliser dans un murmure ce qu'il souhaitait réellement.


« Tu sais que j'adore me montrer égoïste mais...est-ce que tu penses que tu peux rester ici, cette nuit ?   »

Parce que j'ai désespérément besoin de toi, parce qu'il n'y a que dans tes bras que je comprends l'essence du mot « sérénité », parce que je veux pas me retrouver seul avec mes démons ce soir. Tels furent les mots que Maekar voulut formuler pour appuyer son propos, mais tous moururent avant d'avoir pu passer la barrière de ses dents. Il avait déjà du mal à vocaliser cette demande sans paraître horriblement égoïste, alors en détailler la raison ? Il ne pouvait envisager de le faire, pas pour le moment en tout cas, mais il espérait évidemment que sa sœur accepte.

Il avait été éloigné d'elle pendant trop longtemps. Plus jamais.
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« Ce n'est pas comme si je pouvais me permettre de me plaindre, de toute façon. Pas avec ce qui m'attend, ce qui nous attend. »

Je restais silencieuse, comme pour que ce silence vienne matérialiser la lourde responsabilité qui pesait sur nos épaules. Je n’avais encore pas eu l’opportunité d’évoquer ce retournement de situation avec Maekar, quelques mots lors de nos retrouvailles mais je savais le sujet sensible et l’homme prompt à culpabiliser. Je n’osais donc pas évoquer mes inquiétudes, mes doutes, du moins pas pour le moment. Je le connaissais comme je me connaissais moi-même, imparfaitement mais intimement, et je savais que ce retour à la vie civile n’était pas anodine pour lui. J’en avais la confirmation en cette nuit troublée. La culpabilité qui lui faisait perdre le sommeil était celle des vies perdues et gâchées par la guerre, des vies prises par sa propre main, et je me refusais à lui imposer la culpabilité du choix qu’il avait fait et pour lequel je le soutenais… A vrai dire, qu’importe les choix qu’il pouvait être amené à faire, je le soutiendrais toujours.

« Depuis quand es-tu devenue aussi sage ? Les leçons de Maegon semblent porter leurs fruits.  »

Il se relevait doucement, retrouvant visiblement de sa force car il donnait l’impression que le poids de mon corps sur le sien était à peine plus remarquable que celui d’un drap. Je laissais échapper un petit rire lorsque je me retrouvais secouée dans tous les sens pour lui permettre de s’asseoir et de croiser les jambes sous mes fesses. Sans doute aurais-je du m’éloigner, le laisser reprendre ses esprits, mais je ne parvenais pas à me détacher de lui, physiquement comme émotionnellement d’ailleurs. Alors, au lieu de lui laisser son espace, je croisais égoïstement les jambes dans son dos, et restais assise sur ses jambes à présent croisée, rapprochant nos poitrines.

« Je suis la sagesse même, Maekar Tergaryon. Il te faudra l’avoir en tête dans les années à venir. »

Sa main retrouvait ma joue, la caressant doucement, presque comme un geste réflexe, caressant par la suite mes cheveux, avant de retrouver mon dos dans le bas duquel son autre main, déjà, s’était déposée. Nos lèvres se rencontraient, dans un baiser qui tenait davantage du remède que de la rencontre de nos désirs. Nos retrouvailles avaient été passionnées, enflammées, dévorantes, ce baiser était de ceux dont on se nourrit pour se relever et reprendre son chemin lorsque tout nous semble perdu. Sans doute n’en avait-il aucune idée, mais c’était aussi vrai pour moi que pour lui. Si je ne l’avais pas relevée, choisissant à nouveau de ne pas diriger la discussion sur moi, la mention de notre cousin n’avait pas été sans effet. Comme je me sentais idiote lorsqu’il m’enseignait ce qu’il considérait comme la base et dont j’ignorais tout. Comme je me sentais faible lorsqu’il se levait pour me dominer de sa hauteur et m’inciter à travailler davantage. Comme je me sentais vulnérable, lorsqu’il mentionnait la perspective de mon entrée au Sénat et tout ce qui me manquait encore pour en faire un succès. Maegon était, dans l’ensemble, un jeune homme charmant, appréciant la fête et d’un caractère bien plus exubérant que celui de Maekar. Pourtant, il y avait également en lui un certain désir de revanche, une certaine luxure, un certain besoin de domination qui m’étouffaient un peu plus chaque jour.

La sensation du visage de mon frère dans mon cou faisait s’évanouir le fantôme de Maegon. Je fermais les yeux à mon tour, encerclant son cou de mes bras et caressant le haut de son crâne ainsi que le tracé de sa colonne vertébrale qui se dévoilait légèrement.

« Tu sais que j'adore me montrer égoïste mais...est-ce que tu penses que tu peux rester ici, cette nuit ?»

Mon visage s’éclairait d’un sourire tendre. Il ne pouvait le voir, mais une certaine émotion même était venue se loger dans mon regard alors que j’accueillais avec plaisir cette confession. Il avait besoin de moi. Il avait besoin de ma présence, au moins autant que j’avais besoin de la sienne. Il y avait quelque chose de vital à savoir que j’étais essentielle à un autre être humain. Ma personne transcendait le simple quotidien et la trivialité de mon existence, elle était devenue essentielle à une autre personne. C’était comme si, à l’image de nos corps, nos esprits et nos cœurs ne pouvaient être entiers que s’ils étaient enlacés, entremêlés, nourris par l’un et l’autre. C’était aussi gratifiant qu’effrayant. C’était une vulnérabilité extrême. Dépendre à ce point d’un autre était se placer dans une extrême instabilité, oscillant entre le bonheur presque divin de se voir complété par l’autre, et l’angoisse infinie de se retrouver un jour privé de l’autre… A jamais incomplet.

Avec la même aisance que sa main lorsqu’elle avait trouvé ma joue, mes lèvres trouvaient le lobe de son oreille, que j’embrassais, avant de chuchoter, comme pour renforcer encore un peu l’écosystème clos que nous formions tous deux.

« J'ai cru que tu ne me le demanderais jamais ! Merci de me laisser rester. Je ne pourrais dormir si je devais partir d’ici. »

Ses yeux retrouvaient les miens, et mes lèvres s’étiraient en un sourire amusé. Par ma formulation, je lui ôtais tout soupçon d’égoïsme, lui conférant même le rôle de héros protecteur de mon sommeil. Sans doute était-ce là une vérité évidente, il avait été mon héros avant d’être celui de Valyria. Mes lèvres s’emparaient des siennes, comme pour effacer ces pensées mièvres et replacer le défi au cœur de nos échanges. Je détestais ces couples idiots où aucune résistance n’existait, où finalement l’amour était parvenu à faire fondre les esprits et les cœurs au point de les rendre dégoutants de mièvrerie. Je rompais notre baiser pour reprendre mon souffle, collant avec vigueur mon front au sien, une main sur le dos de sa tête pour la maintenir.

« Bien qu’il ne soit pas dit que je puisse dormir en restant ici non plus. »

Je souriais d’un air malicieux, ne relâchant pas la pression de ma main sur sa tête, de mon front contre le sien, à présent du bout de mon nez contre le bout du sien.  

« … Quoique. Il ne faudrait pas que tu t’imagines ne plus rien avoir à conquérir. Saches qu’il te faudra me conquérir chaque nuit de notre vie… Faire de moi ton alliée. Ou chercher à me soumettre. Selon mon humeur… Général. »

Cela aurait été un mensonge de prétendre que je n’essayais pas de fuir mes propres peurs par ce petit jeu auquel nous excellions. Maekar avait évoqué les défis qui nous attendaient. Il avait convoqué l'image de Maegon et mon cousin, par ses exigences et son attitude envers moi, symbolisait presque l’inéluctabilité de mon propre échec. Pendant un long moment, de nombreux indices m’indiquèrent que ma stratégie avait été gagnante, je le sentais réceptif, plus que réceptif d’ailleurs. Pourtant, si je devais être tout à fait honnête, j’avais davantage besoin de son écoute, de son soutien, que de cette rencontre physique que nos corps, pourtant, réclamaient à grands cris. Comme s’il le sentait, il restait immobile, ne donnant pas de suites – tout du moins de suites physiques - à ma provocation.

Je le libérais de mon emprise sur sa tête, laissant nos fronts se détacher lentement, et mes yeux se fermer au même rythme. J’avais besoin de lui parler, pourquoi dès lors en avais-je si peur ? Avais-je réellement peur de le rendre vulnérable face à la culpabilité ou bien avais-je peur de me mettre moi dans une situation de vulnérabilité ? Et si je ne le faisais guère avec lui, alors qui ? Je restais un long moment ainsi, les yeux fermés, mon corps contre le sien, mais l’esprit si loin. Je savais qu’il me regardait. Je savais qu’il comprenait que quelque chose n’allait pas, que je tentais de mobiliser mes forces pour dépasser cette attitude provocante et me mettre à nu face à lui. Embarrassée par mon incapacité à dépasser mes émotions et à ne pas lui voler son moment, je rouvrais les yeux, à présent rendus brillants par l’émotion, et détachais finalement mes bras de son cou pour porter mes mains à mon visage, le dissimulant à ses yeux.

« Je suis ridicule. Et égoïste. Tu as besoin de moi. Tu souffres. Et voilà que je ne peux résister à la pression de me remettre au centre de l’attention par cette… »

Je soupirais, incapable de mettre les mots sur la nature des émotions qui m’obstruaient la gorge.

« J’ai l’impression que le simple fait d’être là, dans tes bras, fissure les hauts remparts que j’ai tenté de construire autour de mes émotions. »

Après un court silence, je retirais mes mains de mon visage, effaçant à la hâte les quelques larmes qui s’étaient écoulées et laissant échapper un rictus embarrassé.

« Par Tessarion, quelle poétesse… Ridicule et lyrique ! Autant dire tout un spectacle pour mes futurs camarades sénateurs. Maegon a raison, à défaut d’être qualifiée je pourrai toujours compter sur ma faiblesse féminine. »

Je détournais le visage sur le côté, dissimulant la peine que Maekar n’aurait aucun mal à lire sur mes traits.

« Ne prête pas attention à mon hystérie… Reprenons… Il me semble que nous parlions de conquête. »

Je savais qu’il comprendrait. Il verrait que tout cela n’avait pour seul but que de détourner son attention, de faire oublier les larmes que je n’avais pu retenir. Alors je refermais mes bras autour de son cou, et me jetais littéralement sur lui. Tentative désespérée de ne pas soulever de questions plus profondes, d’oublier moi-même les pensées qui me torturaient nuit et jour, de ne pas alourdir son fardeau du mien. Peut-être arriverais-je à détourner son attention avec une proposition que son corps ne pourrait refuser. Idiot ? Sans doute. Mais je me jetais à corps perdu dans cette tentative. Portant rapidement ma main à son entre-jambes, emprisonnant sa langue entre mes lèvres, avec vigueur, avec désespoir, avec empressement… Avec pour objectif de noyer ma peur en lui. D’éviter ses questions. D’éviter ses regards. De ne pas plonger davantage dans un désespoir que je n’avais encore osé avouer à quiconque… et que je refusais peut-être même de m’avouer.

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La plupart de soldat pourraient vous dire que cette guerre avait été la pire expérience de leur vie, celle qui avait su les pousser jusqu'aux limites de leur humanité en magnifiant la soif de sang, la terreur, la rage et le désespoir jusqu'à un niveau inégalé, lacérant leur âme jusqu'à ce que cette dernière soit méconnaissable. En effet, si beaucoup de valyriens étaient fiers de leurs traditions guerrières, de leurs dragons ou de leurs talents à l'épée, il y avait tout un monde entre des passes d'armes avec un instructeur et l'horrible rappel à la réalité, lorsque les douces fragrances de leurs jardins étaient remplacés par l'odeur métallique du sang et les cris de leurs camarades en détresse. Mais en vérité l'événement le plus improbablement difficile de la vie de celui qui était nommé le Téméraire fut le jour où un messager vint lui remettre ce parchemin, ce simple parchemin qui allait le contraindre à faire le choix le plus difficile de sa vie.
Tout d'abord le Tergaryon crut que ses yeux lui jetaient un bien vilain tour puis, après une seconde et une troisième lecture des mots couchés sur papier, il s'écroula sur sa couche au moment où le monde entier vint écraser ses deux larges épaules. Il avait aimé la simplicité et la pureté de la guerre mais, maintenant que celle-ci touchait à sa fin, il était désormais face à un choix entre deux champs de bataille : le premier serait aisé et il n'aurait qu'à tendre les bras pour l'atteindre, mais il n'en retirerait aucune satisfaction, tandis que l'aurtre serait plus ardu, plus gratifiant, mais Ô combien plus solitaire. Tous auraient choisi la voie de la facilité, argumentant qu'après quatre années de sacrifices ils avaient bien mérité cette juste récompense, mais depuis quand Maekar était-il du genre à penser mériter quoi que ce soit ? Toute sa vie s'était déroulée dans l'ombre d'un autre, il avait dû redoubler d'efforts pour être au moins à moitié à la hauteur et, du jour au lendemain, il devait accepter que tout pourrait lui être offert s'il disait juste...oui ? Son esprit et son âmes n'avaient jamais été préparés à la facilité, à la simplicité, à la richesse ou à une vie de pouvoir, alors comment pouvait-il simplement accepter et pouvoir encore se regarder dans le miroir ? Ses camarades étaient-ils tous tombés pour qu'il puisse avoir la belle vie, et venir remplir les coffres déjà bien remplis de sa famille ? Cette vie de luxe n'avait jamais été la sienne, il ne l'avait jamais voulu et personne n'avait souhaité la lui donner mais, à présent, il avait le choix de repartir à zéro et faire les choses à sa manière.

Alors pourquoi se sentait-il coupable, si mal, si inconfortable à cette idée ? La raison était devant lui, juste devant lui.

Le soldat n'avait jamais été du genre à se mettre en avant mais, maintenant qu'il osait enfin le faire, il était sur le point de perdre la seule personne à laquelle il tenait vraiment. Pouvait-il lui en parler ? Pas encore, c'était trop tôt car, pour le moment, tout ce qu'il avait en tête était une pelletée d'excuses pour le changement qu'il venait d'apporter brutalement dans la vie de la belle. Au lieu de cela il se cacha donc derrière l'humour pour masquer son inconfort comme il savait si bien le faire et, lorsque la jeune Elaena y répondit avec brio, Maekar ne put s'empêcher de sourire en renchérissant avec :

« Es-tu sûre que je n'ai été absent que quatre ans ? J'ai l'impression d'avoir raté une décennie entière.   »

Ils étaient amoureux l'un de l'autre, cela crevait les yeux mais, contrairement aux autres couples, ils n'avaient pas laissés l'amour les aveugles ou les transformer en deux personnes qu'ils ne pourraient reconnaître, à la fin de la journée. Ils étaient restés eux-mêmes envers et contre tout mais, de temps en temps, tous deux user de leurs petites joutes verbales habituelles pour changer de sujet ou bien masquer leur inconfort passager, comme ici. La demoiselle tenta même de profiter de ce rapprochement physique pour mettre quelques idées dans la tête de son frère et, avec amusement, ce dernier sourit de nouveau en répondant :

« Un jour, un défi ?  Je n'imaginais pas les choses autrement, de toute façon. »

Il n'était pas homme à considérer les femmes comme des objets à même d'évacuer ses pulsions animales, non, il aimait et désirait avec la plus dévorante des passions ce qui faisait de lui le meilleur des amants, assurément, mais s'il y avait bien une femme qu'il désirait plus que toutes les autres réunies c'était celle qui se trouvait juste devant lui, proche, beaucoup trop proche pour qu'il parvienne à garder son esprit alerte. Cela semblait être aussi le cas de la demoiselle qui, envers et contre tout, semblait avoir toutes les difficultés à masquer ses émotions. Était-ce  parce qu'il avait évoqué les épreuves à venir ? Cela en avait tout l'air en tout cas et, lorsque la Tergaryon tenta de s'excuser pour ce moment émotionnel passager, alors que Maekar était au plus mal quelques instants plus tôt, ce dernier enfonça au fond de sa gorge le trouble qui le martelait encore pour se concentrer sur sa sœur. Posant une main sous le menton de la demoiselle pour qu'elle soutienne son regard, le guerrier lui répondit avec douceur :

«  Qu'est-ce que tu racontes ? Je préfère cent fois m'occuper de toi que de batailler mes propres démons. S'il y a bien une personne avec qui tu as le droit voire même l'obligation d'être égoïste, c'est moi. D'accord ?   »

Maekar détestait peut-être tirer la couverture à lui seul et demander de l'attention, cela n'avait jamais qui il était, mais donner toute son attention  à sa sœur ? Cela relevait plus de l'instinct, de l'évidence qu'autre chose. Elle était son monde après tout, la seule raison pour laquelle il n'était pas revenu de la guerre totalement brisé. Aussi, lorsqu'il fut mention de Maegon, son cousin qui pensait que Elaena n'était pas qualifiée pour le poste qu'ele allait occuper, le visage de Maekar se ferma brutalement et une réponse sèche se fit entendre.

« Maegon est un idiot et, s'il te rabaisse encore une fois de la sorte, je lui fais manger ses dents. »

Il était de notoriété commune que les deux cousins ne s'entendaient pas plus que cela et la guerre n'avait fait que creuser cet écart entre les deux hommes, aussi Maekar n'était-il pas à l'aise à l'idée de laisser l'éducation de sa sœur entre les mains de cet...idiot, pour rester poli. Mais avait-il seulement le choix ? Non, plus depuis qu'il avait forcé la main de sa sœur et de son père en faisant un choix que bien peu de personnes comprenaient. En parlant de choix, justement, plutôt que de se laisser aller à ses émotions la demoiselle tenta de détourner le regard, puis de se ruer sur son frère afin de retrouver la même intensité que leurs retrouvailles, quelques jours plus tôt. Le guerrier sentit un feu grandit en lui, voulut y céder, s'y abandonner pour oublier tout le reste, pour oublier ses propres démons mais, comme d'habitude, son inquiétude pour sa sœur surpassait tout le reste. À regret, il posa donc ses deux mains autour des épaules de la belle, pour l'inciter à stopper ce qu'elle tentait d'entreprendre, car il savait mieux que personne que repousser un démon ne signifiait pas s'en débrarasser pour autant.

« Hey, hey, hey ! Attends, un peu. »

Maekar était un homme de passion, même si celle-ci n'était pas visible au premier regard. Il pourrait mourir de désir pour la femme en face de lui si une telle chose était possible, rien ne semblait pouvoir freiner ses pulsions sauf le fait de voir la femme de sa vie dans une détresse qu'elle tâchait de réduire au silence. Il avait ouvert la porte en parlant des épreuves à venir, en la laissant le voir ainsi brisé au cœur de la nuit, aussi était-ce de sa responsabilité de crever l'bacès et d'apaiser l'esprit de sa sœur. Pourquoi ? Parce que, tout comme lui, elle n'avait jamais été préparée à l'option qui venait de lui être présentée mais, contrairement à son frère, elle n'avait pas eut quatre années de dur labeur pour se forger une carapace à même d'encaisser le poids de cette responsabilité.

«  Regarde-moi. »

Soutenant toujours le regard de sa sœur, l'homme s'avança et posa son front contre celui de son aimée, en lui susurrant :

« Seuls les dieux savent de quoi sera fait notre avenir, aussi je ne peux pas te garantir que tout ira bien, sans obstacle. En revanche, si je peux te promettre quelque chose, c'est que je ne laisserai rien t'arriver. D'accord ? »

Il pouvait être déshonoré, renié, radié des rangs de l'armée, on pouvait lui retirer son titre de Sénateur et il se relèverait encore mais, apprendre qu'il serait arrivé quelque chose à sa muse devant lui ? Non, cette idée lui était tout bonnement insupportable, car elle était principalement la seule raison pour laquelle il se levait encore, le matin. S'écartant de la demoiselle, le jeune homme se redressa quelque peu sur le lit, passant derrière la demoiselle avant de l'entourer de ses jambes et ses bras, formant une barrière protectrice pour matérialiser son désir de la protéger. Il resta là, silencieux un moment, laissant sa tête reposer contre l'une des épaules de celle qui partageait ses pensées et sa vie, avant de lui souffler :

« Tu es la femme la plus capable que je connaisse. Je n'aurai jamais fait ce choix si je ne t'avais pas su à la hauteur. Tu as Père pour te conseiller, et moi pour te soutenir : tout ira bien. »

Maekar était un très mauvais menteur, voilà pourquoi il se murait dans une certaine retenue la plupart du temps plutôt que de concocter des mensonges éhontés. Aussi Elaenar devait-elle savoir que chaque parole de son frère était sincère, mûrement réfléchie. Certes il aurait pu parler de la culpabilité qu'il ressentait et qui était toujours vivement présente mais, pour l'heure, il essaya simplement de rassurer la belle en déposant un doux baiser sur sa joue, reposant de nouveau la tête sur son épaule, avant de lui murmure :

« Maintenant parle-moi, je suis là. »
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« Hey, hey, hey ! Attends, un peu. »

Ses mains recouvraient mes épaules et déjà nos lèvres se quittaient à regret. J’avais beau utilisé le désir comme exutoire, il n’en était pas moins bouleversant. Il y avait quelque chose d’inexplicable entre nous, un quelque chose qui rendait hors du commun le moindre contact de nos corps. Alors qu’il me repoussait légèrement pour confronter mon regard, Maekar me prouvait que ce quelque chose ne liait pas seulement nos corps mais également nos esprits. Il avait su, immédiatement, que le désir seul n’avait dirigé mon corps et il avait compris que j’avais besoin de lui. Je regrettais pourtant de m’être laissé aller à lui en donner les indices. Que pouvais-je bien lui dire ? Il avait connu la guerre et la mort. Il avait cotoyé des hommes qui n’étaient plus aujourd’hui et devait vivre avec. De quel droit aurais-je pu lui imposer mes terreurs d’enfant gâtée alors même que j’avais été protégée de toutes les horreurs qui le hantaient ? La chaleur du désir avait bien rapidement laissé place à la sensation de froid qui ne m’avait plus quitté depuis mon départ d’Oros et le début de mes obligations d’héritière.

«  Regarde-moi. »

Je rendais les armes, ancrant mon regard au sien comme pour y puiser l’oxygène que mon corps ne parvenait plus à obtenir de manière naturelle. Il déposait son front sur le mien, et déjà je relâchais son regard, fermant les yeux pour lutter contre l’émotion qui faisait vaciller.

La leçon avec Maegon avait été particulièrement difficile, la journée avait été longue, et la détresse de Maekar m’avait largement ébranlée. Peut-être étaient-ce là des raisons suffisantes pour expliquer la vulnérabilité et la fragilité qui transparaissaient dans ce regard que je cherchais à dissimuler. Pourtant, il y avait bien plus. Beaucoup de choses que Maekar ne voyait peut-être pas, que je n’osais avouer de peur de le heurter.

« Seuls les dieux savent de quoi sera fait notre avenir, aussi je ne peux pas te garantir que tout ira bien, sans obstacle. En revanche, si je peux te promettre quelque chose, c'est que je ne laisserai rien t'arriver. D'accord ? »

Mon front toujours contre le sien, j’ouvrais les yeux pour finalement laisser s’échapper quelques larmes discrètes, visibles seulement par la faible lumière de l’astre qui perçait le ciel obscure et s’y reflétait légèrement.

« Je le sais… »

Un murmure, à peine, rendu audible par le fait que nous étions plongés dans le silence et l’obscurité nocturnes, mais étranglé par ma gorge serré et l’effort que j’investissais pour ne pas craquer. Il s’écartait finalement pour se placer derrière moi, et c’était un véritable soulagement car lui faire face était devenu une épreuve. Je refermais les yeux, et sentais ses bras et ses jambes se refermer autour de mon corps. Je me blottissais avec soulagement dans ce cocon qu’il créait pour moi. J’aurais volontiers céder richesses et avenir pour simplement rester ainsi. Que le monde disparaisse et qu’il ne reste que nous. Voilà ce que je souhaitais. Tout pouvait disparaître, absolument tout, si seulement nous pouvions n’être que tous les deux, et moi au creux de son corps comme nous l’étions ainsi.

« Tu es la femme la plus capable que je connaisse. Je n'aurai jamais fait ce choix si je ne t'avais pas su à la hauteur. Tu as Père pour te conseiller, et moi pour te soutenir : tout ira bien. Maintenant parle-moi, je suis là. »

Sa tête dans le creux de mon épaule, et déjà je tentais de calquer mon souffle sur le sien, dont la brise venait caresser ma peau et jouer avec mes cheveux. Je pouvais sentir les battements de son cœur, apaisés à présent. Quelques mèches de ses cheveux se nichaient dans mon cou, d’autres venaient chatouiller mon épaule, comme l’herbe folle vous caresse lorsque, allongés en son sein, vous ne faites plus qu’un avec ce qui vous entoure. Le simple fait d’être là, ainsi, de ne faire plus qu’un, suffisait à apaiser un instant mon esprit affolé. Pourtant je savais que ça ne durerait pas. Il faudrait quitter son étreinte, affronter le matin et alors reviendrait à nouveau le tourbillon qui m’avait emportée et menaçait de me faire m’effondrer.

« Mais là est tout le drame, Maekar. Je ne suis pas capable. »

Je déposais mes bras sur les siens, le poussant à m’étreindre plus fortement, à ne laisser aucun espace vide entre nous. Je savais qu’il essaierait de renchérir, instinctivement, de me rassurer, alors je me forçais à ne pas laisser le silence retomber trop longtemps, même si parler était devenu une épreuve.

« Je suis une femme propulsée dans un monde d’homme. Une femme à laquelle, toute sa vie, on a répété que sa valeur se mesurait à la reconnaissance de sa beauté, à la richesse de ses atours, et à la discrétion de ses avis. J’ai été élevée pour être une image silencieuse, et voilà qu’il me faut à présent trouver une voix… »

Je m’interrompais, laissant un petit rictus m’échapper.

« … Trouver une voix. Non finalement. Père et Maegon se chargent des idées, sans doute serait-il suffisant pour moi de les répéter bêtement. »

Soupirant, je balançais ma tête vers l’arrière pour qu’elle repose, symétriquement, sur l’épaule de Maekar, et que nos joues se rejoignent.

« Il aura fallu plus de vingt ans à notre père pour se départir de l’idée que j’étais une idiote. Je ne me considère pas comme telle, attention. Mais il attend à présent de moi que je sois incollable sur l’histoire du continent et au-delà, la Marine, la stratégie militaire, le système économique, l’exhaustivité des échanges commerciaux, les enjeux commerciaux associés, le système politique et les intrigues entre familles… »

Je laissais échapper un rire ironique.

« … Et cela entre les mains de Maegon. Un homme qui, si je me fie à son attitude, n’a accepté à s’abaisser à éduquer une femme que pour l’opportunité de la traiter comme une moins que rien… Ou mieux, la maintenir dans son rôle de jolie image silencieuse. Il me traite parfois avec douceur, jovialité, et dans ces moments-là je crois retrouver celui que nous avons connu et que beaucoup connaissent comme un jeune homme avide de fêtes et de réjouissances. La seconde suivante, comme s’il était habité d’une autre personnalité, le voilà qui me reproche de ne pas être attentive, de n’être préoccupée que par des choses futiles, ou par toi. »

Je relevais la tête et déposais mes mains sur les jambes de Maekar qui m’encerclaient.

« Il n’y a bien que toi pour croire en moi. Moi-même je ne peux que contempler le chemin qui me reste à parcourir si je veux un jour être à la hauteur. »

Je restais un instant silencieuse, redoutant que ma prochaine phrase ne heurte mon frère. Nous nous étions pourtant promis de tout nous dire, de ne jamais nous mentir, de ne jamais laisser le secret gangrener ce que nous avions. Alors je laissais couler les larmes en silence, il ne pouvait les voir mais ma voix, alors que je reprenais la parole, avait suffi à me trahir.

« Je dédie ma vie à ce chemin. Je travaille tant pour faire honneur à nos parents, à notre famille et notre nom. Pourtant je les vois… tous… ceux qui estiment que ma place n’est pas au Sénat mais au sein d’un foyer, aux pieds d’un époux, je les entends réprouver la décision de Père… Et parfois… »

Je délaissais l’une de ses jambes pour porter ma main jusqu’à mon visage et en essuyer les larmes qui continuaient à s’y aventurer timidement.

« … Parfois je m’autorise à en rêver. Être ton épouse. Ton épouse et seulement cela. Pas de Sénat, pas d’insurmontable héritage… Avoir comme unique devoir celui d’être ton épouse. Cela n’aurait pas été sans défi, tu peux être tout simplement ingérable… »

Cette fois je riais de bon cœur, essuyant à nouveau à la hâte quelques larmes avant d’étreindre ses bras pour lui signifier ma tendresse.

« … Mais j’aurais été heureuse. Maintenant il me semble que tant de montagnes se dressent entre nous. Père, le Sénat, l’armée… J’ai peur pour toi. Que le Sénat te dévore. J’ai peur pour moi. J’ai peur que, n’ayant pas été préparés, nous nous retrouvions… écrasés. Et j’ai peur de devoir faire tout cela sans toi. »

Dans un geste lent et maîtrisé je dénouais ses jambes et ses bras, profitant de la lenteur de mes mouvements pour caresser sa peau, embrasser ses mains alors que je me retournais finalement pour lui faire face et que je déposais ces dernières sur le bas de mon dos. Alors je nichais mon visage dans son cou et entourait sa poitrine de mes bras pour laisser au silence suffisamment d’espace. Un silence utile bien que pesant car l’évocation d’une éventualité redoutable.

« Je ne veux rien faire de tout cela si tu n’es pas là. Je ne veux rien du tout si tu n’es pas là… »

La lecture des flammes me revenait alors en mémoire. Une prédiction mystérieuse, parlant d’un destin dont je ne savais rien et d’un chemin tracé par nos Dieux mais dont j’ignorais tout également.

« Elle parle de destin choisi pour moi par les Dieux… Un chemin qu’il me faut suivre et dont dépendrait le sort de notre famille… Et si ce destin ne t’incluait pas ? Comment pourrais-je seulement envisager de continuer un chemin où tu ne serais pas ? Et pourquoi tout est si… compliqué ? Que pourrais-je savoir de ce fameux chemin tracé par les Dieux ? Comment l’avenir de notre famille pourrait-il résider uniquement sur mes épaules ? A moi ! »

Perdue dans mes pensées, je ne prenais pas le temps d'expliquer à Maekar de quoi je parlais. Je me levais du lit, commençant à faire les cent pas à mesure que ma pensée s’emballait, que mon émotion prenait le dessus et que l’angoisse me serrait la gorge et l’estomac.

« Voilà ! Tu voulais que je parle ! Voilà ce qui obnubile mon esprit nuit et jour ! Des questions sans réponse. D’obscures menaces. Et la peur. Toujours la peur. Et le doute !  Sur tout, tout le temps, et surtout sur moi. Je suis fatiguée. Je n’ai plus aucune maîtrise sur ma vie ou mon avenir. Et quatre ans… Quatre ans sans toi… Et la promesse qu’à ton retour, enfin, enfin nous pourrions nous unir… Pour finalement attendre, encore et toujours ! Alors serait-ce cela le fameux destin dicté par les Dieux ?! Devoir se battre quotidiennement pour être quelque chose que je ne veux même pas être ? Et le faire aux côtés d’un autre homme que celui que mon cœur aurait choisi ? Et bien si c’est cela je n’en veux pas ! Je ne veux pas de ce destin-là ! »  

Ma voix s’était élevée continuellement à mesure que sortaient des mots que je ne maîtrisais plus. Je ne parlais plus finalement uniquement à Maekar, je me parlais à moi-même, je laissais enfin s'exprimer toutes les angoisses et la peine que j'avais du contenir depuis de longues semaines. Je n'avais pas osé m'avouer à moi-même tout cela, et le fait de m'ouvrir à Maekar avait finalement laissé place à une réaction incontrôlable, due principalement à la pression considérable déposée sur mes épaules. D’un geste rageur j’avais balayé de la main la carafe qui contenait encore un petit peu de vin. Le fracas du cristal qui se brisait au sol me ramenait à moi-même et, prenant conscience de l’excès de ma réaction, j’ouvrais la bouche avec un air de choc et de honte sur le visage.

« Pardonnes-moi… Pardonnes-moi, je deviens folle… Je t’en supplie pardonne mon emportement, oublie le si tu le peux… »

Je me jetais au sol pour rassembler les morceaux de verre à la hâte, tentant d’effacer les preuves de mon emportement aussi vite que celui-ci était apparu. Dans ma hâte je me coupais légèrement le doigt, et je le portais à ma bouche pour apaiser la douleur légère mais piquante.

« Je suis désolée… Je n’aurais pas du dire tout cela… Je suis désolée… Tellement désolée… »


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Les rares qui avaient la chance – ou malchance – d'avoir échangé quelques mots avec Maekar pourraient prendre cet homme pour un savant, toujours capable du meilleur mot dans chaque situation possible mais, en vérité, il n'était pas plus intelligent que n'importe quel homme de son âge. Qu'est-ce qui pouvait donc le distinguer du reste, le sortir du lot ? Certes il avait une intelligence militaire mais l'utilité de celle-ci s'en trouvait amoindrie en temps de paix, comme depuis son retour, alors comment faisait-il pour donner le change ? Il n'était pas plus malin qu'un autre, il avait simplement appris à garder sa langue dans sa bouche et la tourner sept fois à l'intérieur avant de parler, pour lui laisser le temps de la réflexion plutôt que de sortir les premières pensées présentes dans sa tête. Bien entendu sa personnalité assez discrète avait grandement aidé dans la mise en place d'un tel mode de pensée, il ne fallait pas le cacher, mais il remerciait aujourd'hui ses précepteurs de l'avoir poussé à agir de cette façon.
Bien entendu tout mode de vie comportait ses défauts et celui-ci ne faisait pas exception à la règle. La plupart des valyriens apprenaient à vivre de leur passion, à travers le feu qui brûlait dans leur âme tandis que Maekar, lui, avait appris à le réprimer pour rester le plus calme possible. Sur le papier cela avait son utilité, surtout au cœur de la bataille par exemple, mais le problème était qu'à force de réprimer ce feu il en avait perdu sa capacité à le contrôler. Aussi, lorsque la coupe était pleine et que ses barrières s'effondraient une à une, le général choisissait de s'isoler pour laisser exploser sa colère, sa rage, sa tristesse ou son désespoir loin des oreilles indiscrètes : y compris celles de sa sœur. Pourquoi y repensait-il  ici? Parce que si la récente discussion avec son géniteur avait réussi à émousser son optimisme en l'avenir qu'il allait s'efforcer de forger, le cauchemar qu'il venait d'avoir venait de mettre à mal – lui aussi – le maintien pour lequel le soldat était connu.

Il aurait voulu que la demoiselle dans ses bras puisse avoir le temps de grandir, de s'épanouir, de connaître une vie douce et heureuse mais, lorsque l'aîné des Tergaryons entendit son aimée se dévolariser, son cœur se serra un peu plus en même temps que sa mâchoire. Pourquoi ? Parce qu'il savait qu'elle n'était effectivement pas capable, pas encore en tout cas car elle devait rattraper en un minimum de temps ce qu'elle aurait toute une vie pour apprendre mais surtout parce qu'il se savait être la raison première de ces douloureux mots.

Elle était une femme propulsée dans un monde d'hommes et devrait donc redoubler d'efforts pour avoir la même crédibilité que les autres, pour être écoutée au même titre que ses collègues masculins, c'était l'évidence-même, mais ce fut le morceau suivant qui crispa davantage le jeune homme. Répéter ce qu'on lui conseillait, était-ce cela son plan génial pour se faire accepter ? Maekar ne pouvait et ne voulait dire à sa sœur quoi dire ou comment se comporter, assurément pas, mais comment pouvait-il rester silencieux face à un constat d'une telle tristesse ? Fort heureusement il n'eut pas l'occasion de réagir et rebondir sur le sujet, car déjà la belle enchaînait sur la liste des connaissances qui étaient attendues d'elle, avant de mettre en lumière le caractère de Maegon que son cousin avait toujours eu du mal à cerner. Que cherchait-il à accomplir, au fond, en alternant le feu et la glace ? Encore une question pour laquelle le général n'avait aucune réponse, mais qu'il fut contraint de laisser de côté, une fois de plus, lorsque la demoiselle affirma que son frère était le seul à croire en elle.

Était-ce la peine qui la rendait aveugle à la vérité ? Aveugle au fait qu'elle était dans le faux et qu'elle ne voulait pas le voir ? Le père de famille avait beau ne pas être un modèle d'amabilité, il n'aurait pas confié le futur de sa famille à une personne s'il pensait que cela réduirait son héritage en lambeaux. Elaena n'y voyait peut-être pas assez clair pour s'en rendre compte mais son frère, lui, n'en avait que trop fait les frais pour l'ignorer.

Puis vint enfin la craquelure, la brisure de trou, le trou dans la barrière de Maekar qui força ce dernier à forcer les yeux alors que son cœur manquait un battement, un simple battement à l'écoute du vœu simple et pur de sa sœur. Ne réalisait-elle pas qu'il partageait le même ? Qu'il aurait abandonné gloire et richesse pour être simplement son mari  et rien d'autre ? Qu'il ne voulait pas de ce chemin lumineux dont lui parlait cette prophétie si cela signifiait être sans elle ? Sentant son cœur se serrer davantage, Maekar se força à garder les yeux fermés pour masquerla profonde tristesse qui s'y reflétait, jusqu'à ce que sa muse évoque ce qu'il supposait être sa propre prophétie.
Pourquoi est-ce cela lui arrivait, à elle ? Pas à cause des Dieux, non, mais à cause de l'homme à qui elle avait décidé de donner son cœur. Ni plus, ni moins.

Puis vint le moment où la tempête éclata mais, cette fois-ci le brasier ne naquit pas au sein de l'âme du soldat mais de celle de sa sœur qui, venant d'ouvrir la boîte de Pandore, vocalisa toutes les émotions qui faisaient rage dans sa tête. Peur, doute, perte de contrôle, frustration, fatigue, aucune ne manqua à l'appel et, devant cette tempête, Maekar fit ce qu'il savait faire le même : tenir bon. Il resta un instant là, silencieux, immobile sur son lit, la mâchoire et les poings serrés, les épaules tendues, jusqu'à ce que le bruit de verre brisé ne le sorte de sa torpeur. Son esprit devint blanc l'espace d'un instant en voyant le sang de sa belle couler et, d'un bond, Maekar se leva de son lit et déchira un morceau de ses draps à mains nues, pour en entourer le doigt de sa sœur, avant de l'amener délicatement à s'asseoir au bord du lit.
Il ne pouvait être silencieux avec elle, il n'avait jamais l'être mais aujourd'hui il se força à l'être car les mots qu'il avait en tête ne devaient être entendus par personne. Au lieu de cela il vint chercher une serviette dont il entoura sa taille, pour cacher sa nudité, avant de ramasser les morceaux  de verre et les poser sur la première table venue. Il resta là immobile, tout contre la table, le dos tourné vers sa belle alors qu'il s'efforçait à faire le ménage dans son esprit.

Que pouvait-il dire qu'il ne s'était pas répété un millier de fois ? Un pas après l'autre, d'une démarche lente le jeune homme vint s'asseoir sur une chaise devant lui, tournée pratiquement totalement en direction du lit où se trouvait sa sœur et, enfin, il laissa échapper un profond soupir en s'autorisant à ouvrir les yeux. Que pourrait y voir sa sœur ? Une tristesse plus profonde que les abysses glacées qui bordaient le pays où ils étaient nés, une évidente dose de regret que tous les mots du monde n'auraient pu retranscrire fidèlement et, enfin, au bord de ses prunelles, on pouvait y deviner un profond dégoût de soi au regard de l'impact de ses égoïstes décisions. Bientôt il passa une main absente devant son visage pour masquer cette lueur qu'il ne pouvait se permettre de montrer, surtout pas quand son aimée était dans un tel état de détresse.

Il resta donc là un instant, immobile, se faisant violence pour retrouver le maintien qui était le sien, enfonçant ses démons au plus profonde sa gorge, avant de passer sa main absente sur son visage et retrouver une expression sérieuse, comme s'il n'avait pas failli craquer quelques secondes plus tôt.


« Tu n'as pas à t'excuser de dire ce que tu ressens. Je t'ai mise dans une situation impossible et... »

Et quoi ? Et il donnerait tout pour revenir en arrière, mais il savait ce choix impossible, à présent ? Et il ne pouvait pas se détester davantage qu'en cet instant ? Ces deux idées moururent avant d'avoir passé le seuil de sa gorge, car elles n'aideraient en rien. Il tut donc cette idée et prit une inspiration, remontant son regard vers la belle, un regard bien plus sérieux qu'à l'accoutumée avant de reprendre :

« Je ne suis pas assez aveugle pour te savoir capable, simplement parce que je t'aime, et Père non plus. Nous voyons les choses comme elles sont et, même si le parcours sera long et difficile, tu y parviendra au bout du compte. Tu vaut bien plus que tu ne le penses. »

Prenant une courte pause, il enchaîna en restant sur le sujet du père, justement.

« Je sais ce que Père attend de moi pour que nous soyons unis à tout jamais, et je ferai tout pour que cela arrive. Je te demandes une chose, une seule raison en raison.»

Le regard de Maekar se mit à brûler d'une énergie nouvelle, de la résolution de fer et de flamme qui faisait sa réputation depuis son entrée dans l'armée et, enfin, ses mots prirent une toute nouvelle tournure.

« Ne baisses pas les bras. »

Sur elle, sur lui, sur eux : elle ne devait pas abandonner maintenant. Il aurait voulu la rassurer et lui dire que tout se passerait en douceur mais il en était incapable, car il n'avait jamais été capable de mentir à la belle.

« Rien de tout ceci n'est simple ou juste envers toi. Tu n'as pas mérité de passer par ces épreuves et je le sais, mais depuis quand est-ce qu'une chose qui en vaut vraiment la peine est facile à obtenir ? Tu...tu es la raison pour laquelle je me lève le matin et je mettrai cette nation, ce monde à feu et à sang plutôt que de laisser quelqu'un t'enlever à moi. Tu m'entends ?»

Se redressant de sa chaise, la mâchoire et les poings serrés, sentant le feu continuer de grandir en lui à chaque seconde supplémentaire, Maekar bomba son torse nu avant de terminer son intervention :

« Tous tes doutes, toutes tes peurs, je les ferai miens et les réduirai à néant. Pourquoi ? Parce que tu n'es pas seule et tu ne le seras jamais, parce que tu m'auras toujours à tes côtés. Tu ne te bats pas seule, alors je ferai mienne une partie de ton fardeau et ensemble, nous triompherons. Il faut simplement que tu croies en toi, que tu croies en nous. »

Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Your demons will follow you home.






Cela eu l’effet d’une explosion. Le bruit du verre se brisant contre le sol n’avait sans doute pas été si puissant, il avait pourtant résonné dans ma tête comme un fracas assourdissant. Il avait participé à apaiser le feu qui menaçait de me consumer, me ramenant à un état de conscience plus élevé et me faisant prendre conscience de l’absurdité de mon éclat. Je restais pourtant interdite quelques instants, ne sachant trop que faire, avant de me jeter au sol pour réparer les dégats. C’était avec un empressement révélateur d’un certain désespoir et de honte qui m’avait habité alors que, les doigts tremblants, je tentais de ramasser les morceaux de verre. L’obscurité et ma dextérité entravée avaient finalement mené à une blessure tout à fait prévisible, presque… agréable ? J’identifiais sans peine la source de la souffrance, ce qui me changeait de cette peur diffuse dont je ne parvenais jamais réellement à identifier l’origine. J’avais à peine vu Maekar se précipiter vers moi, et ce furent le toucher de sa main sur mon poignet, puis le contact du tissu sur la petite plaie qui me ramenèrent à l’instant présent.

Je résistais un instant, peu encline à le laisser à nouveau prendre soin de moi alors même que mon rôle, en cette soirée, aurait du être de prendre soin de lui, mais face à son insistance je baissais les armes et le laissais me mener jusqu’au lit. Je m’y asseyais sans plus de résistance sur le rebord et le regardais ramasser le verre restant au sol avant précision et concentration. Je n’aurais su dire si cette impression de concentration révélait une véritable attention pour sa tâche ou si elle dissimulait un esprit contrarié, préoccupé. Il restait un instant le dos tourné, dérobant à ma vue l’expression de son visage et augmentant de ce fait la tension qui enserrait déjà ma gorge sèche. Il mettait fin à mon angoisse et prenait place sur une chaise qui me faisait face. Assis là, éclairé très légèrement par la lumière de la lune filtrant au travers des fenêtres, il m’apparut comme plus beau que jamais. Il était évidemment beau. Je ne l’avais jamais ignoré, et il semblait à présent évident que tout Valyria en avait conscience. Mais sa beauté, en cet instant, dépassait les simples critères plastiques de notre société. Sa peine le rendait magnifique. J’avais honte de penser ainsi, sans doute n’y avait-il rien de plus égoïste que cette pensée, car ce qui le rendait beau était la peine qu’il ressentait… pour moi. Il souffrait de me voir souffrir. Au même titre que je souffrais le martyr à la vue de ses démons. Ce lien-là. Ce lien inexplicable. Ce lien le rendait, à mes yeux, plus beau encore que la vie elle-même. Ne restait que son regard pour se dérober au mien, je ne disais rien, fixant mes yeux sur lui comme s’il représentait le dernier fil de conscience m’empêchant de sombrer dans la folie.

« Tu n'as pas à t'excuser de dire ce que tu ressens. Je t'ai mise dans une situation impossible et... »

Ses yeux. Ils étaient à nouveau miens. Et j’y percevais cette émotion que je connaissais si bien pour l’avoir décelée à de nombreuses reprises dans son regard. La culpabilité. J’aurais voulu le serrer dans mes bras, faire disparaître cette culpabilité, lui dire qu’il n’était en rien responsable d’un destin auquel personne ne peut échapper, mais cela n’aurait servi à rien.

« Je ne suis pas assez aveugle pour te savoir capable, simplement parce que je t'aime, et Père non plus. Nous voyons les choses comme elles sont et, même si le parcours sera long et difficile, tu y parviendras au bout du compte. Tu vaux bien plus que tu ne le penses. Je sais ce que Père attend de moi pour que nous soyons unis à tout jamais, et je ferai tout pour que cela arrive. Je te demandes une chose, une seule raison en raison. »

J’ouvrais la bouche pour protester, lui dire qu’il devait suivre son chemin, que je ne pourrais jamais être un obstacle sur la réalisation de son propre destin, mais il reprenait la parole.

« Ne baisse pas les bras. »

Mes lèvres se refermaient sous l’effet de ces paroles sur moi. C’était une simple phrase. Cinq petits mots qui, séparément, n’auraient eu aucun sens. Il ne s’agissait là que de quelques mots qui, dans une autre bouche, n’auraient eu qu’un sens superficiel. Prononcés par Maekar, ils devenaient une prière, un mantra, ils m’assommaient.

Était-ce de cela dont j’avais envie ? Priais-je finalement pour avoir le droit de baisser les bras ? J’avais peur. Peur à en vomir. Peur à en perdre pieds. Je doutais. Je doutais de moi. Je doutais de l’avenir. Pourtant, à aucun moment n’avais-je pensé à baisser les bras. Sans doute aurais-je pu, dès le départ, essayé de convaincre Maekar d’accepter le siège familial ? Je n’avais guère essayé. Sans doute aurais-je pu remettre le choix de mon mariage entre les mains de notre père sans essayer jamais de l’influencer ? Une telle idée n’avait jamais effleuré mon esprit. Je ne pouvais pas baisser les bras. La perspective même de l’échec, de la honte et du déshonneur n’avaient pu être suffisants pour me faire reculer face à ce destin nouveau qui me tendait les bras. Quant à Maekar… Il avait en mon cœur la fonction qu’avait l’oxygène en mon corps. Peut-on seulement remettre en cause la présence de l’oxygène dans notre corps ? Ce n’est pas même une idée concevable. A moins de rechercher la mort. Il était mon oxygène. Il était mon eau. Il était le sommeil qui reposait mes sens. Il était la nourriture qui remplissait mon ventre. On ne baissait pas les bras pour obtenir l’essentiel, à moins d’avoir baissé les bras face à la vie. Et je n’avais pas encore renoncé à cela.

Jamais.

« Rien de tout ceci n'est simple ou juste envers toi. Tu n'as pas mérité de passer par ces épreuves et je le sais, mais depuis quand est-ce qu'une chose qui en vaut vraiment la peine est facile à obtenir ? Tu...tu es la raison pour laquelle je me lève le matin et je mettrai cette nation, ce monde à feu et à sang plutôt que de laisser quelqu'un t'enlever à moi. Tu m'entends ? »

Je prenais une longue respiration, luttant de toutes mes forces pour ne pas m’effondrer face à la puissance de ses mots et l’intensité de son regard. J’aurais donné ma vie pour cet homme. C’en était vertigineux. C’en était effrayant d’être à ce point prête à tout détruire, à tout abandonner, pour un seul être au monde.

« Tous tes doutes, toutes tes peurs, je les ferai miens et les réduirai à néant. Pourquoi ? Parce que tu n'es pas seule et tu ne le seras jamais, parce que tu m'auras toujours à tes côtés. Tu ne te bats pas seule, alors je ferai mienne une partie de ton fardeau et ensemble, nous triompherons. Il faut simplement que tu croies en toi, que tu croies en nous. »

Je me levais sans attendre, sans doute mue par le besoin de répondre physiquement à une dévotion ainsi démontrée. Immédiatement j’avançais à grands pas vers lui, faisant fi du reste, de l’heure, de ceux qui pouvaient nous entendre, du verre peut-être restant sur le sol. Chacun de mes pas était plus empressé que le précédent, et très vite j’arrivais à sa hauteur et entourais son cou de mes bras. Non. Je me jetais à son cou. Par un geste réflexe il attrapait mes jambes pour me hisser à sa hauteur et déjà mes cuisses se refermaient sur ses hanches. Ma bouche retrouvait sa place naturelle sur la sienne avant même que le moindre mot ait pu venir chasser ses dernières paroles. Celles-ci flottaient autour de nous, comme un halo de feu, comme si le monde avait déjà été mis à feu et à sang et qu’il ne restait plus que nous.

Je délaissais, à regret, ses lèvres pour appuyer mon front contre le sien. Au risque de tomber je détachais une de ses mains me soutenant pour la placer sur ma joue et la promener sur mon visage. J’en embrassais chacun des doigts avant de tracer les lignes de la paume avec le bout de mon nez, les yeux fermés. Enfin, alors que je n’y tenais plus moi-même, je déposais cette main connue entre toutes sur mon sein, et plongeant mon regard dans le sien, brûlante et enivrée de lui, je murmurais :

« Aime moi. »

Je laissais planer un léger silence, pour que la mesure de l’amour que je le demandais se déploie dans l’air comme une fumée nous entourant, dansant autour de nos corps brulants enlacés.

« Aime moi maintenant. Ici. Toujours. Furieusement. S'il te plait. »

Les démons seraient toujours là. Ils nous suivraient à la trace et peut-être un jour auraient-ils notre peau. Cela n’avait plus d’importance. Plus rien n’avait d’importance. Simplement le rythme des battements de mon cœur dans sa main, l’étreinte de l’autre qui nous rendait vivants. L’avenir se déployait devant nous. Les Dieux avaient parlé. Mais nous ne pouvions fuir ce qui s’imposerait toujours à nous.

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