La fête battait encore et toujours son plein. Depuis combien de jours les festivités avaient-elles débutées ? Plus d’une semaine, Saerelys en avait la certitude. Elle avait cependant perdu le compte du nombre exact de jours qui s’étaient écoulés depuis le Triomphe. Les fêtes finissaient par toutes se ressembler également, ce qui rendait l’appréhension et la compréhension du temps qui passait plus complexe encore. Accoudée à la balustrade d’un balcon, sa main droite dans le vide et tenant un gobelet d’argent, la jeune femme contemplait l’horizon étoilé, muette. Si des rires se faisaient entendre derrière elle, Saerelys ne parvenait pas à imiter les autres invités. Si joie elle avait pu ressentir, celle-ci restait bloquée dans sa gorge. Ses lèvres étaient également figées, la faisant d’avantage ressembler à une statue d’albâtre, d’argent et d’améthyste qu’à un être de chair et de sang. Plus aucun sourire n’ornait son visage. Seule l’ombre semblait y avoir sa place.
Chaque moment de joie, chaque rire… Ces moments avaient toujours eu un prix. Saerelys n’avait jamais réellement su pourquoi, si ce n’est que son arrière-grand-mère dont elle avait hérité son patronyme, souffrait d’une pareille affliction disait-on. Une affliction qui ne se soignait pas, semblait-il et qui se plaisait à venir réduire en poussière tous les instants profitables que les Dieux se plaisaient à lui offrir. Alors, il ne restait plus qu’à attendre. Attendre et prier pour que cela passe. Attendre et faire en sorte de cacher cela. De cacher le fait que la vie perdait parfois toute sa saveur en l’espace de quelques instants, d’un battement de cil, d’un battement de cœur. De cacher le fait que les ombres se faisaient de plus en plus oppressantes au fil des secondes, qu’elles semblaient douées d’une vie qui leur était propre. De cacher ces cauchemars qui hachaient ses nuits, les réduisant parfois à peau de chagrin.
Tout cela en attendant que la joie triomphe à nouveau. Tout cela en attendant que le jour revienne. Tout cela en attendant que son sommeil s’apaise. Tout cela en attendant une nouvelle valse. Les choses étaient ainsi faites. Saerelys s’était toujours connue ainsi. Du moins, d’aussi loin qu’elle pouvait se souvenir, bien que ses pensées enfantines occultaient souvent de tels faits. Depuis qu’elle était au Collège, la jeune femme ne pouvait que se rendre compte de leur véracité, de l’impact que cette douloureuse torpeur pouvait avoir sur elle lorsqu’elle s’emparait de son âme.
« Saerelys, te joindrais-tu à nous ? lança alors sa cousine, avant de rire de bon cœur. Tu n’as pas dansé de la soirée et je suis certaine qu’Aedar ne verrait pas d’un mauvais œil le fait que tu partages mes bras ou ceux d’une autre personne pour quelques pas ! »
Aedar… Saerelys déglutit difficilement lorsque le prénom de son frère parvint jusqu’à ses oreilles. Si elle était venue ici… Si elle était venue ici, c’était pour se cacher de lui. Pour lui cacher l’état qui était le sien. Bien sûr que son double comprendrait l’affliction qui était la sienne. Mais la jeune femme ne pouvait que s’interroger quant à la manière dont il l’assimilerait ou de la façon dont il chercherait à l’aider. Son état avait changé depuis qu’elle était entrée au Collège, et cela… Et cela, son jumeau n’en avait sans doute pas conscience. Et que dire de ces quatre années qui s’étaient également écoulées ? Saerelys ne s’était pas sentie le courage de lui en parler. Pas ce soir alors que leur peuple célébrait cette paix tant désirée. Aussi avait-elle préféré suivre ses cousines jusqu’ici, promettant à Aedar qu’ils se reverraient d’ici quelques heures, qu’elle ne risquait pas de l’oublier.
« Cela sera sans moi, ma chère cousine. commença Saerelys, tout en posant son gobelet sur la balustrade. N’y vois aucune atteinte à ta personne. Je préfère juste l’air de la nuit à celui de la fête pour l’instant.
- Peut-être plus tard alors ! répondit l’autre Riahenor, visiblement bien plus enjouée que la première. Je te connais. Tu ne restes jamais loin des danses ! Qui plus est, j’ai peut-être parlé de toi à quelques personnes et de tes dons en la matière… » acheva-t-elle, avant de s’éloigner.
Pas un seul instant Saerelys ne s’était retournée, se contentant juste de baisser la tête lorsque sa cousine fut repartie se mêler aux autres invités. Les choses étaient mieux ainsi. Au moins de dos, elle pouvait faire encore illusion au sujet de son état. La jeune femme récupéra son gobelet, trempant ses lèvres dans le breuvage qu’il contenait. Si la novice ne pouvait pas se permettre de consommer des alcools trop forts de sa propre initiative, elle avait eu bien besoin d’un remontant ce soir. Aussi avait-elle jeté son dévolu sur l'un de ces vins agrémentés de miel et de nombreuses épices, d’avantage reconnus pour leur goût que pour le capacité à enivrer les personnes qui y goûtaient. Aussi, le breuvage ne devenait qu'un maigre réconfort, dans les faits.
De cette joie qui lui manquait tant, il n’avait que le lointain arrière-goût…
( Gif de markantonys. )