Telle une ombre, Saerelys s’était glissée chez elle puis dans ses appartements. Galreon avait été le seul à l’apercevoir, observateur et habitué des lieux comme il l’était. Aussi avait-il fait son devoir, lui demandant si elle n’avait besoin de rien. La jeune femme s’était contentée de lui donner son congé, arguant qu’elle n’avait point besoin de lui, qu’elle ne s’attarderait pas. L’homme n’avait pas insisté, se contentant de la saluer poliment avant de quitter les lieux. La novice appréciait la présence des siens et celle des membres de sa maisonnée. En temps normal du moins. De part l’état qui était le sien à cet instant, la solitude lui semblait préférable.
Méthodiquement, presque mécaniquement, Saerelys quitta sa tenue habituelle pour des vêtements plus sombres. Si lorsqu’elle avait rendu visite à Alynera au sujet de la terrible perte qu’elle avait subi, l’urgence était telle qu’elle avait quitté le Collège sans même songer à se vêtir comme le deuil le recommandait pourtant, les choses étaient différentes à cet instant. Elle se rendait dans une demeure endeuillée depuis quelques temps à peine. Un deuil rendu plus atroce encore de part la jeunesse du défunt.
« Un enfant… Il n’était qu’un enfant... » songea Saerelys, tout en glissant un long voile sombre dans sa chevelure argentée.
Un pauvre petit qui avait lutté de toutes ses forces pour sa vie. La jeune femme en avait été le témoin. Il y a de cela quelques mois, un Mage de sa connaissance lui avait proposé de l’accompagner auprès des Bellarys. Sans doute était-il au courant des liens qu’elle partageait avec Taekar et avait-il trouvé préférable que ce soit elle et pas une autre qui le seconde ? Cela n’avait plus aucune espèce d’importance… Plus à présent. Les Bellarys venaient de perdre le plus jeune d’entre eux. Une perte de plus qui venait s’ajouter à celle de sa mère, quelques temps auparavant… Saerelys poussa un soupir à cette pensée. Une perte de trop.
Fébrile, la novice récupéra cette sacoche dont elle ne se séparait jamais. Glissant sa main dans son sac, la jeune femme en sortit une lettre scellée. Taekar ne pouvait pas s’absenter du Collège. Aussi lui avait-il demandé de remettre cette missive aux siens, afin qu’il puisse être avec eux à sa manière, ne pouvant faire autrement pour le moment. Saerelys n’avait pas pu lui refuser cela. Comment aurait-elle pu ? Elle-même aurait voulu saluer une dernière fois son frère de vive-voix avant qu’il ne parte en guerre mais n’avait pu que le faire que part lettre. Mealys avait accepté de l’apporter au palais des Riahenor comme elle l’avait déjà fait plusieurs fois auparavant.
Après avoir observé quelques instants la missive, rendue indécise par sa fébrilité, Saerelys finit par la remettre à sa place. Une promesse était une promesse. Elle ne pouvait pas se dérober ainsi. Aussi réajusta-t-elle une dernière fois son voilage, prenant garde au fait qu’il recouvre convenablement à la fois sa chevelure et ses épaules. Ceci fait, la jeune femme observa son reflet quelques instants. Avaient-ils failli ? Leur mission n’avait jamais été de sauver ce pauvre petit… Prêtres comme Mages avaient tout fait pour cela, mais rien n’y avait fait. Lorsqu’elle-même était arrivée sur les lieux, il n’était plus question de soins, juste d’apaiser de trop vives souffrances…
Et pourtant… Saerelys avait comme un goût amer dans la bouche. Le goût de l’échec, mêlé à celui de la tristesse. Comment serait-elle reçue parmi les Bellarys ? L’ampleur de leur chagrin était à peine imaginable. Comment réagiraient-ils en la voyant elle, celle qui avait secondé la personne qui n’avait pu qu’apaiser les souffrances du défunt peu de temps avant que le pire ne se produise ? La jeune femme déglutit difficilement à cette pensée. Plusieurs obscures pensées lui traversèrent l’esprit, tant et si bien Saerelys finit par secouer vivement la tête. Reprenant ainsi pieds dans la réalité, la jeune novice ne pouvait que se rendre à l’évidence. Elle n’avait pas le choix.
La jeune femme quitta donc les lieux, se glissant à l’extérieur du palais aussi discrètement qu’elle avait pu y entrer. Elle marcha un moment, prenant garde à ne pas se perdre à nouveau dans ses pensées, craignant de se perdre également dans les rues de cette Cité qu’elle connaissait pourtant si bien. Son pas si fit cependant plus traînant lorsque la demeure des Bellarys fut à la portée de son regard. En arrivant non loin de cette dernière, Saerelys fut d’ailleurs contrainte de s’arrêter, rassemblant tous ses esprits. Ce n’est qu’une fois certaine, ou presque, de ses propres forces que la jeune femme alla frapper à la porte. Porte qui ne tarda pas à s’ouvrir, un serviteur passant sa tête dans l’entrebâillement.
« Je te prie d’excuser ma présence et de l’excuser auprès des Bellarys. commença la jeune femme, un sourire attristé étirant ses lèvres. Je suis Saerelys Riahenor, novice du Troisième Cercle, et je viens présenter les hommages de ma famille ainsi que ceux de Taekar Bellarys. Il m’a chargé de remettre une lettre à son frère aîné. Saerelys se tut quelques instants, avant de reprendre, sortant par la même occasion la lettre de sa sacoche. Taekar souffrirait du fait que je ne puisse remettre sa lettre en main propre à sa famille. Je te serai donc gré de me laisser entrer, afin que je puisse mener cette mission à bien. »
Si le serviteur sembla hésiter, cela ne dura que peu de temps. Son patronyme faisait toujours un certain effet, de même que son rang parmi les Mages, bien qu’elle n’en soit pas une à proprement parlé. Alors, la porte s’ouvrit d’avantage et le serviteur l’invita poliment à entrer. Après avoir refermé la porte derrière la novice, il lui demanda de rester ici le temps que sa présence soit connue. Un fait qui ne dérangea pas Saerelys, qui se contenta d’acquiescer doucement.
Laissée seule, la jeune femme retint un soupir. Le silence était lourd. La novice s’étonna d’ailleurs du fait que même les serviteurs se faisaient discrets. Aussi n’en aperçut-elle aucun, si ce n’est celui qui devait l’annoncer auprès de l’héritier des Bellarys. Laissant ses doigts tapoter la missive, Saerelys attendit. Les secondes défilaient, s’égrainaient, de plus en plus lourdes. La novice restait là, droite, statue d’ivoire et de cendres au milieu de ce silence. Une lueur d’appréhension brillait dans son regard. Un lueur qu’un battement de paupière effaça, ne laissant à nouveau place qu’à une certaine tristesse.
( Gif de humilesque-myricae. )