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Lorsque le pire se produit.

Pied à terre des Bellarys & An 1066, mois 2.
Morne journée que celle-ci. L’atmosphère semblait lourde. Très lourde. Trop lourde pour que cela ne soit du qu’au seul climat qui régnait en ces lieux. Saerelys en était même venue à se demander si tout cela n’était pas qu’une illusion due à son esprit en prévision de cette tâche qui était la sienne en ce jour. Après avoir étudié comme il se devait, bien qu’elle n’avait guère le cœur à cela,  la jeune femme avait quitté le Collège en silence, rejoignant ce palais qui avait toujours été la tanière des siens. Elle n’avait cependant pas recherché les étreintes et les embrassades de sa fratrie ou celles de sa mère, alors même qu’elle se plaisait à passer du temps en leur compagnie en temps normal.

Telle une ombre, Saerelys s’était glissée chez elle puis dans ses appartements. Galreon avait été le seul à l’apercevoir, observateur et habitué des lieux comme il l’était. Aussi avait-il fait son devoir, lui demandant si elle n’avait besoin de rien. La jeune femme s’était contentée de lui donner son congé, arguant qu’elle n’avait point besoin de lui, qu’elle ne s’attarderait pas. L’homme n’avait pas insisté, se contentant de la saluer poliment avant de quitter les lieux. La novice appréciait la présence des siens et celle des membres de sa maisonnée. En temps normal du moins. De part l’état qui était le sien à cet instant, la solitude lui semblait préférable.

Méthodiquement, presque mécaniquement, Saerelys quitta sa tenue habituelle pour des vêtements plus sombres. Si lorsqu’elle avait rendu visite à Alynera au sujet de la terrible perte qu’elle avait subi, l’urgence était telle qu’elle avait quitté le Collège sans même songer à se vêtir comme le deuil le recommandait pourtant, les choses étaient différentes à cet instant. Elle se rendait dans une demeure endeuillée depuis quelques temps à peine. Un deuil rendu plus atroce encore de part la jeunesse du défunt.

« Un enfant… Il n’était qu’un enfant... » songea Saerelys, tout en glissant un long voile sombre dans sa chevelure argentée.

Un pauvre petit qui avait lutté de toutes ses forces pour sa vie. La jeune femme en avait été le témoin. Il y a de cela quelques mois, un Mage de sa connaissance lui avait proposé de l’accompagner auprès des Bellarys. Sans doute était-il au courant des liens qu’elle partageait avec Taekar et avait-il trouvé préférable que ce soit elle et pas une autre qui le seconde ? Cela n’avait plus aucune espèce d’importance… Plus à présent. Les Bellarys venaient de perdre le plus jeune d’entre eux. Une perte de plus qui venait s’ajouter à celle de sa mère, quelques temps auparavant… Saerelys poussa un soupir à cette pensée. Une perte de trop.

Fébrile, la novice récupéra cette sacoche dont elle ne se séparait jamais. Glissant sa main dans son sac, la jeune femme en sortit une lettre scellée. Taekar ne pouvait pas s’absenter du Collège. Aussi lui avait-il demandé de remettre cette missive aux siens, afin qu’il puisse être avec eux à sa manière, ne pouvant faire autrement pour le moment. Saerelys n’avait pas pu lui refuser cela. Comment aurait-elle pu ? Elle-même aurait voulu saluer une dernière fois son frère de vive-voix avant qu’il  ne parte en guerre mais n’avait pu que le faire que part lettre. Mealys avait accepté de l’apporter au palais des Riahenor comme elle l’avait déjà fait plusieurs fois auparavant.

Après avoir observé quelques instants la missive, rendue indécise par sa fébrilité, Saerelys finit par la remettre à sa place. Une promesse était une promesse. Elle ne pouvait pas se dérober ainsi. Aussi réajusta-t-elle une dernière fois son voilage, prenant garde au fait qu’il recouvre convenablement à la fois sa chevelure et ses épaules. Ceci fait, la jeune femme observa son reflet quelques instants. Avaient-ils failli ? Leur mission n’avait jamais été de sauver ce pauvre petit… Prêtres comme Mages avaient tout fait pour cela, mais rien n’y avait fait. Lorsqu’elle-même était arrivée sur les lieux, il n’était plus question de soins, juste d’apaiser de trop vives souffrances…

Et pourtant… Saerelys avait comme un goût amer dans la bouche. Le goût de l’échec, mêlé à celui de la tristesse. Comment serait-elle reçue parmi les Bellarys ? L’ampleur de leur chagrin était à peine imaginable. Comment réagiraient-ils en la voyant elle, celle qui avait secondé la personne qui n’avait pu qu’apaiser les souffrances du défunt peu de temps avant que le pire ne se produise ? La jeune femme déglutit difficilement à cette pensée. Plusieurs obscures pensées lui traversèrent l’esprit, tant et si bien Saerelys finit par secouer vivement la tête. Reprenant ainsi pieds dans la réalité, la jeune novice ne pouvait que se rendre à l’évidence. Elle n’avait pas le choix.

La jeune femme quitta donc les lieux, se glissant à l’extérieur du palais aussi discrètement qu’elle avait pu y entrer. Elle marcha un moment, prenant garde à ne pas se perdre à nouveau dans ses pensées, craignant de se perdre également dans les rues de cette Cité qu’elle connaissait pourtant  si bien. Son pas si fit cependant plus traînant lorsque la demeure des Bellarys fut à la portée de son regard. En arrivant non loin de cette dernière, Saerelys fut d’ailleurs contrainte de s’arrêter, rassemblant tous ses esprits. Ce n’est qu’une fois certaine, ou presque, de ses propres forces que la jeune femme alla frapper à la porte. Porte qui ne tarda pas à s’ouvrir, un serviteur passant sa tête dans l’entrebâillement.

« Je te prie d’excuser ma présence et de l’excuser auprès des Bellarys. commença la jeune femme, un sourire attristé étirant ses lèvres. Je suis Saerelys Riahenor, novice du Troisième Cercle, et je viens présenter les hommages de ma famille ainsi que ceux de Taekar Bellarys. Il m’a chargé de remettre une lettre à son frère aîné. Saerelys se tut quelques instants, avant de reprendre, sortant par la même occasion la lettre de sa sacoche. Taekar souffrirait du fait que je ne puisse remettre sa lettre en main propre à sa famille. Je te serai donc gré de me laisser entrer, afin que je puisse mener cette mission à bien. »

Si le serviteur sembla hésiter, cela ne dura que peu de temps. Son patronyme faisait toujours un certain effet, de même que son rang parmi les Mages, bien qu’elle n’en soit pas une à proprement parlé. Alors, la porte s’ouvrit d’avantage et le serviteur l’invita poliment à entrer. Après avoir refermé la porte derrière la novice, il lui demanda de rester ici le temps que sa présence soit connue. Un fait qui ne dérangea pas Saerelys, qui se contenta d’acquiescer doucement.

Laissée seule, la jeune femme retint un soupir. Le silence était lourd. La novice s’étonna d’ailleurs du fait que même les serviteurs se faisaient discrets. Aussi n’en aperçut-elle aucun, si ce n’est celui qui devait l’annoncer auprès de l’héritier des Bellarys. Laissant ses doigts tapoter la missive, Saerelys attendit. Les secondes défilaient, s’égrainaient, de plus en plus lourdes. La novice restait là, droite, statue d’ivoire et de cendres au milieu de ce silence. Une lueur d’appréhension brillait dans son regard. Un lueur qu’un battement de paupière effaça, ne laissant à nouveau place qu’à une certaine tristesse.




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Une statue. Voilà l'impression qu'il semblait donner à quiconque venait à l'observer ; on aurait du une statue. La seule et unique chose qui venait à briser cette image, c'était sa respiration, le fait que sa poitrine était en train de se soulever lentement, pas assez lentement pour que son cœur s'arrête de battre, tellement peu pour réussir à se sentir pleinement vivant. Mais une statue avait quelque chose de parfaite, ses traits, ses courbes, son mouvement. Tout était composé pour pouvoir représenter ce qu'on désirait. Daemor était loin d'être parfait en cet instant, s'il était aussi pâle et blanc comme le marbre, il était difficile d'ignorer les cernes noires profondes qui s'étaient dessinées sous ses yeux. Il avait le visage plus qu'émacié, et il avait perdu beaucoup de poids mais également du muscle au cours des dernières semaines, des derniers mois. Bien évidemment, il n'avait jamais ressemblé à son jumeau, bien qu'ils étaient parfois troublants de les voir côte à côte, il y avait toujours eu quelqu'un de plus fort, de plus musclé et dans ce cas précis, c'était Aeganon qui avait la meilleure constitution, qui avait le plus de muscles, une meilleure condition physique à ne pas douter. Le travail militaire avait façonné son corps petit à petit, mais si Aeganon avait fait sa carrière dans ce domaine précis, au contraire Daemor avait suivi les pas de son père et l'avenir que ce dernier avait construit pour lui. Il avait été désigné, presque dès son premier souffle à devenir l'héritier de la maison Bellarys. Même s'il avait mis du temps à officialiser la chose, il était toujours apparu que le premier des jumeaux, serait le digne successeur de son père, il avait l'esprit des Bellarys et cette facilité déconcertante avec les chiffres et les beaux discours. Il savait charmer à sa manière et s'était épanoui dans ce domaine d'activité, bien qu'il ne pouvait véritablement dire qu'il était transporté par une passion débordante pour le commerce. Il avait compris qu'on attendait qu'il fasse cela de sa vie et il n'avait nullement eu la volonté un jour de venir à contrarier la patriarche de la maison Bellarys. Il avait épousé sa sœur, comme cela se faisait dans toutes les familles, continuant à perpétuer la tradition. Et il pouvait dire sans détour qu'ils s'étaient aimés tous les deux, de façon sincère et profonde, même si rien ne serait jamais comparable à ce qu'il pouvait ressentir pour son jumeau. Pour autant, on pouvait aimer plusieurs personnes, les aimer tous les deux et de manière différente sans que cela ne vienne à interagir avec le reste. Ils avaient eu du mal à avoir un enfant, elle avait connu deux fausses couches avant de pouvoir donner vie à Taeganon. Mais un fils, ils avaient un fils et c'était tout ce qu'on attendait d'eux, bien qu'il fallait songer à avoir d'autres enfants, et mettre le maximum de chance de leur côté que la maison des Bellarys perdure. Mais il semblait que la jeune femme avait toujours eu une santé fragile et que les nombreuses grossesses, sans qu'elles arrivent à son terme n'avait eu de cesse d'affaiblir son corps jusqu'à ce que le pire ne vienne par arriver.

Taeganon s'était alors retrouvé orphelin de mère mais cela ne pouvait que le rapprocher un peu plus de son père et Daemor s'était épanoui dans ce rôle là. Il avait été présent pour le petit garçon autant qu'il avait pu l'être et il continuait ainsi à faire vivre le souvenir de sa mère. Mais il n'était plus lui non plus. Il était mort, mort dans ses bras, et il n'avait rien pu faire pour aider ce petit garçon si beau, si doux, si plein de vie, à parvenir à conserver celle-ci. Il poussa un râle, tel un animal blessé au plus profond de son être au plus profond de sa chaire. Oui il souffrait et ne semblait pas réussir à se remettre de cette disparition aussi soudaine que tragique. Et il restait dans cet état d'immobilité, fixant la nature qu'il pouvait apercevoir depuis la chambre de son fils, observant le monde qui continuait de fonctionner sans faire un seul instant attention à la souffrance de certains. Il n'était sans doute pas le seul homme à avoir connu la perte d'un de ses enfants, mais il n'avait pas envie de penser aux autres, il avait juste envie de penser à lui à cet instant et de ce qu'il avait perdu. Il ferma les yeux quelques secondes et il eut presque l'impression de sentir le souffle de sa défunte épouse dans sa nuque, de sa main dans ses cheveux et de ses lèvres sur sa joue. Il frissonna légèrement, de part en part, comme si elle était véritablement là, mais alors qu'il allait se mettre à lui parler, comme il venait le faire de plus en plus souvent ces derniers temps, mais il entendit alors quelqu'un taper à la porte de sa chambre, répondant alors par un grognement. On lui annonça alors que Saerelys Riahenor était présente et qu'elle demandait à le voir. Il haussa un sourcil, ne pouvait oublier la jeune femme qui était venue au chevet de son fils sans pour autant parvenir à le sauver du mal qui était en train de le ronger. Il fut surpris d'apprendre sa présence, il se leva, ne faisant que le peu d'effort, juste le nécessaire pour paraître présentable, il était difficile vu son état physique de se montrer de toute façon sous son meilleur jour. Il remercia rapidement le serviteur avant de se rendre dans l'entrée de la demeure, il s'approcha discrètement mais vu que toute la demeure était silencieuse, il la vit se tourner vers lui. « Saerelys Riahenor … Je ne m'attendais pas à te voir ici. Mon serviteur m'a dit que tu avais quelque chose à me remettre … Puis-je t'offrir à boire ? »
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Lorsque le pire se produit.

Pied à terre des Bellarys & An 1066, mois 2.
Quelqu’un venait, brisant le silence qui s’était formé depuis l’arrivée de la jeune femme. Brisant ce silence qui semblait propre à tout chagrin, à tout deuil. Les traits tirés, le teint pâle, les yeux sombres. Daemor se tenait là. Il était semblable à ces hommes qui avaient déjà vu la Mort de face. Qui avait déjà sentit le souffle de Balerion emplir une pièce en quelques instants, emportant dans son sillage les plus frêles étincelles de vie. Si l’homme était présentable, du moins autant qu’il était possible de s’y attendre pour une personne, dont, par deux fois, la Mort s’était introduite dans sa demeure. La novice ne chercha pas à sourire. Aussi se contenta-t-elle d’incliner poliment la tête, saluant le Bellarys de cette manière.

Se sentait-elle coupable, pour cette mort inévitable ? Cet enfant n’avait pas mérité un tel sort. Il n’avait pas mérité tant de souffrances, de voir l’air lui échapper alors même qu’il n’y avait goûté que bien trop peu de temps. Taeganon était déjà souffrant, lorsqu’elle l’avait rencontré. Un petit corps que même la Magie n’avait pas pu purger de ses maux. Cela faisait plusieurs années que la Riahenor étudiait la médecine. Plusieurs années également qu’elle la pratiquait. Plusieurs années durant lesquelles elle n’avait encore jamais perdu de patient. Taeganon avait été l’horrible exception. Les Dieux étaient témoins de son mal-être, à ce sujet. De ses noires pensées qui l’animaient à ce sujet, de ce sentiment de peine et d’injustice qui l’habitait, quand bien même le sort de ce petit semblait déjà scellé bien avant son arrivée à son chevet.

« Daemor. commença la jeune femme, joignant ses mains. Je te prie d’excuser mon intrusion, plus encore en de telles circonstances. Troubler les tiens dans le deuil que vous portez tous n’est pas dans mes intentions. Ton serviteur ne t’a point menti. Si je suis ici, c’est aussi selon la volonté de Taekar. Je ne peux que te transmettre ses regrets de ne point être présent en personne. Les mots qu’il m’a transmis pourront sans doute combler son absence d’une certaine manière. »

Un drame que vivaient bien des novices. Alors qu’ils entraient au Collège, le monde extérieur ne leur parvenait qu’en échos déformés, lointains. Les sorties se devaient de rester rares, le calme du Collège restant le cadre privilégié des premiers, mais non moins importants, apprentissages magiques. Il en allait de même pour les représentants des grandes familles. La jeune femme n’avait pu qu’être touchée par le calme qui régnait au Palais, alors que son arrivée au Troisième Cercle lui permettait de retourner davantage auprès des siens. Car si le début des combats n’avait pas pu lui échapper, ses réelles conséquences n’avaient été que sous-entendues, son regard ne se posant sur elle qu’une fois qu’elle eut l’occasion de quitter l’enceinte protectrice du Collège.

« J’accepte bien volontiers ta proposition. Ouvre donc la marche, je te suivrai. Taekar n’a pu que me faire promettre de te remettre en mains propres sa lettre. Une mission que je me dois d’accomplir. La jeune femme se tut quelques instants. Ton frère se porte pour le mieux, je le pense. Si le chagrin n’a pu que s’attaquer à lui, nous faisons en sorte de l’entourer comme les tiens pourraient le faire aussi longtemps qu’il le jugera nécessaire. »

Emboîtant le pas de Daemor, Saerelys tapotait toujours du bout des doigts la précieuse missive qu’elle avait porté jusqu’ici. Mealys avait été sa propre messagère des années durant. La femme qui lui avait permis de conserver un réel lien avec les siens, avec le monde extérieur en règle générale. Il était donc dans l’ordre des choses que la novice fasse de même, à présent. Une mission qu’elle ne pouvait que prendre au sérieux, de part le respect qu’elle pouvait avoir pour ceux et celles qui seraient, et étaient déjà, ses collègues. Plus encore dans de funestes situations. Il y avait des paroles qui se devaient de rester secrètes, qui ne devaient être connues que des seules personnes concernées.

« Sans doute as-tu entendu à de nombreuses reprises ces mots, Daemor… reprit finalement Saerelys, ses doigts se resserrant sur la missive. Je ne peux que me désoler pour cette perte qui est la tienne. Taeganon était un bon petit. Balerion s’est montré bien cruel en te privant d’un si bon fils. Accepte mes respects quant à ce combat qu’il a mené. J’aurai tant aimé pouvoir faire plus pour lui. »

Pouvoir faire plus pour cet enfant qui n’avait pas mérité tant de souffrances. De ne point connaître toutes les beautés de ce vaste monde. Les Prêtres de Tessarion avaient fait tout ce qui étaient en leur pouvoir. Les Mages avaient fait tout ce qu’ils pouvaient. Du moins, c’était là ce que la théorie disait. Saerelys ne pouvait qu’imaginer que de tels mots ne seraient que davantage de coups portés à un père qui pleurait également son épouse. Une bien cruelle réflexion. IIs avaient fait tout ce qu’ils pouvaient, en effet.

Mais cela n’avait pas été suffisant.




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Chaque pas était difficile à faire. L'un après l'autre, inexorablement, il avançait, mais vers qui, vers quoi ? Là était toute la question. Il avait perdu son fils, il avait perdu la lumière de son existence, il avait perdu tout ce qui faisait sa force et sa joie de vivre. Alors que lui restait-il ? Rien. Bien sûr, il savait que c'était faux, il savait qu'il n'était pas seul dans cette douleur. Il ne prenait pas son père en considération, ce dernier ne comprenait pas le mal qui venait à le ronger et ne comprendrait sans doute jamais la terrible souffrance morale qui était la sienne. Il n'y avait pas ce genre de considération dans l'esprit de Jaegor Bellarys. Ce qui était faible était éliminé, c'était dans la suite logique des choses, si Taeganon était décédé alors c'est qu'il devait en être ainsi et que sans doute, il n'était de toute façon pas digne d'être le nouvel héritier de la famille Bellarys. Tout comme son oncle, qui n'avait pas résisté à l'épreuve du feu juste après sa naissance, et qui avait été gravement brûlé à cette occasion. Il avait alors été gardé sous bonne surveillance à Rhyos, caché à la vue de tous, comme s'il n'avait au final jamais existé, et dès qu'il avait été possible, il avait été mis à l'écart de la famille de façon plus définitive, étant offert à la prêtrise et se débarrassant ainsi d'un être qui ne pourrait jamais répondre aux besoins des siens, ni aux attentes de son père. C'était ainsi que cela se passait ici, chez les Bellarys. On ne gardait pas les hommes qui posaient problème, et même si les femmes de la maison pouvaient chercher à se révolter d'une quelconque façon, leur but ultime était d'agrandir la famille, en donnant des enfants pures à cette dernière, enfanter était leur seul utilité, et de ce fait Daemor s'était toujours questionnée sur l'attachement que son père avait pu avoir pour son épouse. Elle lui avait donné pas moins de six enfants, elle avait donc rempli sa tâche, sa fonction, et il devait ainsi l'apprécier pour cela. Aenerya avait été faible elle aussi, enchaînant les grossesses et les fausses couches. Sur cinq, elle n'avait réussi à donner vie qu'à un seul enfant bel et bien vivant, et finalement, il avait été fauché un peu avant son cinquième anniversaire. Sans doute que son père en avait conclu qu'elle n'était pas solide, et qu'elle ne pouvait donner d'enfant solide. Daemor était peut-être dur avec son père, l'imaginant bien plus sombre et bien plus manipulateur qu'il ne l'était au final, mais quand il entendait déjà dans les couloirs de Rhyos, les murmures d'un prochain mariage avec Maera, sa plus jeune sœur, cela lui donnait tout simplement des nausées, et il se disait alors qu'il n'était pas si éloigné de la réalité à son propos.

En attendant, il faisait ce qu'on lui demandait, dormir, se nourrir, se laver, se montrer aux différentes personnes qui venaient jusqu'à la demeure ancestrale des Bellarys pour pouvoir lui présenter leurs condoléances. Paraître, toujours paraître, il n'en pouvait plus, il était fatigué, moralement et physiquement ; et tout cela lui demandait beaucoup d'énergie pour réussir à faire semblant qu'il réussissait à remonter la pente alors que ce n'était pas le cas. Que viendrait à penser les gens, s'ils apprenaient que l'héritier Bellarys, le sénateur Bellarys, venait à parler en pleine journée à sa femme disparue, l'imaginant dans la même pièce que lui. Si tout cela était complètement fou, même pour lui, il était conscient qu'elle était le dernier rempart à sa folie, qu'elle était sa conscience qui se manifestait d'une manière bien surprenante mais qu'en lui parlant à voix haute, sans détour, ni peur, il arrive un peu à retirer de ce chagrin qui pesait sur lui. Mais de voir Saerelys ici, venait le replonger un peu plus dans sa torpeur et dans son chagrin, qu'il ne pouvait éloigner que pour le bien de la bienséance. « N’aie pas de remord d'être ici aujourd'hui. Le deuil ne peut se faire en quelques jours, et il faudra du temps pour que cela vienne à s'apaiser, mais ce n'est pas pour autant que les Bellarys viendront à garder porte close. Je ne peux que te remercier de porter les mots de mon frère jusqu'à moi. Je ne puis que regretter son absence en ce moment difficile mais je suis parfaitement conscient que son engagement implique également des sacrifices et des contraintes. » Son absence en était une, il avait toujours beaucoup aimé son petit frère. Quand elle accepta son invitation, il fit signe à son serviteur de s'approcher et de faire servir quelque chose dans le petit salon qu'il utilisait pour ce genre de visite, et il conduisit la jeune femme jusqu'à ce dernier, dans le silence le plus total. Il la fit entrer dans le salon, lui indiquant alors où elle pouvait prendre place et il s'installa à sa suite dans un autre fauteuil. « Je suis reconnaissant de savoir qu'il est entouré durant cette période, il avait une attention toute particulière pour son neveu, bien qu'il n'a pas pu en profiter autant que cela avec son entrée au Collège. Je vous remercie tous pour ce que vous faites pour lui, je sais combien c'est important à ses yeux. » Il eut un fugace sourire sur ses lèvres qui s'évanouit finalement bien vite. Il se retint de pousser un soupire ou peut-être était-ce un sanglot, alors que sa gorge se contractait, il laissa filer quelques secondes pour pouvoir reprendre ensuite la parole. « Je sais … Je sais que tu as fait ton maximum … Mais je crois malheureusement, qu'il n'y avait plus rien à faire de toute façon. Je ne sais quel mal a pu le ronger aussi soudainement, aussi rapidement, mais il semblait que la volonté des Dieux n'était pas que mon fils grandisse à mes côtés. Il ne me reste plus aujourd'hui, que de chérir le souvenir de celui-ci, tout comme celui de sa mère. Ils seront à jamais dans mon cœur et dans mon esprit. » C'était tout ce qu'ils restaient d'eux.
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Lorsque le pire se produit.

Pied à terre des Bellarys & An 1066, mois 2.

Des sacrifices et des contraintes. A ces mots, Saerelys se contenta de hocher la tête, quelque peu absente. Entrer au Collège n’avait rien d’une idylle. Dans les faits, à bien des égards, à bien des sujets, cela pouvait ressembler à une punition, pour les plus jeunes. Éloignés de la tendresse maternelle, de l’affection fraternelle, de leurs premiers béguins, comment ne point se sentir démuni ? Se sentir pris au piège dans un destin qui n’était pas le sien ? Plus encore dans de telles circonstances ? Il existait bien quelques manières de quitter les murs du Collège avant le Troisième Cercle. Hélas, aux yeux des plus âgés, sans doute passaient-elles pour de simples caprices. Les Mages étaient ainsi. Dans les premières années de leur noviciat, ils devaient nouer un serment de fidélité à l’étude et au savoir.

« C’est un jeune homme assidu, pour ce que j’ai pu en voir. Ses sacrifices, vos sacrifices, seront récompensés un jour ou l’autre. Si cela peut apaiser ton cœur d’une manière ou d’une autre, je veillerai sur lui à ce sujet. »

Saerelys se tut, se mettant à la hauteur de Daemor assez aisément. A bien des égards, Bellarys et Riahenor se ressemblaient sur un point. Les Mages semblaient rares, dans leurs lignages. Aussi n’avaient-ils pas forcément un oncle, une tante, un cousin ou une cousine d’une branche plus ou moins éloignée, à qui se confier. Il leur fallait partir à la conquête de leur propre Destin, avec bien peu d’armes. Arrivée dans le salon, la jeune femme s’installa sur le fauteuil qui lui était désigné, se défaisant par la même occasion du sac qu’elle avait emporté avec elle, le déposant à ses pieds. Au contact du sol, la sacoche émit un bruit de verre s’entrechoquant, la faute à quelques remèdes que la descendante de Riahenys emportait toujours avec elle. Les Dieux seuls savaient les épreuves qu’elle devrait affronter dans une journée.

« Nous sommes nombreux à nous être retrouvée dans une situation proche, durant notre noviciat. J’ai moi-même perdue une sœur, quelques mois avant d’entrer au Collège. Et je ne puis te cacher ces larmes qui furent les nôtres durant la guerre. Le soutien de mes comparses et des Mages plus âgés me fut d’un grand secours. Le chagrin de ton frère n’a pu que nous toucher, tous autant que nous étions dans son entourage. Le Collège a beau se trouver à Valyria, il reste un univers à part. Nos familles ont beau se trouver à Valyria, ou dans ses proches alentours dans bien des cas, nous restons isolés à notre manière. Alors, nous devenons une nouvelle famille, d’une certaine manière. »

Une famille avec ses alliances, ses amitiés, ses rancunes, ses haines et ses déboires. Une famille qui pouvait blesser aussi bien qu’il puisse être plaisant de l’enlacer, d’y trouver refuge. Saerelys ne put qu’esquisser un fin sourire à son tour, imitant ainsi Daemor. Un sourire qu’elle ne put conserver bien longtemps, alors que la voix du Bellarys semblait s’être quelque peu affaiblie, l’espace de quelques secondes. Son maximum, en effet. Hélas, cela n’avait pas été suffisant. Longtemps, elle avait gardé l’espoir de voir ce petit s’en sortir. Longtemps, elle avait espéré un miracle. Il arrivait que Tessarion se penche sur certains Mortels, leur permettant de se relever d’un mal pourtant jugé incurable. Le Mage qu’elle avait secondé avait eu une toute autre vision des choses. Car ils n’étaient point là pour soigner. Une idée dont la novice avait toujours eu conscience, bien qu’elle n’ait jamais pu se l’avouer réellement.

« … Ton fils… Il était le premier patient que je perdais… murmura la jeune femme, ne pouvant retenir un soupir, préférant retenir ses larmes à la place. Nul ne peut lire les exactes volontés des Dieux. Même les Flammes taisent certains de leurs desseins. Nous ne pouvons qu’espérer, qui prier pour que ton fils ait trouvé des bras chaleureux pour l’accueillir auprès de Balerion. »

Un esprit encore embrouillé par le chagrin et la peine. Balerion s’était montré bien cruel, pour agir de la sorte auprès des Bellarys. Les traits encore tirés de Daemor ne pouvaient pas mentir, à ce sujet. Les femmes avaient bien des artifices, pour cacher leurs émotions, à ce sujet. Pour les hommes, une telle chose n’était envisageable qu’au théâtre, pour duper les jeux de lumière, pour changer d’identité sans pour autant porter un masque. Pour amplifier les émotions au lieu de les dissimuler. Peut-être… Peut-être pouvait-elle encore l’aider ? D’une manière ou d’une autre ?

« Je ne puis apaiser ton âme, hélas. Seul le temps le pourra. Mais si un jour tu ressens le moindre besoin d’échanger quelques mots, si tu ressens le besoin d’une aide magique pour trouver le sommeil, pour trouver l’appétit, pour oublier des migraines persistantes, n’hésite pas à requérir mon aide. Je te l’offrirai qu’importe l’heure du jour ou de la nuit. »

C’était là la moindre des choses, bien que Saerelys ne formula pas cette idée de vive voix. Au-delà de ce sentiment de culpabilité qui lui nouait encore les entrailles, aucun patricien ne pouvait oublier les personnes qui étaient passées de vie à trépas sous leur surveillance, Daemor était aussi un patient à part entière. L’inquiétude pour son fils l’avait rongé, la jeune femme n’avait pu que s’en rendre compte. Aussi se devait-elle de lui proposer à nouveau son aide. Balerion avait déjà prélevé bien trop de fois son tribut dans cette demeure.




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Daemor s'était d'une certaine façon habitué à l'absence de son frère dans la demeure des Bellarys, à son absence dans les moments de joie comme dans les moments de peine. Celui qu'il avait traversé dernièrement et pour lequel il n'avait pas encore commencé à faire son deuil, avait marqué toute la famille, certains membres plus que d'autres à n'en pas douter. Il n'avait aucune rancune contre personne au sein de la maison Bellarys, si ce n'est bien évidemment pour son père, Jaegor. D'ailleurs, c'était sans doute le point sur lequel tous les enfants de ce dernier parvenaient à s'accorder, plus ou moins cléments sur la question, ou plus ou moins brûlants de colère et de rancœur à son égard. Aenerya avait sans doute toujours été la plus douce à son égard, elle était d'ailleurs la plus douce en beaucoup de choses, même vis-à-vis de la seule autre fille que le couple avait mis au monde, bien plus déterminée et bien plus ambitieuse qu'il n'y paraissait aux premiers abords, ce qui n'était nullement une critique de sa part, mais juste une constatation qu'il avait faite il y a bien longtemps déjà. Au moins, là où se trouvait son frère, à l'abri des murs du Collège, il était sans aucun doute bien plus libre, bien moins contraint par l'ambition dévorante du patriarche Bellarys et sans doute bien mieux entouré par cette nouvelle famille qu'il s'était créé là-bas. Il n'oubliait pas les siens et cela faisait chaud au cœur de Daemor, mais il savait également que leurs destins étaient à présents loin l'un de l'autre et qu'il faudrait attendre encore quelques temps avant d'avoir la possibilité de le revoir en dehors du Collège. Mais c'était sa voie, celle qu'il avait choisi, celle qu'il défendait et il était fier de son frère. Daemor secoue un peu la tête alors, il n'avait pas envie de jouer un jeu en face de Saerelys alors qu'elle l'avait vu au plus mal, qu'elle l'avait vu au moment où il était en train de perdre son fils et que son cœur venait à saigner de ce qu'on était en train de lui retirer. « Il n'est jamais aisé de faire un quelconque sacrifice, le bénéfice de celui-ci doit lui revenir, c'est sa vie et son avenir qui sont en jeu, pas le nôtre. Nous avons tous tracé notre route, c'est à lui de tracer la sienne à présent et je ne doute nullement des capacités de ce dernier à y parvenir. Cependant, je ne peux que te remercier de veiller sur lui pour nous. »

Le jeune sénateur s'installa face à la mage, et écouta alors les confidences de la mage juste en face de lui. « Je suis sincèrement désolé pour toi et pour les tiens au sujet de la disparition de ta sœur. Cela marque sans aucun doute. Les souvenirs sont une maigre consolation, ils nous aident autant qu'ils peuvent nous faire souffrir. Et les souvenirs qui se créent par la suite, sont marqués par l'absence de la personne que l'on a perdu, et avec qui on aurait aimé partagé cela. » Il était certain que si Aenerya avait été encore en vie, il aurait sans doute mieux réussi à gérer la tristesse qui étreignait son cœur. Elle savait si bien calmer les maux qui étaient les siens quand l'inquiétude devenait étouffante. Mais avec la perte de Taeganon, c'était malheureusement aussi la perte définitive de la mère de celui-ci, poussant Daemor à revivre à nouveau le deuil de son épouse, le poussant alors à avouer que d'une certaine manière, il avait déjà tout perdu. Il inclina la tête doucement. « Encore une fois je remercie ce que le Collège fait pour lui, je ne doute pas un instant du fait qu'il puisse se plaire auprès de chacun d'entre vous. » Pour le moment, il était encore bien difficile pour l'aîné de la maison Bellarys de parler de son fils, pour autant Saerelys avait été aux premières loges de la santé déclinante de Taeganon, à une vitesse qui n'avait pas pu être maîtrisable un seul instant malheureusement. Il serra le poing en entendant ses paroles, et préféra alors se lever pour pouvoir s'éloigner d'elle, observant par la fenêtre pour ne pas avoir à la regarder elle.  « Oui nous pouvons prier pour cela en effet … Mais ça n'apporte aucune consolation pour autant. Si les Dieux ont décidé de me l'enlever, alors c'est sans doute qu'ils n'ont pas de cœur ... » C'était sans doute un blasphème que de dire cela à cet instant, mais les Dieux l'avaient forcément abandonné s'ils avaient décidé de lui prendre son fils. « Je te remercie pour ta proposition et ne manquerait pas de te faire signe si j'en ai le besoin. » Et il était certain qu'il en avait déjà besoin actuellement, mais qu'il ne voulait pas avoir recours à la magie pour le moment, il avait perdu quelque peu force dans les différentes croyances.
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Lorsque le pire se produit.

Pied à terre des Bellarys & An 1066, mois 2.

Aux yeux de Saerelys, la Magie avait commencé par deux deuils. Celui de cette jeune sœur que son père ne l’avait même pas laissé approcher, alors que la Vie l’avait déjà quitté. Celui de ce dragon qui avait été le sien pendant douze années. Un double-deuil qui l’avait vidée, lacérée dans ses chairs et dans son âme, presque tuée à son tour. Comme les bras de Mealys lui avaient semblé chaleureux, maternels presque, alors que sa propre mère ne pouvait pas être présente. Comme les plaisanteries d’Aelys avaient pu lui manquer, bien que Kaerys tentait de lui faire oublier sa solitude à l’aide ses propres rires, de ses propres frasques. Comme la compagnie de ses amis avait pu lui sembler vitale, ne pouvant que lui rappeler ses frères qu’elle avait laissé derrière elle, à son grand désarroi, sans même l’avoir souhaité, dans les faits. Car entrer au Collège, c’était comme mourir une première fois. Mourir pour espérer renaître par la suite.


Une espérance, seulement. Hélas, il arrivait que certaines personnes n’arrivaient pas à se faire au Collège, à vaincre leur Épreuve des Nerfs puis leur Grande Épreuve. Au-delà de leur lignage, novices comme Mages devaient mettre une partie de leur destin entre les mains du Collège, de leur République. Leur potentiel ne leur appartenait jamais réellement, qu’importe leur Cercle. Le Magister même se devait de courber l’échine devant le Conseil. Un grand pouvoir impliquait toujours de grandes responsabilités, les choses étaient ainsi faites. Leur destin n’était point le leur. Du moins, pas tout à fait. Les Mages jouaient toujours avec ces limites, comme dansant sur le bord d’un précipice. Alors, le silence, la protection et l’approbation de leurs confrères et de leurs consœurs n’en devenait que plus vitale encore. Tout cela pour protéger cette dernière parcelle de destin qui leur appartenait toujours.


« … Veux-tu lui écrire ? proposa doucement Saerelys, compatissante. A moins que tu n’aies quelques paroles que je puisse lui rapporter ? »


Taekar était inquiet pour sa famille, à raison. Le deuil était une terrible, une cruelle épreuve. D’autant plus cruelle lorsqu’il était impossible de pouvoir soutenir les siens, de pouvoir se rendre compte par soi-même de leur peine, de leur douleur. Saerelys voulait croire au fait que cette lettre, ou ces quelques mots, pourraient apporter un léger apaisement à Daemor. A son frère resté au Collège également. Qu’ils puissent faire leur deuil ensemble, malgré l’éloignement, comme toutes les familles se devaient de le faire. Aussi, la novice ne put que hocher la tête lorsque son hôte présenta ses regrets et ses condoléances pour ce petit être qu’elle n’avait point connu. Au palais, rares étaient les personnes qui osaient parler de cette sœur, de ce double que Rhaelys avait eu et aurait du avoir. Un deuil que sa mère semblait avoir porté seul. Un deuil qui n’avait été effacé que par les années, non pas par l’affection que les Riahenor pouvaient mutuellement se porter.


« Hélas, nous partageons-là une vision semblable des choses… La jeune femme poussa un soupir. L’absence est comme une douleur lancinante. Il nous arrive de l’oublier, de l’occulter. Mais elle parviendra toujours à rappeler sa présence. Même l’armure la plus résistante ne peut nous protéger de cela. Seul le temps semble le pouvoir… Mais à un prix loin d’être dérisoire. »


La guerre contre cette affreuse Harpie laissait déjà des traces de cette nature dans son lignage. Saerelys savait déjà que certains de ses cousins ne reviendraient pas. Ne reviendraient jamais. Que seule restait cette place laissée vide à leur attention, à leur table, dans leurs appartements. Pour quelques temps encore, le temps de leur deuil. Le temps de se rendre compte que leur absence était bien réelle. Éternelle, même. Le temps que les larmes se tarissent réellement. Si toutefois une pareille chose se révélait possible. Car si les pères cachaient aisément leurs sanglots, il n’en allait pas de même pour ces mères qui pleuraient leurs enfants partis combattre et auxquels elles n’avaient même pas eu l’occasion de dire au revoir.


Saerelys ne put retenir un sursaut lorsque Daemor se leva, s’éloignant d’elle. La novice n’eut guère besoin de réfléchir longuement pour comprendre que ses mots avaient été trop aiguisés. Que malgré la bonne volonté qui avait été la sienne, la blessure était encore trop vive pour qu’elle ne puisse l’apaiser chez Daemor. Un frisson parcourut son dos. Un frisson que la Riahenor ne prit même pas la peine de contenir. Comme ses jambes lui semblaient lourdes. Et pourtant, la novice trouva la force de se lever à son tour. Esquissant quelques pas, la jeune femme resta cependant à une distance respectable du père éploré. Joignant ses mains, croisant ses doigts afin de ne point les laisser frémir, Saerelys resta là. Elle comprenait ces mots. Elle ne les comprenait que trop bien. Elle-même avait pu en proférer de semblables, par le passé. Seules les années, et non pas des mois, lui avait permis de voir au-travers de ce voile de douleur et de peine qui lui masquait la vision.


« Certains de nos Dieux sont bien cruels, il est vrai…  » approuva la novice, une grande peine dans la voix.


Un pas de plus, puis un autre. Saerelys se trouvait désormais non loin de Daemor, oubliant cette prudence qui avait été la sienne jusque-là. Daemor avait été son patient, à bien des égards. Un patient qu’elle ne pouvait pas abandonner. Au-delà de son devoir, c’était son cœur qui s’y refusait. Nombreuses étaient les personnes qui la considérait comme naïve. Une naïveté touchante, parfois agaçante aux yeux de certains. Une naïveté qui découlait sans doute de cet altruisme dont elle devait faire preuve pour prendre soin des autres. Telle avait été sa mission en cette demeure. Telle était toujours sa mission, qu’importe ce que pouvait en penser ce pauvre homme à ses côtés.


« Ma Magie est à ton service, en ce cas. Délicatement, Saerelys avait déposé sa main sur l’épaule de Daemor. Ma Magie, tout comme mes baumes et mes potions. Mes mots également, si tu penses qu’ils auraient une quelconque utilité selon toi. »


La jeune femme avait pris toutes les précautions nécessaires, en esquissant son geste. Le chagrin et la tristesse étaient les deux composantes d’une matière pour le moins explosive. La novice craignait de se faire repousser. Il aurait s’agit-là d’une réaction pour le moins normale, attendue. Mais elle se devait d’essayer. Les Mages restaient des humains. Des hommes et des femmes qui aimaient, haïssaient, qui voulaient et pouvaient consoler. Consoler. C’était là la seule idée que Saerelys avait à l’esprit. Les auras avaient parfois un tel pouvoir. Un pouvoir mimétique. Elle se devait d’essayer. Elle se devait. Laissant sa Magie affluer dans ses veines, cette douce chaleur irriguer chacune des fibres de son être, la novice amplifia son aura, la chargeant de sa propre énergie. Une énergie qu’elle voulait apaisante, positive à sa manière. Une petite dose d’énergie qui la quittait petit à petit, qu’elle souhaitait transmettre et non pas conserver pour elle-même. Car dans cette pièce, Saerelys n’était pas celle qui en avait le plus besoin. Par ce simple contact, apaiser une telle peine lui était impossible. La rendre plus supportable était là un but plus atteignable.




( Gif de humilesque-myricae. )

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Daemor ne connaissait rien à la magie, la véritable magie, celle qui avait guidé son frère loin de la maison pour pouvoir rentrer au Collège, cette magie qui l'avait rendu différent des autres membres de sa famille, qui lui avait tracé un chemin qui quelque part l'avait éloigné du reste des Bellarys. Bien sûr, l'aîné de la maison, reconnaissait bien que la magie était tout autour d'eux, à chaque instant, à chaque pas qu'il faisait à Valyria, ou n'importe où ailleurs, quand il venait à fouler la terre de ses ancêtres. Comment expliquer, alors, même l'existence des dragons sans cette dernière, la connexion qui se créait ou non leur de l'épreuve du feu peu de temps après la naissance ? Il pouvait dire qu'il la sentait tout autour de lui, qu'il l'avait vu agir mais pour autant il ne comprenait pas ses secrets, il ne savait pas comment cela pouvait fonctionner. Il avait cru en elle, il avait cru en ces Quatorze Dieux pour pouvoir obtenir un peu de secours. Ils n'avaient jamais répondu à ses prières, ils ne l'avaient déjà jamais fait lorsque Daemor avait eu la volonté de sauver Aenerya d'une mort qui semblait de plus en plus certaine. Ils n'avaient pas sauvé son fils, le jeune Taeganon, alors que son père était certain qu'il aurait été promis à un très grand avenir, qu'il aurait pu vivre une vie paisible, dans la paix après la victoire de Valyria contre Ghis, qu'il aurait été fort et intelligent. Il rendait déjà son père tellement fier, il aurait été certain qu'en grandissant cela n'aurait pas changé, il était curieux de tout, il s'émerveillait pour un rien. Chaque jour était une nouvelle aventure pour ce petit prince qu'il aimait tant. Et pourtant, on le lui avait arraché, en quelques semaines, en quelques jours. Il était passé de la lumière à l'ombre la plus totale, il avait été dévoré par une maladie sourde et muette, qui s'était propagé à une vitesse presque délirante, ne laissant à la fin qu'un cadavre sans vie, sans espoir et sans avenir. Daemor ne le disait pas, il ne pouvait pas parler de ses maux à haute voix, il ne pouvait pas passer pour un faible, son propre père ne pourrait jamais le lui pardonner s'il agissait ainsi, mais d'une certaine façon lui aussi était à présent mort. Il errait tel un fantôme parmi les vivants, certes, il avait encore une constitution physique, mais il avait l'impression que tout cela n'était plus vraiment lui, il n'était qu'une âme vide, rattaché à un corps fatigué par les épreuves qu'il avait traversé. Se relever était bien plus dur que de se laisser sombrer. Combattre était presque au-dessus de ses forces à présent, et il ne savait par quel miracle il parvenait encore à tenir.

L'héritier des Bellarys tentait tant bien que mal de se montrer courtois et poli avec la mage, acceptant de parler de ce collège qui prenait soin de son frère et qui lui apprenait les notions les plus complexes de la magie. Pour autant, il venait à se rendre compte qu'il n'en avait que faire de tout cela, que ça ne l'intéressait plus. Alors, il comprenait surtout qu'il avait perdu la Foi, la foi pour des Dieux qui l'avaient abandonné, la foi pour une magie qui s'était détourné de lui. Et il ne supportait plus qu'on vienne à lui dire que si son fils était mort, c'était pour une bonne raison. Il n'y avait aucune bonne raison pour cela. A cette réflexion, il sentit son sang se mettre à bouillir, et même s'il gardait une expression du visage aussi neutre que possible, il avait envie soudainement de tout détruire dans cette pièce, juste pour pouvoir passer cette colère, pour pouvoir la faire quitter son corps. Il ne voulait plus ressentir tout cela, il avait l'impression de perdre la raison, il ne se reconnaissait plus. Il regarda Saerelys et réfléchit un instant à sa question, il n'avait clairement pas la force ou la patience d'écrire quelques mots à l'attention de son frère. « Dis lui que je le remercie sincèrement pour son soutien et son affection. Que nous restons une famille forte et unie, et qu'ensemble, de loin comme de près, nous arriverons à faire face à cette perte. » Lui-même ne croyait pas aux mots qu'il venait de prononcer et d'ailleurs, il ne fit même pas l'effort de démontrer le contraire en les prononçant. Il détourna à nouveau le regard, et garda une nouvelle fois le silence, il n'avait pas non plus la force de répondre à la jeune femme concernant ses paroles sur le deuil, sur la perte, et sur l'acceptation de cette dernière. Tout le monde lui disait sans cesse que le temps ferait son œuvre et qu'il finirait par apaiser un peu sa douleur et sa peine. Pour le moment, on venait encore à accepter que Daemor Bellarys puisse montrer sa souffrance en public, mais bientôt, il devrait faire semblant, pour pouvoir continuer à agir en temps qu'homme d'une des familles les plus importantes, en tant qu'héritier de celle-ci, en tant que sénateur.

Il ne pouvait pas à ce point décevoir les autres membres de sa famille pour un fils qui n'avait pas su passer le cap de ses cinq ans. Il entrevoyait déjà les rouages dans l'esprit de son père se mettre en place. Jaegar pensait déjà à son remariage avec la dernière fille de la famille, aux enfants qu'ils auraient ensemble, le plus vite possible serait le mieux. Tout cela lui donnait la nausée. Daemor trouvait cela tellement abjecte, tellement répugnant. Il aurait pu reconnaître volontiers en cet instant, qu'il aurait préféré être à la place de son jumeau, de son double, de cet autre qui était quelques minutes seulement après lui, et qui de ce fait, venait à occuper la seconde place dans la famille. Il aurait aimé que ce soit lui l'aîné, que ce soit lui l'héritier, il n'aspirait plus à tout ça à présent, et même d'une certaine façon, en ce moment plus que critique pour lui, il était clair d'une chose, il aurait préféré rejoindre sa femme et son fils plutôt que de continuer à fouler cette terre sans eux. Mais il était aussi parfaitement conscient que ce n'était qu'une question de facilité et il savait qu'il ne devait pas vivre cette voie-là. Mais pour qui prenait-il cette décision ? Pour lui ? Pour son jumeau qu'il aimait au-delà du raisonnable ? Pour sa tendre sœur ? Pour sa mère douce et délicate ? Ou pour son père et pour le déshonneur que cela causerait à la maison des Bellarys ? Il n'en savait rien, mais il y avait encore une maigre flamme qui brillait en lui, et il devait se battre pour elle. Il sursauta légèrement quand elle posa sa main sur son épaule, il se rendait bien compte qu'il n'était plus totalement là dans la conversation et se surprit même à la voir juste à ses côtés. Tournant son visage vers elle, il se concentra sur ses paroles. « Tu peux toujours tenter de faire quelque chose avec cette magie qui est la tienne … J'ai, de toute façon, déjà perdu ce qui comptait le plus à mes yeux. »
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Pied à terre des Bellarys & An 1066, mois 2.


Aux mots de Daemor, les épaules de Saerelys s’affaissèrent. De son aura, il ne restait désormais plus qu’une maigre flammèche. Était-ce là le contrecoup de ce sort qu’elle avait tenté d’utiliser ? Ce serait-il retourné contre elle, emportant dans son sillage une partie du mal-être de cet homme pour le lui rapporter ? Pour qu’elle fasse sien ces sentiments qu’elle ressentait déjà, bien que ceux du père éploré qui se tenait là étaient bien plus exacerbés ? Imperceptibles, des larmes se formèrent aux creux de ses paupières. Sans doute Daemor ne pouvait-il pas les voir. Les choses étaient mieux ainsi. Comment aurait-elle pu expliquer les sanglots qu’elle retenait si péniblement, désormais ? Ils n’étaient rien, face à la douleur de perdre un enfant.


Malgré cela, la main de la novice ne quitta pas l’épaule de celui qui avait été son patient. Qu’importe si son âme manquait de force, si elle se retrouvait tourmentée. Son corps, lui, était toujours là. Elle était toujours là, malgré l’étau qui lui prenait gorge et poumons. Sa gorge était si serrée que Saerelys ne pouvait laisser échapper le moindre mot. Alors reporta-t-elle son regard sur la fenêtre toute proche. Elle resterait tout de même. Encore un peu. Silencieuse comme une ombre, mais présente. Rassurante, si cela lui était possible. De longues minutes s’écoulèrent ainsi, dans un premier temps, sans que ni elle, ni Daemor, n’osent prononcer le moindre mot.


Elle avait perdu son premier patient dans cette demeure.


Avait-elle fait assez ? Aurait-elle pu faire plus ?


Aurait-elle pu forcer Daemor à se reposer ? Aurait-elle pu amplifier davantage son aura pour l’apaiser, ne serait-ce que quelques heures ?


Aurait-elle pu sauver cet enfant ?


Une larme solitaire glissa alors sur le visage d’albâtre de la Dynaste. Elle sentait que sa main tremblait, désormais. Sensiblement, mais elle tremblait. Un tremblement que Saerelys peinait à contenir. Ses muscles ne lui répondirent qu’après quelques instants. Devait-elle partir ? Non. Il lui fallait tenir encore un peu. Juste quelques instants supplémentaires. Juste une poignée de secondes. Tout cela lui était bien trop familier, pour qu’elle accepte de s’enfuir. Elle avait déjà ressenti un tel chagrin. Celui de sa mère qui voyait partir en cendres sa plus jeune sœur, sans même pouvoir la nommer. Sans même pouvoir la saluer réellement une dernière fois. Une douleur sourde lui enserrait toujours le cœur. Mère avait essayé de cacher ses sanglots, sa peine. Saerelys l’avait cependant perçu. Elle était déjà assez âgée pour cela, à cette époque. Personne n’avait pu sauver sa sœur. Ni les Mages, ni les Prêtres. Personne. Elle avait disparu comme elle était venue, dans une brise automnale.


« … Je… Je ne pourrai jamais comprendre l’exacte teneur de ta peine, Daemor. avoua finalement la jeune femme, profondément peinée, la voix légèrement chevrotante. Mais si un jour, tu souhaites te confier à une personne extérieure à cette demeure, qu’importe l’heure du jour ou de la nuit, n’hésites pas. Je serais là, si tu le juges utile. »


Il n’avait s’agit que d’un murmure. Un murmure qui fut presque immédiatement écrasé par la lourdeur de l’atmosphère. Celui d’une guérisseuse profondément peinée. D’une guérisseuse qui s’était récemment rendue compte des limites de ses capacités, du pouvoir de ce sang qui coulait dans ses veines. Un dernier aveu, avant que le silence ne devienne le seul maître des lieux dans cette pièce. Une heure de plus s’écoula, avant que Saerelys ne demande le congé. Il lui fallait retourner au Collège malgré ses troubles. Taekar attendait de ses nouvelles, et, tout oiseau de mauvais augure pouvait-elle être à son propre avis, la novice ne pouvait le faire attendre davantage.




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