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Croiser le ferfr Maekar

Palestre & An 1066, Mois 4

L’ouverture de la première séance du Sénat approchait à grands pas. Aeganon avait travaillé d’arrache-pied sur les projets de sa faction, et fourbissait ses arguments en vue des futurs débats. Il avait également pris le parti de commencer une cartographie des sénateurs en fonction des informations qu’il avait sur leurs affinités avec les propositions avancées, afin d’avoir une vue claire de la majorité pouvant éventuellement se dégager. Il lui manquait encore plusieurs noms, mais il avançait, dans l’ombre comme toujours, et c’était bien là le plus important. Il avait également commencé à tisser sa propre toile, lançant ça et là quelques appâts pour voir ce qui mordrait. Bref, il préparait studieusement sa rentrée dans la cour des grands, et il avait hâte de s’y faire une place. En attendant, harassé par sa charge de travail, il avait décidé de quitter son bureau qui, un peu trop souvent ces derniers jours, lui servait littéralement de demeure pour aller se délasser à la palestre. Les exercices physiques lui manquaient, après tant de temps passés dans l’armée, et ses muscles lui envoyaient des picotements de mécontentement. Le sport de chambre avait, il faut croire, ses limites pour contenter sa soif d’expérimentations physiques et de sueur partagée.

Traversant d’un pas sûr les rues de Valyria, il bifurqua donc vers la palestre, y entra et fut immédiatement entourée par un essaim de serviteurs se courbant bien bas devant l’arrivée d’un Sénateur, comme l’indiquait sa toge. Saluant le patron, qui se fendit lui aussi d’obséquieuses salutations, il entra dans le vestiaire et y déposa ses effets, avant de sortir en pagne, moins par pudeur que par commodité pour ce qui allait suivre, puisqu’il n’y aurait point uniquement des étirements athlétiques, et qu’il avait besoin de protéger un minimum ses parties. Une fois à l’intérieur, il commença quelques échauffements, faisant rouler sa musculature bien dessinée, dénouant les nœuds qui s’étaient formés dans son dos à force de rester assis. Une fois certain qu’il ne risquait aucune élongation, il commença à courir, pour réentraîner ses jambes, appréciant de fouler du pied le sol poussiéreux, prévu à cet effet, et de ne plus penser à rien pendant quelques minutes. Son esprit s’était tu, et seul comptait le martèlement de ses talons, à foulée régulière. Il n’entendait plus rien, ne voyait plus rien, tout entier concentré, tendu vers ses muscles qui bougeaient, qui le soulevaient de cette terre qui envahissait ses pieds. Les intrigues, les soucis, les interrogations, tout disparaissait au rythme de ses pas. Finalement, il s’interrompit, pour s’emparer des jambières, de la lance et du casque à sa disposition. Une fois le tout mis, il recommença à courir, alourdi par l’équipement, mais encore plus heureux. Il se sentait comme chez lui, harnaché de la sorte, et retrouvait dans cet exercice simple et très courant pour conserver la forme physique des soldats la vieille camaraderie des camps qui lui manquait plus qu’il n’aurait osé l’avouer. Il y avait une connivence virile qui s’établissait, les barrières sociales s’affadissaient, du moins, entre les cadets sans intérêt comme lui et les fils d’artisans. On y parlait librement, de tout et de rien. On y partageait ses rêves, ses désirs sans entrave. On parlait de femmes, oh, ça … Des femmes aimées, de celles qui n’étaient que chimères, des femmes espérées, des femmes des autres aussi. On parlait de la famille parfois, plus pudiquement. Des mères qui attendaient, des sœurs qui s’inquiétaient, des frères perdus à la guerre, de ceux qui n’y étaient pas encore. C’était un monde plus simple … en apparence. Car les amitiés de ces jours-là faisaient les alliances de demain. Et elles pouvaient finir par vous porter à Drivo. Rien n’était anodin, jamais.

Reposant son équipement, Aeganon prit une épée courte typique du fantassin valyrien et commença quelques moulinets, en soupesant le poids, pour s’habituer parfaitement à sa prise. Puis d’un geste, il invita un jeune homme qui s’entraînait non loin à le rejoindre. Le gamin, flatté, acquiesça rapidement, et ses amis entourèrent bientôt le duo de duellistes, beaucoup murmurant avec excitation alors qu’ils avaient reconnu celui qui avait lancé le défi. Des fils de commerçants bien établis qui rêvaient de s’élever à n’en pas douter. Rapidement, sans doute fouetté par l’ardeur et l’honneur, le jeune garçon s’élança à l’attaque. D’une feinte souple, le Bellarys s’écarta, manquant lui faire mordre la poussière. Se repositionnant, il lui laissa le temps de se relever. Le môme, vert de rage sous les quolibets, repartit à l’attaque. Cette fois, son opposant ne se déroba pas. A la place, il l’engagea, et l’acier rencontra l’acier. Avec précision, il le mena peu à peu où il le voulait, et lorsque le jeune homme chargea à nouveau, il rencontra encore une fois du vide, puis le sol. Cette fois, le Sénateur pointa sa lame contre sa gorge, signifiant la fin du duel. Avant de tendre la main pour aider le garçon à se relever, et de lui prodiguer quelques conseils pour mieux équilibrer ses attaques, ainsi que se placer, une main familière sur ses épaules. Le gamin but ses paroles, et lorsqu’il le laissa, il avait des étoiles dans les yeux.

Cherchant un partenaire plus en jambes, Aeganon sourit quand il reconnut dans un coin une silhouette bien connue. Depuis combien de temps était-il là ? Il avait dû assister au moins à la fin de son petit amusement. S’avançant vers lui, le Bellarys lança :

« Allons, Sénateur, joins-toi à moi pour montrer quelques passes d’armes à nos jeunes valyriens ici présents, pour leur faire voir ce que notre armée peut leur apporter ! »

Lui jetant une épée, il se plaça au centre de la palestre, à présent désertée, une pose faussement indolente, que seuls ses yeux lavande en constant mouvement trahissaient comme de pure forme. Il savait se détendre quand le moment arriverait, mais un peu de mise en scène ne gâchait rien.

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Croisons le fer





Aeganon et le père Tergaryon n'avaient eu de cesse de mettre en garde le héros de guerre concernant le terrain de jeu sur lequel il allait évoluer, l'avertissant de la nécessité d'alliance et de prudence avant d'agir, si bien que Maekar avait craint de se retrouver sous l'eau des le premier jour dans son nouveau rôle. Après tout il passait de l'action à la discussion, aussi était-il attendu de sa part un grand temps d'adaptation mais, à bien y regarder ce ne fut pas si terrible que cela. Certes les premiers jours furent assez compliqués car le Tergaryon fut contraint d'assimiler une quantité incroyable d'informations, de lois et de règles en préparation des débats à venir, afin de construire les fondations sur lesquelles il allait s'appuyer sur les premières séances au Sénat, mais il savait bien que son rôle s'étendait bien au-delà de la rédaction de projets et du débat sur ces derniers.
Pour être parfaitement honnête il fut surpris de la vitesse à laquelle il parvint à s'habituer à son nouveau environnement et, si les trois premiers jours furent les plus pénibles, bientôt les rouages de son esprit se mirent en place. Maekar canalisant sa puissante concentration habituelle, oubliant jusqu'à son environnement pour se concentrer sur la tâche qui lui était dévolue et, à sa grande surprise, outre quelques migraines passagères, il parvint à dessiner les contours du monde dans lequel il allait être plongé. Déjà quelques sénateurs se bousculèrent à sa porte, certains se vantant de l'amitié avec le père du général, d'autres mettant en avant leur fils ayant combattu à ses côtés ou sous ses ordres et, si l'ancien Maekar aurait rejeté ces courtoisies d'un haussement d'épaules absent, le sénateur d'aujourd'hui prit sur lui et les accueilli tous, en écoutant ce qu'ils attendaient de lui. Plusieurs  n'énonçaient pas toujours leurs propos clairement, essayant de flâner la bravoure de Maekar pour s'attirer autre chose qu'un hochement de tête poli mais, évidemment, tous sans exception avaient une idée derrière la tête.

Ils voulaient son soutien, ils voulaient son pouvoir, ils voulaient sa renommée et, bien sûr, ils voulaient son nom. Maekar aurait été ravi de leur apporter son soutien sans arrière pensée, si son camarade Aeganon ne l'avait pas averti initialement, aussi prit-il le temps de les écouter sans donner de réponse. Il affirmait qu'il allait réfléchir, que leurs propositions étaient intéressantes mais, bien sûr, à aucun il ne fit de promesses. Au lieu de cela il se replongea dans les textes élaborés avec son ami et son officier supérieur, en vue de l'arrivée imminente de la première session du sénat où ils seraient en tête de file, jusqu'à ce que son corps ne réclame de l'activité.
Depuis son retour le Tergaryon avait fait son possible pour s'accorder au moins une heure d'exercice par jour, avec son ancien maître d'armes ou avec des soldats triés sur le volet mais, à l'approche de la session au Sénat, il devait avouer avoir délaissé ce qui était pour lui un doux plaisir. Laissant de côté sa toge pour aujourd'hui, Maekar enfila donc une tunique rudimentaire aux tons sombres et se dirigea d'un pas décidé vers la palestre où, assurément, il espérait trouver quelques gaillards à même de réveiller ses muscles endormis.

En arrivant il retint un soupir en sentant les regards curieux et intrigués tournés vers lui, comme s'il n'appartenait plus à ce monde et que sa place n'était plus ici, dans la terre et le sable. Pourtant c'était ici qu'l était né, ici qu'il avait grandi, ici qu'il était devenu un homme : sa place était ici. Il ignora donc les regards, répondit aux courbettes par un sourire forcé mais de circonstance, avant que sa main ne vienne se refermer autour de la garde d'une épée longue. Oh comme cela lui manquait cette sensation, cette lourdeur, ce tintement du métal et, s'il laissa un sourire satisfait glisser sur son visage alors qu'il s'échauffait, les échos d'un affrontement tout proche parvinrent à capter son attention. Un homme donnant une leçon à un autre ? Cela semblait être le cas en effet et, heureusement, grâce à sa carrure Maekar n'eut pas à s'avancer beaucoup pour voir au-dessus de la foule.

Était-ce... ? Oui, bien sûr que c'était Aeganon. Qui d'autre aurait l'audace de l'inviter de la sorte à croiser le fer? On pouvait essayer de battre en duel un soldat, voir un officier, mais un général ? Un héros de guerre ? Aucun fils de basse extraction n'aurait eu le courage nécessaire pour lancer ce défi. Lorsqu'il fut ainsi appelé, le silence se posa et tous se tournèrent vers lui, s'écartant pour creuser un passage dans la foule, jusqu'au centre de l'arène. S'autorisa un petit sourire discret à l'attention de son camarade, Maekar attisa le feu valyrien en lui et répondit :

« Tu sais que je ne peux refuser une telle proposition. »

Certains pourraient y avoir une trace d'arrogance, une volonté d'écraser son adversaire et Maekar n'avait aucune intention de leur prouver le contraire, car c'était une telle fougue qui était attendue de lui. En revanche Aeganon savait, lui, que ce que le général cherchait avant tout ce n'était pas d'écraser son partenaire mais de s'écraser lui-même, de se briser et se remodeler comme une épée. En clair, il prenait chaque opportunité qui lui était donnée de repousser ses limites afin de devenir un meilleur homme, un meilleur combattant ou, dans le cas présent, un meilleur guerrier.
Faisant demi-tour, Maekar attrapa une autre épée longue, avant de s'avancer vers le centre de l'arène.

« Ne préfères-tu pas l'épée longue ? Quitte à s'entraîner, autant le faire correctement. »

À ce mots il lança l'épée vers son camarade, pommeau vers le haut. Pourquoi ce changement ? Parce qu'ils s'étaient tous deux battus à l'épée longue sur le champ de bataille, parce que cette longueur en faisant l'arme de prédilection du général et, s'ils voulaient s'entraîner de façon utile et efficace, ne devaient-ils pas être dans les meilleures des dispositions ? Lentement mais sûrement, Maekar s'avança jusqu'à quelques mètres de son ami, ressentant la terre et le sable sous ses sandales, alors qu'il soupesait l'arme qu'il avait dans le main. Ce n'était pas la sienne, pas son arme qui l'avait accompagné pendant quatre années de batailles ininterrompues mais, pour aujourd'hui, elle ferait l'affaire.

« Messieurs. Regardez et apprenez.  »

Laissant la pointe de sa lame tracer un sillon dans le sable, le général prit une inspiration et, prenant ses appuis, s'immobilisa en une posture d'attente neutre. L'épée près du corps, levée au niveau du visage, parallèlement à son corps massif, l'homme posa son regars dans celui de son corps et, lorsque le silence fut enfin installé, il initia le premier échange en posant le premier pas en direction d'Aeganon. Ses premiers coups de tranche diagonale étaient sacs et rapides comme à son habitude, mais ils ne portaient pas tout son poids pour l'instant. Pourquoi ? Tout d'abord parce qu'ils ne faisaient que s'échauffer pour le moment, mais ici parce que c’était son ami en face de lui et tuer ce dernier n'avait jamais fait partie de l'équation.

Ils étaient tous les deux venus pour se réveiller, s'exercer, se préparer à ce qui approchait à grands pas.



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Croiser le ferft Maekar

Palestre & An 1066, mois 4

« Comme il te plaira. »

Haussant les épaules, Aeganon jeta négligemment l’arme qu’il tenait en main sur le côté après s’être brièvement baissé pour l’envoyer jusqu’au rebord de la palestre avec une précision presque étrange, mais qu’un observateur averti n’aurait pas manqué de reconnaître comme la réalité sous le masque de sa prétendue nonchalance. Il valait mieux se méfier de l’eau qui dort, et en l’occurrence qui aimait folâtrer. Le Bellarys aimait cultiver cette apparence pour mieux tromper son monde, ainsi que ses adversaires. Seul le champ de bataille l’avait révélé tel qu’il était réellement, calculateur et audacieux, en un mélange paradoxal qui s’expliquait par sa propension à toujours chercher à envisager toutes les possibilités à sa portée avant de saisir sa chance et d’attaquer. Il n’avait jamais aimé la lâcheté et la prudence extrême, mais n’était pas non plus adepte de la témérité la plus folle qui s’appelait bravoure quand elle réussissait, et stupidité quand elle échouait. Malheur aux vaincus, gloire aux vainqueurs comme on disait dans l’armée. Les premiers avaient toujours tort, même si en vérité, leurs raisonnements avaient été de bon aloi, car cruelle était la loi de la guerre. Peut-être était-ce là deux leçons fondamentales à retenir : on ne pouvait se prémunir de tout, car la guerre était avant tout une affaire d’opportunité à saisir au bon moment, mais pour se faire, il était nécessaire d’obtenir les meilleurs renseignements, le meilleur terrain à préparer. A la bataille, c’était également le cas. Et en politique, il en était certain aussi. Voilà pourquoi il tentait de tâter certains terrains, y compris ceux a priori conflictuels, afin d’avoir une idée plus fine des rapports de force, et des alliances de circonstances qui pouvaient se tisser. Le moment fourmillait d’opportunités à saisir. Pour autant, au milieu de ces conciliabules menés tambour battant, il n’en oubliait pas de s’entretenir, et par la même de continuer à construire sa propre gloire. Le titre de héros ne durerait qu’un temps. Déjà, les feux de la victoire retombés, l’enthousiasme assagi, chacun retournait à ses activités ordinaires et les limaces rampantes qui avaient brillé par leur absence ou leur vue basse sortaient de l’ombre, pouvant à nouveau faire briller leurs misérables petites ambitions sans intérêt. C’était ainsi. A lui, en contrepartie, de cultiver toujours le sentiment d’urgence chez les anciens soldats, de les assurer de son soutien inébranlable tout en se faisant davantage connaître. Fréquenter les cercles de sociabilité classiques était donc une obligation, que ce soit le théâtre, les thermes ou la palestre donc. Il fallait être vu. Il fallait être visible. Il fallait être voyant. Quoi de mieux, pour cela, qu’un duel relevé contre Maekar ? Dès le soir, le bruit courrait qu’ils s’étaient affrontés. On décrirait avec avidité la rencontre, la beauté du choc, et d’ici quelques jours, certains spéculeraient sur la véritable raison de cette rencontre. On parlerait femmes, argent, pouvoir … Peut-être que certains croiraient à la désunion des deux hommes, ce qui serait une occasion parfaite pour jauger certains adversaires. Et en attendant, il allait s’amuser. Oh oui, il y comptait bien. Déjà, un sourire carnassier se peignait sur ses lèvres, tandis qu’il passait sa langue sur ses dernières d’une façon légèrement provocante, comme pour enjoindre son opposant à venir le caresser de sa lame.

Bientôt, ce fut chose faite. Aeganon connaissait suffisamment le style et les bottes de Maekar pour avoir anticipé le premier assaut. D’un décalage de danseur, il évita aisément l’acier, le laissant battre le vide alors qu’il s’y dérobait. Conscient de la puissance pouvant être déployée par les muscles massifs du Tergaryon, le Bellarys ne cherchait pas la confrontation pour le moment, préférant ce petit jeu du chat et de la souris qui avait souvent rendu fou ses adversaires. L’homme était d’une rare souplesse – ce que ses multiples conquêtes pouvaient confirmer à foison – et possédait un jeu de jambes à faire pâlir la plus vive des danseuses louées pour les banquets de Valyria. Aimant jauger ses opposants, il aimait les faire danser, précisément, comme il aimait à le dire avec sa morgue ordinaire, afin d’observer leur style, de les fatiguer … et de trouver la faille pour contre-attaquer. Tout cela, bien entendu, demeurait réduit à portion congrue en cas de véritable affrontement. Déjà parce que dans ce cas, il était juché sur le dos d’Astyrax, ce qui l’empêchait clairement de prendre part à la majeure partie des affrontements, sauf s’il quittait son perchoir pour se joindre à ses troupes. En vérité, sa plus grande arme était son Ancien, et il en avait tristement conscience. Peu importait qu’il soit doué ou inepte une lame en main, face à la destruction que pouvait provoquer son compagnon, cette montagne d’écailles, de griffes, de crocs et surtout de feu-dragon destructeur, ce qui avait été amplement démontré lors de la prise de Borrash, et de la destruction qui avait suivi. Cependant, il mettait une forme de fierté mal placée à démontrer ses talents arme à la main, que ce soit à l’épée, arc ou javelot, voire à la lutte. Enfant, cela avait été rapidement son seul domaine d’excellence face à son jumeau. Il le dominait aisément, mû par une vitalité déjà proverbiale et une endurance hors norme, qui trouvait pleinement à s’exprimer en cultivant son corps plutôt que son esprit, enfermé dans une salle à écouter la leçon de leur pédagogue. Et cela n’avait pas cessé avec l’âge, se renforçant même. Puis, la différence avait éclaté lors de leur service militaire. Si Daemor s’en était acquitté tout à fait convenablement, Aeganon n’avait cessé d’y briller, à son aise tant sur le terrain qu’en dehors, se moulant dans cette camaraderie dont il avait fait sa marque de fabrique, rude et gouailleuse, plus adaptée à son tempérament canaille. Et là, dans cette palestre, il se sentait pleinement chez lui, face à Maekar.

Enfin, il se décida à contre-attaquer. Effectuant un pas de côté, il arma son bras pour attaquer mais, au dernier moment, changea de direction, son bassin se cambrant pour plonger en un coup bas à la taille, dans un large balayage que Maekar ne pourrait éviter qu’en se reculant, ce qu’il attendait avec impatience, puisque l’anguille qu’il était en profita pour changer rapidement son épée de main et effectuer une pique par le côté, large, destiné à lui caresser le flanc au moment de son retrait. Reprenant l’arme dans sa main directrice, il se fendit afin d’éviter le retour de lame inévitable et enchaîna avec une attaque haute, pour le désorienter. Mobile et changeant, Aeganon se voulait imprévisible, semblant décider au dernier moment du coup à porter, rendant volontiers son jeu illisible … et surtout spectaculaire. Là était l’enjeu, après tout, dans la démonstration plus que dans la réelle efficacité. Parce que sinon, il se serait contenté de prendre un peu de sable lors de son premier mouvement et de le jeter au visage de son adversaire, manœuvre retorse et traître qui n’avait pas sa place dans un affrontement contre son meilleur ami, à la loyale. Contre une autre personne, il n’aurait sans doute pas eu les mêmes précautions et absolument aucun scrupule sur un champ de bataille. Mais ils jouaient pour la beauté du geste, pas pour la réalité. Sinon, ils se seraient jetés l’un sur l’autre dans une empoignade féroce. Et il attendait que l’ancien général réponde sur le même ton, afin qu’ils portent leur art – car c’en était un – au firmament, pour la plus grande joie de leur public.

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Croisons le fer






Officier comme soldat du rang, la formation de chaque homme d'arme commençait de la même façon. Ils apprenaient tous à suivre les ordres, étaient invités à prendre connaissance de la hiérarchie militaire et de l'importance du respect des ordres, avant que la véritable formation ne commence. Quel que soit le niveau des participants, tous étaient testés et poussés à bout afin d'évaluer les limites de leur corps, dans le but de transformer le gras en muscle, dans le but de transformer ce couteau en épée. Puis venait ensuite la formation proprement dire où les soldats apprenaient à se servir de l'arc, de la lance et de l'épée comme des extensions de leur propres corps et, déjà, à ce moment de la formation se démarquaient ceux au talent évident. Ceux pour qui cet apprentissage était plus aisé que pour les autres, ceux qui avaient le talent suffisant pour sortir du rang et être plus que de simples soldats.
La formation militaire s'achevait généralement après l'apprentissage des manœuvres militaires et du maniement des quelques armes de sièges. À partir de ce moment-là une ligne était dessinée entre ceux qui prendraient les décisions et ceux qui les exécuteraient et, dans le cas présent, Maekar poursuivit cette même formation pour obtenir ses premiers galons d'officier. Il apprit à analyser le champ de batailles en terme de force et de faiblesses, d'opportunités et de menaces jusqu'à affiner son esprit analytique dans chaque aspect de sa vie.

Il n'était pas excessivement prudent comme certains couards carriéristes, il n'était pas non plus téméraire comme son défunt frère avait pu l'être, non. Maekar avait appris à analyser rapidement une situation, lister dans sa tête les scénarios possibles, du meilleur au plus probable en passant par le plus catastrophique, et s'engouffrer dans la brèche de son choix. En vérité cette partie de la formation avait été très rapide chez le Tergaryon, plus rapide que les choses autres sans doute car, à force de vivre une existence en retrait, dans l'ombre d'un autre, son sens de l'observation s'était élevé au rang de pur instinct.
Il y avait une raison pour laquelle seules les personnes en dehors du cadre militaire osaient comparer Maekar à son défunt frère, car ses frères d'armes savaient bien que, s'ils devaient choisir entre le téméraire et l'avisé, ce serait l'avisé qu'ils suivraient dans les flammes de l'enfer, à chaque fois. Aenar était un leader charismatique et au feu intérieur puissant, personne ne pourrait lui enlever cela, mais sa fougue naturelle l'avait toujours rendu aveugle aux conséquences des risques qu'il prenait, là où son frère cadet avait pris l'habitude de prendre une seconde de plus pour mesurer les risques, avant de foncer vers l'obstacle devant lui. Il finissait par passer à l'action, évidemment, car la couardise ou la peur n'avaient jamais fait partie de l'équation, mais il fonçait en sachant très bien où il allait.

Où allait-il ici, alors ? Aeganon avait suffisamment averti Maekar sur l'importance de son nouveau statut, pour savoir que l'affrontement qui s'en venait serait sur toutes les lèvres de la plèbe, d'ici demain matin. Alors pourquoi ? Pourquoi faire ce plaisir à son ami ? Parce qu'il était son ami pour commencer, parce qu'il avait désespérément besoin d'exercice et, enfin, pour rappeler à la plèbe comme aux grandes pontes que les deux officiers restaient à craindre, même si la guerre était juste derrière eux. L'obsolescence ne faisait pas partie de l'équation, voilà ce que voulut prouver le général en fonçant vers son camarade qui, de toute évidence, ne semblait rien avoir perdu de son agilité.

Les deux se connaissaient par cœur, connaissaient leurs méthodes et leurs technique sur le bout des doigts mais, s'il y avait bien un point que le Tergaryon n'avait jamais eu l'occasion de dévoiler en combat, c'était sa créativité. En effet s'il était considéré à juste titre comme l'une des plus fines lames de tout Valyria, le champ de bataille l'avait forcé à faire ressurgir ses souvenirs de sa formation, attaque, parade, contre-parade, estoc, etc...car c'était ce qu'il savait faire de mieux. C'était ce qui lui venait le plus naturellement et, dans l'urgence de batailles aussi chaotiques que celles-ci, la rapidité prévalait sur l'inventivité. Et pourtant il en avait à revendre de l'inventivité, car l'art de l'épée était une seconde nature chez lui, mais c'était un point que ses camarades ne connaissaient qu'assez peu.

« Depuis combien de temps n'avons-nous pas croisé le fer ? Depuis nos classes, peut-être ? »

Lors de leurs classes militaires il était habituel  de faire s'affronter les soldats entre eux, car rien ne préparerait un guerrier aux batailles futurs que d'en affronter un autre. Son énergie, sa violence, sa rage et sa technique.
Aeganon et Maekar étaient des amis d'enfance, mais c'était durant leurs classes que leur lien s'en était trouvé renforcé. Ils avaient été garçons, adolescents, soldats, officiers et maintenant hommes de pouvoir. Même maintenant Maekar avait du mal à concevoir ce changement, alors que son camarade tentait de contre-attaquer pour le prendre à revers.
Se reconcentrant sur la situation, le Tergaryon laissa le manche de son arme lui glisser des mains, selon les apparences, mais il en profita simplement pour inverser la prise sur son arme et bloquer le balayage qui aurait pu l'éventrer, faisant un peu en avant, repoussa en arrière son ami d'un coup d'épaule, avant d'enchaîner par un pas sur le côté pour esquiver la pique qui lui fut lancée, levant ensuite son épée sur laquelle vint glisser l'attaque d haute de son ami. Oh oui il aurait pu en profiter pour contre-attaquer à son tour et frapper son ami dans les jambes, lui brisant le genou pour réduire sa mobilité à néant, mais ce n'était ici qu'une démonstration, qu'un échauffement et pas un combat à mort ou un combat pour l'honneur.

Reculant de quelques pas pour prendre de la distance, Maekar lança un sourire amusé dans la direction de son ami, avant de planter sa lame dans le sol, s'abaissant pour défaire ses sandales, avant de les jeter sur le côté. S'il était devenu un guerrier renommé sur le champ de bataille, c'était dans un lieu que celui-ci où il était devenu un homme à part entière. C'était en mordant la poussière, en goûtant à son propre sang et en sentant le sable s'insinuer entre ses pieds qu'il avait pris conscience de la voie qui s'ouvrait à lui et, alors qu'il renouait avec ses origines, il eut le besoin soudain de sentir, une fois encore, le sable entre ses pieds.

« C'est bien mieux comme cela. »

Il resta là un instant, la tête baissée vers le sol, faisant glisser ses pieds dans la sable pour se rappeler de la sensation et, lorsqu'il se sentit enfin prêt, il se mit à bondir sur un pied pour sur l'autre, pour tester son équilibre, avant de pointer sa lame en direction de son frère d'arme. Laissant un sourire carnassier figer son visage en une expression féroce, une expression qui ne fut plus vue depuis le début de la guerre, Maekar conclut son intervention par une ultime invitation :

« Reprenons, Sénateur. »


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Croiser le Ferft Maekar

Palestre & An 1066, Mois 4

« Depuis les débuts de la guerre, avant ma blessure … et ton ascension. »

Un bref instant, Aeganon perdit légèrement le fil, se replongeant dans les souvenirs des débuts des affrontements entre Valyria et Ghis. De carrière militaire tous les deux, leur appel avait été différent que ceux d’autres valyriens. Il y avait déjà une certaine expérience. Mais Tolos avait rompu cela, en incapacitant le Bellarys, fauché par cette flèche en travers du bras. Il avait travaillé sans relâche pour retrouver sa motricité, ne se plaignant jamais, profitant de ce temps perdu loin du front pour s’occuper des tâches logistiques et se constituer ce réseau qui faisait sa force aujourd’hui, et dont les ramifications s’étendaient profondément dans les rangs de l’armée, et particulièrement de sa légion. En un sens, cette interruption avait été une bénédiction, quoique douloureuse. Mais la souffrance demeurait, parfois, comme une vieille maîtresse qu’on enserre dans ses bras pour ne pas penser au poids des ans, à l’haleine fétide, dont le regard fait vaciller les assurances. La mort, l’homme l’avait frôlée, et s’il n’en parlait jamais, préférant jouer de cette aura de guerrier invincible, de ce ravisseur de captives impitoyable qu’il avait forgée, un véritable outil de propagande à sa gloire, poli en permanence, même maintenant que la guerre était achevée, car Aeganon avait compris que la réputation, en ce bas monde, était tout. Alors, il entretenait la sienne avec soin, et baste des vérités dérangeantes, de celles qui faisaient frissonner brièvement, fermer les yeux pour échapper à des réminiscences cruelles. Il n’était pas Maekar, n’avait pas son aura naturelle et son talent. Ce que le Tergaryon avait forgé par son aura, lui avait dû l’obtenir dans l’ombre, en intrigant. Même ses faits d’armes paraissait pâles en comparaison, et s’il n’avait pas été doté de son Ancien, nul doute qu’il ne serait jamais parvenu à ses fins. Après tout, n’était-il pas un simple polémarque, l’un des grades les plus bas de la hiérarchie de l’armée ? Il n’avait pas grimpé les échelons comme d’autres. Il s’était placé dans la roue d’un plus puissant, avait tissé lentement sa toile en soignant la soldatesque. Et désormais, au Sénat, il occupait cette position de chien mordeur, en opposition au héros sobre et rassembleur que se devait d’incarner son ami. Le jalousait-il ? La réponse hypocrite aurait été de dire non. Mais qui, à Valyria, n’enviait pas Maekar ? Il était semblable à tous les autres. Rien de plus, rien de moins. La seule différence, c’était qu’il n’envisageait pas de lui nuire.

L’échec de ses passes d’armes le ramena à la réalité, quoique cela ne lui fasse ni chaud ni froid. Il n’était plus un jeune avide de faire ses preuves, une tête brûlée emportée comme dans ses premières années dans l’armée, du moins, il s’efforçait de tempérer cet aspect de sa personnalité. Et en l’occurrence, il avait parfaitement conscience qu’il n’était pas question d’un gamin à qui faire mordre la poussière … et qu’à vrai dire, il risquait fort d’être celui qui finirait désarmé. Peu importait, il en retirerait de l’amusement, des rumeurs partiraient sur cet affrontement s’ils s’y prenaient bien, et il pourrait parader durant la prochaine orgie de la noblesse en abreuvant ses conquêtes de récits de première main sur son illustre affrontement contre le Téméraire. Oh, ce serait glorieux. Il les laisserait même gloser sur les raisons de cette passe d’armes, car un simple affrontement amical ne saurait faire la différence. Une femme, voilà donc quelle serait la raison. Cela aiderait aussi Maekar à ne pas faire hausser trop de sourcils, avec son amour exclusif pour sa sœur qui détonnait dans les cénacles de la noblesse du sud. Il avait remarqué quelques rumeurs d’éconduites. Alors lorsqu’il paraissait avec sa sœur, cela allait. On s’inclinait, bon an mal an. Mais après … Allons, l’ami Aeganon allait se sacrifier pour l’aider. Et récupérer les soupirantes trahies et transies. Eh quoi, il pouvait bien se payer sur la bête ! Enfin, en l’occurrence, la bête à deux dos. Bref. Se concentrer. Et arrêter de penser des imbécilités. Bravache, il s’inclina avec un rien de moquerie suite à l’invitation de son ami, comme s’ils étaient à Drivo, et il déclara de sa voix où perçait sans cesse la gouaillerie :

« A ta guise … Sénateur. Mais tu me permettras de conserver mes caligas. Quand je les enlève, c’est pour profiter d’une autre compagnie que la tienne … Plus plantureuse en tout cas, même si tu as profité des banquets ! »

C’était faux, Maekar arborait la même silhouette massive et musculeuse qui faisait l’admiration des hommes et l’envie des femmes … Et dans son cas, les deux. Parce que là, encore, l’honnêteté commandait de préciser qu’il n’appréciait pas uniquement les qualités athlétiques de son ami d’un pur point de vue esthétique. Evidemment, il l’avait toujours soigneusement caché, et heureusement, les affres de l’adolescence l’avaient depuis longtemps quitté, et il ne se trouvait plus émoustillé à la vue d’un simple corps bien bâti. Cependant, il n’était pas aveugle pour autant, et clairement, il comprenait la territorialité d’Elaena. Entre l’aura de combattant impitoyable, les titres de Général et de Sénateur, il avait fallu en plus que le Tergaryon représente l’idéal de virilité valyrienne dans toute sa glorieuse splendeur. Vraiment, qu’est-ce que cet homme n’avait pas ? Amusé malgré lui, Aeganon laissa son éternel sourire s’épanouir sur son visage, et avec sa nonchalance proverbiale, repassa à l’attaque.

Souple et rapide, il se détendit, dans son style inimitable de feintes rusées, ajoutant un rien de spectacle pour les beaux yeux de leurs spectateurs qui n’en perdaient pas une miette. Taille, estoc, balayage, feinte basse, haute, parade rapide, tout y passa. Son escrime était à son zénith, bien qu’en combat, il n’aurait pas eu de telles délicatesses, et aurait volontiers empoigné du sable pour le jeter à la figure de son adversaire, avant de lui envoyer un coup de genou bien senti dans les joyeuses. Rien ne servait de se battre avec beauté, sur un champ de bataille. On ne récompensait pas les doués. On récompensait les vivants. Et personne ne restait vivant en faisant le beau. La terre était jonchée de cadavres qui avaient été talentueux. Cependant là, l’essentiel était plutôt de faire rêver les jeunes gens qui les admiraient, et rien d’autre. Avec un clin d’œil, il fit signe à Maekar d’avancer vers lui, et, au moment où son épée arrivait sur lui, roula souplement à terre, glissant entre ses jambes avant de se redresser et de retrouver la lame du Tergaryon, parfaitement préparée à cette pirouette qui, à défaut d’être efficace, épatait toujours les moins expérimentés. Il y eut des exclamations dans l’arène. Et Aeganon se surprit à penser qu’il ne s’était pas amusé ainsi depuis bien longtemps. Même entre les bras de ses multiples amantes, à déguster les mets les plus fins. Là, dans la simplicité de ces enchaînements maintes fois répétés, il retrouvait ses facéties d’un autre temps. Profitant d’un rapprochement alors qu’une nouvelle passe d’armes s’engageait, il murmura à Maekar :

« Regarde comme ils sont tous pendus à nos moindres gestes … On est si naïf, quand on a dix-sept ans … »

Et en même temps, on était si libre, à cet âge, parce qu’on n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans, et que les feuilles mortes tombent sur les rues de Valyria, offrant un couvert bienheureux aux premières amours à la douceur irremplaçable.

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Croisons le fer






Maekar détestait profondément se donner en spectacle de la sorte, même lorsqu'il s'agissait de s'entraîner avec ses propres troupes mais, maintenant qu'il avait troqué ses galons de général contre sa toge de sénateur, il se devait d'avoir une vision plus globale des choses. Il savait bien qu'il n'était pas là uniquement pour évacuer cette tension exaspérante et maintenir ses réflexes de guerrier intact, mais aussi pour fortifier sa réputation auprès du petit peuple, car ce peuple-là était bavard. En vérité il était reconnaissant envers son ami de toujours pour cette opportunité qui lui était donnée, parce qu'il n'aurait pas eu l'idée de lui-même, ou parce qu'il n'y aurait simplement pas pensé. Oh il se doutait bien que ce mode de pensée lui viendrait petit à petit, avec du temps et de la pratique mais, pour aujourd'hui, il s'en remettait à son ami pour décider ce qui était le mieux pour eux deux.
Maekar ne put s'empêcher de sourire lorsque, au sortir d'une énième passe d'armes, son ami de toujours vanta les charmantes compagnies dont le Tergaryon avait su profiter. Le Téméraire était trop observateur pour ne pas savoir que Aeganon aurait toutes les raisons du monde de lui en vouloir de le jalouser, pour avoir jeté aux orties un héritage et un pouvoir lui revenant de droit mais, au lieu de s'attarder sur cette rancœur, il préférait fournir un fieffé mensonge pour consolider la réputation du guerrier à la longue crinière. Ce dernier savait bien que cet attachement à une seule femme était une rareté dans cette société et, pourtant, il voyait cette différence comme une marque de fierté. S'il avait su résister à 4 années sans succomber à la tentation de la chair, qu'est-ce qui pourrait bien le stopper ?

Les échanges reprirent bon train jusqu'à ce que le Bellarys, malin et agile comme à son habitude, ne passe entre les jambes de Maekar au moment où ce dernier tenta de lui asséner un coup de tranche descendant. Dans un réel combat il aurait été frustré, voir courroucé par un tel échec mais, puisque c'était son ami en face de lui, il ne put s'empêcher de sourire alors qu'il pouvait, pour essayer d'atteindre son ami qui se faufilait comme une anguille, refusant de se laisser attraper. Enfin, après quelques échanges, les lames se fracassèrent l'une contre l'autre, ce qui laissa le temps au Bellarys de pointer du doigt la naïveté de leur auditoire.

« N'étions-nous pas ainsi, à leur âge ? »

La réponse était négative, évidemment. Pourquoi ? Parce que les deux jeune soldats avaient toujours été plus intelligents, observateurs et posés que la moyenne. Ils étaient rentrés dans les rangs de l'armée pour différentes raisons, avaient des talents tout aussi différents, mais la recherche d'un beau et macabre spectacle n'était pas un objectif qu'ils avaient en commun. L'un n'avait pensé qu'à son sens aigü du devoir tandis que l'autre n'avait pensé qu'à ses propres aspirations, deux motifs tout à fait valables mais ils n'avaient jamais considérés les soldats plus expérimentés avec une naïve admiration dans le regard. Pour Maekar, en tout cas, voir deux officiers ou deux vétérans s'entraîner n'avait rien été qu'une leçon de plus, pour lui, ainsi qu'un nouvel objectif à atteindre.

« Cela me semble une éternité, à présent. Si différents, sans vraiment l'être. »

Ils étaient plus matures et expérimentés, mais leur moi véritable n'était-il pas resté le même ? Peut-être un peu plus abîmé par le temps et la guerre, assurément, mais leur âme possédait toujours la même valeur. Les deux hommes reprirent leur échange, une danse qu'ils exécutaient depuis plusieurs années à présent et, lorsque le jeune Bellarys tenta un coup de tranche au niveau du cou, Maekar se pencha en arrière pour voir la pointe de la lame venir frôle le bout de son nez. Décidément, son ami était très doué ! L'échange dura ainsi pendant ce qui lui sembla être une éternité, parce que rien d'autre n'était aussi important que cet instant, jusqu'à ce que Maekar profite de la fin d'un échange pour prendre de la distance, et s'adresser à son auditoire.

« Retenez bien la leçon, messieurs. Travailler les fondamentaux est primordial pour asseoir les bases de la maîtrise de l'épée mais, lors d'un vrai combat, vous devrez forcément improviser.  »

Il fut sur le point de rajouter quelque chose, d'affirmer que l'honneur ne les sauverait nullement du trépas, mais le soldat préféra se retenir de le faire. Pourquoi ? Parce que les curieux étaient venus ici pour observer deux combattants de renom s'affronter, pour observer leur façon de se mouvoir et assister à un beau spectacle mais nullement pour recevoir d'assommantes leçons de vie. Et puis, à bien y repenser, le chemin d'un soldat n'était-il pas le sien, et uniquement le sien ? Ne devait-il pas apprendre ses propres leçons, au risque d'y laisser la peau ? Cela pouvait paraître injuste de voir les choses de cette façon, mais son frère aîné  n'avait-il pas lui aussi appris la plus dure des leçons de cette façon ?
Ce monde était peuplé de forts et de faibles. De loups, de moutons et de chiens de bergers pour protéger ces derniers. Si Maekar aimait à penser que l'on pouvait devenir tout ce que l'on désirait, à partir du moment où on s'en donnait les moyens, il connaissait le caractère injuste de la vie. Si un soldat finissait par mourir, cela pouvait être lié à un manque de chance de sa part, ou à sa propre faiblesse et rien d'autre. Il n'y avait pas d'excuse à fournir, pas de compromis à exiger en matière de mort.

Il se tourna donc vers son camarade à nouveau, lame fermement serrée dans sa main, lame pointant vers le bas mais prêt à frapper à chaque instant, en attendant de savoir si le Bellarys allait attaquer à nouveau, ou pas. En vérité, le Tergaryon espérait que son ami le fasse car, avec l'effort, il retrouvait une étonnante clarté d'esprit et souhaitait s'accrocher à cette sensation, aussi longtemps qu'elle pourrait durer. Il n'avait pas connu une telle pureté, un tel calme intérieur depuis son retour à Valyria : cette sensation lui avait terriblement manqué.
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Croiser le Ferft Maekar

Palestre & An 1066, Mois 4

« J’aurai aimé. »

Un bref instant, Aeganon laissa luire dans les tréfonds de ses prunelles une once de nostalgie, et un brin de regrets. A dix-sept ans, il savait déjà que son avenir était presque scellé, ne nourrissant plus d’illusion sur son écartement futur par son père de l’héritage. Il avait également une conscience accrue et dévorante de sa différence, tant au sein de leur famille que par la passion éprouvée pour son propre frère, et son incapacité à s’en défaire. Tout aurait été plus aisé, ainsi. Il aurait pu détester à loisir Daemor, se réfugier dans l’aigreur et espérer trouver une femme qui le ferait redevenir comme tous les autres valyriens de son âge, qui rêvaient d’orgies ou, souvent, de leurs sœurs. Lui, malgré l’affection adolescente que lui vouait la jeune Maera, et dont il avait entièrement conscience, trop sans doute, surtout en devinant leurs fiançailles futures, du moins probables, ne désirait qu’un seul corps, masculin, trop semblable au sien. La légèreté, à cette époque, il l’avait perdue. Oh, il n’en donnait pas l’impression. Il était jouisseur, entièrement, s’amusant à se forger une réputation qui ne l’avait pas quitté à Rhyos, puis à Valyria. Il suffisait de si peu de temps sur le dos d’Astyrax pour se retrouver dans les orgies les plus fines qu’il succombait bien trop souvent à l’appel de la luxure et de l’oubli. Ses appétits dévorants l’avaient vite introduit dans des cénacles particulièrement pieux – à la valyrienne, en tout cas. Sans parler des conquêtes plus ou moins durables, qui s’accumulaient. Oui, Aeganon avait amplement profité de sa jeunesse, et il continuait sur cette pente de folie et d’excès. C’était devenu sa nature profonde, aux yeux de tous. Et ainsi, personne ne soupçonnait le secret qui le tenaillait, celui d’être un homme à femmes qui voulait être la femme d’un seul homme. Mais il ne servait à rien de s’appesantir : il avait réussi, in fine, au-delà des rêves de ses dix-sept ans. Il était Sénateur, sur son seul nom. Rien que cela aurait pu suffire à le combler. On pouvait arriver, pourvu que l’on s’en donne les moyens. S’apitoyer n’avait jamais été productif. Peut-être était-ce la leçon à offrir à ces jeunes gens. L’effort menait à tout. Maekar avait été cadet, également. Son frère eut-il survécu à la guerre qu’il se serait trouvé dans la même situation qu’Aeganon. Ils avaient chacun réussi en dépit des orientations ordinaires de leurs familles, de leur place à la naissance.

D’un mouvement souple, Aeganon repartit à l’attaque. Les passes d’armes s’enchaînèrent. Leur danse s’étira, et bientôt, il n’y eut plus de paroles échangées, mais seulement le son de l’acier s’écrasant contre l’acier. Fentes, parades, bottes, estoc et taille, dégagement et assaut, tout l’art de l’escrime y passa, tantôt dans des échanges de haute volée, tantôt à travers des attaques rugueuses, plus semblables à celles trouvées sur un champ de bataille, où dominaient les coups vicieux et les occasions uniques. Aucun cependant ne prit le dessus, soit qu’ils se connaissent bien trop pour y parvenir, soit qu’aucun ne le cherchait véritablement, préférant étirer le moment autant que possible, pour le simple plaisir de l’exercice physique, de la démonstration à leur assemblée, ou de la joie féroce de se mesurer l’un à l’autre. La sueur imbiba les vêtements, creusant des rigoles sur les fronts, les torses, les bras. Le sol martelé retraçait leurs pas, et le sable s’accrochait à leurs sandales avec insistance, à tel point que des lignes nues étaient désormais tracées entre eux, à mesure qu’ils glissaient, reculaient, avançaient. Et finalement, sans qu’il ne sache combien de temps était passé, Aeganon s’écarta, rompant leur duel. Le bras était lourd, et la lueur descendante indiquait qu’il était temps de partir, pour avoir le temps de se décrasser convenablement avant les plaisirs de la nuit, et d’autres sortes de danse. Saluant leurs ultimes spectateurs, le Bellarys lança à la volée :

« J’ai le regret de devoir me retirer, nobles amis, mais mon épée attend d’autres fourreaux, ce soir, et je m’en voudrais de décevoir mes futures partenaires d’escrime en arrivant en retard pour rendre grâce à leurs talents ! »

Quelques rires résonnèrent à la boutade grivoise. Puis Aeganon se retourna vers Maekar et commenta :

« Merci pour l’exercice … et à ce soir, au palais Hoskagon. J’honorerai l’invitation de ta sœur avec autant d’enthousiasme qu’il convient, sois-en sûr …

Même si je suis certain que je ne trouverai pas pareil délassement et amusement de toute la nuit, ce qui restera un secret entre nous, mon ami. »


L’étourdissement charnel avait des vertus, certes. Cependant, rien ne remplacerait les plaisirs simples d’une vie de soldat. Et Aeganon avait beau avoir revêtu les atours du Sénat, il n’en demeurait pas moins, encore, tout ce que son père avait toujours détesté : un rustre qui, parfois, se repaissait des amusements brutaux des hommes d’armes. Pourquoi pas : après tout, c’étaient eux qui l’avaient porté où il était, et non celui dont il portait le nom presque à regret.

On n’était jamais mieux trahi que par les siens, in fine.

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