« Sae, regarde ! Mère m’a acheté une nouvelle robe ! Elle est jolie, non ? »
Voyant que son aînée ne semblait pas décidée à lui répondre, Rhaelys rouvrit la bouche, prête à répéter à nouveau ces quelques mots… Avant de la refermer presque immédiatement. Assise à son bureau, sa longue chevelure bouclée déliée, une main retenant son menton, Saerelys était toute à ces ouvrages disposés devant elle. Du haut de ses huit ans, qu’elle n’aurait que dans quelques jours dans les faits, l’enfant savait lire. Elle lisait très bien même, savait depuis longtemps déclamer des poèmes et connaissait par cœur les noms et les couleurs des glorieux dragons qui avaient appartenu à ses ancêtres ! Et pourtant, malgré tout cela, Rhaelys n’avait jamais été capable de comprendre ces textes que sa sœur semblait pourtant lire si aisément. Tout comme elle ne parvenait pas à comprendre ce qui retenait ainsi son intérêt.
Se rapprochant à petits pas, Rhaelys finit par être assez proche de son aînée pour tirer la manche de sa robe. L’enfant éprouva une certaine fierté à voir que la couleur de cette dernière était presque identique à la sienne ! Rhaelys ne l’avait pas fait exprès, dans les faits. Les choses étaient cependant mieux ainsi. Bien qu’elle ne pouvait pas s’en rendre compte par elle-même, la toute jeune fille était à cet âge où l’on glorifiait ses aînés, les prenant comme modèles à suivre, au point de toujours trouver le moyen d’être dans leurs jambes. N’obtenant cependant pas de réponse malgré ses petites mains agrippées au tissu, l’enfant tira un peu plus fort.
Après avoir passé une partie de la journée au Collège, Saerelys s’en était retournée parmi les siens. Qu’il était doux et bon de faire partie du Troisième Cercle, de retrouver ce marbre familier qui avait servi de berceau à tant de générations issues de la belle, de la glorieuse, de l’éclatante Riahenys ! La jeune femme n’avait pas coupé à ce rituel qui était devenu le sien d’aller saluer chacun des membres de sa fratrie, ainsi que Mère. Croisant certains de ses cousins et certaines de ses cousines, Saerelys n’avait pu que leur réserver un pareil traitement. Une journée idéale en somme. Presque, du moins. Car de bien trop nombreuses personnes manquaient à l’appel, parties au loin combattre la Harpie de Ghis. Alors, il fallait s’accommoder de tout cela pour encore quelques mois, disait-on. Quelques mois ou quelques années ? Comment en avoir la certitude alors même que les flammes semblaient se montrer peu bavardes à ce sujet ?
Son rituel achevé, la jeune femme s’en était retournée dans sa tanière, étalant livres et parchemins sur son bureau. Elle retrouverait le reste de sa famille pour le souper. En attendant, il lui restait quelques heures que Saerelys comptait consacrer à une étude bien particulière. Car entre ces grimoires couverts de runes, ces schémas et ces esquisses qui auraient semblé obscurs aux yeux de bien des Mortels, se cachaient des savoirs plus terre-à-terre, comme quelques livrets traitant d’agronomie, de l’étude des pierres et de bien d’autres choses encore qui semblaient des plus éloignées de la Magie. Noircissant parchemins et feuillets, il arrivait à la novice de fredonner. Car il s’agissait-là d’un de ces projets qui lui tenait particulièrement à cœur. L’un de ces projets pour lesquels seules quelques personnes des plus fiables avaient été mises dans la confidence. Un projet qu’elle destinait pourtant à des personnes encore absentes.
Sortant de ses pensées dans un sursaut alors que la jeune femme sentait désormais que quelque chose lui avait attrapé le bras, le regard améthyste de la jeune femme se posa immédiatement sur Rhaelys. Alors, ce mélange de colère et de surprise que Saerelys avait pu ressentir jusque-là s’évanouit d’un seul coup, ne laissant place qu’à la plus grande des douceurs. Adressant un éclatant sourire à sa plus jeune sœur, qui le lui rendit avec un entrain manifeste, la novice se courba, lui déposant un baiser sur le haut du crâne, faisant rire sa cadette. Ce simple contact suffit à ce que son corps soit envahit d’une douce et délicate chaleur.
« Es-tu là depuis longtemps, petite dragonne ? s’enquit Saerelys, se redressant finalement. Si tel est le cas, je te prie de m’excuser. Je ne t’avais pas entendue entrer. avoua-t-elle, sur le ton de l’excuse.
- Je n’ai pas attendu très longtemps ! s’exclama la petite, affichant un grand sourire. Mère a dit que j’avais le droit de venir, pour te montrer ma robe ! Regarde comme elle est jolie ! Et elle vole bien ! »
Comme pour appuyer ses propos, Rhaelys s’écarta, tournant sur elle-même à grands renforts de rire, faisant virevolter l’étoffe bleutée dans laquelle avait été taillée sa robe flambant neuve. Alors, le sourire de Saerelys s’attendrit. Leur petite dragonne avait encore cette innocence qui n’appartenait qu’aux enfants de son âge. Une enfance marquée par la guerre, une guerre que Rhaelys semblait pourtant réussir à occulter. Avec les mois et les années, alors que son esprit se formait, ses questions s’étaient cependant faites plus pressantes, de même que sa capacité à lire les visages de certains adultes. Où est Père ? Où est Aedar ? Quand vont-ils revenir ? Pourquoi l’une de leurs cousines pleurait à chaudes larmes ? Était-ce des larmes de joie ou de tristesse ? Alors, il fallait répondre à cette mine enfantine qui se faisait tout d’un coup bien plus grave.
Mais en ce jour, Rhaelys ressemblait à toutes ces petites filles, heureuse d’avoir eu droit de se faire belle que ses aînées, en témoigne ces quelques discrets bijoux que la petite avait du emprunter à Mère. A moins que ce ne soit Grand-Mère qui ait consentit à sortir ces parures d’argent et d’acier valyrien qui avaient sans doute appartenu à sa propre fille, lorsqu’elle était plus jeune ? Saerelys n’eut pas le temps de s’interroger d’avantage à ce sujet. Cessant ses pirouettes, Rhaelys s’était rapprochée, tendant ses bras dans sa direction, cherchant son étreinte. Une étreinte que la novice offrit volontiers à la plus jeune de ses sœurs, l’attirant sur ses genoux pour cela.
« Est-ce Mère qui a choisi cette robe ? A moins que cela ne soit toi, petite dragonne ? demanda Saerelys, amusée, frôlant du bout de son index la pointe du nez de Rhaelys.
- C’est moi ! s’exclama la petite fille, pour première réponse. Elle est du même bleu que la tienne, tu as vu ? Mais je ne l’ai pas fait exprès. poursuivit l’enfant, presque penaude.
- Ne sois pas gênée, Rhaelys. Cette couleur te va magnifiquement bien. Je suis sûre que nos cousines en sont déjà jalouses. acheva la jeune femme, sur un ton mutin.
- Mère m’a même laissé porter ses bijoux ! continua la petite, tirant sur la petite chaîne argentée qui retenait une breloque en forme de dragon autour de son cou. Même que quand je serais plus vieille, elle a dit que j’aurai le droit d’avoir un bijou de la couleur de mon dragon !
- En voilà une bonne idée. répondit Saerelys, réarrangeant certaines des mèches de sa plus jeune sœur.
- Mais que faisais-tu, Sae ? s’enquit l’enfant, changeant de sujet d’un coup. Tes précepteurs te donnent plus de travail ?
- Les Mages se doivent de travailler en toutes circonstances, petite dragonne. Saerelys laissa échapper un petit rire. Pourtant, je dois avouer que tu n’as pas tout à fait tour. Disons que… La jeune femme se baissa un peu, au point de pouvoir murmurer à l’oreille de la petite. Disons que c’est une surprise. Pour nous tous. Je ne peux donc pas t’en dire plus. »
Redressant la tête, Saerelys dut retenir un nouveau rire en voyant la mine qu’affichait Rhaelys. Sa plus jeune sœur affichait une moue quelque peu mitigée, à la fois intriguée et boudeuse de ne point en avoir appris plus de la bouche de son aînée. Cette dernière se fit cependant la promesse de ne point en dire plus. Son projet devait rester secret pour le moment. Mais un jour, elle le montrerait à tous. Un jour, lorsque cette guerre serait achevée. Lorsqu’elle pourrait serrer Aedar dans ses bras, lui offrir ce baiser qu’elle avait rêvé de lui donner avant son départ. Lorsqu’elle pourrait voir Père, le regarder droit dans les yeux et lui dire…
« Voilà ce que je suis devenue, Père. Après tant d’années, voilà ce que je suis devenue, dans la dignité et la lumière de notre merveilleuse ancêtre. » songea la jeune femme, un sourire aux lèvres.
( Gif de elf-of-lorien. )