Dans son sillage, le Triomphe avait emporté avec lui les rires, la joie, les retrouvailles et les réjouissances. A présent, ne restait plus de lui qu’un écho. Un écho qui se ferait de plus en plus lointain. Bien sûr, personne ne pourrait oublier pareils fastes. C’était en tout point impossible et tout un chacun ne manquerait pas de narrer, avec une émotion certaine, ce dont il avait pu être témoin en ce glorieux troisième mois de l’an 1066. Et pourtant, il fallait laisser derrière soi tout cela. Reprendre la vie où elle s’était arrêtée, en retrouver une nouvelle maintenant que la guerre était achevée.
Il était temps de pleurer les morts, de chérir les vivants, de laisser la vie reprendre ses droits si longtemps bafoués. Saerelys avait-elle pleuré ? Plusieurs fois même. De tristesse comme de joie. Car si elle avait retrouvé son Soleil, d’autres n’avaient pas eu cette chance. Alors, la jeune femme avait consolé ces âmes en peine, pleurant pour elle-même ses cousins qui ne reverraient jamais leur Palais, dont les esprits avaient été soufflés comme quelques chandelles par la folie de Ghis. Un deuil que certains représentants du Palais portaient toujours et porteraient encore des mois, si ce n’est l’année, durant. La jeune femme faisait volontiers de même, bien que cela se révélait souvent indiscernable de part la manière dont elle devait se vêtir pour aller au Collège. Qui plus est, Père aurait sans doute vu d’un mauvais œil tout cela. Grand-Mère également. La vie se devait de se poursuivre. Maintenant plus que jamais.
Ce jour-là, Saerelys s’en était donc retournée au Collège. Si son appartenance au Troisième Cercle lui conférait bien des avantages, il ne fallait pas en délaisser pour autant les enseignements qu’il prodiguait. Alors, la jeune femme suivait religieusement ces cours, écoutant attentivement les intervenants qui défilaient sur l’estrade qui leur permettait d’être vus de tous et de toutes. Ceci terminé, la jeune femme avait cependant du fausser compagnie à ses camarades de l’accoutumée, arguant qu’il lui fallait emprunter quelques grimoires et qu’elle était attendue ailleurs qui plus est. Sans doute se reverraient-ils plus tard dans la journée ? Si les novices originaires de Valyria même pouvaient se permettre de quitter le Collège sans risquer de se retrouver à passer la nuit à la belle étoile, il n’en allait pas de même pour ceux et celles qui avaient vu le jour dans des cités plus éloignées. Aussi, bien que tous furent au moins du Troisième Cercle, il n’était en rien incongru qu’ils finissent par s’apercevoir au détour d’un couloir.
La jeune femme n’était cependant pas restée bien longtemps entre les rayonnages. A force d’explorer cette partie de la bibliothèque, fort était de constater que la novice commençait à la connaître par cœur ! Aussi avait-elle rapidement trouvé son bonheur et s’était rapidement éclipsée. Ses projets étaient grandement dépendants du temps qui passait. Aussi ne pouvait-elle pas perdre de temps alors que les premiers résultats commençaient à pointer le bout de leurs tiges ! Dès lors, le cœur de Saerelys ne pouvait qu’être des plus joyeux. Bien sûr, il restait encore fort à faire pour que les résultats soient réellement exploitables.
Mais ce premier essai avait comme un goût de victoire, alors qu’elle soulevait l’abri pour découvrir quelques brins d’un muguet qui, de la plante originelle, n’avait gardé que la forme. Prudente, Saerelys n’avait pas osé cueillir l’un des brins, de peur de causer des dégâts irréparables. Aussi ne s’était-elle contentée que de récupérer une simple clochette, qui semblait composée de cristal rosâtre. A moins qu’il ne s’agisse de verre ? De part sa finesse, le doute était possible bien que la novice soit la mieux placée pour savoir qu’il s’agissait bel et bien d’un cristal pour le moins particulier. Une petite clochette de cristal que la jeune femme avait glissé dans une bourse, contenant déjà un tissu d’une grande douceur destiné à protéger sa frêle création, dissimulée dans son sac. Son espoir, et son idée, avaient alors été de croiser un Mage de sa connaissance qui avait fait de la métamorphose sa spécialité, afin d’avoir son avis sur la question.
Hélas, une telle occasion ne s’était jamais présentée. Saerelys avait donc conservée la clochette sur elle, se disant qu’elle aurait d’avantage de chance une autre jour. Cela permettrait à ses plantes de se fortifier d’avantage, qui plus est. Aussi ne pouvait-elle pas se sentir perdante à ce dernier sujet. Quittant le bâtiment en lui-même, la jeune femme s’avança dans la vaste cour. Comme cela était souvent le cas en de telles circonstances, le regard de la descendante de Riahenys se posa sur les statues de ces vénérables Mages qui l’avaient précédé. Hommes comme femmes étaient représentés, bien que leurs traits étaient parfois difficilement discernables. Il était bien plus simple de s’en référer aux attributs et objets qu’ils arboraient, ou encore de s’en référer à sa propre mémoire.
Après quelques instants d’observation, la jeune femme baissa le regard, s’avançant dans la cour. La chaleur était agréable, en ce jour. Saerelys ne pouvait cependant pas en profiter pleinement. Pour certaines expérimentations, mieux valait se vêtir de la tête aux pieds, des épaules jusqu’aux poignets, quand ce n’était pas jusqu’au bout des doigts ! Aussi, en ce jour, la jeune femme portait une tunique à manches longues de laine noire sous sa robe plus fine, bien que de la même couleur. Seul son tablier de cuir manquait à l’appel, la jeune femme ayant préféré le laisser dans son dortoir. Si sa tenue était tout juste convenable pour une femme de son rang, mieux valait éviter d’aller ainsi dans les rues.
Cependant, ce n’était pas chez elle que la jeune femme se rendait. Dans les faits, il n’était pas réellement question qu’elle quitte le Collège. Car c’était ici que son rendez-vous aurait lieu. Un rendez-vous prévu depuis un moment déjà. Un rendez-vous que la novice aurait bien préféré avancer, dans les faits. Mais Herya avait ses propres impératifs et malgré l’inquiétude que Saerelys ressentait parfois à son égard, un changement d’heure pour leur rendez-vous n’aurait pas été envisageable… Alors, la jeune femme attendit, patiemment, non loin de l’une des nombreuses statues. Elle était en avance, semblait-il. La position du soleil dans le ciel parlait pour elle.
« Herya ! s’exclama alors la jeune femme, discernant la silhouette familière de l’autre jeune femme non loin d’elle. Quelle joie de te voir enfin ! »
En quelques enjambées, Saerelys rejoignit l’autre Mage, tout sourire. Aujourd’hui était une belle journée, pour elle. Bien loin de ces troubles qu’elle ressentait parfois, de ces noires pensées qui plantaient leurs griffes et leurs crocs dans son esprit. Car en cet après-midi qui débutait, c’était en bonne compagnie qu’elle se trouvait. Herya avait fait partie de ces novices plus âgées que Saerelys avait eu l’occasion d’apercevoir lorsqu’elle-même n’était qu’au Premier ou au Deuxième Cercle. La Mage était de ces personnes qui sortaient de l’ordinaire, au Collège. Ses origines plus modestes y étaient pour beaucoup, de même que la couleur de sa chevelure. En autres du moins. Car si le sang avait une grande valeur au Collège, le travail y était tout aussi important.
« As-tu fait bonne route ? s’enquit Saerelys. Quelles sont les nouvelles ? »
Les rumeurs allaient vite, au Collège. L’accident d’Herya il y a déjà de cela quelques temps n’avait pu qu’arriver aux oreilles de Saerelys. Si les faits étaient passés depuis un moment, comment ne pas craindre que la Mage en ait gardé quelques séquelles ? Sans doute n’était-ce pas son rôle de veiller sur elle, après tout, elle n’était encore qu’une novice. Mais cela ne coûtait rien de prendre des nouvelles d’une personne pour qui la jeune femme portait une certaine affection et une sympathie tout aussi certaine.
( Gif de tinyriles. )