Tout en fredonnant, Saerelys déposa une noisette d’onguent sur le bras lésé de son patient. Il s’agissait-là d’une blessure qu’elle voyait souvent. Une plaie due à un outil, peu profonde fort heureusement, mais qui restait douloureuse et quelque peu handicapante. Et qui ne pouvait qu’inquiéter le blessé. Relevant légèrement la tête, la jeune femme offrit un sourire compatissant à l’homme qui se trouvait assit devant elle. Ses prunelles mauves croisèrent les siennes, verdâtres. Aucun mot ne fut prononcé, dans un premier temps. Saerelys, quant à elle, continuait de fredonner. Elle fredonnait l’un de ces airs connus de tous, l’un de ces airs profanes qu’elle avait entendu au Collège à force d’y côtoyer toutes sortes de personnes, venues de tous horizons.
« … Tu es une brave âme. avoua finalement la jeune femme, conservant son sourire. Ne t’en fais pas, tu pourras reprendre le travail très bientôt. Cet onguent n’est là que pour éviter à ta plaie de s’infecter, le temps que ton corps se guérisse de lui-même. Travailler ne seras pas un souci, à la condition que tu te ménages quelques jours. La jeune femme se tut quelques instants. Et si, bien que je le doute, cela ne s’arrange pas, je t’invite à te rendre jusqu’au Collège et à me faire demander. Je pourrais t’ausculter à nouveau. »
Plongeant ses mains dans le petit récipient posé sur un meuble non loin d’elle, Saerelys les laissa tremper quelques instants, afin d’en ôter les restants d’onguent. Les séchant par la suite, la jeune femme essuya finalement ses mains à l’aide d’un morceau d’étoffe sombre. Attrapant une bande de lin, la novice pansa délicatement le bras blessé, après l’avoir recouvert d’un tissu propre, imbibé lui aussi d’onguent. Ceci fait, la jeune femme vérifia que tout était en ordre avant de se redresser, visiblement satisfaite du résultat. Invitant son patient à faire de même, Saerelys le vit fouiller dans la sacoche qu’il avait emmené avec lui. Posant délicatement sa main sur son épaule, la novice lui offrit un sourire, le raccompagnant jusqu’à l’entrée de la pièce.
« Garde tes Vermax pour ta famille. Je ne suis point à plaindre. Va la rejoindre, je suis sûre qu’elle t’attend avec impatience. »
L’homme acquiesça, se faufilant à l’extérieur. Ne pas poser de questions, à moins qu’elles ne soient nécessaires pour soigner un mal. Tel était sa devise en ces lieux. Les nécessiteux n’avaient point besoin de ses interrogations, de ces questions qui pourraient leur sembler embarrassantes. Si la jeune femme agissait ainsi, ses dons seraient pour le moins inutiles, personne n’osant venir jusqu’à elle. Alors, la jeune femme préférait se montrer attentive à leurs besoins directs, aux confidences que ses patients et ses patientes acceptaient de lui faire par moments. C’était là tout. Et deux fois par mois, hommes et femmes venaient jusqu’ici, dans cet orphelinat que sa famille gérait depuis plusieurs générations déjà. Pour des raisons de discrétion, Saerelys s’était installée dans une cour adjacente, installant l’équivalent de son cabinet dans une petite pièce. Il y avait là cependant tout ce don elle pouvait avoir besoin, des fioles aux onguents, en passant par des bandages et d’autres instruments en tout genre.
« Cousin, fais donc entrer mon prochain patient ! A moins qu’il ne s’agisse d’une patiente ? »
En prononçant ces quelques mots, Saerelys avait passé sa tête dans l’entrebâillement de la porte. Sa présence ici était régie par quelques conditions, cela allait de soi. Elle restait fille de Dynaste et sa protection était donc assurée par l’un des membres de sa parentèle. Aedar étant occupé auprès de Père la plupart du temps, ce rôle revenait à l’un de ses cousins, quand ils n’étaient pas plusieurs. C’était à lui que revenait la charge de filtrer les entrées, bien que Saerelys n’appréciait que peu ce dernier principe, bien qu’il soit compréhensible. Une tâche à laquelle il semblait vouloir se prêter à cet instant, au vu de la mine qu’il affichait.
Alors, Saerelys tourna la tête en direction de l’entrée de la cour. Une silhouette familière se trouvait là, légèrement courbée. Une odeur métallique l’accompagnait. Mais ce ne fut pas cela qui marqua le plus la novice. De tout cela, elle avait l’habitude. N’avait-elle pas ranimé un cœur inerte de ses propres mains lors de l’un de ses examens ? Non, ce n’était pas cela. Cette silhouette. Ce regard. Ces armes. Saerelys les connaissaient déjà. A la lueur du jour, tout était différent, bien sûr. Alors, la jeune femme cligna des yeux, comme pour s’assurer que ses prunelles ne lui mentaient pas. Mais les faits étaient là. Tout cela était bien réel. Ainsi, les Dieux avaient décidé qu’elles devraient se recroiser. Une fois de plus. Dans de toutes autres circonstances. Comme pour lui permettre de payer sa dette.
« Cousin, laisse-la donc venir jusqu’à moi. lui murmura la jeune femme, posant sa main sur son bras. Regarde l’état dans lequel elle est. Nous ne pouvons pas ne pas lui porter secours.
- Es-tu sûre ? s’enquit l’autre Riahenor, visiblement d’un tout autre avis.
- Fais-moi confiance. Nous nous sommes déjà rencontrées. Elle ne me fera pas de mal. Au contraire. »
Non, cette femme ne lui ferait pas le moindre mal. Au-delà de son état, qui ferait du mal à une personne dont elle avait sauvé la vie ? Car c’était de cela qu’il était question à cet instant. Tout cela remontait aux festivités du Triomphe. L’un de ces ivrognes avait essayé de s’en prendre à elle, alors que ses pensées les plus sombres l’empêchaient de se défendre comme il se devait. Un ivrogne, un monstre dans ses pensées. Un monstre qu’une ombre avait fait fuir, disparaissant à sa suite. Une ombre, une silhouette de femme. Elles n’avaient échangé qu’un regard. Un seul et unique regard.
Un regard que Saerelys n’avait pas pu oublier. Qu’elle n’oublierait jamais.
Bien que semblant peu convaincu, le jeune homme finit par hocher la tête. Alors, Saerelys s’avança vers la nouvelle venue. S’assurant de ne point la faire souffrir, la jeune femme lui saisit délicatement le bras, la soutenant jusqu’à son cabinet improvisé. Fermant la porte à l’aide d’un de ses pieds, avec comme un air d’habitude en cela, la novice escorta celle qui fut sa sauveuse jusqu’au siège le plus proche. En quelques instants, la novice l’aida à s’y installer, prenant le soin de ne pas raviver de blessures et des douleurs inutilement. Ceci fait, Saerelys se rapprocha du meuble le plus proche, y rassemblant quelques fioles. Alors qu’elle avait le dos tourné, la jeune femme demanda, doucement :
« De quels maux souhaites-tu que je te soulage ? Parle sans crainte. Tout ce que tu diras ici restera entre nous. Les Dieux m’en seront témoins. »
Peut-être lui apprendrait-elle son identité ? L’avait-elle reconnue ? Saerelys se plaisait à croire que si cette femme s’était rendue jusqu’ici, c’est parce qu’elle avait appris qu’elle officiait en ces lieux. Comme il lui était douloureux de ne point pouvoir la remercier. Et si… Et si elle s’était trompée ? La novice ne pouvait pas le croire. Comment pourrait-elle se tromper ? Tout coïncidait. Ce regard, cette aura, ces armes. Non, le doute n’était pas permit. Alors, la jeune femme se retourna, tenant un plateau entre ses mains. Déposant ce qu’elle portait sur un petit meuble, Saerelys s’installa finalement sur un tabouret. Alors, son regard croisa à nouveau celui de cette inconnue à qui elle devait tant de choses. Non, il n’y avait pas de doute possible. Aucun.
C’était bien elle.
( Gif de hauntingofvalyria. )