stars have a reason
Daenyra observait le visage gracile de sa sœur dans le miroir, reflet d’une grâce et d’une sublime détermination. Sous ce masque fabuleux que la cadette savait percer, elle la voyait superbe et terrible à la fois, dans un maelström envoûtant et dangereux. Pourtant, elle n’ignorait rien des fragilités de celle dont elle coiffait la chevelure éclatante avec affection. L’image de ce corps vouté, recroquevillé sur lui-même et parcouru de tremblements incontrôlables était toujours imprimée sur sa rétine. Si la Sénatrice affectait une nature souveraine et de pouvoir, Daenyra savait qu’elle devait être le pilier qui consoliderait ses pas, l’épaule sur laquelle s’appuyer quand son propre courage lui ferait défaut, l’âme à consoler lorsque le doute viendrait s’insinuer en elle tel un serpent perfide. Le petit oiseau redoutait le prochain péril qui s’abattrait sur eux. A présent que leurs parents s’étaient réfugiés hors des murs de Valyria pour assurer leur sécurité, la jeune fille craignait pour la sauvegarde des siens. Le danger plainait sur les Tergaryon sous la forme insaisissable d’une ombre redoutable et déterminée. La prudence n’était plus une option…
« Tu es splendide ce soir… » admira Daenyra d’un air rêveur en contemplant son aînée qui se parait de ses derniers atours. La tendresse éclata sur le visage de la Sénatrice, écartant tout soupçon de l’inquiétude et de la peur qui terrassait son âme. Elle n’avait pas besoin de l’exprimer par des mots, par des attitudes… Daenyra lisait en elle avec autant de clarté que tous les ouvrages dans lesquels elle se plongeait avec avidité. « Sache que tu n’as rien à m’envier, chère sœur et que je ne saurais faire ombrage à ta propre beauté. » Daenyra fut autant flattée par ses paroles que par la sincérité qui vibrait depuis son âme. « Nous devrions nous hâter. » Bien que l’oiseau n’était guère encline à se mêler à l’agitation des réjouissances de Valyria, elle se donnait pour mission de ne pas quitter les côtés de sa sœur. L’empoisonnement atroce de leur père avait motivé chez Daenyra une rage et une détermination plus affermie de se montrer présente pour les siens. Nul doute que la position privilégiée d’Elaena en successeur du grand et respecté Vaegon attirait toute l’attention sur elle et des dangers insoupçonnés. Cette menace aveugle ne saurait perdurer… et la cadette ne s’offrait des repos que lorsqu’elle savait que Maekar brillerait de sa présence. Alors, seulement, elle s’écartait de ces fêtes qui aspiraient tant de ses forces et de ses ressources.
Le Quadrant Sud, lieu tout choisi de réjouissances et des exubérances de la noblesse, fut l’objet de leur destination. A peine s’approchèrent-elles des grandes portes du palais que l’oiseau fut happé par le chaos indistinct des âmes entremêlées, par la cacophonie assourdissante des émotions qui lui tenaillaient la chair et retournaient ses entrailles. Toutefois, nulle vague de faiblesse ne vint ternir l’expression impeccable de Daenyra. Mimant les attitudes d’Elaena, elle s’introduit droite et fière dans l’antre de tous les vices et de toutes les débauches. La demeure leur renvoyait le bruissement discret des conversations, la rudesse de certaines exclamations ou de quelques éclats de rire, elle les inondait de la musique qui tintait çà et là, des odeurs d’épices, de vin et de fruits. Faste. Luxe. Abondance. Décadence. Tels étaient les mots qui dépeignaient les scènes improbables de ces traditions vaniteuses et de ces nuits moites.
Daenyra conserva sa place aux côtés d’Elaena, la laissant mener la danse des conversations. L’oiseau se montrait cependant attentif à l’orchestration verbale de ces échanges afin de ne rater aucune miette de ce qui pourrait être important ou qui relevait simplement des futilités sociales. Coupe à la main, la jeune fille luttait contre un mal qui lui déchirait le crâne, lui offrant toutes les peines du monde à se concentrer correctement. Elle préférait se dérober, se dissimuler derrière l’imposant ramage de sa sœur et contempler à travers le plumage. De là, elle pouvait observer d’une intuition aiguisée les intentions des gens, écouter le chant de leurs êtres, même si tout se mêlait dans un résultat confus et parfois grotesque. « Ma chère sœur, Saerelys Riahenor est ici ce soir… » murmura Elaena à son oreille. L’intérêt de l’oiseau fut piqué au vif. Elle suivit le trajet du doigt discret de son aînée vers une jeune femme plus loin de la foule.
Leurs échanges, jusqu’ici, n’avaient été qu’épistolaires, mais Daenyra ne se décourageait pas de pouvoir rencontrer la mage en chair et en os. C’était la Dame de la maison d’Oros qui avait engagé cette correspondance, inquiétée par les changements qui semblaient frapper le caractère de son frère, Maerion. Elle craignait qu’un mal perfide ne vienne à prendre possession de son être et qu’il menace de le guider vers des sentiers hasardeux et cabossés. Une crainte qui ne pouvait être factice car la jeune Saerelys fit écho à ses sombres pressentiments. Au-delà de cet attachement à Maerion lui les liait, l’ébauche d’une amitié s’était tracée sur le papier. Un rapprochement qui poussa Daenyra à se retirer de groupe de convives auquel elle tenait compagnie pour rejoindre le centre de ses pensées.
Elle glissa telle une ombre entre les invités de la fête, invisible à leur regard et à leur attention. Discrète Daenyra. Timide Daenyra. Daenyra, la petite ombre. Elle se fondait au travers des mouvements des invités, silhouette leste et agile jusqu’à trouver le côté de Saerelys. L’annonce de sa présence se fit par un léger raclement de gorge pour obtenir toute son attention. « Pardonne-moi de t’importuner au cours de ces réjouissances, mais es-tu bien Saerelys Riahenor ? » L’oiseau broda un sourire amical sur ses lèvres afin de défier toute méfiance. « Il me semble que l’heure de notre rencontre devait enfin sonner. Je me présente à toi. Je suis Daenyra Tergaryon. »