Il aurait fallu connaître la glace pour sentir la chaleur étouffante qui prenait sa place. Il aurait fallu que son sang soit autre pour que les langues de feu dévorent sa peau neuve. Il aurait fallu que ses ancêtres soient différents pour que les cris du jeune dragon ne fendent pas l’air. Il aurait fallu ne pas être Tergaryon pour que son destin ait pu se dessiner différemment ; mais dans les flammes qui s’élevaient vers le ciel éclaboussé d’étoiles, une existence singulière poussait les gémissements nouveaux de sa renaissance.

Et dans la chaleur de la nuit, les mots prophétiques composent un être fort et courageux sous une carapace d’apparence vulnérable, ils décrivent une âme auréolée de mystères et dont la nature est pourtant si limpide, ils rappellent la férocité qui se cache même dans les cours d’eau les plus paisibles.

Au cœur des flammes, un être renaissait.
Daenyra Tergaryon


La silhouette chétive glissait lestement entre les rayonnages de l’immense bibliothèque du palais. Prestigieuse, la famille Tergaryon pouvait se targuer de posséder des écrits aussi riches que précieux dont la jeune enfant se nourrissait comme un pauvre se jetterait sur son pain. Les lieux ne revêtaient aucun secret pour elle. Elle en connaissait chaque section, chaque ouvrage, chaque parchemin dont elle parcourait assidûment les lignes.

Daenyra, si différentes des filles de son âge, l’était tout autant des membres de sa famille. Bien plus tempérée, plus douce, plus silencieuse et solitaire aussi. Cet endroit était son refuge pour s’éloigner des mondanités qui l’étourdissaient et l’épuisaient. Elle ne trouvait son confort qu’en la compagnie des siens, de ses tendres frères et de sa sœur qui acceptaient ses retraites et ses singularités.

Ses doigts délicats glissaient sur les couvertures de cuir. Contact rugueux et froid qui lui arrachait un sourire tranquille. Dans ses longues boucles blondes se nichaient çà et là des brins d’herbe et des éclats de fleurs, vestiges d’une matinée à jouer avec Elaena et Maerion dans les jardins infinis du palais de l’Archonte qui recueillaient leurs rires et leurs cris. Les deux plus jeunes attardaient un œil empli d’admiration sur une aînée aux allures de reine, à l’allure altière et imprégnée de grâce. Sans partager les mêmes aspirations, Daenyra ne peut que s’extasier de la rage muette qui vibre dans les manières délicates d’Elaena, de cette force qu’elle dissimule sous des traits merveilleux. Elle voudrait connaître cette fougue qui pulse dans les muscles fins de son aînée, s’enivrer juste un peu de cette ardeur pour ne pas être simplement cette créature faible et trop souvent alitée. Sauf qu’elle ne découvre son Eden secret que dans les récits d’autrefois, l’histoire de leur terre de légendes et des batailles de jadis.

« Je savais que je te trouverai là, petit oiseau. » Elle avait senti sa présence avant même de l’entendre. Tout comme elle avait décelé l’acidité dans son âme en dépit du sourire aimant qui dévorait son visage. La fillette dévisagea son père d’air innocent, sachant combien il dépréciait les heures qu’elle passait à s’abîmer la rétine sur des écrits anciens au lieu de s’adonner à des activités pour les futures dames. « Tu ne devrais pas passer autant de temps ici. Pourquoi ne passes-tu pas plus de temps avec ta sœur ? Elle t’aiderait dans le choix de nouvelles toilettes. » Daenyra n’éprouvait aucun intérêt pour ce genre d’activités ou de passe-temps. Seuls trouvaient grâce à ses yeux l’histoire de Valyria, les écrits de grands penseurs, des récits de voyage, et la création de l’Empire. Les futilités attenantes à une vie de dame n’appartenaient pas à ses aspirations. Elle ne s’intéressait guère aux mondanités, à l’art oratoire, au soin apportée à une toilette, aux danses et au bien paraître. Néanmoins, Daenyra n’avait pas la voix pour s’opposer aux décisions de son père ou de sa mère quand ils essayaient de la détourner des imposants rayonnages de bibliothèque. Et elle devait se plier à leurs caprices qui promettaient de lui laisser de prochaines heures de liberté plus tard, quand leur attention serait portée ailleurs. Alors la chétive enfant attrapa la main tendue de son père et quitta l’antre merveilleux de ses solitudes.


Il lui fallait lutter contre les étourdissements qui s’emparaient d’elle, contre les sensations vertigineuses qui martelaient son être. Les mondanités au cœur du palais n’étaient pas uniquement un calvaire pour la jeune fille à cause de leur vanité, mais également pour la faiblesse que cela lui procurait. Le tourbillon de la foule épuisait son corps sans qu’elle ne trouve la source de ce malaise. Il semblait que l’âme chacun des convives s’ouvrait à elle comme les pages des livres qu’elle parcourait avec avidité. Le monde lui révélait ses secrets les plus atroces dans un chaos démesuré qui emplissait sa tête. Ces informations se mêlaient, s’entremêlaient et se bousculaient dans un maelström confus et désordonné.

Daenyra rêvait de fuir ces frivolités mais le regard diligent et attentif de ses parents l’empêchait de tenter la moindre fuite ou de se mettre à l’écart. Elle n’avait trouvé de subterfuge efficace qu’en s’alliant à la compagnie d’Elaena qui rayonnait au jeu des mondanités et dégageait une aura qui envoûtait son auditoire. A ses côtés, la présence de sa cadette se faisait à peine sentir.

« Elaena, ta robe est une véritable merveille. » s’extasiait d’une voix sirupeuse une dame de haute famille. Les sourcils de Daenyra se froncèrent, mimant l’incompréhension la plus totale. Ce n’était pas ce qu’elle lisait dans l’âme de cette dernière. « C’est un mensonge. » L’intervention parut si saugrenue que la petite assemblée s’interrompit et détailla l’étrange demoiselle. Le trouble la heurta comme autant de coups reçus à son âme. Elle sentit une faiblesse assommante s’emparer de son être tandis qu’Elaena trouvait une élégante parade afin de détourner l’attention soutenue des convives. Une faiblesse qui n’échappa guère à Aenar, si protecteur, qui se dégagea de la foule pour venir prendre la main de sa sœur et l’amener à l’écart. Daenyra aimait tant ce frère qui guettait le moindre de ses soupirs, offrait une vigilance particulière à ses fragilités. Les enfants de Vaegon et Saera vivaient les uns pour les autres, aspiraient le même air, battaient d’un même cœur. Leurs différences n’avaient d’égal que leur complémentarité redoutable. Daenyra n’était aveugle d’aucune des dynamiques qui les liaient ensembles. Elle sentait plus qu’elle ne voyait cet amour enflammé qui rapprochait Maekar et Elaena, de cette passion muette qui les enserrait. Quant à Daenyra, c’était pour un autre que son âme vibrait un peu plus. « Tu ne devrais pas t’épuiser ainsi, petit oiseau. » La jeune fille laissa tomber sa tête sur l’épaule de son aîné, respirant son odeur salvatrice, humant un peu de ce parfum réconfortant. « Il y a beaucoup trop de monde ici… C’est assourdissant… elles ne s’arrêtent jamais de parler… » La main d’Aenar caressa la chevelure de blé de sa cadette. « Qui donc ? » Daenyra s’employa à faire taire le chaos des mots, des sensations, des sentiments qui l’étourdissait. « Les âmes. »


La guerre.
Daenyra la visualisait comme la pire des maladies, une gangrène infâme qui arrachait des êtres à leur famille, privait de la compagnie d’un époux, d’un frère ou d’un fils. Elle prenait place pour l’avidité que quelques-uns qui parvenaient à haranguer les foules, à faire croire que leur combat était juste quand la bataille réclamait sang, fureur et cruauté. La demoiselle mourrait et pestait d’imaginer les siens sur les champs de guerre, à lever l’épée pour des causes dérisoires. Elle avait écumé de nombreux récits de bataille, s’était nourrie des écrits de jadis et elle en connaissait à présent suffisamment pour savoir que rien ne valait une réponse dans la violence. Pourtant, la grande famille Tergaryon était rompue aux arts de la guerre et vibrait d’intrigues qui la mettaient considérablement en danger pour assurer sa place et maintenir son rang.

Pourtant, sans crier garde, la victoire entonnait déjà son chant d’espoir aux confins de Valyria. Les galériens avaient remporté la bataille contre les ghiscari à Mantarys, apportant liesse et joie dans les foyers. Hélas, un effroi terrible ébranlait la chair de la jeune fille à l’annonce de cette merveilleuse nouvelle. Les bienfaits de cette grâce qui promettait une prochaine paix n’était pas complète en son âme. En dépit des réceptions, des banquets et de l’effervescence qui secouait la nation, Daenyra ne trouvait le repos de son esprit ; quand bien même les annonces de victoire se succédaient pour leur empire et leur liberté.

Daenyra n’eut la cruelle réponse à ses doutes que dans un cri affreux qui ébranla tout le palais. Un frisson ébranla sa chair en constatant avec effroi que les hurlements prenaient sa source dans la bouche de sa mère. Elaena et Daenyra furent pétrifiées sur place, comme sous l’effet d’un maléfice. Les fruits glissèrent d’entre leurs doigts glacés, leurs regards n’osèrent se toucher, de peur d’affronter une vérité trop effrayante. Cependant, main dans la main, elles se précipitèrent auprès de leur mère éplorée de chagrin. Les larmes envahissaient le visage de la cadette, sachant déjà quel sort atroce s’était abattu sur leur famille. Elle pouvait le sentir dans sa chair, dans sa peau, jusque dans ses os. Ce vide atroce qui aspire tout espoir, qui emporte une part de soi dans les ténèbres. Avant même que les paroles délivrent la vérité, Daenyra avait compris ce quel malheur les affligeait. Elle tomba à genoux au sol, abattue par la douleur qui hurlait depuis sa mère et qui tourmentait son être. Cependant, ce fut vers Elaena que se tourna son regard embrumé de larmes, vers cette sœur qui crevait d’amour pour un frère qui s’était peut-être éteint. A son plus grand désespoir, ce fut pour elle que le coup de poignard fut le plus violent. Aenar n’était plus… Ce frère tant chéri. Les lippes de Daenyra se déformèrent sous l’effet d’un cri jamais prononcé. Affreusement choquée. Le cœur terrassé. L’âme en lambeaux. Sa main chercha désespéramment à trouver sa jumelle dans le réconfort des bras d’Elaena qui pleurait autant de chagrin que de soulagement.

Ce soir, le palais était en deuil.
Ce soir, la famille Tergaryon avait perdu un fils.
Ce soir, les cœurs pleuraient.


Daenyra contemplait les traits doux de ce frère à peine plus jeune qu’elle mais dont elle sentait toute la responsabilité. Bien que très proche de ses autres frères et sœur, c’était vers Maerion que la jeune fille trouvait le plus de réconfort. Son tempérament était plus tendre, moins fougueux. Il passait un temps considérable dans la bibliothèque en compagnie de sa sœur, se gorgeant des mêmes savoirs qu’elle, tissant de ses mots un monde merveilleux pour eux deux. Daenyra aimait à imaginer cet avenir splendide qu’ils pouvaient dessiner à l’encre de leurs rêves. De plus, le jeune homme possédait des prédispositions pour la magie qui suscitait toute l’admiration de son aînée. Elle aimait le voir pratiquer la magie ou s’informer sur le sujet, tout autant qu’elle redoutait les dangers auxquels cela l’exposait. Les dons offerts par les dieux avaient un prix parfois fort à payer et Daenyra ne souhaitait pas voir un nouveau frère s’éteindre sous les coups d’une ambition trop grande. Il n’était pas rare qu’elle l’incite à la prudence, surtout depuis qu’elle savait qu’il allait prochainement partir pour devenir mage.

« Je crains que tu ne me manques beaucoup trop après ton départ, Maerion. Qui sera là pour dévorer des livres à la bibliothèque avec moi à présent ? » Un sourire tendre s’empara du visage de son frère. Sa main attrapa celle de sa sœur. « Je t’écrirai souvent, Dae ! Je te raconterai tout ce qu’il se passe là-bas et tout ce que j’apprends. Ce sera comme être ensemble à nouveau. » Ses doigts s’entrelacèrent plus profondément avec les siens et sa tête trouva le chemin de son épaule. « Il faudra que tu me promettes de tout me dire alors. Je ne veux rien ignorer des gens que tu rencontres ou de la magie que tu domptes. Et surtout, je veux que tu sois prudent. Tu sais combien cela est dangereux, même pour un Tergaryon. » Maerion pinça doucement le nez de sa sœur, lui arrachant un rire. Cette dernière tenta de se défaire de son emprise. « Evidemment que je serai prudent. Et si je fais une bêtise, tu seras la première au courant pour me faire la leçon. Sache que je ne serai jamais loin de toi. Je serai toujours là. » Son doigt pointa le cœur de sa sœur aînée. Elle reproduit son geste avec la même grâce délicate. « Et je serai dans ton cœur aussi… à jamais. »


Mon cher frère,

Ton absence se fait cruellement sentir au palais mais je me délecte de chacune de tes lettres comme un assoiffé manquant d’eau. L’apprentissage à l’école des mages semble être passionnant et j’admets, parfois, envier ta position et ta force. Toutefois, nous savons que l’érudition des femmes n’est guère privilégiée au sein de notre famille. Comme j’ai hâte que tu m’en apprennes encore davantage !

Je suppose que la nouvelle n’a pas dû t’échapper. Sûrement Mère t’aura déjà fait parvenir une lettre où elle t’explique tout en détail, mais notre Père a choisi Elaena pour être son successeur au Sénat. La nouvelle a bien effrayé notre sœur si fougueuse d’ordinaire mais il ne fait aucun doute qu’elle sera une grande sénatrice. Ses qualités n’ont d’égal que son charme et son intelligence. Je ne pourrai que lui recommander une prudence redoutable… Voilà pourquoi j’ai décidé d’élire domicile à Valyria avec Elaena afin d’assurer sa protection. Sûrement songeas-tu que cela n’est pas prudent, mais je suis convaincue que je pourrai lui apporter une certaine aide. La nature impulsive de notre sœur se doit d’être tempérée et j’espère pouvoir l’aider à dénouer les possibles intrigues politiques.

Je ne saurai comment te dire combien je tremble en écrivant ces mots mais je n’oublie pas mon nom et toutes les responsabilités qu’il engage. Je ne faillirai pas dans cette mission que je me donne, bien que Valyria m’apparaisse sous son gigantisme effrayant. Je ne suis pas pressée d’assister aux fêtes bien différentes de celle du palais, mais je saurai m’y plier pour le bien de notre tendre sœur. Il n’est pas d’aventure plus noble que les combats que nous menons pour notre famille. J’espère être à la hauteur de cette tâche et peut-être trouver des solutions pour me départir de mes faiblesses impromptues.

Continue à me faire parvenir de tes nouvelles à Valyria. Je souhaiterai tant que nos chemins puissent s’y croiser et que nous soyons réunis.
Garde courage et sois prudent.

Dae

C'est bon, c'est fait. Te voici validé(e). Bravo ! Ce petit picotement que tu ressens est celui du début d'une aventure où tu rencontreras des personnages et des créatures incroyables. Te sens-tu prêt(e) à nous rejoindre ? On espère que oui car le grand moment est arrivé !

Ton personnage, Daenyra Tergaryon, va désormais rejoindre les Nom du Groupe de notre belle Valyria pour devenir l'un de ses membres les plus illustres, espérons-le !