1066 - mois 4
L'odeur du sang s'infiltre dans ses narines. La poussières lui brûle la gorge. Les hurlements lui vrillent les tympans. Il est là, au milieu de ce champ de ruines, de cadavres, entourés de mort et de désolation, la jambe en miettes. Ses mains tentent de contenir l'hémorragie, en vain. Il va mourir là. Seul. Comme un chien. Il se laisse tomber en arrière, ses mains quittant finalement sa jambe pour aller s'accrocher à la terre. Et il tente de ramper là, parmi les morts, parmi ceux qui sont déjà dans l'après-vie. La peur lui tord les entrailles. Il ne veut pas mourir. Pas encore. Pas encore non. Une pression dans son dos soudain le force à rester face contre terre. Il tord le cou pour pouvoir observer ce qui se passe et il distingue une silhouette, ennemie sans doute mais il ne parvient pas à bien voir. Le pied de la silhouette appuie si fort contre son dos qu'il en a le souffle coupé. Et là, alors qu'un rugissement de dragon se fait entendre, alors que des flammes éclairent le visage de celui qui le maintient au sol, ce n'est pas un ennemi qu'il voit mais son supérieur. La peur s'infiltre dans tout le corps de Daegon alors que l'homme, celui en qui il avait pourtant toute confiance, lève son épée et l'abat sur lui.
C'est dans un hurlement que Daegon se réveille, sursautant sur sa couche, en sueurs, le cœur battant à tout rompre. Il lui faut quelques instants pour reprendre pieds avec la réalité, se souvenir qu'il n'est pas sur ce champ de bataille mais bien chez lui, ou, plus exactement, chez Ixion puisque c'est chez son maître qu'il réside. Le souffle court, Daegon vient poser sa main contre son torse pour se calmer. Encore et toujours ce même rêve, ce visage qui le hante encore et encore. Le visage de celui qui a prononcé la sentence, de celui qui l'a envoyé se battre et perdre l'usage de sa jambe. Un visage qui s'est figé depuis puisqu'il sait qu'il est mort mais il le hante malgré tout. Il se demande, Daegon, quand ses nuits redeviendront plus calmes. Il se demande quand les visages du passé cesseront de le hanter de la sorte. Sa main vient frôler les cicatrices qui parsèment sa jambe gauche et il grimace sous la douleur. Elle aussi le hante, la douleur de sa jambe qui malgré les mois persiste. On l'avait prévenu que c'était possible mais il espérait malgré tout que sa jambe allait finir par cesser de lui faire mal. Ce n'est malheureusement pas le cas. Si la douleur est moins vive, elle reste persistante. Il vit avec. Il n'a guère le choix. Il enfile l'attiral fait de cuir et de métal qui lui permet de marcher et se redresse avant de filer prendre un bain. Il sait qu'il doit aller en ville aujourd'hui, traîner ça et là où Ixion veut qu'il traîne. Il va être ses oreilles une fois de plus mais pour pouvoir être ses oreilles, il doit user de ses jambes.
La journée lui semble bien longue alors qu'il traîne dans les ruelles, prétextant faire des achats pour le compte de son maître, alors qu'il laisse ses oreilles traîner là où elles doivent traîner pour glaner des informations. La nuit ne va pas tarder à tomber lorsqu'il retourne jusqu'à la villa luxueuse où les servants se dépêchent de tout préparer pour le retour d'Ixion, encore absent de la villa pour le moment. Epuisé, Daegon n'a pas le courage d'aller jusqu'à sa chambre. Il s'assoit au bord de la splendide fontaine intérieure et, dans une grimace douloureuse, délie les lanières de cuir qui entourent sa jambe et desserre le métal. Il a beaucoup marché aujourd'hui. Beaucoup trop pour son propre bien. Penché vers l'avant, la grimace de douleur continuant de tordre ses traits, il se masse la jambe, appuie sur les cicatrices, essaye de faire passer la douleur au moins un petit peu. Il est concentré sur ce qu'il fait, il n'entend pas les pas. Il ne réalise pas qu'une silhouette approche lentement mais sûrement de la dite fontaine.