L'ombre et la lumière étaient un savant mélange dont il était parfois difficile de trouver l'équilibre. Daemor en savait malheureusement quelque chose et si aujourd'hui il avait l'impression d'avoir retrouvé un certain statut quo entre les deux, bien que précaire il devait l'avouer. La lumière semblait s'être longtemps éloignée de lui, quant à l'obscurité, elle l'avait étreinte jusqu'à parvenir finalement à l'étouffer presque complètement. C'était pour cela que le Seigneur-Dragon n'avait pas manqué de fuir, il n'y avait guère d'autre mot pour pouvoir expliquer ce qu'il avait décidé de faire. Il avait fuit la dure réalité du monde, alors que les célébrations battaient leur plein, alors que son propre frère était porté en triomphe après sa victoire sur l'ennemi, mettant fin à une guerre de quatre longues années, alors que toute la société de Valyria venait à se congratuler et à se plonger dans l'ivresse la plus totale qu'elle soit celle des bras d'une maîtresse ou d'un amant, où juste dans l'alcool qui venait à couler à flot. Il aurait été sans aucun doute de ceux-là s'il n'avait pas perdu son fils, juste quelques jours  avant les somptueuses festivités qu'on avait préparé pour saluer comme ils se devaient les vainqueurs, mais le royaume en entier n'était-il pas devenu le grand vainqueur par cette même occasion ? Avant de rejoindre Valyria, Aeganon était revenu à Rhyos dans la demeure familiale, pour pouvoir affronter son père, tenter sûrement d'obtenir un maigre compliment de sa part, un petit signe de sa reconnaissance, mais sans doute un bien plus grand de la part de son double, de son jumeau, de son amant depuis maintenant près de douze ans. Daemor s'était écœuré d'avoir si facilement succomber à son frère juste après son retour, et le lendemain quand il s'était réveillé seul dans la chambre, il ne s'était jamais aussi senti abandonner qu'à cet instant-là. Il n'était rien d'autre qu'une récompense que son compagnon de vie pouvait s'accorder à sa guise sans penser un seul instant à toute la souffrance qui était en train de l'étreindre. Alors quand ils s'étaient revus, il avait pu lui exprimer tout son mécontentement et si les deux frères étaient connus pour leurs disputes mémorables, il fallait avouer que ce soir-là les murs avaient tremblé sous la rage que pouvait ressentir Daemor.

Ils en étaient restés là, et ne s'étaient revus qu'au moment de son entrée triomphale dans la cité. Daemor lui avait adressé un bref signe de tête, comme pour le féliciter, le féliciter sincèrement. Mais alors qu'il jouait le jeu de la représentation, tel un fier sénateur qui se devait de voir et d'être vu, la lecture de flammes n'avait pas manqué alors de le perturber profondément. Il était tellement à l'opposé de ce que les Dieux semblaient voir pour lui, qu'il avait compris qu'il n'avait plus sa place ni au Sénat, ni à Valyria, ni même auprès de son frère jumeau. Il avait laissé égrainer les longues minutes, s'était présenté le soir même à une soirée de débauche comme on n'en connaissait qu'ici, quand il avait été certain que personne ne ferait attention à son absence, il avait quitté Valyria sans un regard en arrière pour pouvoir regagner Rhyos avec son dragon. Il s'était abandonné à la noirceur la plus totale, mais expliquer ce qu'il avait fait au cours des deux derniers mois auraient été sincèrement compliquer pour lui. La plupart du temps, son esprit était tellement embrumé par l'alcool que ses souvenirs avaient disparu les uns après les autres mais après tout, c'était tout ce qu'il cherchait, à ne plus se souvenir, car les souvenirs étaient trop douloureux. Puis quand il en avait eu assez d'être dans cet état de profond délabrement, il avait fait en sorte de se relever, de reprendre un peu figure humaine. Tourner la page ne pouvait se faire aussi facilement, aussi rapidement, mais il se devait de se donner une chance, une chance de vivre pour eux, puisqu'ils n'avaient plus cette possibilité. Il n'était de retour à Valyria que depuis quelques jours seulement, il continuait à rester discret, il ne voulait pas qu'on vienne à le regarder comme une bête curieuse, même si cela ne manquerait sans doute pas d'arriver, il le savait bien. Il revenait tout juste du Sénat, pénétrant dans la demeure familiale, il avait la volonté de s'entretenir auprès de son frère d'une question politique, le cherchant dans les différentes pièces, il se dirigea finalement vers la chambre de ce dernier et alors qu'il allait ouvrir celle-ci, quelqu'un vint à le prendre de vitesse. Il fut alors plus que surpris de voir le visage non pas de son frère mais celui d'Haemera apparaître sur le seuil de la porte. Il ne fit rien pour pouvoir cacher sa surprise, mais recula néanmoins de quelques pas pour pouvoir la laisser sortir de là. « Haemera … Je ne m'attendais pas à te voir ici. Tu sembles aller bien. » Voilà d'une entrée en matière.

D'aussi loin qu'il pouvait se souvenir, Haemera avait toujours été là, dans la sphére familiale, toujours proche des jumeaux Bellarys, bien que les devoirs des uns et des autres avaient pu pendant un temps les éloigner, il fallait bien grandir un jour, elle s'était engagée dans la prêtrise, Aeganon avait choisi la fonction militaire, alors que Daemor se vouait à la cause familiale et à la gestion du commerce des épices qui avait fait la renommée et surtout la fortune de Jaegor Bellarys. Malgré les épreuves qui avaient pu jalloner leurs existences respectives, ils avaient gardé des liens forts et il en était sincèrement heureux. Mais il se sentait également coupable à ce jour, il n'avait pas revu la jeune femme depuis le jour où elle lui avait prédit ce destin lumineux pendant la grande célébration de Valyria, alors que la victoire contre Ghis venait à illuminer les cœurs et faire briller les yeux, se sentant tous soudainement comme étant les nouveaux maîtres du monde. En repensant bien à ce moment, celui-ci tout spécifiquement, il se disait que d'une certaine façon, c'était elle et ses paroles qui l'avait poussé à fuir la cité et à retourner aussi vite que possible à Rhyos, sans jeter un seul instant un regard en arrière. Bien sûr qu'il regrettait son geste aujourd'hui, en tout cas en parti, mais ce n'était clairement pas la même chose deux mois auparavant. Il s'était dit que s'il venait à rester ici, s'il continuait à faire semblant face aux siens, face aux sénateurs, qu'il joue un rôle qu'il ne pouvait à ce moment-là pas assumer, qu'il se présente aux différentes festivités comme si de rien était ; c'était tout simplement au-dessus de ses forces, ce qu'il avait perdu lui semblait alors bien plus important et bien plus lourd à porter que ce qu'il avait encore auprès de lui. Haemera lui avait permis de se confronter à la réalité, à la réalité de sa douleur, qu'il ne lui était pas possible de balayer, qu'il ne pouvait pas accepter pour pouvoir donner un minimum le change face à son entourage, qu'il soit personnel ou professionnel. Il avait quitté la soir même la capitale, et n'avait donné aucune nouvelle, à personne, même pas à son frère.

S'enfermer dans son malheur avait sans doute été plus que bénéfique pour lui, même s'il n'avait clairement pas envie de repenser à ces semaines d'errance douloureuses qui se voyait encore aujourd'hui sur le corps du jeune homme, qui s'était aminci, accentuant un peu plus le contraste avec son frère jumeau qui depuis la naissance avait toujours été plus costaud que lui, et le service militaire puis sa carrière dans l'armée et les quatre ans de guerre contre Ghis avait fini par sculpter un corps puissant. Entre ça et les cicatrices, cela venait alors à faire une différence plus simple à observer pour savoir qui était qui, car pour le reste, rien n'avait véritablement changé. Pendant bien longtemps, tout ce qui permettait de reconnaître les deux frères Bellarys, résidait dans l'attitude et le caractère de chacun, mais quand ils se décidaient tous les deux à faire tourner leur entourage en bourrique alors la reconnaissance était soudainement bien plus complexe, déclenchant ainsi l'hilarité des enfants et la colère des aînés. L'un comme l'autre, ils étaient marqués, mais la raison était bien différente et après tant de semaines loin l'un de l'autre, Daemor se retrouvait à nouveau dans cet état de faiblesse qu'il avait parfois connu pendant son enfance, il allait alors retrouver son jumeau pour pouvoir sécher ses larmes et calmer ses peurs et ses doutes ; mais ils n'étaient plus des enfants et si Daemor avait encore besoin de son frère, il n'était pas aussi évident que l'inverse était vrai, il ne s'attendait pas à croiser Haemera à la sortie de la chambre de son frère et vu l'heure qu'il était, il n'était pas compliqué d'imaginer ce qui avait pu se passer la nuit dernière entre les deux. Il n'avait jamais réellement pensé qu'il se passait quelque chose entre eux, malgré le côté très séducteur d'Aeganon, si on pouvait dire les choses aussi poliment le concernant. Au moins, maintenant il se retrouvait devant le fait accompli et bien qu'il n'était en général pas dérangé par les conquêtes que pouvait avoir son jumeau et celles qu'il pouvait ramener jusqu'à la demeure familiale, il était quand même perturbé par la présence de la prêtresse. « Je suis rentré il y a peu et je n'ai pas pour le moment fait étalage de mon retour dans les différents cercles de Valyria … Mais j'aurai pu supposer que mon frère se charge de te prévenir, quoique vous étiez sans doute trop occuper pour en parler. » Il fit un petit sourire malicieux avant de reprendre son air habituel. « J'attendrai donc son retour du sénat pour pouvoir discuter avec lui, mais peut-être voudras-tu l'attendre avec moi, je n'en aurai pas pour longtemps, je vous laisserai tranquille ensuite. »