Tu nous as déçu Pierraryx.
Personne ne peut nous décevoir.
Non personne.
Les Ombres te condamnent aujourd'hui à la sentence suprême, celle de la trahison. Nous savons pour ton client.
Vilain, vilain garçon.
Devant le jugement suprême des Ombres, moi le Juste, te condamne à la mort. Elle ne sera longue et douloureuse car...
J'ai un dragon !
...
Quoi ?
Jaekar soupira et jeta un regard noir à Valys. L'air jovial du contrebandier avait le don pour lui donner un air d'autant plus exaspérant qu'il semblait vouloir ruiner la moindre de ses sorties. Chaque occasion de laisser un message derrière, de créer une identité derrière ses actes voyait un nouveau jeu de mots, une blague ou encore un acte mal place de Valys. Pire encore, l'homme avait son impact. Avec un soupir, le jeune homme fit signe à son ami qui tenait fermement leur victime. Pierraryx se vit la tête rejetée en arrière et seule un sanglot étouffé s'échappa de ses lèvres lorsque Jaekar lui planta sa dague en pleine gorge. Essuyant la lame sur les vêtements du pauvre hère, il jeta un regard sur la vieille cabane.
Bâtie au cœur des Taudis, elle surmontait un petit lac crée par l'effondrement plusieurs dizaines d'années plutôt de canalisations. Un petit entrepôt cachait plusieurs centaines de talents en or de marchandises volées ou cachées aux douaniers. Quelques barques à fond plat s'y trouvaient, bien que leur équipage soient de repos pour la nuit. Jaekar pensa au gâchis que représentait cette mort. Pierraryx avait été un bon contrebandier, formé par Valys dans leur jeunesse. Seule sa cupidité l'avait perdu en refusant de payer rubis sur ongle le prélèvement que Jaeker demandait sur ses clients occasionnels. Il avait cru être assez discret pour cela. Sa gorge tranchée en témoignait autrement.
Tu sais, Jaekar, que je n'ai rien contre un peu de théâtre de temps en temps. dit Valys en attrapant une pomme dans une corbeille pour y croquer avec appétit. J'en ai même fait mon métier ! Mais lorsque tu laisses des corps derrière toi, assures toi aussi de laisser des oreilles pour écouter tes âneries.
Jaekar voulut répliquer avant de se rendre compte de la vérité énoncée par son mentor. Il ne servait à rien de mettre en scène son idée de Conclave des Ombres et leur exécuteur le Juste si personne ne pouvait le rapporter. Avec une moue, il jeta un regard désolé vers la cadavre avant de hausser les épaules et attraper l'outre de vin posée sur la table. Le lézard, ou dragon d'après Valys, installé à côté, sursauta et détala pour s'installer à la fenêtre, malgré sa taille imposante. Une seule gorgée suffit à enivrer les sens de Jaekar qui ferma les yeux et laissa le liquide rouler sur sa langue. Par les Dieux, les Andals étaient de véritables maîtres du vin.
Un croassement mi-feulement mi-grognement du lézard de Valys le sortit aussitôt de ses pensées. La bête regardait dehors, sa collerette relevée pour indiquer un possible danger. Echangeant un regard avec Valys, Jaekar lui fit signe de récupérer son compagnon et se cacher dans l'ombre. Une dague en main, le contrebandier s'exécuta, laissant Jaekar se glisser derrière la porte, encore grande ouverte, de la cabane. Le vieux Pierraryx n'ayant pas de famille depuis près de vingt ans, il ne pouvait s'agir que du mystérieux client qui lui avait valu sa mort. Quelle douce ironie que fut que le premier regard du nouveau venu soit le corps du dit Pierraryx. Avant même de pouvoir réagir à la longue flaque de sang qui s'étendait sous le cadavre, une lame se glissa le long de sa gorge et Jaekar l'empoigna fermement pour bloquer sa main droite. Sa jambe heurta l'arrière des genoux de sa victime pour la forcer à s'abaisser. Ouvrant la bouche pour la menacer, il eut une pleine bouffée de l'odeur de la nouvelle venue. Une odeur qu'il ne pouvait pas manquer de connaître, une bouffée de désir aussi intense que le vin qu'il venait de boire. Collant sa bouche contre l'oreille de sa prisonnière, il laissa son haleine fruitée transmettre quelques doux mots :
Ne serait-ce pas la plus belle femme de Tolos qui se présente à genoux devant moi ? Que viennent faire les embruns épicés de la muse de la plus belle des îles ici-bas, les pieds dans l'eau ? Je suis certain que je t'ai manqué, Rhaenys.