Douleur. Abasourdissement. Telles étaient les deux émotions que Rhaenys Haeron ressentait en ces longues et pénibles secondes alors que ses yeux clairs étaient fixés sur les deux formes. Ceux dont le souffle de vie les avait quittés n'étaient pas des inconnus, loin de là, il s'agissait de ses propres enfants. Les deux plus jeunes qui n'avaient pu survivre à cette famine qui sévissait dans toute la ville depuis que la guerre était déclarée et que la cité de Tolos était la proie d'un siège. Deux mois s'étaient écoulés avant que le dernier navire de pêche de puisse rentrer au port pour confier ses maigres récoltes. Peu à peu les morts étaient survenues et ce fut au cours de ce troisième mois que Balérion emporta avec lui les deux plus jeunes Haeron.
Un léger soupir s'échappa de la bouche de Rhaenys alors que cette dernière s'éloignait de son frère-époux afin de s'approcher de leurs enfants et malgré un visage fermé, ce fut d'une main quelque peu tremblante qu'elle découvrit en partie les corps. Pour les regarder une dernière fois. Leurs visages semblaient si paisibles qu'en un autre contexte que celui dans lequel elle se trouvait, il aurait été possible de croire qu'ils étaient simplement endormis mais leur allure prouvait leur tout autre destin. Pour un enfant de six ans Rhaegar aurait dû être plus en chair, ses joues étaient bien trop creusées et ses muscles beaucoup trop fins, et Jaegon... Jaegon n'aurait pas dû être aussi chétif... Aucun des deux jeunes Haeron n'aurait dû se trouver là. Ses mâchoires se serrèrent alors qu'elle adressait à ses fils une ultime caresse maternelle puis elle s'éloigna en adressant à son frère, d'un signe de tête, son ordre silencieux.
Alors que Gaemor s'approchait avec sa torche de la dépouille de leurs enfants, il fut interpellé par plusieurs voix. Sentant une pointe de colère monter en elle pour cette irrespectueuse interruption, elle tourna subitement la tête vers la direction d'où provenaient les voix. Deux hommes aux yeux creusés arrivaient vers eux et finirent par s'arrêter dangereusement près du bûcher.
-Ne faites pas ça, vous seriez égoïstes de nous en priver ! Clama l'un d'eux en essayant d'atteindre Jaegon avant que Gaemor ne l'empêche en abattant son poing dans la mâchoire de l'homme.
- Osez toucher à ces corps et je vous promet un sort pire que celui qui vous est réservé par les ghiscaris !
La voix de Rhaenys sonna comme un fouet claquant la chair mise à nue. Ils la dégoûtaient. La faim la tiraillait mais pas un seul un instant elle n’avait songer à cette extrémité qu’était de consommer la chair de ses semblables et jamais elle ne permettrait que quiconque se nourrisse de ses enfants. Le second décida tout de même de s’en prendre à Gaemor, laissant la jeune matriarche longer les remparts à la recherche d’une patrouille de soldats. Désarroi et colère animaient Rhaenys qui marchait d’un pas rapide pour trouver une aide qu’elle espérait précieuse. Ces hommes avaient beau être animés par la force du désespoir et du manque de nourriture, elle ne les laisserait pas plonger leurs viles dents dans le bras de Jaegon ou festoyer sur Rhaegar. Jamais. Son regard finit par se poser sur un soldat qui patrouillait sur les remparts.
- Soldat, je t’en pries fais régner l’ordre. Deux de nos concitoyens cherchent à…manger de la chair tolosienne ! Des mots jetés au visages du soldat qui n’étaient que le reflet de la colère qu’elle ressentait et de la dévotion qu’elle portait depuis toujours pour les siens. Peu importait son grade, il fallait qu’il fasse fuir ceux qui tentaient d’obtenir de cette viande qui semblait tant précieuse en ces temps difficiles et qu’elle puisse offrir à ses fils un dernier adieu dans les flammes.