Son dos entier lui brûlait. Si dragonne elle n’avait pas été, si ce feu n’avait pas été enfermés dans ses chairs, sans doute sa peau lui serait tombée, lambeau après lambeau. Comment ses nerfs pouvaient ressentir encore la moindre douleur, après tout cela ? Alors même que ses mains étaient couvertes d’égratignures, ses bras, bleuis, contusionnés, ses jambes, molles, affaiblies. Alors même qu’elle ne parvenait pas à manger la moindre chose, affaiblie comme elle l’était. Alors qu’elle n’avait pu retenir ses râles et des pleurs, lorsqu’elle avait enfin retrouvé conscience. Des pleurs de douleur, se trouvant allongée sur le dos. Des pleurs de crainte, de peur. Car si la catastrophe avait eu lieu il y a de cela deux jours, son esprit se pensait encore auprès de la fosse, de cette gueule béante qui avait dévoré tant de Valyriens, tant de Valyriennes.
Une journée s’était écoulée depuis son réveil. Désormais étendue sur le ventre, Saerelys ne pouvait garder les yeux clos. Il lui arrivait de somnoler, de dormir quelques instants. Mais la douleur la réveillait encore et toujours, cruel caprice de sa propre enveloppe charnelle. Son propre corps lui faisait payer l’usage de sa Magie. Lui rappelait mieux que n’importe quel Archimage en ce bas monde qu’elle n’était qu’une novice. Que l’instinct et la peur l’avaient poussé à user de trop de ses dons. En résultait ce feu interne qui, au lieu de se trouver dans ses veines, s’était répandu dans ses muscles, dans ses nerfs, dans ses chairs. Il lui arrivait de pleurer de douleur, de peur, de crainte. Pleurer pour ces ombres qu’elle voyait dans ses songes, d’horribles cauchemars qui lui rappelaient ce qui s’était produit, ces âmes englouties, de manière grotesque, déformée. Profondément effrayante malgré tout. Pour le moment avait-elle encore des larmes.
Même la lumière du soleil lui était intolérable. La plus jeune des filles de Galreon avait cru l’aider, lorsqu’après son réveil, elle avait décidé d’ouvrir légèrement le rideau, afin que le Mage chargé de s’assurer de son rétablissement puisse l’ausculter. Quelle ne fut pas leur surprise à tous les deux lorsque la Riahenor leur avait hurlé, de ces forces dont ils la pensaient dépourvue, de la plonger à nouveau dans l’ombre, ne pouvant supporter une lumière si vive. Dès lors, les examens se déroulaient dans l’ombre, à la seule lueur d’une bougie ou de ces petits orbes lumineux que les Mages façonnaient avec leur propre énergie. Depuis ce cri, la jeune femme n’avait plus prononcé le moindre mot de vive voix, se contentant de murmures. Elle n’avait pas la force de faire plus. Même se nourrir requérait une énergie qu’elle ne possédait pas, qu’elle ne possédait plus.
Il lui faudra plusieurs jours pour s’en remettre, mais elle vivra. Tels avaient été les mots de son comparse, il y a de cela quelques instants, après s’être assurée qu’elle n’avait pas à nouveau sombré dans l’inconscience après son réveil le jour précédent. Sans doute pensait-il qu’elle n’avait pas la capacité de l’entendre, alors qu’il s’adressait à une autre personne, dans le couloir. Était-ce Mère ? A cette pensée, le cœur de Saerelys s’était mis à battre la plus étrange des mesures, tandis que de nombreuses larmes lui étaient montées aux yeux. Mère. Son esprit lui avait fait défaut à ce moment, alors qu’il se disait, dans l’assistance, que Vaelya Riahenor avait péri à Fossedragon, tentant de mettre à l’abri leurs frères et leurs sœurs de feu et d’écailles. Alors, la jeune femme s’était agitée, ne pouvant se redresser. Même de cela, elle n’avait pas la force. Un râle lui avait cependant échappé, son dos ayant à nouveau rencontré le matelas. Cela avait suffit à faire entrer quelqu’un.
« Grand-Mère… Mère... chuchota la jeune femme.
- Il ne faut pas que tu bouges, jeune fille. Il ne le faut pas. »
La voix de la doyenne était étonnamment douce. Emplie de tendresse. Une tendresse rarement présente dans la voix de Daela. La vénérable femme s’approcha, la saisissant délicatement par les épaules, l’aidant à se recoucher sur le ventre avant de s’asseoir juste à côté d’elle. Un instant passa. Une éternité, voilà comme Saerelys le ressentit. Sa grand-mère passa délicatement une main dans sa chevelure, dans un geste presque maternelle. Mais ce n’était pas sa mère qui était présente. Où était-elle ? Elaena s’en était-elle sortie ? Était-elle parvenue à remonter, elle aussi ? La jeune femme laissa échapper un nouveau râle. Comme sa tête pouvait lui être douloureuse. Chaque pensée un peu trop vive lui faisait l’effet d’une épingle à cheveux qui lui serait enfoncée directement dans le crâne.
Saerelys ouvrit à nouveau la bouche. Aucun mot n’en sortit, malheureusement. Honteuse, épuisée, la jeune femme ferma la bouche. Sa grand-mère cessa de lui caresser les cheveux, ses doigts frôlant l’une de ses épaules. Alors, la jeune femme sursauta, préférant se mordre l’intérieur d’une joue plutôt que de laisser échapper le moindre cri. Mère. Elle ne voulait que sa mère. Et Aedar. Où pouvait-il être ? L’avait-il sentie en danger, alors qu’elle se débattait dans le vide ? Comme elle aurait voulu l’enlacer. Sentir son odeur, entendre sa voix chaude. Il n’y avait guère que dans ses bras, dans son étreinte fraternelle, qu’elle se sentirait en sécurité. Lui seul pouvait la serrer contre lui avec suffisamment de douceur pour ne pas la blesser dans de telles conditions.
Grand-Mère parlait. Saerelys s’en rendait compte. Hélas, sa tête était lourde. Si lourde qu’elle ne parvenait pas à assimiler durablement les propos de sa grand-mère. Le regard fiévreux, la novice déglutit difficilement. Elle ne voulait pas fermer les yeux. Elle ne voulait pas s’abandonner à nouveau à ces visions d’horreur, de cette réalité qu’elle avait vécu et ne voulait plus jamais revivre. Sa grand-mère semblait l’encourager en ce sens, pourtant. Trouver un peu de repos. Un peu d’énergie pour se nourrir plus tard. Pour mieux supporter la lumière du jour. Ce jour-là, la novice n’avala que quelques gorgées d’eau, données par sa Grand-Mère. Elle n’aurait rien pu avaler de plus. Dormit-elle ce jour-là ? Jamais Saerelys n’en eut la certitude. Parfois, il lui semblait perdre conscience quelques heures. Aussi, lorsqu’elle rouvrit les yeux, l’entièreté de sa demeure était silencieuse. Sans doute devait-il faire nuit.
Comme sa tête pouvait-être lourde.
Etait-ce des ombres qu’elle voyait bouger, non loin d’elle ?
Peut-être rêvait-elle toujours ?
( Gif de sociapathic. )