Palais Hoskagon, mois 4, an 1066
Voilà de nombreux jours que la première séance de rentrée du Sénat avait eu lieu, et sans doute Elaena n’avait-elle pas envisagé que celle-ci puisse avoir un tel impact sur sa vie. Tout lui semblait à présent sans dessus dessous. Vaegon et Saera avaient disparus, retournés à Oros ils tentaient de reprendre le dessus après le traumatisme de l’empoisonnement du patriarche. Maekar était absent, occupé nuit et jour par le Sénat et cette mission de protection dont Elaena l’aurait relevé bien volontiers. Fort heureusement restait Daenyra, dont la présence et l’intelligence se révélaient être les seules bouées capables de maintenir sa sœur ainée à flot. Les journées étaient à présent toutes entières dédiées à la tâche sénatoriale, et notamment à continuer de convaincre les esprits qui s’étaient rallié au clan Tergaryon suite au discours de la jeune femme.
« Et le sénateur Haeryanos ? » Maelion Velnarys ne prononça pas un mot, se contentant de secouer la tête d’un air déçu. Haeryanos était un doyen de la faction, présent à Drivo depuis plus de vingt ans, et il avait démontré un intérêt tout particulier pour la succession de Vaegon Tergaryon. C’était de son propre chef qu’il s’était approché de Maelion afin de s’enquérir de la fille de Vaegon. Son discours n’avait guère été des plus inspirés, trop idéaliste au goût du vieil homme, mais elle avait démontré du courage et une détermination qui faisait défaut à bon nombre des leurs. Il allait suivre l’ascension de cette jeune demoiselle, mais il avait été formel auprès de Maelion, elle était bien trop inexpérimentée pour être laissée à la tête d’une faction comme la leur. Il y avait eu tractations pourtant, et Vaegon n’avait guère été le dernier à rappeler à Haeryanos qu’il restait présent pour guider la jeune Elaena, et qu’elle était un visage lui permettant de concilier ses affaires à Oros, qui allaient dans le sens des intérêts mercantilistes, et une présence au Sénat. Cela n’avait guère suffit, Haeryanos n’était pas convaincu, et son amitié de longue date avec Vaegon n’avait guère suffit, il serait de ceux qui soutiennent Baelor Cellaeron.
Debout, prenant appui d’une main sur la table où avait été déposés de nombreux parchemins de comptes, Elaena se contenta de soupirer à la vue de la réaction de son conseiller. Si leurs estimations étaient juste, la faction mercantiliste était à présent divisée en trois parties égales que se disputaient deux membres historiques, Baelor Cellaeron et Echya Odenys, et un troisième membre, bien plus jeune… Elaena elle-même. Le discours qu’elle avait prononcé contre l’avis de ses conseillers n’avait pas convaincu les plus sceptiques, mais certains qui doutaient encore avaient décidé de faire confiance à la fille de Vaegon et ce que le patriarche avait en tête pour la faction. Il n’était jamais bon de voir une faction ainsi divisée, et très vite chacun devrait faire ses jeux pour s’assurer que leur influence ne puisse en pâtir. Elaena n’avait jamais imaginé être ainsi propulsée à une place que beaucoup ne considéraient pas comme la sienne. Elle devait avoir des années d’apprentissage aux côtés de son père, des années d’expérimentation et elle aurait ainsi gagné aux yeux de ses pairs la légitimité dont elle avait besoin pour être une véritable meneuse. Cela elle ne l’était pas. Il lui arrivait d’ailleurs de même remettre en question sa capacité à l’être un jour.
« Ton père m’avait prévenu… Mais la nouvelle ne l'a pas ravi... » « Tu l’as vu ? » L’air embarrassé de Maelion ne laissait aucun doute sur la réponse du conseiller. En vérité, Maelion Velnarys se rendait à Oros toutes les semaines afin de s’entretenir avec Vaegon Tergaryon. Ce n’était pas chose difficile, à dos de dragon le voyage n’était guère long, et cela lui permettait d’obtenir les instructions et décisions nécessaires pour continuer. Seulement voilà, Elaena, elle, n’avait pas eu de nouvelles de son père depuis son départ, et apprendre qu’il s’entretenait ainsi avec leur conseiller mutuel la blessa. Elle n’en dit rien, se contentant de froncer les sourcils avant de se détourner pour prendre une longue inspiration.
« Vaegon veut seulement te protéger… Et je… » « … Me protéger ? En me laissant sauter dans l’arène sans protections ? En te donnant les instructions qu’il me refuse ? Je n’ai jamais douté n’être qu’un pantin, mais les fils sont trop gros Maelion. Qu’importe. Qu’a-t-il dit d’autre ? » « Ta mère devait s’entretenir avec Rhaenys Haeron, ce jour même, mais dans la précipitation du départ elle ne l’a guère avertie qu’elle ne serait pas à Valyria. Ton père et moi avons pensé qu’il serait utile que nous puissions nous entretenir avec elle. » Agacée et surtout fatiguée, Elaena laissa échapper un rictus ironique avant de se détourner pour quitter la pièce.
« N’hésitez pas à vous concerter pour m’indiquer avec qui honorer les Dieux ce soir, il semblerait que je n’ai plus de volonté propre. J’irai seule, et si tu insistes pour m’accompagner alors tu pourras indiquer toi-même à dame Haeron que c’est à toi qu’elle devra parler. » Elle était difficile à conseiller, difficile à contenir, c’était un fait indéniable. Pour Maelion, l’exercice était périlleux, conseiller la fille tout en s’assurant que les vœux du père soient respectés, il fallait aider Elaena à gagner en autonomie tout en la maintenant sous la coupe des ordres paternels. Cependant, Elaena était encore jeune, elle avait besoin d’être guidée, mais elle n’était pas d’un caractère à accepter des instructions trop forcées. Il faudrait au sénateur être plus discret, plus patient, et faire en sorte que la jeune femme ait l’idée que son père avait foi en elle. Sans doute était-ce la seule manière d’apaiser son esprit fatigué et de l’amener à apprendre toujours plus. Alors qu’elle sortait dans le couloir, immédiatement suivie par trois gardes, Elaena constata avec plaisir que son conseiller avait décidé de ne pas s’imposer davantage. Elle n’était pas en colère, simplement à bout. Etait-elle de mauvaise foi à ainsi blâmer son père et Maelion de vouloir la cadrer ? Probablement. Seulement elle ne dormait plus. Elle n’avait plus un moment de calme. Et son frère était plus absent que jamais. Son esprit étant sans cesse en ébullition, elle en venait à perdre la maîtrise lorsqu’elle se sentait remise en question.
« Elaena ? Quel plaisir de rencontrer, tu ressembles beaucoup à ta mère. A ce propos, où est Saera ? Elle devait me recevoir. » Les jardins où Elaena rencontrait Rhaenys était en fleur, autour d’elles les fragrances florales et fruitières étaient enchanteresses, elles suffisaient à apaiser l’esprit épuisé de la jeune sénatrice. Elaena n’avait jamais vraiment été consciente de la ressemblance avec sa mère, et pourtant celle-ci dépassait de loin le simple critère physique. Elaena Tergaryon était la fille de Saera, en bien des points une Vaelarys, famille connue pour l’indépendance d’esprit et le caractère affirmé de ses femmes.
« Rhaenys, c’est un plaisir partagé, je n’ai fait que t’apercevoir lors de la séance à Drivo, je suis navrée de ne pas être venue te saluer… Tu n’ignores sans doute pas le malaise ayant frappé mon père, il reprend des forces mais ils sont repartis à Oros, tous les deux. Elle s’excuse de ne pas t’avoir prévenue à l’avance, mais vois-tu je profites de cette occasion pour te proposer ma compagnie en lieu et place de la sienne. » D’un geste gracieux, Elaena invita son homologue à prendre place sur l’un des fauteuils qui avaient été disposés à leur intention. Sur la table autour de laquelle ils se trouvaient, avaient été déposés deux coupes, des fruits, des pâtisseries mais également de nombreuses carafes remplies de vin aromatisés, de divers alcools mais également d’eau agrémentée de citron, de fleur d’oranger ou encore de lavande.
« Je peux te proposer ces délices, mais je ne peux que te conseiller de goûter à cet alcool, certes fort mais aux arômes impressionnants… Et un peu d’alcool ne sera sans doute pas en trop pour nous remettre de cette séance sénatoriale, n’est-ce pas ? » Elaena se mit à rire sincèrement, tendant sa coupe à l’esclave qui se chargea de la remplir du fameux alcool conseillé à Rhaenys, avant de la lever en direction de Rhaenys qui finissait d’être servie.
« A ce bel après-midi qui me permet de rencontrer la chère amie dont m’a tant parlé ma mère ! »