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Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Behind the mask, we all become what we pretend to be.Aeganon Bellarys & Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon - An 1066, mois 8

Jamais encore Elaena Tergaryon n’avait côtoyé la mort de si près. Elle avait senti son corps glisser vers les tréfonds, perdre pieds voilà donc les origines de cette expression si souvent utilisée sans être comprise ? Pour la première fois de son existence, Elaena perdit pieds, tant par la proximité de sa propre mort que par tous ces corps qui l’entouraient. Elle s’était cramponnée à la roche comme à la vie, et n’avait perdu de vue cette vie qu’elle ne comptait pas quitter si jeune. Elle était revenue à la surface, le corps ensanglanté et l’esprit curieusement anesthésié. Elle n’avait pas immédiatement réalisé ce que tous venaient de vivre, il lui avait semblé devoir d’abord réapprendre à respirer. Petit à petit, la vie était revenue. Maekar était en vie, acclamé par une foule qui voyait en lui le héros qu’Elaena avait toujours vu. Daenyra avait fait preuve de courage et d’abnégation, elle était en vie et les deux sœurs se retrouvèrent avec un soulagement non dissimulé. Leur famille avait été préservée lorsque tant d’autres s’en retrouvaient déchirées.

Les mois qui suivirent cette catastrophe, nommée le Grand Effondrement, ne furent guère placés sous le signe de la fête. Valyria avait été atteinte en son cœur, et tous pansaient des blessures parfois invisibles à l’œil. Il avait fallu à Elaena passer près de trois semaines au lit, sans pouvoir se lever, il lui avait fallu deux semaines supplémentaires de repos extrême. Le corps d’Elaena avait été soumis à rude épreuve, deux côtes s’étaient brisées, de multiples contusions, et une main dont la paume garderait une cicatrice discrète. Cependant, c’était l’esprit de la jeune femme qui avait été particulièrement marqué par les événements, et elle ne parvint pas à s’alimenter durant les trois semaines que dura son alitement totalement. Petit à petit, pourtant, la jeune femme reprit des forces et des couleurs, poussée par la générosité de la femme dont elle avait sauvé la fille. C’était idiot n’est-ce pas ? Que pouvait donc apporter cette femme qu’Elaena n’avait pas déjà dans ce palais dont on vantait la beauté et la richesse ? Trois fois rien. Un panier rempli de victuailles simples ou de plats cuisinés avec sincérité et reconnaissance. Lors de ses premières visites, la femme ne put entrer dans le palais, ce n’est que lorsqu’Elaena fut informée de ses visites qu’elle ordonna à ses gardes de la laisser entrer et de la conduire jusqu’à elle. C’est cette femme qui, semaine après semaine, parvint à rappeler à Elaena que si les morts ne seraient pas oubliés, il était à présent temps de se battre pour les vivants.

Trois mois s’étaient écoulés. Elaena constatait avec surprise que son corps continuait à exhiber quelques marques de la tragédie. Une longue cicatrice marquait son flanc là où une roche acérée avait coupé sa peau. Un bleu marquait son ventre, à l’endroit exact de l’impact qui avait brisé les deux côtes. Son dos et ses cuisses étaient striés de multiples ecchymoses et cicatrices à présent minuscules et presque invisibles mais dont les formes intriguaient la jeune femme dont le corps n’avait encore jamais eu à subir de tels assauts. Mais la cicatrice qui l’obsédait, c’était celle de sa main. Elle était de loin la plus importante, mais surtout, elle était la cicatrice de son élan de vie. C’était cette main qui s’était ancrée dans la roche et qui l’avait sauvée. Elle pouvait encore sentir la roche s’enfoncer dans ses chairs alors que le poids de Sarelys s’ajoutait au sien, suspendues qu’elles étaient au-dessus d’un précipice de feu et de sang.

La fête de ce soir devait marquer le début d’un retour officiel à la vie. Elle était la première donnée depuis la tragédie, et elle se déroulait au palais Hoskagon lui-même. Les Tergaryon ne donnaient pas les fêtes les plus récurrentes, mais elles étaient des plus courues de la capitale. Le palais tout entier se prêtait à la fête. Il était un dédale de jardins intérieurs, bien souvent encadrés d’allées sous arcades qui offraient un écho sans pareille au clapotis de l’eau des fontaines. Chacun de ces jardins avait été travaillé pour offrir une expérience différente à ses visiteurs. Certains étaient dédiés à la vue, mêlant le blanc diaphane des statues à la verdoyante nature maîtrisée d’un bosquet reconstitué. L’eau était partout, irrigant fontaines et bassins, donnant aux fleurs leurs couleurs et aux fruits leur jus sucré. Pour ceux qui ne goûtaient pas les plaisirs de l’extérieur, ils trouveraient refuge dans les nombreux salons richement décorés par les mains des meilleurs artisans du continent. L’art n’était pas un élément de décoration au palais Hoskagon, il s’insinuait partout, il habitait les lieux comme s’ils avaient été construit pour lui seul, et sans doute était-ce le cas. Le plaisir n’étant pas seulement visuel, la musique se trouvait à chaque recoin. Il ne se trouvait pas un jardin qui ne soit pas égayé de la mélodie d’un instrument ou d’une voix. L’immensité du palais permettait de contenter tous les plaisirs. On y trouvait la douceur, l’exubérance, l’emportement passionné et l’apathie reposante. Il n’y avait pas un vin, pas une liqueur, pas un met qui ne se trouve disposé sur l’une des tables dressées dans la grande salle du palais. Celle-ci s’ouvrait sur tant de jardins, de couloirs et de salons qu’il ne faisait aucun doute qu’elle était le cœur de ce palais, le nœud central et essentiel d’un dédale impossible à dompter.

Elaena avait voulu ne pas s’attarder dans cette grande salle de bal, elle lui avait toujours préféré l’intimité des jardins dont elle connaissait tous les secrets. Ce soir-là, pourtant, elle était en représentation, et il n’était pas question de se cacher. Pour la première fois depuis des mois, la bonne société valyrienne se retrouvait sur pieds pour célébrer la clémence des Dieux qui les avaient protégés. Il avait fallu de longs mois à Maekar pour se remettre de ses blessures, et à dire vrai Elaena ne parvenait pas à détacher son regard de lui, s’assurant constamment qu’il se ménageait et n’en faisait pas trop. Daenyra en faisait de même avec elle, et c’est avec une tendresse infinie qu’elle embrassa sa joie, l’invitant silencieusement à se retirer si elle le souhaitait. La foule était particulièrement dense ce soir-là, et Elaena ne souhaitait guère imposer à sa sœur une exposition trop longue à ce qu’elle savait éprouvant pour elle. L’ainée des filles Tergaryon, en revanche, se sentait galvanisée par ce soudain retour des festivités. Ces derniers mois, la morosité avait sans cesse menacé de l’emporter. Il avait fallu se remettre, le plus vite possible, et puis reprendre le travail avec plus d’ardeur encore qu’auparavant. La ville était en deuil, et le Sénat plus tendu que jamais. Les élections se lanceraient sous peu et les intrigues ne s’en trouvaient que renforcées.

Ce soir, Elaena était chez elle, et la musique qui déjà glissait sur sa peau avant de pénétrer son corps l’invitait à s’abandonner comme elle ne l’avait pas fait depuis longtemps. Chacun était libre d’être autre que soi-même en cette soirée si spéciale, car s’ils réapparaissaient en public pour la première fois depuis longtemps, les hommes et les femmes de Valyria n’étaient en rien reconnaissables… La consigne avait été claire : faire du palais Hoskagon le lieu le plus cosmopolite de Valyria. Les déguisements se devaient d’être exotiques, et surtout le visage devait être masqué. C’était ainsi que chacun parviendrait à élire celui ou celle qui l’accompagnerait dans ce qui devait être l’orgie la plus éclatante qui soit. Les Dieux les avaient sauvés, ce soir ils en seraient remerciés comme il se devait. Ainsi la règle était simple, lorsque sonnerait la cloche, il faudrait s’approcher de l’invité de son choix, prononcer son nom et l’inviter à se démasquer. Si ce dernier acceptait et révélait son visage, alors il signifiait par là son envie partagée d’honorer les Dieux ensemble. C’est alors que le courageux se démasquait à son tour. Mais si l’invité refusait de se démasquer ? Et bien peu importait, n’y avait-il pas bien d’autres amants à découvrir ?

L’heure avançait et déjà les esprits s’échauffaient alors qu’à tout instant la cloche pouvait résonnait en ces lieux et marquer les débuts d’une dévotion d’ores et déjà mystique. Personne ne savait l’heure choisie, pas même Elaena, ainsi progressivement pouvait-on sentir la tension monter entre ceux qui déjà savaient qui démasquer. La sénatrice Tergaryon, quant à elle, se contentait de rire aux éclats et virevolter sur une piste de danse largement fréquenter mais qu’elle dominait largement. Elle aimait passer de bras en bras, ayant toujours un mot pour complimenter le déguisement des uns et des autres. Elle-même avait choisi une tenue tout à fait aux antipodes de ce qu’elle avait l’habitude de porter. Elle s’était débarrassée des soieries et pierres précieuses au profit de cuirs bruts et matières tressées. Ce soir, elle n’était pas Sénatrice valyrienne, elle s’était transformée en véritable guerrière Dothraki, en khaleesi. Ses cheveux parsemés de nombreuses tresses formaient un halo lumineux alors qu’elle tournoyait en laissant échapper des éclats de rire communicatifs. Elle ne s’était pas sentie aussi légère, aussi libre, aussi… vivante, depuis bien des semaines.

Les bras dans lesquels elle s’arrêta lui semblèrent familiers, et il suffit à la jeune femme de lever les yeux vers le visage masqué pour en reconnaître les pupilles. Pourtant, si elle savait tout à fait à qui elle avait affaire, elle n’en dit rien, mais s’attarda plus longtemps dans ces bras que dans les autres. Elle les délaissa cependant pour en rejoindre d’autres, gardant cependant à vue le jeune homme qui avait, lui aussi, trouvé une nouvelle cavalière. Ce n’était pas la première fois qu’elle le revoyait depuis l’effondrement, elle s’était rendue à de nombreuses reprises à son chevet et à celui de son frère, mais c’était la première fois qu’il lui semblait être vraiment de retour. Le masque ne dissimulait pas les sourires, ne brouillait que les visages dont le cœur et l’esprit ne se souvenaient pas. Elaena aurait reconnu Aeganon Bellarys les yeux fermés, au même titre qu’il lui suffisait de balayer la foule du regard pour repérer son jumeau, Daemor, dont le cœur était lié au sien de telle sorte qu’elle n’avait pas même besoin de le voir pour le savoir en ces lieux.

Étrangement, elle ne revint pas immédiatement vers les bras d’Aeganon, elle sentait son regard sur elle comme lui pouvait sentir le sien. Alors, galvanisée par ces yeux familiers qui se déposaient sur elle, la jeune femme ne fit que redoubler de grâce et de sensualité pour le plus grand plaisir de ses cavaliers éphémères. Pourtant, après quelques minutes ainsi, sa main se glissa, presque sans y penser, dans celle d’Aeganon dont elle senti la rugosité. Il était amusant de constater que les mains blessées s’étaient naturellement trouvées. Il n’y avait aucune commune mesure entre la blessure terrible d’Aeganon et ce qu’Elaena considérait comme son égratignure, et pourtant, ce furent bien ces deux mains là qui se trouvèrent. Instinctivement, le pouce d’Elaena se recroquevilla pour effleurer la paume de la main d’Aeganon, comme pour sentir cette cicatrice, comme pour en tracer les contours. Déstabilisée par cette exploration morbide, la jeune femme trébucha et ne dut son salut aux bras d’Aeganon qui la rattrapèrent sans difficulté aucune.

« Eh bien, cher chevalier, que les terres d’Andalos soient remerciées, leur fils m’a sauvée d’une bien terrible chute. »

Elaena se recula, détachant son corps de celui d’Aeganon, ou du moins de la version andale du jeune homme. Elle se mit à rire, prenant soudain conscience de l’absurde couple qu’ils formaient. Son haut fait de cuir, couvert d’écailles, dévoilait allègrement son ventre, et semblé déchiré par un combat qu’Elaena se plut à imaginer ayant tourné à son avantage. La ceinture tressée et ornée retenait une jupe d’une matière proche de la peau animale, au poil ras et très doux. Elle avait tout simplement l’air d’une sauvage selon les standards de la société valyrienne. Face à elle, Aeganon avait tout autant l’air d’un sauvage par la modestie de sa tenue et les attributs andals qu’il exhibait. L’une était la figure même de la reine guerrière indomptable, ne craignait de Dieux que ceux habitant la nature, l’autre était le symbole même de l’honneur chaste, drôle de costume pour un homme dont les exploits horrifieraient le plus déluré des chevaliers andals.

« Il me semble te reconnaître, chevalier. As-tu un jour chevauché dans nos contrées ? »

Le sourire, visible, d'Elaena se fit mutin, presque provoquant tandis que ses yeux brillaient d'une lueur nouvelle. La plaisanterie était trop belle et les fils trop visibles, mais peu importait, la soirée ne faisait que commencer.




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Behind the mask, we all become what we pretend to be.
ft Elaena

Palais Hoskagon - An 1066, mois 8

Enfin. Après trois longs mois de sevrage, la nuit valyrienne tendait à nouveau les bras à son dévot le plus assidu. En dépit de ses fréquentations souvent utilitaires durant ces rassemblements, Aeganon constata que tout avait été fait pour le ravir, du faste déployé pour décorer le palais les recevant aux tenues toutes plus exotiques les unes que les autres, en passant par les odeurs entretenues par les bougies magiques, conçues pour durer des heures durant et pour exhaler une flagrance à même d’échauffer les sens, ainsi que les senteurs dont hommes et femmes se parfumaient délicatement, sans parler bien sûr des mets divins, de la boisson merveilleuse, à même de titiller le palais le plus exigeant, et en omettant les danseurs et danseuses, les musiciens dont les doigts paraissaient se mouvoir sans cesse pour pincer les cordes des lyres et autres harpes ou bien caresser les flûtes avec une ardeur qui flattait l’imagination des plus roués. Les Tergaryon avaient mis les petits plats dans les grands. Tous les caprices possibles semblaient être exaucés. Tous les goûts seraient rassasiés. Et surtout, toutes les folies seraient permises. Tel un prédateur, le Sénateur se pourlécha la babine sous son masque de soie, cherchant de ses yeux vifs de potentielles conquêtes. Ce soir, tout serait permis. Il n’irait point à la dévotion avec des intérêts en vue, à chercher une alliance potentielle au gré de bras savamment séduits et dans un lit où il s’ébattrait moins par recherche éperdue de plaisirs, comme tous le pensaient souvent de lui, mais bien par calcul sournois. Peu à peu, son réseau s’étendait. Il comptait des maîtresses régulières dans tous les cercles de la haute société, des Temples – et oui, y compris des grandes prêtresses – aux plus hauts cercles des mages en passant par un nombre important de familles nobles et commerçantes. Sans parler, bien sûr, de celles qu’il avait achetées, usant judicieusement de l’or amassé lors de la guerre contre Ghis pour forger cette côterie faussement hédoniste et véritablement soumise à sa recherche du pouvoir dans les ombres. Il n’aurait prétendu, bien entendu, être un Maerion, avec leur armée invisible, ni même Baelor Cellaeron et sa kyrielle d’obligés. Pour autant, ce dernier modèle était proche, finalement, de ce qu’il envisageait. Profiter de la grâce des dieux pour développer sa propre ambition, y avait-il plus valyrien ? Mais ce soir, cette nuit, rien de tout cela, il irait où ses sens le porteraient. Et lorsque les célébrations inébriantes si typiques de la noblesse auraient eu lieu, qu’il sortirait saoul des plus beaux draps et des plus superbes mains, il s’en irait, ivre dans le petit jour de vie et de mort, en un équilibre doucereux, de celui que connaissent les âmes qui pouvaient prétendre à avoir entrevu le domaine de Balerion, il rentrerait avec son jumeau, et ils s’uniraient avec la même passion dévorante qui les dominait depuis tout ce temps, pour se convaincre qu’ils étaient l’ultime extase.

En attendait, il frissonnait presque en attendant que commencent les réelles réjouissances. Dans son costume andal, choisi précisément par moquerie de ce peuple pudibond et de son ambassadeur qui semblait défaillir à chaque cérémonie rituelle, et par goût de la provocation avec l’idée que personne n’irait le chercher sous cet accoutrement, si loin de sa personnalité, il scannait la foule, et la fendit pour rejoindre les danseurs après s’être sustenté avec délectation. Pardi, il cédait à toutes les tentations, peu importe leur nature. La sensation d’être inarrêtable, inébranlable, que rien ne pourrait le menacer le rendait encore plus frénétique que d’ordinaire. Au diable toutes les précautions ! Il vivait, oh, qu’il était bon de se répéter ces deux mots ! Il vivait, et il entendait bien à ce que tout Valyria le sache ! Après s’être essuyé les doigts et la bouche, l’homme se décida donc, rejoignant d’abord la silhouette de son frère, qu’il aurait reconnu les yeux fermés. Il était capable de retrouver Daemor partout au seul son de sa voix, de sa respiration, de ses pas. Il connaissait tout de son jumeau, pour l’avoir trop observé. Il avait, gravé dans sa mémoire, la moindre inflexion du visage, la plus petite expression. Il était en mesure d’accoler toutes ses intonations de voix à une humeur particulière. Et, compte tenu de leur relation, il savait repérer chaque imperfection de peau, pour en avoir parcouru toutes les parcelles des milliers de fois. Ne résistant pas, embéguiné qu’il était, Aeganon se rapprocha de lui, et commença à danser dos à dos, éprouvant un plaisir vivace et par trop vif aussi à sentir ses courbes contre lui, à se remémorer tous les pleins et les déliés sous ses doigts, sous sa langue. Le Prince d’Andalos, ou du moins sa représentation fantasmée, dans un pourpoint retravaillé au faste consommé, épousait son preux chevalier, qui portait cuirs – précieux et merveilleusement tannés – et casque, jambières et autres décorations. Ils s’étaient amusés à coordonner leurs costumes, en une signification, cependant, qui échapperait au commun des mortels. Il était logique que l’aîné ait pris les parures de la noblesse, et le cadet les armes, comme il était de coutume chez les andals. Pour autant, Aeganon y avait pensé aussi après avoir parcouru un tome que Maesella Nogaris, la grande prêtresse de Vermax – et amante de cérémonies rituelles occasionnelle – lui avait envoyé pour l’occuper durant sa convalescence. Coutumes amoureuses comparées, un clin d’œil amusant tant à l’érudition de la dame qu’aux goûts du Bellarys. Et donc, dans cet opus, il avait appris en détail ce que leurs curieux voisins de l’ouest du continent appelaient « amour courtois », avec leurs règles de chevalerie. Ainsi donc, le chevalier se devait de faire une cour chaste à la dame de ses pensées, et respecter le caractère platonique d’une idylle vouée à l’échec en cas de différence de rang. Voilà qui avait, évidemment parlé aux amants interdits, dont la tendresse fraternelle, réprouvée en Valyria, était vouée à rester à jamais inavouée, ou alors soumise à quolibets douloureux et déchirures familiales. Ils seraient donc, y compris dans cette soirée de tous les excès, à l’image de leurs doubles de vêture et de légendes, faits pour se languir l’un de l’autre sans pouvoir consommer leur amour, et condamnés à contempler l’objet de toutes leurs convoitises s’adonner aux libations dans d’autres bras.

Déjà, ils étaient contraints de se séparer, emportés chacun par une danseuse, et Aeganon accomplit son devoir et la suivit, oubliant dans la chaleur du corps contre le sien la froideur qui le saisissait lorsqu’il était loin de Daemor. Puis, il changea de partenaire, encore et encore, et les mouvements se faisaient à chaque fois plus rapprochés, plus explicites dans les cambrures et les déhanchés, dans les mains qui se perdaient, dans les souffles qui caressaient les cous offerts, et parfois, les mordillaient furtivement à la faveur d’un rapprochement, ou susurraient quelques insanités dont il avait le secret. Il tournait le dos à Daemor et les femmes qui passaient entre ses bras, se vautrant déjà dans la lie de ses sens pour ignorer la jalousie qui le rongeait, à les voir se dandiner contre lui, librement. Oh, toute cette exécration qu’il éprouvait à leur endroit, à cet instant, que d’être ainsi à profiter de lui. Il se fit violence. Il n’était pas là pour déverser son fiel, même en pensée, mais pour profiter de l’existence, de sa vie retrouvée. Bientôt, une nouvelle partenaire se présenta, dans un costume à l’exotisme presque tapageur, que le Bellarys se plut à admirer sans honte aucune, sous son masque, son regard se délectant de la moindre courbe présente. Il ne mit guère de temps avant de deviner qui se cachait, à la faveur d’un grain de beauté aperçu en un autre banquet, et gravé dans sa mémoire. Cette nuit-là, Elaena Tergaryon était parvenue à le pousser à une excitation qui avait été pratiquement incontrôlable. Jusqu’à des heures impossibles, il avait chassé le démon qui s’était emparé de ses sens, la chair brûlante et incapable d’être rassasié, pour avoir refusé de la posséder et de la laisser l’envahir. Quelle était donc cette sorcellerie, ce béguin ridicule pour la femme inaccessible, la fiancée de Maeker, l’Unique, comme avait coutume de moquer gentiment Aeganon en plaisantant sur la fidélité exacerbée du Tergaryon – selon les standards valyriens du moins, avoir moins de trois maîtresses de banquet étant presque de la chasteté ? Et voilà donc qu’elle reparaissait, et il se repassait de cette vision. Pourtant, elle le quittait déjà, et son regard se glua à elle, comme l’oiseau fusté dans ces pièges qu’affectionnaient les paysans. Il accueillit pourtant sa successeuse avec aménité, retrouvant avec une facilité consommée les sensations si faciles de la danse à la valyrienne. Mais son attention était ailleurs. L’accorte dame entre ses bras, ne manquait pas d’atouts, et alors qu’elle se drapait dans son étreinte, il baissa sa tête pour apposer un baiser entre ses seins, relevant la tête pour adresser une œillade sulfureuse à la Tergaryon qui avait choisi ce moment pour lui faire face. Puis il remonta jusqu’au cou de sa partenaire, y apposant une marque visible, quoique à la bénignité renforcée par l’éclairage tamisée et intimiste, mais témoignage discret de leur marivaudage présent et de celui à venir, peut-être, plus tard dans la soirée.

La main convoitée, presque autant que celle voulue par un fiancé attendant de saisir sa future épouse lors de leur hyménée, revint enfin entre ses doigts. Il l’enlaça de sa dextre, s’enroulant dans un peau à peau enivrant. Elaena n’y fut pas insensible, traçant les contours de son imposante cicatrice, lui arrachant un léger frisson alors qu’il imaginait plus qu’il ne ressentait l’inflexion ténue sur la masse de nodules cicatriciels au centre de la paume, dont il ne restait en vérité presque rien. Les jointures des doigts avaient tenu par miracle, et il avait fallu les consolider par magie, tout en comblant l’ouverture béante en accélérant la guérison en poussant ses capacités naturelles comme jamais. Cela avait un coût. Outre le coma artificiel dans lequel il avait été plongé par les mages, Aeganon avait conscience qu’il mettrait du temps avant de retrouver un toucher correct à cet endroit précis, et il s’était évertué durant la suite de sa longue convalescence à travailler sur ses capacités de préhension. Farouchement, il avait enduré les exercices, se poussant parfois trop, avec la constance du soldat habitué à ce type de traitements. Cependant, cela n’avait rien à voir avec sa convalescence après la flèche reçue à la bataille de Tolos. Là, son corps entier avait dû être soigné, et les nombreuses cicatrices le parcourant en attestaient pleinement, comme les douleurs qui le parcouraient encore de temps en temps. La mansuétude de Dame Nature avait ses limites : à s’approcher trop près de la mort, il l’avait sans doute offensée, et récoltait les fruits de sa stupidité. Le Vaillant Fou n’avait pas usurpé ce surnom, mais en payait amèrement le prix. Peu importe : une fois encore, il se servirait de cette difficulté pour y puiser la force de s’élever, avec la rage le caractérisant. Peut-être que sa réelle agapé n’était pas sa passion pour Daemor, mais bien celle qu’il éprouvait, débridée et absolue, pour la revanche sur la vie, et l’amour pour la vie, dans tous ses débordements. Oui, Aeganon était épris de la folie, et fou de ses démons. Et nul doute qu’un jour, au soir de son existence, il partirait dans une folle épectase, sur le champ de bataille à rire comme un dément, dans le plaisir sacrilège de broyer les os et de massacrer les chairs, ou bien avec son frère entre ses cuisses, et une poitrine de femme dans chaque main, avec une intimité offerte à sa langue avide. A défaut d’avoir péri entre les crocs de la Mère des Wyrms ou de ses redoutables enfants, voilà comment il entendait trouver sa vie et mener sa mort.

Elanea, peut-être perturbée par la sensation offerte par cette masse de tissus rugueux et chauds, trébucha. Elégamment, Aeganon la rattrapa, déguisant le faux pas en une figure complexe, la faisant virevolter dans ses bras avant de la pousser en arrière pour que son dos s’arque et que leurs corps se frôlent, s’épousent. Ils se redressèrent et la jeune femme se détacha, à son grand regret. Un sourire en coin étira ses lèvres à ses remerciements, qu’il ponctua d’une révérence exagérée, avant d’attraper sa main dans la sienne à nouveau, pour y apposer un baise-main parfaitement exécuté – du moins, selon ses connaissances livresques et les enluminures qu’il s’était plu à reproduire – typique de cette chasteté qui se voulait gage de l’harmonie sociale chez les andals. Et, de sa voix profonde, il répondit :

« J’ai chevauché monts vallons et vallées, ma dame. Arpenté les plus aimables plaines vallonnées, goûté aux merveilles cachées dans les grottes les plus secrètes. Et ma lance a toujours su défaire les ennemis des Sept, qu’ils soient loués. Il est des créatures des Sept Enfers qu’il convient de châtier, pour les tentations qu’elles imposent aux hommes pieux.

Alors je me fais l’incarnation de leur courroux, et m’empresse de leur faire subir la justice de nos terres, et d’un chevalier aventureux, prêt à affronter toutes les plus perfides montures pour les ramener, par le saint salut de ses cuisses refermées, à la lumière des Sept. »


Le sourire s’était élargi à mesure qu’il pastichait les paroles si souvent ânonnées par les andals, et Hugor Arryn en premier. Et l’intention se faisait de plus en plus évidente, à mesure qu’il continuait, tout en dansant avec Elaena, et que leurs figures se faisaient de plus en plus complexes. Aeganon était bon danseur, grâce en soit liée à l’éducation maternelle sur les aspects les plus mondains, qui lui étaient dévolus, et à une certaine assiduité dès lors qu’il avait compris tout ce qu’il pouvait retirer de pareille matière en termes de séduction … et de forfanterie. Après une arabesque quasiment acrobatique, Aeganon attira sa cavalière contre lui et souffla à son oreille :

« Et toi, Khaleesi, comment as-tu dominé ton khal ? Est-ce qu’il est ta monture fidèle, ou bien préfères-tu qu’il rue dans les brancards comme le sauvageon qu’il est ?

A moins que tu n’aies dévoré son cœur à la place de celui d’un cheval, cruelle que tu es, pour te l’attacher à jamais, et en profiter pour monter ta horde de dévoués dévorés par une idolâtrie impie ? »

Ils se séparèrent, tournoyèrent, et revinrent dans les bras l’un de l’autre, dans des folies toujours plus marquées :

« Cherches-tu la bénédiction des Sept, ou à braver leur courroux face à tant d’infamies ? »

Nulle dilection dans ces propos, mais bel et bien l’érotisme absolu du désir brut, nullement déguisé, déjà ardent. Aeganon n’était pas pur. Il souillait tout ce qu’il touchait : sa famille, son frère, sa sœur … Il était l’ombre mauvaise des Bellarys, faite pour détruire et corrompre, poussant à la trahison des vœux prononcés devant les dieux, en tirant une jouissance mauvaise et sulfureuse. Il serait le même face à Elaena : la tentation, et peut-être aussi, l’ardeur sublimée par l’absence d’envie d’une relation que celle, éphémère et langoureuse, qui se dessinaient au cœur de leurs souffles et de leurs jambes entremêlées.



Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Behind the mask, we all become what we pretend to be.Aeganon Bellarys & Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon - An 1066, mois 8

La mort n’avait que trop frappé, cette nuit serait dédiée à la vie. Des mois entiers Elaena avait tremblé. Elle avait tremblé face à l’esprit tourmenté de sa sœur Daenyra, qui avait été durement touchée par les événements du Grand Effondrement. Elle avait tremblé face aux blessures de Maekar, craignant que les Dieux soient suffisamment cruels pour le lui prendre. Enfin, elle avait tremblé chaque nuit passée hors des bras de Maekar, hantée par les visages de ceux qu’ils n’avaient pu sauver et par les cris de souffrance pure que seul Balerion avait pu apaiser. Elle avait tant tremblé qu’il lui avait semblé ne plus jamais trouver le repos. Alors, lentement, elle s’était accrochée aux bribes de vie qui lui restaient, et elle avait remonté la pente comme elle l’avait fait dans les dernières heures de l’effondrement. Malheureusement il n’y avait plus là de magie, et il lui fallut se hisser hors du précipice d’angoisse à la force de sa seule volonté. Cette soirée en était l’apogée. Elle riait à nouveau. Elle dansait à nouveau. Ainsi déguisée en reine guerrière, elle affirmait aux yeux du monde que le combat était une seconde nature. Bien mal informés ceux qui se risqueraient à la prendre pour une petite fille sans défense. Elle était une guerrière, une khaleesi, que la barbarie ne pourrait plus effrayer.

« J’ai chevauché monts vallons et vallées, ma dame. Arpenté les plus aimables plaines vallonnées, goûté aux merveilles cachées dans les grottes les plus secrètes. Et ma lance a toujours su défaire les ennemis des Sept, qu’ils soient loués. Il est des créatures des Sept Enfers qu’il convient de châtier, pour les tentations qu’elles imposent aux hommes pieux.

Alors je me fais l’incarnation de leur courroux, et m’empresse de leur faire subir la justice de nos terres, et d’un chevalier aventureux, prêt à affronter toutes les plus perfides montures pour les ramener, par le saint salut de ses cuisses refermées, à la lumière des Sept. »


Elle avait presque oublié le sentiment délicieux d’un fou rire. Tournoyant sur elle-même, ce fut ce rire plus que la musique qui rythma ses mouvements. Il y avait toujours eu, entre Aeganon et Elaena, une complicité facile propre aux esprits trop semblables pour ne pas se reconnaître. Il était aisé de rire avec Aeganon, il était aisé de danser avec lui, il était même aisé de tout oublier pour ne plus être que corps sublimé, que passions embrassées et esprit affuté. S’il n’y avait eu là que l’attraction des corps, sans doute cette complicité n’aurait-elle pu trouver d’écho durant de si longues années, mais il ne pouvait y avoir que cela. L’un comme l’autre avait trouvé un adversaire à sa taille pour les joutes spirituelles qu’ils affectionnaient tant. Non embarrassés par la profondeur angoissante de l’amour, ils pouvaient se laisser porter sur les ailes d’une affection profonde, intense, et pourtant si légère pour les cœurs trop sérieux. Car oui, voilà ce qu’étaient Elaena Tergaryon et Aeganon Bellarys. D’aucun aurait pu être tenté de les définir comme esprits frivoles, cœurs inconstants ou corps sensuels, la vérité était pourtant ailleurs. La légèreté de leur relation était leur salut, un moyen magnifique de survivre aux élans trop sérieux, trop dramatiques et puissants de cœurs retenus ailleurs. Cela ne signifiait pas finalement qu’ils n’auraient pu s’aimer, mais qu’ils étaient nécessaires, l’un pour l’autre, car ils aimaient trop ailleurs. C’était une réalité qu’Aeganon connaissait, confident privilégié de l’amour douloureusement profond et indiscutable de Maekar et Elaena, mais qu’ignorait Elaena car le sceau du secret était intact pour le Bellarys. L’un comme l’autre n’était que légèreté prétendue, et pourtant, à être légers, ensemble, ils parvenaient, l’espace d’un court instant – ou peut-être d’une nuit – à lever ce poids qui, sur leur poitrine, en venait à les étouffer.

D’un air mutin, Elaena virevolta entre les bras d’un autre jeune homme, lui aussi déguisé en Dothraki, et avec lequel la jeune femme dansa quelques instants. Délaissant son compatriote sans réels regrets, bien que ragaillardie par les regards désirants qu’il glissait vers elle, elle retomba, sans que le hasard n’en soit responsable, entre les bras du chevalier andal. Cette main fraîche, qu’il déposait contre la peau brûlante de ses reins largement exposés aux regards, l’électrisa, et leurs corps ainsi réunis se synchronisèrent pour se mouvoir selon une mélodie qui leur était propre.

« Et toi, Khaleesi, comment as-tu dominé ton khal ? Est-ce qu’il est ta monture fidèle, ou bien préfères-tu qu’il rue dans les brancards comme le sauvageon qu’il est ?

A moins que tu n’aies dévoré son cœur à la place de celui d’un cheval, cruelle que tu es, pour te l’attacher à jamais, et en profiter pour monter ta horde de dévoués dévorés par une idolâtrie impie ? Cherches-tu la bénédiction des Sept, ou à braver leur courroux face à tant d’infamies ?»


Leurs rires s’élevèrent à nouveau, et il sembla à Elaena qu’ils étaient le poumon de cette soirée. Il lui semblait que ces rires, symboles mêmes de la vie retrouvée, faisait battre le cœur de toute Valyria en ces lieux réunie. Elle ne répondit pas, se contentant de le délaisser à nouveau, non sans lui adresser un regard provocateur, et de se dédier à un autre jeune homme dont elle se lassa bien vite. Retrouvant les bras d’Aeganon, la jeune femme instaura de force une distance entre leur corps, une distance presque dérangeante tant elle était contre nature pour ces deux êtres qui ne craignaient en rien la symbiose de la chair. Elle jouait avec lui, comme il jouait avec elle, alternant entre distance et proximité, pour éveiller les sens et créer le désir de ce que l’on ne peut avoir aisément.

« Ah Chevalier, je le dominerai le jour où il me domptera, c’est là une chevauchée sans fin, propre à ceux que la violence adoube. Que peux-tu comprendre de la dévotion, impie dis-tu, de ceux qui se veulent sang de mon sang ? Entends-je en tes mots une pointe de… désir ? Peut-être entrevois-tu les délices d’une existence sauvage, débarrassée des carcans d’une fidélité trop longtemps érigée en remparts te protégeant d’un désir trop grand pour être ignoré ? Ou bien peut-être crains-tu davantage l’ire de mon khal que celui de tes Sept aveugles et sourds ? »

D’un geste d’autorité, presque surprenant venant d’une femme aux allures douces, Elaena brisa la distance qu’elle avait instaurée auparavant, invitant son partenaire de danse à se saisir à nouveau de ce corps dont elle aimait ne plus être maîtresse de temps à autres.

« Sais-tu, chevalier, que pour mon peuple, il ne peut y avoir de meilleur décor que le ciel. Le jour, ils vivent sous le regard du soleil, la nuit s’aiment sous le regard de la lune, son épouse. Nous voici, dès lors, tous réunis ce soir dans le royaume d’une femme, sous son regard, à peine dissimulés par les dorures et la pierre, car l’on ne cache rien à la nuit et l’on n’échappe pas au regard de la lune. »

Sans un mot de plus, Elaena mêla ses doigts à ceux d’un Aeganon pris de court et le tira à sa suite alors qu’elle traversait la piste de danse, le grand salon, pour continuer dans une série de pièces en enfilades qui ne servaient que lors de réceptions. A mesure qu’ils avançaient, le tumulte de la fête s’éloignait. Ce n’était pas que cette dernière soit circonscrite au grand salon, le palais tout entier avait été aménagé afin que plusieurs ambiances soient offertes aux illustres invités de cette fête grandiose. Non, Elaena connaissait simplement le palais comme personne, et il ne lui suffisait que de pousser une porte pour en dévoiler la face cachée. Arrivée dans l’un des derniers petits salons d’apparat, n’ayant toujours pas lâché la main d’Aeganon, elle poussa une porte dérobée ouvrant vers un couloir sombre tout juste éclairé par quelques torches qu’il faudrait remplacer sous peu. Le palais Hoskagon avait été tout entier dédié à l’art, la musique et la lumière, pourtant ce palais parallèle, fait d’escaliers sombres et inégaux, de pièces oubliées de tous et sans fenêtres, était le squelette du palais de lumière. De son pouce, la jeune femme caressait presque instinctivement la plaie qui ornait toujours la paume du jeune homme, comme un rappel à l’ordre constant que la mort rôdait toujours autour d’eux. Il y avait pourtant quelque chose de furieusement vivant dans cette cicatrice, paradoxe en ce qu’elle représentait l’ombre de la mort mais également la victoire de la vie sur cette dernière. Ils étaient blessés, portaient en leurs corps les stigmates de cette joute macabre, et pourtant voilà qu’ils dansaient, riaient, embrassaient, et bientôt que les corps se mêleraient en l’honneur des Dieux de la vie.

Lorsqu’ils eurent passé la première porte, Elaena s’arrêta un instant, comme à bout de souffle face à une exaltation presque surnaturelle. Ils étaient en vie, par les Dieux ils vivaient ! Ils restèrent un instant ainsi, poitrine contre poitrine, le souffle de l’un se mêlant dans l’invisible à celui de l’autre, ce souffle unifié trouvant échos entre les murs de pierre brute de ce non-lieu. Ils avaient quitté la lumière pour l’obscurité, les ors pour la matière la plus brute, et ils ne paraissaient plus aux yeux de cette foule alors qu’ils en étaient l’âme. Sans en comprendre les raisons, Elaena eut le besoin irrépressible de s’arrêter ainsi, de plonger son regard dans celui d’Aeganon, sans prononcer un mot, simplement retrouver le vrai dissimulé derrière le masque. Nul besoin de porter un masque pour dissimuler une vérité que l’on souhaite taire, les plus doués n’avaient besoin que d’un sourire. Pourtant, il suffisait bien souvent de plonger au plus profond d’un regard pour en découvrir les intentions, il suffisait de s’attacher à en déceler l’intensité pour comprendre ce que le costume tentait de cacher aux yeux. Embarrassée d’être ainsi sérieuse, Elaena aurait voulu désamorcer l’intensité de ce moment, du moins l’intensité qu’elle ressentait, mais comment le pouvait-elle ? Un bon mot aurait été le bienvenu, mais son souffle court ne le lui permettait pas. C’était cette cicatrice qu’elle caressait toujours, comme par réflexe, et les souvenirs qu’elle faisait remonter à la surface. Elaena était de ces êtres difficiles à consoler car bien souvent ignorants de leurs propres traumatismes. Il y avait eu l’effondrement du père, l’éloignement de l’être aimé, puis la menace de la mort, la proximité du sang, et finalement la peur de la perte qui s’était ancrée au plus profond de son être. A présent, Elaena Tergaryon vivait avec la peur de perdre les vies qui lui étaient chères. Elle oscillait entre cette attitude de défiance face à la mort, presque provocante : Regarde, tu ne nous as pas eus !, et cette peur panique que la mort vienne sous peu réclamer son dû. Cela provoquait des moments de terrible intensité, presque insupportable pour elle-même, et le besoin irrationnel de se sentir en vie. Elaena, au contraire des grands blessés, n’avait eu à garder le lit, et la vie avait repris son court bien vite, il avait fallu se concentrer sur Maekar, Daenyra, Daemor et, bien sûr, Aeganon. Elle avait parfois l'impression de ne pas être totalement en vie. Elle ressentait ce besoin impérieux de le sentir dans sa chair. Ainsi s’adonnait-elle à des entraînements physiques toujours plus exigeants ou des sorties à dos de dragon toujours plus longues, mais elle ressentait également la pulsion de vie et de mort plus que jamais mêlées dans ce besoin qu’elle avait de contact, de sentir la chair d’un autre contre la sienne. Elle avait le besoin impérieux d’être plus que jamais au contact de Maekar, pour se sentir vivante et témoigner que son frère était en vie. Elle avait besoin de ses bras, de ses lèvres, de son corps en elle pour se convaincre qu’elle était vivante et que lui aussi. Il y avait presque quelque chose de désespéré dans cette nécessité de contact physique impossible à combattre . C’était le désir même, la pulsion de vie, et pourtant, elle ne parvenait pas tout à fait à se sentir tout à fait en vie, car la peur la tenait enchaînée, car elle pouvait sentir le fumet de la mort autour d’elle et de ceux qui lui avaient échappé de si peu.

Après quelques secondes à le regarder ainsi, Elaena décida qu’il était temps de quitter l’obscurité. La main d’Aeganon la rassurait, sans doute ne s’en doutait-il pas un instant, mais il représentait une ancre physique qui l’empêchait de sombrer alors que tant de souvenirs revenaient à la surface de son esprit. Elle ne dit pas un mot, se contentant de reprendre son chemin en débutant l’ascension de cet escalier étroit qui semblait ne mener nulle part. Après quelques minutes d’ascension qui parvint à lui faire perdre le souffle et échauffer son corps, la jeune femme poussa une petite porte qui ouvrit, contre toute attente, sur un des nombreux jardins intérieurs du palais Hoskagon. Tous l’appelaient le jardin suspendu, car il était ainsi fait qu’une partie des arcades ouvraient sur la ville, donnant l’impression qu'il flottait au-dessus de Valyria. Il était différent des autres jardins du palais qui, bien souvent, faisaient office de cour intérieure et se trouvaient ainsi enclavés dans le bâtiment lui-même. Ce lieu, lui aussi, avait été aménagé pour la fête, mais bien rares seraient les invités qui parviendraient à le retrouver. Il était la récompense pour les quelques aventuriers prêts à se perdre dans les méandres d’un édifice dédié à la contemplation. Lorsque l’on pénétrait, comme le faisaient Aeganon et Elaena, par cette porte dérobée, on ne voyait pas immédiatement la partie des arcades ouvrant sur la ville. Ainsi, tout œil non averti aurait pu croire à un jardin ordinaire. Du moins, aussi ordinaire qu’un jardin Tergaryon pouvait être. En son centre une immense fontaine en pierre blanche laissait s’écouler de doux filets d’eau qui dévalaient la structure sculptée pour créer un son doux, mélodieux, de l’eau s’écoulant comme s’écouleraient les jours d’un couple heureux. Les motifs floraux et végétaux de la fontaine faisaient écho aux nombreux végétaux qui habillaient ce jardin. L’odeur des fleurs blanches se mêlaient à celles des agrumes qui avaient été amenées depuis le jardin d’Oros. A la mélodie de l’eau venait s’ajouter celle, discrète, comme émanant de la nature elle-même, de la musique que quelques musiciens discrets dédiaient à quiconque viendrait les écouter. Finalement, il fallait avancer, contourner l’imposante fontaine pointant vers le ciel étoilé, et se détachaient les couleurs de la ville. Le ciel cessait d’être un élément du décor, c’étaient les arcades qui devenaient un détail se détachant sur le fond obscur d’un ciel devenu personnage principal d’une mise en scène glorieuse. Guidant Aeganon, Elaena se rapprocha de la balustrade, et ne se résolu à retirer sa main de celle de son ami que lorsqu’elle pu la déposer contre le marbre frais.

« Vois-tu chevalier, la sensualité du monde ? La douce mélopée de l’eau caressant la pierre, devenue lisse, d’une fontaine que la main a façonnée. L’odeur appétissante des agrumes dont on veut gouter le jus. Le contact frais du marbre dur, solide, et pourtant dont la surface douce apaise les sens… »

Toujours dans son rôle, sans doute moins joueuse qu’à l’accoutumée, Elaena se retourna pour faire face au jeune homme qui avait pris place à ses côtés. Elle appuya, instinctivement, sa hanche droite contre le balustre, et déposa sa main à plat pour garder l’équilibre.

« Je crois à la divine nature, je la crois infiniment plus puissante que tes Sept. Ceux qui t’enjoignent à la modération, à la contrainte des corps et des esprits, à la peur du divin et à la dévotion craintive. Je ne crains pas mon Dieu chevalier, je le retrouve dans la divine suavité de ce qui m’entoure. Il m’enjoint à chevaucher par-delà les plaines, à dévorer à pleine dents ce que m’offre la vie, à savourer les corps à la lueur de la lune et à me repaitre de la vie dans ce qu’elle a de plus cru. »

Où s’arrêtait le jeu, où le costume laissait-il place à la vérité, là étaient des questions dont même Elaena ignorait la réponse. Elle aimait ce jeu, elle aimait être autre qu’elle-même, parler à Aeganon comme s’il n’était pas lui. Pourtant, elle avait besoin d’être elle, plus que jamais, et elle se savait en droit de l’être pleinement avec Aeganon. Et finalement, elle décida que le jeu n’avait que trop durer. Nul besoin de masque et les intentions d’Elaena étaient claires. Tous deux connaissaient la règle de cette soirée, inviter l’autre à se démasquer, puis se démasquer si l’objet de son désir acceptait d’en faire autant. Y avait-il grand mystère sur le désir que l’un et l’autre se portait ? Il était instantané entre eux. Ils pouvaient ne pas même se toucher, il leur suffisait de se regarder, et revenait en leurs mémoires le souvenir de leur dernière rencontre. Ce soir-là, bien que peu sûre de ce qu’elle voulait, Elaena avait eu envie d’Aeganon. Elle avait aimé être exposée à son regard et le détailler du sien. Elle avait attendu chaque contact de leur peau avec délectation et angoisse. Leurs regards s’étaient apprivoisés, car jamais auparavant avaient-ils été habités d’un tel désir pour l’autre, et il avait fallu prendre la mesure de cette intensité. Ces regards, qui pourtant se connaissaient depuis des années, avaient dû se rencontrer à nouveau. Ils n’étaient plus des enfants, et ce jeu qu’ils affectionnaient tant n’avait plus rien de l’innocente rencontre de deux êtres insouciants. A présent, lorsqu’ils se regardaient, bien des choses habitaient leurs esprits. Il y avait eu la peur de blesser un être cher qu’ils avaient en commun, la peur de le perdre pour l’un comme pour l’autre, et finalement lui aussi avait compris que ce qui habitait les regards échangés d’Elaena et Aeganon ne pourrait jamais menacer son empire sur la jeune femme. Rien ne pourrait jamais menacer l’empire de Maekar Tergaryon sur sa sœur. C’était bien autre chose. Il n’y avait pas d’amour aussi pur entre Aeganon et Elaena, il y avait bien d’autres choses mais cet aspect d’eux-mêmes ne leur appartenait déjà plus.

Ainsi, comme ils connaissaient les règles, Elaena n’eut guère d’hésitation à faire le premier pas. Elle savait que prononcer ce nom, tendre cette invitation, scellait ce qui s’était noué lors de leur dernière rencontre. Elle savait qu’elle initiait quelque chose qu’elle ne pourrait plus arrêter. Elle ne savait pas s’il accepterait, mais elle lisait sans peine le désir qu’il lui portait. Alors, sans avancer, elle inclina son corps tout entier pour le rapprocher de celui du jeune homme. Elle ne l’avait appelé que chevalier, parce que tant que ce masque était déposé sur son visage, et tant qu’elle ne prononçait pas son nom, alors ils pouvaient encore s’en retourner, chacun de leur côté, et tenter d’ignorer cette force qui les attiraient l’un à l’autre. Elle n’avait pas peur du rejet, elle n’avait pas peur de l’acceptation, elle ne craignait que le silence. Elaena ne craignait plus les revers, rejetée ou embrassée elle serait en vie ce soir-là. Derrière eux, quelques voix s’élevaient finalement, la fête venait enfin de s’étendre par-delà les limites du grand salon, et déjà les salons et jardins perdus dans les méandres du palais Hoskagon prenaient-ils vie. Celui-ci ne faisait pas exception, car les aventuriers s’étaient élancés à sa recherche, et leur récompense serait à la hauteur de leurs déambulations risquées. Ainsi, ils ne seraient pas seuls dans ce lieu où plus rien n’était interdit, où plus aucune limite ne devait exister. Cela rendait l’exercice plus excitant encore.

« Je ne veux pas parler à un chevalier Andal ce soir. Je ne veux pas me promener avec lui et deviser de ses Dieux. Je veux explorer ce jardin, en goûter les fruits, en respirer le parfum avec gourmandise, me plonger dans les eaux tièdes de cette fontaine, m’étendre sur les coussins de soie, m’enivrer des vins délicieux à disposition et remercier les Dieux de Valyria d’avoir protégé leur fille… Mais je veux le faire avec un partenaire à ma taille, un adversaire ai-je presque dit…  Aeganon Bellarys, te démasqueras-tu pour moi ? »



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Behind the mask, we all become what we pretend to be.
ft Elaena

Palais Hoskagon - An 1066, mois 8

La danse sublimait les corps. Œuvre divine offerte aux Quatorze, prélude adoré aux libations les plus extrêmes, elle était l’offrande des valyriens à leurs divinités, tant pour les prêtres et les prêtresses que pour les dévôts les plus avertis. Pour certains, c’était parce qu’elle était un art qui leur était pleinement dédié. Pour d’autres, plus cyniques, parce qu’elle poussait à dévoiler la chair et à l’observer, la dévorer du regard du désir, le faisant monter doucement ou ardemment, au gré des mouvements, des changements de partenaires, du plaisir même que l’on pouvait retirer d’une main qui se frayait un chemin entre les soieries, qui effleurait d’un doigt l’origine du monde, ou qui démontrait vigoureusement, à travers les tenues légères, l’étendue d’un désir nullement dissimulé. A cet art, il convenait d’exceller, et de ne point avoir de de pudeur. Fort heureusement, Aeganon était étranger à ce mot, et n’avait eu de cesse de se perfectionner dans cet apprentissage, dès lors qu’il avait compris qu’il ne s’agissait pas uniquement d’accepter un caprice maternel, mais aussi d’une puissante décoction de séduction. Il ne comprenait pas les hommes qui restaient froids, ou se contentaient de mener, incapable de susciter eux-mêmes le désir. Pourquoi se contenter de regarder ? Pourquoi seulement saisir, alors qu’on pouvait créer ? Qu’y avait-il comme satisfaction plus jouissive que de sentir les regards avides sur soi, de les exciter, de les conquérir, d’arracher des soupirs envieux, dans la débauche la plus assumée ? Alors, quand Elaena rejoignait d’autres bras ou s’éloignait, il ne restait pas inactif, se déhanchant avec parfois des mouvements évocateurs, à la crudité assumée, d’autres fois au rythme enivrant des tambourins, une autre femme dans ses bras, l’enlaçant, respirant son cou, son odeur, mordillant sa clavicule, épousant ses formes par les siennes. Puis ils se séparaient, et son attention revenait à la Tergaryon. Elle parlait, répondait à ses provocations, et il l’enserrait dans ses bras, la faisant tournoyer, avant de la positionner devant lui, dos contre son torse, ses mains posées sur ses hanches pour la guider, lascivement, son souffle contre sa peau, humant sa flagrance et s’amusant à exciter la légère chair de poule qui pouvait naître, remontant sa tempe pour venir susurrer au creux de l’oreille quelques agaceries. Du moins, telle était son intention, mais elle se déroba avant qu’il n’ait pu dire quoi que ce soit, à sa grande surprise, pour attraper sa main et l’attirer à l’écart. Se reprenant, il la suivit, sans un regard pour le reste de la soirée. Là-bas, il y avait Daemor, qu’il ne pouvait pas obtenir. Qui était à lui, sans que personne ne le sache. Il n’avait aucun mal à l’imaginer, à cet instant, avec son air las, à observer ces femmes qui se pressaient à ses pieds et qu’il finirait par accepter. Il savait qu’il se dévoilerait à l’une d’entre elle, qu’il l’emmènerait à l’écart, quand la soirée serait plus avancée, à la vue de tous, et qu’il la posséderait. Elle soupirerait pour lui, l’embrasserait sans retenue, l’envelopperait de son corps ardent. Il connaîtrait le plaisir entre ses bras, entre ses draps. Et comme toujours, il espérerait qu’au moment de l’acmée, Daemor penserait à lui, et uniquement à lui. Que, pour se donner du cœur à l’ouvrage, il rêverait que ce soit Aeganon à la place de cette femme, ou lui à sa place et Aeganon à la sienne. Ils s’uniraient dans le secret de leurs âmes, liés par ces autres corps étreints et ces cœurs éteints. Il pensa aussi à Maera. Est-ce qu’elle-même rêverait de son frère-fiancé, ou de son frère-amant, en prenant son plaisir dans les bras d’un partenaire qui n’était pas un frère ? Ses pensées lui arrachèrent un ricanement sinistre, très vite étouffé. Qu’ils étaient pathétiques, à se déchirer pour trop s’aimer. A se désirer et à l’ignorer. A se tromper, pour mieux s’appartenir. Ce soir, il s’oublierait également. Mais il ne le ferait pas dans l’abrutissement des sens. Non, il trouverait, il le savait, un réconfort étrange en Elaena, parce qu’elle ne l’aimait pas, tout en l’aimant autrement. C’était davantage que la plupart de ses maîtresses. Et moins que celle qui, peut-être, était la plus proche de l’affection d’Aeganon, et qu’il avait des remords à briser, parfois. Il avait besoin d’être égoïste, et de l’être en étant certain qu’il ne détruirait rien. Elaena aimait Maekar. Elaena n’avait rien à attendre de lui, hormis l’envie. Il n’attendait rien d’elle, hormis d’exister. Il serait objet de désir, sujet de plaisir. Et surtout, maître de lui-même.

Sourd aux merveilles du palais Hoskagon, l’attention d’Aeganon ne dérivait pas de la main contre la sienne, qui se perdait parfois à caresser l’aspérité noduleuse en son centre. Dans un premier temps, instinctivement, le jeune homme s’était raidi, peu à l’aise face à cette insistance. Puis, il finit par se détendre imperceptiblement, et se contenta de contempler Elaena de son regard perçant, cherchant à comprendre ce qu’elle voulait lui dire, à travers ses prunelles qui le fixait, avec cette main qui revenait sans cesse, au creux de sa paume, à la marque laissée par le wyrm déchaîné. Il ignorait ce que cela signifiait. Cela n’avait finalement pas d’importance. Il se contentait, muet, de lui rendre son regard, de l’envelopper du sien, au-delà de la pénombre ambiante. Il n’éprouvait pas le besoin de parler. Le silence le faisait à sa place, dans sa tranquillité douce, dans sa chaleur d’été. Il aurait pu rester ainsi des heures, à écouter la respiration d’Elaena, à contempler ses traits, à les deviner parfois, à sentir sa main contre la sienne, la cicatrice pulsant doucement contre sa peau douce. Nul besoin d’être l’un contre l’autre : ils avaient rarement été aussi proches. Puis, le charme se rompit, et ils reprirent leur marche. Aeganon se laissa guider, ses yeux toujours englués à la silhouette d’Elaena, qui constituait son univers, présentement, son horizon. Le reste n’avait pas d’importance. Le désir bourdonnait à ses tempes, non pas brutal et passionnel, comme il en avait si souvent l’habitude, mais indolent et tranquille, fleuve endormi qui serpentait langoureusement autour de la vallée, pour mieux l’inonder quand le moment serait venu, l’enrichir et cultiver le limon fertile de sa luxure. Bientôt, ils arrivèrent à destination, et Aeganon se plaça aux côtés d’Elaena, embrassant du regard la vue qui s’offrait à lui, avant de se perdre dans le ciel étoilé. Les paroles de la jeune femme le berçaient agréablement. Il était loin, à cet instant, du jeu sensuel qu’ils avaient installé. Sa voix le convoyait vers des paysages d’ailleurs, libres et libérés, où il aurait pu aimer à sa guise, tout son saoul. C’était le pays de ses rêves secrets, où il aurait être ce qu’il était réellement, aimer ouvertement. A la place, il était condamné au royaume des mensonges. Où était la vérité, dans l’ensemble des relations ? Nulle part, quasiment. Il ne restait que la vérité rauque de la convoitise. Pourquoi le nier ? Depuis cette soirée fatidique, quelques mois auparavant, il voulait Elaena Tergaryon. Il s’était dérobé par amitié. Et désormais, il savait qu’il pouvait. Que Maekar y consentirait. Que ses sens ne lui arracheraient pas l’amitié la plus fidèle, la plus pure qu’il entretenait. Qu’il ne gâcherait pas la seule chose d’absolue qui lui restait, après avoir souillé toute sa famille de ses mauvaises humeurs et de ses envies illicites. Alors, il l’écoutait, toujours silencieux. Il ne jouait plus. Il n’en éprouvait ni l’envie, ni le besoin. Elaena, in fine, finit par faire de même, dévoilant ses intentions.

Aeganon aurait pu lui répondre. Il aurait pu se pencher à son oreille, lui susurrer qu’il préférerait explorer son jardin, goûter ses fruits, boire à sa fontaine, s’étendre sur sa peau de soie et s’enivrer d’elle. Il l’aurait fait avec son sourire conquérant, son aplomb bien connu, les bords de ses lèvres tressautant sous le rire qui couvait, ses yeux s’illuminant du plaisir de faire rire par un bon mot joliment troussé à partir de ceux de la dame. Oui, ordinairement, c’est cela qu’il aurait dit. Mais les mots restaient bloqués dans sa gorge. Ils ne jouaient plus. Et, par extension, il ne jouait plus. A la place, il se rapprocha. D’une main agile, il enleva son masque, dévoilant son visage entièrement. Approchant ses doigts de celui de la jeune femme, toujours sans rien prononcer, il entreprit de dévoiler le sien, le jeta à terre d’un mouvement souple. Le masque s’échoua à côté du sien, les abandonnés s’enlaçant. Il décida de les imiter. Sa main se perdit sur la joue d’Elaena. Il la caressa doucement, effleurant la peau avec son pouce, goûtant sa douceur. Son autre main, meutrie, apposa, horrible hérésie, son abord rugueux à l’autre joue. Ses yeux ne quittaient pas ceux de la jeune femme. Son regard avait rarement été aussi sincère. Puis il rompit le contact pour poser ses prunelles sur les lèvres d’Elaena. Il se pencha en avant pour les cueillir.

Et il l’embrassa.

Doucement, il accola ses lèvres à celle de la jeune femme, dans une union étrangement chaste, doucement tendre. Il resta un moment ainsi, sans rien ajouter, presque sans bouger, de crainte de rompre l’instant, ce qu’il signifiait, ce qu’il ne signifiait pas. Puis sa main gauche descendit contre le dos de la jeune femme, traçant ce dernier, s’attardant sur sa hanche, la dessinant langoureusement, pendant que sa langue entreprenait le même jeu, quémandant un passage avant d’explorer avec sensualité ce nouvel horizon qui s’offrait avec elle. Il s’intoxiquait de son odeur, de son goût, recherchait avec passion sa consoeur pour mieux l’agacer, l’aguicher, la mignoter. Soudain, d’un mouvement puissant de son bras, il l’attira entièrement à lui, se penchant légèrement en avant pour accentuer la cambrure du corps de la jeune femme, approfondissant encore davantage leur baiser, et cette étreinte silencieuse qui n’était ponctuée que de respirations profondes et de soupirs ahanés. Qu’ils soient observés lui était indifférents. Il se moquait résolument du monde extérieur. A ce moment, rien d’autre ne comptait qu’Elaena, ses lèvres contre les siennes, son corps contre le sien, son visage au creux de ses mains et la chaleur au creux de ses reins. Comme possédé, il accentua encore un peu plus son emprise, incapable de la laisser s’échapper. Leurs corps se fondaient l’un en l’autre, plus érotiquement que s’ils avaient été débarassés des vêtements les séparant. Leurs bouches paraissaient avoir été faites pour se rencontrer, et ne plus jamais se quitter. Respirer devenait superflu. Pourquoi chercher de l’air ailleurs, quand Elaena était là, et qu’il pouvait inspirer à plein poumon l’oxygène aphrodisiaque qu’elle insufflait dans ses poumons ? Sa seconde main vint se poser contre sa chute de rein, parcourant cette dernière avec lenteur, tandis que ses dents mordillèrent joyeusement sa lèvre inférieure, gentiment, pour forcer la séparation qui, sinon, eut été impossible. Enfin, ils se séparèrent. Et Aeganon, finalement, prit la parole :

« Est-ce une réponse suffisante, Elaena Tergaryon ? »

Sa bouche dériva vers son oreille, et il y murmura, avant de mordiller le lobe :

« Où m’emmèneras-tu donc, pour tenir tes promesses de vin et de plaisir, et pour que je puisse me débarrasser de toute cette quincaillerie ? Je n’honore les dieux qu’en valyrien, conserver ce costume d’andal risque bien de m’attirer leurs fureurs. »

Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Behind the mask, we all become what we pretend to be.Aeganon Bellarys & Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon - An 1066, mois 8

Qu’est-ce qu’un baiser ? Dans une société telle que celle des fiers valyriens il eut été aisé de s’imaginer que l’acte d’embrasser avait été vidé de son essence première. Ce peuple au sang magique, volant fièrement à dos de dragon, avait élevé la promiscuité physique et l’échange charnel au rang d’actes de dévotion envers les Dieux. N’y avait-il dès lors que cela ? Ne pouvait-il donc plus rien y avoir de subversif ou de sensuellement dangereux ?

Elaena avait regardé avec attention le visage d’Aeganon Bellarys s’approcher du sien. Ce n’était pas la première fois que leurs corps jouaient l’un avec l’autre, mais tout n’avait été que provocation et fantasmes passés sous silence. A présent, la réalité les rattrapait. Le désir qui n’avait cessé de grandir depuis leur dernière entrevue semblait sur le point d’être satisfait, et Elaena pris un instant pour mesurer la portée de son acte. Elle avait bien sûr parlé de tout cela avec Maekar et celui-ci avait donné sa bénédiction. La réputation des deux Tergaryon ne pouvait souffrir aucune tâche, ni menace et leur tendance étrange à la monogamie acharnée faisait se soulever plus d’un sourcil. Elaena avait choisi Aeganon. Aeganon avait choisi Elaena. A présent qu’ils se retrouvaient seuls, au cœur de cet écrin de verdure et de beauté, leurs corps retrouvaient la fréquence sur laquelle ils vibraient de concert. Le contact des lèvres d’Aeganon contre les siennes bouleversa Elaena. Ces lèvres lui paraissaient à la fois si familières et pourtant si étrangères, le baiser était chaste lorsqu’elle s’était imaginé qu’il serait dévorant, mais il y avait une tendresse enveloppante dans la manière qu’avaient ces lèvres quasi inconnues de caresser celles de la jeune femme.

Ce n’était pas un simple baiser. C’était une invitation charnelle. Bientôt, Elaena ne put distinguer ce qui caressait son corps, elle se laissait envelopper de caresses, succombant avec délectation aux rythmes lents et dansants de leurs bouches, au contact du corps d’Aeganon contre le sien qui se cambrait à mesure que le jeune homme prenait la situation en main. Bientôt, elle passait outre la sensation de ce torse dur contre sa poitrine pour se concentrer sur les rythmes de leurs cœurs. Lorsqu’elle s’abandonnait dans les bras de Maekar, il lui semblait que leurs cœurs se synchronisaient presque automatiquement, battant au même rythme comme s’ils ne faisaient qu’un. Il lui fallut un instant pour comprendre qu’il n’en serait rien avec Aeganon. Leurs cœurs ne battaient pas la mesure, mais après quelques secondes d’attention elle eut comme l’impression qu’ils formaient à eux deux une mélodie nouvelle. Ils se complétaient au cœur d’une symphonie propre à l’étrange duo qu’ils formaient. Les cœurs battants, les tissus se froissant sans peine sous les assauts de mains avides de découvertes, les baisers dont l’écho semblait emplir le jardin tout entier, voilà la musique qui se jouait en cet instant.

Elaena laissa échapper un soupir qui vint se mêler avec grâce à leur harmonie sensuelle. Elle levait une jambe, son pied caressant lentement le mollet du jeune homme, effleurant ses cuisses avant de rejoindre ses fesses sur lesquels il se décida à prendre appui. Rappelée à ce costume qui faisait d’elle une autre femme, elle se faisait plus guerrière, plus conquérante, mordant la lèvre inférieure du jeune homme avec vigueur avant d’y déposer un baiser. Un nouveau soupir s’éteint sur les lèvres d’Aeganon alors que la main du jeune homme parcourait les reins de la demoiselle, effleurant habilement ses fesses et parcourant, sans se presser, la ligne imaginaire qui menait au bout de cette jambe, solidement ancrée sur les côtes du Bellarys. Chaque geste, chaque soupir, était empreint d’autant de tendresse que d’une faim insatiable. L’un et l’autre désirait autant enlacer tendrement que prendre passionnément. Mais bientôt, Aeganon mettait fin à ce qui semblait pourtant être une chorégraphie prometteuse. Le corps d’Elaena trembla instantanément, comme si le manque se faisait déjà trop grand pour ne pas susciter de réaction. Elle se maudit d’être ainsi faite, faible à l’appel d’une chair qui vibrait au rythme de la sienne.

« Est-ce une réponse suffisante, Elaena Tergaryon ? »

Elle ne put réprimer un sourire, amusée par l’esprit d’Aeganon et provoquée par le souffle du jeune homme qui approchait déjà ses lèvres de l’oreille de la demoiselle.

« Où m’emmèneras-tu donc, pour tenir tes promesses de vin et de plaisir, et pour que je puisse me débarrasser de toute cette quincaillerie ? Je n’honore les dieux qu’en valyrien, conserver ce costume d’andal risque bien de m’attirer leurs fureurs. »

Elaena s’éloigna d’elle-même à présent de son compagnon de fortune et se tourna vers l’horizon sans répondre immédiatement. Après une grande inspiration, la jeune femme attrapa sans ménage une partie du déguisement d’Aeganon pour en défaire les liens. Elle s’appliquait, ses mains expertes dénouant les éléments un à un, nullement rendus maladroits par un quelconque empressement. Pourquoi se presseraient-ils alors que la nuit ne faisait que débuter ?

« Je sais que tu connais parfaitement le palais Hoskagon, pour y avoir passer de longues heures avec mon ainé… mais je crois pouvoir te surprendre encore un peu. »

Après quelques minutes de travail méticuleux, le jeune homme se trouvait débarrassé de la majorité des éléments de son costume, sans être, toutefois, nu. Alors, et seulement à cet instant, Elaena se décida-t-elle à reprendre sa route, car le jardin suspendu n’était nullement l’endroit le plus féérique du palais. Le chemin qu’ils devaient emprunter n’était pas aussi long que celui qui les avait menés en ces lieux. Elaena poussa une porte à peine visible dans un des murs de pierre qui soutenait les arcades du jardin, et lorsque cette dernière se referma le couple se retrouva dans le noir le plus complet. Il n’y eut, cependant, pas la moindre hésitation, car Elaena connaissait ce chemin par cœur. Ils ne firent que quelques pas avant qu’elle pousse une nouvelle porte qui dévoilait un espace presque semblable en tous points au jardin qu’ils venaient de quitter. C’était à s’y méprendre. La terrasse ouvrant sur la ville se trouvait à leur gauche, la végétation était aussi luxuriante, les arches entouraient la pièce, et au centre le clapotis de l’eau se faisait entendre au même rythme que celui qui avait emplit le jardin suspendu. A mesure que l’on observait l’endroit, cependant, une différence notable apparaissait… Il n’y avait là aucune fontaine. Le clapotis de l’eau venait d’un bassin central creusé à même le sol, fait du même marbre que celui-ci. Une eau fumante s’y trouvait, alors que de l’eau nouvelle y était déversée par quatre statues, aux quatre coins du bassin. La vapeur qui s’en échappait véhiculait de délicieux parfums ambrés, capiteux, appelant à la luxure.

Cette pièce était un lieu où ne pénétrait que très peu de monde. A vrai dire, depuis son installation au palais Hoskagon, Elaena en avait fait son boudoir personnel, et rares étaient ceux de sa famille qui s’étaient aventurés à défier cette annexion. Aeganon et elle auraient tout le temps de se montrer au monde et de faire étalage de cette dévotion divine plus tard dans la soirée. Il lui semblait que ce qui l’unissait au jeune homme dépassait la simple attraction physique et animale. Il y avait en eux une sensualité débordante, capable de s’étirer sur des heures, d’agacer leurs sens à l’infini, les amenant sur la brèche, haletants et tendu ; une sensualité aiguisée plus encore par leurs esprits joueurs qui se répondaient sans effort. La pièce qui, avant leur arrivée, avait été largement éclairée, se retrouvait à présent dans une pénombre provoquée par la vapeur qui s’intensifiait à chaque seconde.

« Je t’ai introduit dans le jardin suspendu, te voilà dans mon jardin secret à présent. »

Elaena sentait son corps se couvrir progressivement d’une fine pellicule humide. Incommodée par le cuir qui collait contre sa peau, la jeune femme entreprit de défaire à son tour les différents éléments de son costume, ce qui prit bien moins de temps que pour son compagnon tant ce costume dothraki dévoilait déjà de son anatomie. Elle aimait le désir créé par l’attente. Elle aimait l’idée que tout ne commence que par les yeux. Les yeux d’Aeganon sur son corps progressivement dénudé, dévoilé, et son regard à elle détaillant les aspérités de ce corps masculin qui lui était inconnu. Elle prendrait le temps de le gouter, de l’écouter, de l’effleurer, mais pour le moment elle voulait qu’ils soient entièrement dédiés à la vue. Alors qu’elle ôtait le haut de son costume, elle effleurait, l’air de rien, la pointe de ses seins, geste d’autant plus suggestif qu’il semblait accidentel. Pourtant, rien n’était laissé au hasard chez Elaena Tergaryon.

Ne présumant rien de ce que ferait Aeganon, elle termina de se dévêtir avant de lui tourner le dos et d’avancer, lentement, vers le bassin qui leur tendait les bras. Elle descendit, marche à marche, le petit escalier qui menait aux flots fumants et à la chaleur revigorante. Sans doute tout autre être qu’un valyrien n’aurait pu pénétrer dans ces eaux brûlantes, elles étaient au contraire source de vie et d’énergie pour ces êtres de feu dont le sang commandait aux dragons. Sans crier gare, Elaena plongea entièrement dans le bassin, laissant l’eau caresser son visage et malmener les quelques tresses restant dans ses cheveux. Lorsqu’elle ressortit, elle se tint debout, face à l’homme qui ne l’avait pas encore rejoint, l’eau dissimulant la partie inférieure de son corps. La sensation du regard d’Aeganon sur elle mêlé à celle de la chaleur de l’eau était enivrante. Il ne fallut guère longtemps pour qu’il la rejoigne. C’était à peine s’ils se voyaient à présent, entièrement consumés par les vapeurs. Alors, puisque la vue n’était plus une option, il leur faudrait s’en remettre à d’autres de leurs sens. Ils se rapprochèrent progressivement, s’arrêtant, face à face, à quelques simples centimètres l’un de l’autre. Leurs respirations se mêlaient en un souffle frais qui faisait s’écarter la vapeur et leur permettait de mêler leurs regards. Il y avait une intensité telle dans ces regards, dans cette faible distance, qu’Elaena pouvait sentir son corps tendre instinctivement vers l’avant.

« Je sais que l’objectif de tout ceci est d’être vus… J’imagine que te conduire dans l’endroit le plus secret d’Hoskagon n’est pas des plus stratèges. Je ne pouvais pas me résoudre, cependant, à me limiter à la dévotion. Il y a tant de choses à explorer. Tant de choses auxquelles… goûter. »

Goûter pourtant elle ne le fit guère. Cependant Elaena céda aux élans de son corps et rompit la distance qui existait encore entre eux. La jeune femme appuya sa poitrine, à présent nue, contre le torse de celui qui serait son amant. D’un geste naturel, portée par les flots, elle s’éleva quelques peu alors que ses jambes vinrent entourer la taille du jeune homme et se nouer dans son dos. Leurs fronts se rejoignirent alors que leurs yeux ne se quittaient pas. Ils pourraient céder dès cet instant, cela ne serait que trop facile. Leur excitation était palpable. Leur désir dévorant. Ainsi il n’aurait suffi que d’un geste pour que cette soif soit apaisée. Cela aurait été si facile…

… Mais Elaena Tergaryon et Aeganon Bellarys n’aimaient en rien la facilité. Ils aimaient la conquête. Ils aimaient la douleur de l’attente qui ne faisait qu’amplifier le plaisir de la victoire. Ils s’étaient engagés dans un corps à corps provoquant, dans une conquête de l’un et de l’autre. Elaena avait finalement laissé ses lèvres parcourir la machoire du jeune homme, traçant un chemin de baiser jusqu’à son oreille dont elle mordilla le lobe avant de le mordre carrément et de murmurer.

« Je te défie de me résister, Aeganon Bellarys… »

Délaissant l’oreille du jeune homme, elle se redressait sans pour autant quitter le corps de son compagnon.

« … Je te défie de me faire céder. »



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