La saison chaude battait toujours son plein, à Valyria.
Petit à petit le spectre du Grand Effondrement avait quitté les murs de leur si belle Cité. Et pourtant, il restait encore bien des choses à faire. Si la place avait retrouvé un état proche de celui d’origine, il restait bien des frais à prendre en compte. Une tâche d’importance que la Grande Prêtresse ne pouvait confier à des subalternes. Aussi compulsait-elle, la mine appliquée, presque grave, les parchemins qui lui avaient été confié. Il fallait traiter avec tel marchand venu de Sarnor, avec tel autre provenant des terres Andales. Voir s’il n’était pas possible de revoir les coûts à la baisse, de trouver un autre terrain d’entente pour les ressources les plus rares qu’il avait fallu exporter. Maesella poussa un soupir, reposant finalement sa plume. Il lui faudrait revoir tout cela à tête reposée, ce soir. Il ne s’agissait-là que de peu choses, dans les faits. Qui plus est, avec des marchands qu’elle connaissait assez bien. Sans doute était-ce pour cela qu’elle avait été désignée pour leur répondre. Peut-être à cause du fait que cet argent qu’il avait fallu frapper provenait de ses entrailles de ses Temples, également.
Laissant l’encre sécher sur son dernier feuillet, Maesella se fit la réflexion que tout était bien calme. Rhaegel devait être au Sénat. Daenys l’avait peut-être accompagnée. A moins qu’elle ne se trouve en compagnie de sa mère, en cet instant ? Rhaedor avait pris Alyssa sous son aile pour la journée, la préparant petit à petit à embrasser ce destin qui était le sien, celui d’entrer au Collège. D’ici quatre années, Malarr entrerait dans le clergé également. Un sourire étira les lèvres de la Grande Prêtresse à ces pensées. Sa première petite-nièce et l’un de ses premiers petits-neveux allaient bientôt quitter le monde de l’enfance. Comme le temps pouvait passer vite. Il n’avait suffit que d’un battement de cœur pour que tout cela se produise. Pour que les années où elle avait connu ses premiers béguins, ses premières idylles, ne fassent désormais partie que du passé. Tout cela à cause des caprices du temps qui s’écoulait, inexorablement.
La mine de Maesella s’attrista quelque peu à cette pensée. Alors, la Grande Prêtresse porta sa main droite jusqu’à sa joue, tandis que son coude s’appuyait sur l’accoudoir de son siège. Une pièce sculptée dans du bois pâle, représentant un curieux mélange de dragons ailés et de dragons serpentiformes, tenant des perles de bois sombre dans leurs serres. Un présent offert par un marchand Yi-Tien, il y a des années de cela, en gage de sa reconnaissance pour des affaires rondement menées. L’espace de quelques instants, les doigts de la Nohgaris glissèrent, tracèrent les reliefs, la tête draconique qui finissait l’autre accoudoir. Faire un bilan de ces conquêtes, de ces alliances qu’elle avait forgé au fil des années. De son service auprès de cette Déesse à laquelle elle avait juré fidélité. De cette tendresse qu’elle éprouvait pour les siens, qu’elle soit fraternelle, ou maternelle, bien que Maesella ne fut jamais mère en son nom propre.
« Pourquoi me tourmentes-tu ainsi, Grande Vermax ? marmonna la Grande Prêtresse, se massant les tempes. Cherches-tu à te rendre compte à nouveau de ma résilience ? »
Seul le silence lui répondit. Alors, Maesella haussa légèrement les épaules. La solitude commençait sans doute à lui peser. Un terreau fertile à toutes les grises pensées. A tous les troubles. En temps normal, Rhaedor, Visenya ou d’autres membres du clergé étaient présents, pour la sortir de cette torpeur. Pour échanger quelques mots. Une idée. Pour la sortir de ses pensées. Son époux restait maître en la matière, à ce sujet. Il n’y avait guère lorsque l’envie lui prenait de l’enlacer qu’elle daignait laisser de côté ces travaux sur lesquels elle avait déjà passé bien trop de temps.
N’y tenant plus, Maesella se leva, parcourant l’atrium dans lequel elle se trouvait, étirant ainsi ses membres quelque peu endoloris, lissant d’un simple geste de la main les plis qui s’étaient formés sur sa robe brune. Le Foyer comportait plusieurs atriums. En plein été, ses occupants préféraient cependant celui-ci. Doucement ombragé par des plantes parfois venues de lointaines contrées, un bassin d’eau clair se trouvait là, reflétant les quelques rayons de soleil, ou de lune, qui pouvait se glisser entre les branchages et les feuilles. Quelques carpes oranges, blanches et noires nageaient dans le bassin, troublant parfois sa surface d’un mouvement de queue ou de nageoires. Le regard améthyste de la Grande Prêtresse se perdit quelques instants sur la surface réfléchissante. Au vu de la position du soleil, l’après-midi était déjà bien entamée.
« Elle ne devrait plus tarder. » murmura Maesella, à voix haute, pour elle-même.
Myssaria apprécierait sans doute cet endroit, plus frais, moins poussiéreux, moins étouffant que le reste de la capitale. Croisant ses mains derrière son dos, Maesella s’en retourna à la table qui avait été dressée là à son attention. Rassemblant ses documents, la Grande Prêtresse les fit disparaître dans un petit coffret, qu’elle ferma à clef avant de le déposer sur un guéridon se trouvant non loin. Sur un plateau d’argent, un jeu de plusieurs tasses de porcelaine reposait, ainsi qu’une théière, contenant déjà de l’eau bouillante. A l’aide d’une pince de bois, la Nohgaris saisit plusieurs feuilles de thé, qu’elle déposa dans la théière avant de la refermer. Un bon thé était un thé suffisamment infusé. Déposant finalement le plateau sur la table qui lui avait fait office de bureau jusqu’alors, Maesella remit en place le coussin qui couvrait sa chaise avant de faire de même avec celui de l’autre siège, qui se trouvait à l’opposé.
« Grande Prêtresse, Dame Myssaria vient d’arriver. Dois-je l’amener jusqu’ici ? »
Une jeune servante se tenait là, les mains croisées sur son ventre, humblement inclinée, dans l’encadrement de l’une des portes qui menait à l’atrium. D’un hochement de tête, accompagné d’un signe de main, Maesella l’intima à guider leur invitée, son invitée, jusqu’en ces lieux. Alors que les pas s’éloignaient, la Grande Prêtresse resta là, stoïque, non loin de sa propre chaise. Cela faisait un moment qu’elles ne s’étaient pas vues, les faits étaient là. Aussi fallait-il que cette entrevue se passe pour le mieux. Une Cellaeron ne saurait ne point se sentir chez elle également auprès des Nohgaris. Alors, Maesella passa mentalement en revue les différentes choses qu’elle avait mises en place. Son énumération mentale venait à peine de s’achever que la servante faisait à nouveau part de sa présence, annonçant par la même occasion celle de son invitée. Alors, un large sourire apparu sur les lèvres de la Grande Prêtresse. S’approchant de quelques pas, la Nohgaris porta sa main à son cœur, s’inclinant légèrement.
« Je te souhaite la bienvenue dans la demeure de mes ancêtres, Myssaria. Puisse-t-elle être à ta convenance. Maesella se redressa de toute sa hauteur, ses mains glissant jusque dans son dos. J’ai pensé qu’un peu de fraîcheur nous serait bénéfique. L’été ne semble point vouloir laisser sa place à l’automne pour le moment. »
Des années durant, Maesella avait pu se rendre compte de la diversité des climats de leur péninsule. Elle avait emprunté ces routes tantôt sablonneuses, tantôt poussiéreuses, parfois empierrées sans crainte. Car c’était ainsi que les Enfants de Vermax allaient et venaient. Le vol leur était parfois offert par des Seigneurs et Dames Dragons de passage. Mais il s’agissait-là plus d’une exception que d’une règle. Aussi, la Grande Prêtresse avait l’intime conviction que l’été durerait encore un peu. La force de l’habitude ne se trompait que rarement, à ce sujet, de même que les signes qu’il était possible de lire dans les cieux.
« Je t’en prie, ne reste donc pas debout. Maesella indiqua l’une des chaises d’un signe de la main, tout sourire. J’ai pensé qu’un peu de thé serait de bon ton. L’un de mes amis Yi-Tiens m’en a fait cadeau, lors de sa dernière visite. Il serait fort inconvenant de ma part de ne point en faire partager le reste de ma parentèle. »
Le thé ne se buvait jamais en solitaire. Il s’agissait d’un signe de réunion, de discussion, d’affection même. Les dignitaires Yi-Tiens partageaient même le thé, lors de leurs négociations. Se passerait-il de telles choses en ce jour ? Tout n’était que politique, à Valyria comme ailleurs. Grande Prêtresse ne pouvait qu’en avoir conscience. Cela n’empêcherait pas cette discussion d’être agréable, cependant. S’installant à son tour, Maesella prit délicatement la théière par la anse, laissant s’écouler un liquide verdâtre de son bec jusque dans les tasses déposées-là. Le récipient reposé à sa juste place, la Grande Prêtresse ramena l’une des tasses à elle, invitant Myssaria à faire de même selon son envie. Le goût d’une telle boisson était pour le moins particulier. Aussi enverrait-elle quérir d’autres rafraîchissements, le cas échéant.
« Comment te portes-tu, mon enfant ? s’enquit doucement Maesella, portant sa tasse à ses lèvres avant de la reposer quelques instants plus tard. Valyria est-elle à votre goût, à toi et à tes petits ? »
Les Montagnes Peintes et Valyria ne se ressemblaient que peu. Maesella s’en était rendu compte de ses propres yeux. A bien des égards, Valyria était une véritable fourmilière, grouillante d’activité matin et soir. Bruyante, tonitruante également. Sans doute ne connaissait-elle jamais le calme réel. Aussi, la Grande Prêtresse devait avouer qu’elle chérissait le calme, bien que relatif, de son Temple, juché en haut de la Douzième Flamme. Un calme assez proche de celui qu’elle avait su découvrir dans les environs de la demeure de son cousin également.
( Gif de andromedagifs. )