Les pieds dans le bassin présent dans l’atrium, Saerelys fredonnait, agitant légèrement ses jambes. Une chaude journée de plus s’annonçait, semblait-il. Une chaude journée sans la moindre ombre à l’horizon. Aussi, son esprit ne pouvait que s’en montrer apaisé. Une petite planche de bois posée sur ses genoux, la jeune femme lisait quelques missives, reçues le matin même. Précieusement gardées en son absence par Galreon, qui les lui avaient remise dès son arrivée en Palais, la novice s’était naturellement installée dans l’un des discrets atriums de sa demeure. Ici ne serait-elle pas dérangée par la danse incessante des serviteurs, des servantes et des esclaves. Seuls Galreon, connu et reconnu pour sa fidélité envers les siens, et quelques membres de sa famille, avaient connaissance de son exacte position. Taegon était également présent, en retrait, derrière elle.
Procédurier, Saerelys l’avait entendu s’approcher, alors qu’elle tenait entre ses mains un petit paquet de tissu. Alors, la jeune femme avait relevé la tête, intriguée de le voir à ses côtés, de le voir briser cette harmonie qui s’était crée autour d’elle. Nul fiel ne se dégageait de son regard, cependant. Juste de l’étonnement, avec une pointe de tentation de l’interroger quant à sa présence. Tout d’abord sans un mot, l’homme avait tendu la main dans sa direction, demandant finalement à ouvrir le paquet à sa place. Alors, la jeune femme avait légèrement froncé les sourcils, resserrant tout d’abord ses doigts sur ce présent qui était devenu, en quelques instants, l’objet de toutes les convoitises.
« Je me dois de l’ouvrir pour toi. rappela l’homme. Les ordres sont clairs, jeune Dame.
- Taegon, ce paquet… Il provient d’un des enfants de l’orphelinat. Penses-tu réellement qu’il oserait s’en prendre à moi ? Il n’a que six ou sept ans. Tu le connais aussi bien que moi. Le pauvre petit avait une fort mauvaise fièvre. Il m’est reconnaissant de l’avoir aidé, voilà tout. Regarde donc son écriture. Les traits de la jeune femme s’adoucirent. Peut-être même est-ce sa première lettre.
- Prudence est mère de sûreté, jeune Dame. »
Voyait-il en cette demande un simple caprice ? Était-ce donc une erreur, à ses yeux, de vouloir profiter seule, pour elle-même, de cet instant de tendresse ? Retenant un soupir, Saerelys déposa finalement le petit paquet dans la main qui lui était tendue. Le présent provenait d’une personne inconnue. Là était le réel problème. S’il avait s’agit d’un paquet de Mealys, les choses auraient été bien différentes. La jeune femme ne pouvait point en vouloir à Taegon, ne point lui porter de l’exécration. L’homme ne tarda pas à défaire la ficelle qui retenait le tissu en place, y découvrant ce qui ressemblait à un bracelet de petites perles de terre cuite. Se redressant légèrement, le visage de Saerelys s’éclaira à la vision de cette découverte.
Se saisissant du bout des doigts de l’objet, pour le moins inoffensif, la novice le laissa couler dans sa paume quelques instants. Il s’agissait d’un bracelet composé d’un petit cordon de cuir, sur lequel plusieurs perles de terre cuite, tantôt gravées de chevrons et de lignes, tantôt laissées lisses. Que Taegon la considère comme un lézard naïf, une jeune fille qui en était encore à ses premières idylles, à ses premiers béguins. Saerelys n’en avait cure. Tant et si bien que ce fut avec ce bracelet au poignet que la Riahenor se présenta devant la chambre de sa mère, les bras chargés de quelques parchemins, sa main droite tenant une poignée de lettres.
« Mère, c’est moi, Saerelys. La jeune femme se faufila dans l’entrebâillement de la porte. Je t’ai ramené les parchemins que tu souhaitais étudier. Un messager nous a également apporté quelques nouvelles de nos cousins de Tyria. Ces lettres t’étaient destinées et se trouvaient sur ton bureau, quand je suis allée chercher les parchemins. Je me suis dit que tu aurais aimé les lire les plus tôt possible. »
Baissant la tête, Saerelys chercha du regard la base de la porte, la refermant finalement d’un simple mouvement du talon. Ceci fait, la jeune femme se rapprocha du lit, un grand sourire aux lèvres. Mère se portait bien mieux, désormais. Son rétablissement ne faisait plus de doute, et si elle gardait encore le lit par moment, les Dieux, dans leur grande mansuétude, lui permettaient de se déplacer dans leur demeure à l’aide d’une paire de béquilles, ou d’une canne, dans les meilleurs jours. Ainsi, leurs prières, leur idolâtrie avaient été récompensées de la meilleure des manières. Mère ne se laissait plus languir, contre son gré, dans cette pièce alors que la vie se devait de se poursuivre au dehors.
« Comment te portes-tu ? s’enquit doucement Saerelys, tout en déposant parchemins et lettres sur le meuble le plus proche. Je t’aurai bien proposé de me rejoindre dans l’un des nos atriums pour que nous puissions travailler dans des conditions plus agréables, mais il me fut impossible de savoir la teneur de ton état journalier après mon retour du Collège. La jeune femme se tourna dans la direction de sa mère. Mais rien ne nous empêchera d’aller faire quelques pas dans le Palais, si tu le désires. A moins que tu ne préfères quitter notre demeure ? »
La vie reprenait son cours et Saerelys ne pouvait qu’être rassurée, soulagée, de savoir que sa mère se portait pour le mieux. Que ce wyrm, aussi vorace et hargneux fut-il, n’avait pas eu raison de la ténacité et de la vitalité maternelles. Comme Riahenys devait être fière de sa descendante. Car de ce combat, elle n’avait pas démérité. Un acte d’alliance de folie et de témérité, peut-être ? De courage, surtout. Telle était la vision de Saerelys à ce sujet. Enlacer sa mère de toutes ses forces ne suffiraient sans doute pas à lui montrer l’ampleur de sa fierté, à ce sujet.
« Tu seras sans doute heureuse d’apprendre que notre petit protégé fiévreux se porte désormais pour le mieux. J’ai reçu de ses nouvelles, aujourd’hui. Il est totalement rétabli, selon les dires du personnel de l’orphelinat. Je m’assurerai personnellement que leurs récits sont véridiques, je puis te le promettre. »
Saerelys n’avait guère le temps de s’embéguiner. Sa conquête du Quatrième Cercle passait aussi par ces services qu’elle rendait aux siens et à autrui. Qui plus est, l’art de la guérison était l’une de ses passions. Une passion toute fraternelle, dans une telle situation. Car ces enfants n’avaient guère qu’eux pour veiller sur eux. Certains avaient l’âge de Gaelor, ou encore celui de Rhaelys. Le transfert affectif n’en devenait que plus simple, plus évident encore.