Que faisait-elle ici ?
Une question qui tournait dans ses pensées, les rendant bourdonnantes. Tout cela avait commencé de la plus simple des manières. Après les récents événements, le Grand Effondrement en tête de liste, Saerelys avait ressenti le besoin de rendre visite à ses cousins. S’éloigner un peu de Valyria, de son atmosphère étouffante. De ses ombres. S’en éloigner juste une journée, pouvoir se laisser aller à quelques marivaudages avec ses cousins de Gelios, discuter de leurs hyménées futurs, pouvoir leur faire montre de ses dons dans la mesure du tolérable et du possible, découvrir cet océan qu’elle craignait tant en restant sur ses côtes également. Juste une journée, un après-midi même, pour s’en retourner au Collège par la suite. A dos de dragon, le trajet ne représentait que peu de choses, après tout. Sans doute sa cousine et elle seraient de retour dans la nuit. Si la fatigue serait manifeste, les choses en resteraient là.
Que faisait-elle ici ?
Les murs étaient sombres. Comme de la cendre, comme de l’onyx. Sans la moindre trace d’ouverture ou de fenêtre, tant et si bien que le soleil, pourtant haut dans le ciel, était invisible. Tout dans cette antichambre semblait l’écraser, drainer son aura. Comme Saerelys pouvait se sentir petite, minuscule, dans cet univers froid, imposant. Le vent claquait à ses oreilles, alors même qu’elle se trouvait à l’intérieur de la bâtisse. Même les oiseaux s’en fustaient volontiers, les dragons survolant Gelios n’étant pas la seule raison de leur absence, eux qui étaient pourtant si nombreux au-dessus des flots. On disait que ces mêmes courants d’air pouvant, au fil des années, enténébrer n’importe quel esprit, aussi fort soit-il.
Que faisait-elle ici ?
La puissance de la maîtresse de ces lieux transparaissait. Déjà sensible à la Magie de part le sang qui était le sein, de part son destin, Saerelys avait l’impression d’être devenue hypersensible à chacune de ses manifestations, à cet instant. Bien qu’accorte en temps normal, ses traits s’étaient durcis. Il fallait qu’elle se ressaisisse. Il le fallait. Faire preuve de bénignité dans cette situation relevait de l’exploit. Et pourtant, il fallait qu’elle y parvienne. Il en allait de sa réputation. De celle de son sang. Son esprit, loin d’être inébriant, se devait de cesser ses bourdonnements. La descendance de Riahenys n’avait point droit à l’échec, qu’importe la situation.
Que faisait-elle ici ?
Mealys aurait jugé cette idée bien mauvaise à n’en pas douter. Bien des Mages auraient eu une réaction semblable, dans les faits. La Sorcière, comme certains osaient l’appeler sous cape, était une source inépuisable de rumeurs, il est vrai. On la disait fratricide, plusieurs fois même, mettant ainsi fin à l’agapé familial. Tueuse de jeunes femmes, également, quand ce n’était pas de nourrissons, dans le seul but de conserver sa beauté. Du moins, pour ceux et celles qui osaient parler sur son compte. Les autres se contentaient du silence, lorsque ce mot, ce nom, était prononcé. Un silence lourd, pesant. Comme cette chape de plomb que Saerelys ne parvenait pas à briser. Que les Dieux la prennent en pitié, reconnaissent son épectase, de sa dilection, et ses prières. Car la Vie même semblait avoir fui ces lieux depuis des années.
Que faisait-elle ici ?
Était-elle venue chercher conseil ? A moins qu’il ne s’agissait-là que d’un moyen d’apaiser sa curiosité, sous couvert d’une certaine aménité entre Mages de familles d’importance, aussi morbide puisse-t-elle être ? On disait Dame Saelyra puissante. Aussi puissante que le Magister-même, ayant quitté le Collège au Cinquième Cercle alors qu’elle aurait pu y prendre une autre place, bien au-delà. Après tout, ne s’agissait-il là que d’une simple rencontre ? Si ces murs ne lui semblaient pas huileux, à la lumière des quelques torches disposées ici et là, Saerelys aurait pu y croire, mentir à son âme. Hélas, rien de tout cela ne ressemblait à une entrevue normale, comme celles que Père pouvait avoir avec ses clients, comme celles de Mère avec ses plus proches collaborateurs. Comme celles qu’elle-même avait déjà pu demander dans le simple but de proposer ses services magiques.
Que faisait-elle ici ?
« Jeune Dynaste, Dame Saelyra va te recevoir. En disant ces quelques mots, le serviteur s’était incliné devant elle. Je te prie de me suivre, je te guiderai jusqu’à elle. »
Sans attendre de réponse de sa part, le serviteur s’en retourna sur ses pas. Alors, Saerelys se leva du siège qui avait été le sien jusqu’alors, pressant sa cadence afin de se glisser derrière lui, prenant garde à ne pas se prendre les pieds dans la robe rouge sombre qu’elle avait enfilé pour l’occasion, délaissant sa tenue de voyage. Tous les couloirs semblaient se ressembler, dans cette bâtisse. Tous étaient bâtis dans cette pierre sombre, luisante à la lueur des torches. Le regard de la novice s’y perdait. A présent, il n’était plus question de reculer. La jeune femme en aurait de toute façon été incapable, tant toutes ces parois sombres lui semblaient indiscernables les unes des autres. Cette rencontre, qu’importe ce que pouvait lui crier son âme, aurait lieu.
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