Palais Riahenor & An 1066, mois 8.
Dès la fin de ses enseignements quotidiens, Saerelys avait quitté l’enceinte du Collège avec un empressement certain. Un empressement qui n’avait pu qu’amuser Kaerys, en plus de l’étonner. Le ciel avait encore sa couleur
cérulée, si clair qu’elle annonçait une belle journée. Une belle journée qu’elle-même comptait passer dans l’un des jardins de Valyria. Une proposition que la jeune femme avait même formulée à son amie. Amie qui avait poliment déclinée une telle offre, bien que regrettant de ne point pouvoir l’accepter. Un regret qui semblait partagé, au vu de l’étincelle qui s’était installée dans le regard presque
pers de sa camarade. Une mission d’importance l’attendait. Kaerys ne la laissa partir qu’en l’échange d’une promesse qu’elles se retrouveraient vite, que tout cela n’était que partie remise. Une promesse que l’autre novice accepta bien volontiers d’honorer, en un autre jour.
Une promesse qui lui coûta cependant quelques précieuses minutes. Aussi, l’empressement de la jeune femme était pour le moins manifeste, alors qu’elle se passait un peu d’eau sur le visage, ne profitant guère de la fraîcheur du liquide
hyalin sur sa peau rendue poussiéreuse par son seul trajet. Sa tenue ne pouvait attendre, sa tunique sombre de novice n’étant guère digne de son rang, entre ces murs, bien que confortable. L’idée de se plonger dans un bain agrémenté de quelques plantes
halophiles ne lui manquait pas, cependant, alors que la Riahenor choisissait une robe taillée dans une étoffe bleutée pour nouvelles écailles. Hélas, Saerelys n’avait guère le temps pour cela. Délaissant sa sacoche dans sa chambre, passant un rapide coup de peigne dans sa chevelure légèrement bouclée pour en ôter la poussière et le sable qui s’y étaient accumulés. Tout cela s’était passé à une vitesse telle que la jeune femme avait l’impression de sentir son sang
brasiller, éveillé par toute cette agitation. Un fait que la novice préféra juguler. Son potentiel lui serait utile en d’autres circonstances.
C’est donc le souffle court que Saerelys parvint devant le bureau de sa mère. Juste une poignée de minutes. Voilà ce qu’il lui restait pour reprendre son souffle, retrouver contenance également. N’était-elle pas la fiancée de l’héritier de ces lieux ? Une héritière à sa manière, de part leur naissance commune ? Telle était la raison de la rapidité de ses gestes pour se vêtir convenablement. Depuis son entrée au Troisième Cercle, telle était son existence, à la fois novice et dame de haut rang. Fort heureusement, le rouge qui lui était monté aux joues de part toute cette précipitation s’était évanoui, au moment où Aelys fit son apparition. Alors, Saerelys accueillit sa cadette avec un large sourire, laissant échapper un léger rire alors qu’elle écrasait un léger baiser sur sa joue.
« Il m’a fallut prendre bien des raccourcis pour cela, Aelys. avoua l’aînée, une pointe de gêne dans la voix. Le principal est que nous soyons là toutes les deux. La jeune femme se saisit délicatement de la main de sa sœur, l’observant. Il semblerait que nous ayons été toutes les deux tirées de nos occupations ! »Le sourire de la jeune femme s’était fait mutin, alors qu’elle tenait toujours dans sa main les phalanges de sa sœur. Des traces d’argile s’étaient comme imprégnées dans la peau d’albâtre de sa cadette. Il n’y avait cependant nulle taquinerie dans la voix de la novice. Il lui avait été possible de se rendre compte des talents artistiques de sa cadette, alors même qu’elle se trouvait au Collège. Ce petit portrait de Rhaelys, que Saerelys avait conservé si précieusement, faisait partie de ses créations. Et que dire de ce dragon, que leur petite sœur lui avait confiée, afin de s’assurer qu’elle reviendrait bien en leur foyer ? Toutes ces petites pièces portaient l’empreinte, des fragments d’âme, de sa sœur cadette. Des fragments qu’elle avait chéri plus que tout au monde, alors que la novice se trouvait loin des siens. Aussi, cette petite couche de terre n’était en rien source de moquerie. Bien au contraire.
Lorsque leur mère leur intima d’entrer, Saerelys s’exécuta bien volontiers, suivi de près par Aelys. Adressant un sourire et un léger signe de la main à la matriarche, la novice prit volontiers place sur l’une des banquettes laissées à leur disposition. Remarquant Gaelor non loin, son aînée lui adressa un sourire, devenu compatissant. Ce dernier lui répondit par la semblable, non sans avoir adressé un signe de la tête à leur mère, montrant ainsi qu’il se plierait à ses demandes. Ainsi, tous et toutes étaient présents. Du moins, si on exceptait l’absence d’Aedar. Un fait pour lequel la jeune femme ne pouvait qu’éprouver une infime tristesse, ne comprenant que trop bien les raisons de son absence. Sa peine s’arrêtait donc là, sans se changer en colère. Ils se retrouveraient bien assez tôt. Les Dieux ne pouvaient les tenir séparés bien longtemps.
Piochant du bout des doigts dans l’un des plats qui se trouvait à sa portée, Saerelys prit le temps de déguster une bouchée de poisson avant de reporter son attention sur les autres membres de son lignage. Dès lors ne restait-il plus aucune trace d’amusement sur son visage. Une mine impassible, songeuse, avait remplacé cette étincelle moqueuse qui animait alors son regard et ses traits. C’était donc cela, la nature de cette rencontre d’importance. Le Grand Effondrement. Les Riahenor. Leur passé. Leur présent. Leur avenir également. Et dire que tout cela rendait déjà son esprit bourdonnant. Un bourdonnement que la novice ne fit cesser qu’en prenant une grande inspiration, remerciant par la même occasion la fille de Galreon qui se trouvait derrière elle, lui tendant une petite coupe d’eau claire afin qu’elle puisse étancher sa soif.
« Tu parles justement, Mère. déclara, posément, Saerelys. Fort justement, même. La jeune femme se leva, esquissant quelques pas, songeuse. Nous ne pouvons nous contenter de fondations de sable. Nous ne ferons que nous enfoncer dans les méandres d’un lointain passé, si nous agissons de la sorte. Saerelys redressa la tête, glissant l’une de ses mèches derrière son oreille. Nous devons penser à l’avenir. A notre avenir. »En prononçant ces quelques mots, la jeune femme avait hoché la tête, appuyant ainsi ses propos. Un tel problème lui était déjà venu à l’esprit. Au Collège, cela lui embrumait parfois l’esprit, alors qu’elle cherchait le sommeil. Car elle-même était souvent qualifié d’espoir. Une Mage parmi les Riahenor. La première depuis des générations. Dès lors, les choses se devaient de changer. Les plantes savaient s’adapter à des climats arides, ou au contraire, glaciaux. Sans quoi, leur survie était indubitablement menacée. Il leur fallait agir de même. Profiter de cette mise en lumière pour croître à nouveau. Pour devenir autre chose à partir du même terreau dans lequel les premières fleurs de leur lignage avaient éclos.
« Je partage ton point de vue, ma sœur. laissa finalement échapper Aelys. Riahenys n’aurait laissé passé un tel affront. La jeune femme se tut, prenant alors conscience de ses propres paroles. Riahenys… reprit la novice. Riahenys est la mère de Valyria. Ses enfants ne devraient pas mourir de faim par la faute de ses descendants... »La fin de la phrase de Saerelys était morte dans un soupir. Le Sénat lui avait toujours semblé être une place bruyante, parfois plus proche de l’Arène que d’une salle où le destin de leur nation devait se jouer. Aussi ne s’était-elle intéressée que tardivement à ce fait évoqué par sa cadette. Tant d’efforts réduits à néant. Père ne se trompait pourtant que peu. Alors pourquoi remettait-elle ainsi sa parole en doute ? Sa décision ? Avait-elle bien fait d’évoquer les choses ainsi, devant les siens ? Après tout, elle n’était que la fiancée de l’héritier, non pas l’héritière de son lignage…
« Veuillez m’excuser. Mes mots ont dépassé ma pensée. avoua finalement Saerelys, retrouvant le sourire. User de mes dons pour le plus grand nombre ne devrait pas être de l’ordre de l’impossible, si cela peut t’être d’un quelconque secours, Aelys. Hélas, je crains que ma tanière à l’orphelinat ne suffise pas. Nos cousins pourraient témoigner du fait que les patients sont plus nombreux qu’avant la catastrophe. Certains ont même bien trop attendus pour consulter un guérisseur, la faute à mes faiblesses. La jeune femme prit son menton entre son pouce et son index, les yeux clos. Il y a sans doute autre chose que nous pouvons faire, cependant… La jeune femme perdit son masque de marbre, laissant ses prunelles améthystes se poser sur les siens, sa main quittant son menton pour s’abattre dans sa paume. Je pense même avoir une autre idée pour mettre tes savoirs en valeur, Petite Sœur. Si Mère et Gaelor veulent bien écouter les élucubrations d’une novice du Troisième Cercle ! »Son esprit bourdonnait à nouveau, tandis que son sang s’échauffait légèrement. Saerelys ne connaissait que trop bien ces sensations. Elles étaient la preuve que son esprit se mettait en mouvement, que ses rouages étaient encore bien huilés. Un bourdonnement délicat, presque entêtant, bien loin de ces crises dont elle était parfois la victime. Il ne lui restait plus qu’à ajuster les pièces de ce casse-tête pour en tirer les meilleures conclusions. Les meilleures solutions également.