avatar
Invité
Invité


Un jour, le monde viendrait peut-être à les laisser s'aimer, réellement, sincèrement, sous le regard de tout à chacun, sans honte, sans détour, sans penser que cette voie pouvait les mener au supplice ou jusqu'à la mort, que leur route serait à jamais la même et que rien, ni personne ne pouvait un jour venir à les séparer, et ce de manière ferme et définitive. Daemor s'était surpris à rêver, encore plus qu'à l'accoutumée, à propos de choses qu'il venait parfois à effleurer du bout des doigts, mais dont il ne pourrait jamais vraiment être le propriétaire, telle de la fumée épaisse et lourde qui venait à vous entourer, qu'on sentait glisser sur la peau et qu'il essayait d'attraper vainement avec les mains sans jamais y parvenir. Il fallait dire que les dernières semaines étaient de la même trempe que ce qu'il vivait depuis plusieurs mois maintenant, un véritable capharnaüm qui semblait continuer inlassablement sans pouvoir s'arrêter un seul instant, un bordel sans nom qui était en train de l'épuiser, physiquement bien sûr, mais moralement encore plus, tant de choses qui venaient à ronger son âme et qui bientôt ne laisserait plus que des miettes que d'autres viendraient ensuite à dévorer. Avec une grande ironie, il venait même à se dire que quelqu'un devait lui en vouloir là-haut, ou qu'il prenait un malin plaisir à le rendre littéralement fou, simplement fou, ou fou de colère, de rage de haine. Il avait même du mal à retrouver la dernière fois qu'il avait souris, sincèrement, avec un véritablement sentiment de joie au plus profond de lui, un sentiment si fort et si profond qu'il venait à balayer tout le reste devant lui, et surtout la peine, le deuil et cette colère qui était toujours présente dans son cœur, comme un bruit de fond qui ne venait jamais à le quitter, malheureusement. Il venait à s'habituer petit à petit à cette musique désagréable, comme si c'était une amie, une amie un peu étrange avec laquelle il devait composer et continuer son voyage, ne voulant pas le laisser avancer seul sur le chemin, une comparse dont il se passerait bien mais qui en même temps le poussait sans doute à aller plus loin également. C'était un sentiment négatif, mais pour l'instant, il s'appuyait dessus pour pouvoir poser un pied devant l'autre, jour après jour, car il n'avait pas d'autre chose, encore plus à présent.

Oui, si Daemor devait répondre à cette fameuse question, il dirait que la dernière fois qu'il avait véritablement souris, qu'il avait ressenti cette joie débordante, rassurante et brûlante à la fois, c'était au cœur des bras de son frère, de son jumeau, de son double, de son homme, de son amant, de son tout. Ce soir, précisément, où Aeganon avait pris les devants pour lui, à son retour après deux mois de solitude amer à Rhyos. Il avait tout organisé pour lui, des coussins moelleux, aux rafraîchissements, à la musique que les musiciens exécutaient dans la pièce pour pouvoir l'accueillir dans les meilleures conditions. Un retour dans la demeure familiale de Valyria dans les règles de l'art, orchestré par la seule et unique personne dont il avait réellement besoin à cet instant. Les deux s'étaient alors quittés avec amertume quelques semaines plutôt. Comme quoi, même au milieu de l'amour et de la passion, quatre années de séparation presque complète pour que l'homme aille mener la guerre à Ghis, avait réussi à jeter un froid sur leur relation, les deux ne parvenant plus totalement à se comprendre, à s'entendre ou plutôt à s'écouter. Les douleurs étaient grandes de part et d'autre, mais l'incompréhension l'était encore plus. Au lieu de célébrer la victoire ensemble, Aeganon l'avait fait de son côté, et Daemor avait fuis le soir même du triomphe, rentrant à dos de dragon jusqu'à la demeure des Bellarys à Rhyos et à partir de cet instant, il n'avait plus communiqué avec son jumeau, faisant taire pour la première fois de leur vie, le lien si profond qui les unissait. Cela avait été d'une certaine manière bénéfique pour l'un comme pour l'autre, ils s'étaient donnés une autre chance, ils s'étaient parlés à cœur ouvert sans orgueil, sans ombrage, dans la douceur, et s'étaient aimés profondément, dans la passion et la tendresse, dans la douceur et dans la fougue, toute une nuit durant, une nuit qui avait été si belle, si pleine de promesse, que pour la première fois depuis bien longtemps, Daemor avait repris goût à la vie. C'était un miracle que seul son jumeau pouvait accomplir et encore, une fois personne ne s'était posé de question les concernant. Cela ne servait à rien, depuis bien longtemps, la relation des deux jumeaux était trop forte pour que quelqu'un cherche à y comprendre quoi que ce soit. Surtout que leurs colères flamboyantes étaient connues de tous, et que dans ces moments-là, il valait mieux ne pas être dans le secteur si on voulait éviter que les foudres de l'un ou de l'autre ne viennent à s'abattre, finissant alors par devenir un dommage collatéral dans leur opposition.

Ce que l'aîné des Bellarys n'avait pas prévu un seul instant, c'est que le danger qui manquerait de lui prendre l'amour de sa vie n'allait pas se trouver en dehors de Valyria, mais bien au cœur même de la cité. Pendant que Daemor se trouvait à la fosse aux dragons et tentait tant bien que mal de se jouer des wyrms pour sauver le plus de compagnons cracheurs de feu et partenaires du quotidien, son frère combattait ces mêmes monstres mais avait eu beaucoup moins de chance que lui. Daemor avait bien cru pendant un temps qu'il n'allait pas s'en sortir, et alors le monde s'était une nouvelle fois dérobée sous ses pieds, l'engloutissant si profondément que son destin était à nouveau pleinement lié à celui de son jumeau, et qu'il ne pourrait vivre, si l'autre ne survivait pas. Au cours des dernière semaines, il avait veillé sur lui aussi souvent que possible. Les premiers temps, il le faisait jour et nuit, ne s'endormant que quand son corps était trop épuisé pour le tenir éveiller. Sa mère l'avait plus d'une fois sévèrement disputé alors qu'elle le voyait à bout de force, et quand elle lui avait fait comprendre qu'elle ne pouvait veiller convenablement sur lui, s'il ne se reprenait pas un peu, il avait bien été obligé de faire des efforts. Et Aeganon avait fini par reprendre des forces, petit à petit, doucement et sûrement. Il garderait à vie, des cicatrices de ce qu'il s'était passé dans le cœur de la cité, mais son aîné ne doutait pas un seul instant qu'il viendrait à l'utiliser à son profit, pour son image, et qu'ainsi il pourrait encore un peu plus séduire les demoiselles et les femmes mûres qui viendraient à se pavaner devant le héros incontestable et incontesté de Valyria. Telle était l'image de Aeganon Bellarys et de cela, Daemor n'en était nullement jaloux, bien au contraire, il reconnaissait volontiers qu'il méritait cette place toute particulière, et cette lumière dont il était entièrement baigné à présent. Il avait cela dans le sang, il avait cela dans sa force de caractère. Il prenait des décisions difficiles, il faisait des choix complexes mais tout cela était toujours tourné vers l'autre. Un peu trop parfois au goût de son jumeau, qui aurait voulu le garder pour lui et seulement pour lui.

Daemor avait donc pris l'habitude de venir rejoindre son frère et de dormir à ses côtés, en tout bien tout honneur, remettant sur le devant de la scène avec force, ce lien fraternel unique qui les attachait l'un à l'autre. Ils venaient souvent à discuter l'un et l'autre pendant de longues heures, avant qu'ils ne s'endorment ensuite, d'un sommeil bien réparateur. Dans ce dernier, Daemor venait de plus en plus souvent à rêver à son frère et lui, s'aimant au grand jour, à la force de leurs promesses et de leurs vœux de mariage prononcées lors de cette fameuse nuit après son retour de Rhyos. Il retrouvait dans le secret de ses rêves, cette plénitude qui lui manquait tant au quotidien, la jalousie venant bien souvent à reprendre le dessus quand le matin se levait, que les premiers rayons du soleil venaient à le réchauffer et qu'il savait déjà par avance qu'un certain nombre de courtisans viendrait au chevet de son jumeau, et qu'à partir de ce moment, il ne lui appartiendrait plus totalement. Il savait parfaitement que c'était ainsi que les choses fonctionnaient sous le regard des autres, de tous ces autres qui ne pourraient jamais comprendre ou même accepter l'amour qui les unissait tous les deux. Même pour Valyria, c'était au-dessus de ce qui était toléré au cœur des familles et des couples incestueux qui étaient pourtant la règle ici. Alors, il vivait de ces promesses cachées, de ces rêves secrets, de ces mots et de ces gestes volées pour pouvoir accepter tout ce que ses yeux voyaient et qui étaient si douloureux pour son cœur. Mais pour le moment, pour quelques minutes encore, Aeganon était à lui, rien qu'à lui et il se devait d'en profiter. Il ouvrit doucement les yeux, alors que le soleil se levait à peine, il se tourna doucement vers son double, en essayant de ne pas le réveiller immédiatement pour pouvoir observer les traits de son visage, qu'il connaissait pourtant par cœur mais dont il ne se lassait jamais de les revoir. Il glissa doucement une main sur son visage, venant à frôler du bout des doigts sa peau rugueuse puis ses lèvres charnues, avant de se pencher vers lui et de l'embrasser délicatement sur le coin de celles-ci. « Il faut te réveiller, bel endormi. »
avatar
Invité
Invité

Il faut un jour reprendre sa route.
ft Daemor

Résidence Bellarys - An 1066, mois 6

La douleur s’insinuait encore partout. Malgré les semaines écoulées, les soins des mages, les décoctions et sortilèges, Aeganon souffrait constamment depuis que le sommeil artificiel dans lequel il avait été plongé pour permettre à son corps d’absorber autant les blessures reçues que la dose ahurissante de magie à laquelle il avait été soumis avait été arrêté. Il devait désormais surmonter cela consciemment, reprendre des forces. Chaque journée passée était une victoire, chaque minuscule progrès, un triomphe. Demeuraient néanmoins les avanies secrètes, cachées au reste du monde, particulièrement de sa famille. Ses côtes continuaient de le lancer, son bras était toujours aussi raide, sans parler de sa main, qui n’avait pas récupéré sa motricité et dont l’aspect aurait répugné le cœur le mieux accroché. La cicatrisation progressait, disaient les hommes et femmes de l’art, mais en attendant, elle était cet amas de nodules grouillant qui semblait dévorer sa chair, à l’odeur de baume divers putride, bien que camouflée par les bandages. Ces derniers, changés régulièrement, suppuraient parfois, ajoutant à l’angoisse et à la honte. Pas même à Tolos, il n’avait été aussi faible, alors que son autre bras avait été transpercé d’une flèche, qu’il avait fallu retirer non sans mal. A l’époque, il avait pesté contre son repos forcé, qui l’éloignait du théâtre de la guerre. Cette fois, il ne protestait pas, bien que l’alitement lui soit atrocement pesant. De toute manière, quelques jours auparavant, il aurait été incapable de se lever, alors cela ne changeait pas grand-chose. Restait l’agacement de devoir se laisser balloter, de ne pas pouvoir exercer convenablement ses fonctions à Drivo, et d’être tenu à l’écart de la vie valyrienne. Certes, il puisait un maigre réconfort dans le fait qu’il ne soit pas seul. Il avait envoyé des messages dictés sur parchemin à un esclave interloqué à Maekar, avec simplement marqué « Je m’ennuie ». Et il avait souri en recevant la réponse qui contenait invariablement deux mots « Moi aussi. » Sans parler de tous les autres, de ceux qui avaient combattu d’une manière ou d’une autre les wyrms, des éclopés du Grand Effondrement … Le cataclysme avait temporairement abattu Valyria. Déjà, cependant, il se prenait à rêver à l’après, aux fêtes qui verraient les célébrations du retour à la vie civile des survivants. Oh, quelle folie ce serait ! Peut-être encore plus exceptionnelle que les festivités du Triomphe ! Mais avant d’y parvenir, il fallait déjà réussir à sortir de son lit, à retrouver sa motricité. Ce qui, présentement, constituait l’un des défis les plus éminents qu’il ait eu à relever.

Certes, il n’était pas seul. Enfin, si, car personne d’autre ne pouvait le faire à sa place. Il n’était cependant pas sans soutien. Il y avait bien sûr les correspondances de ses amis, souvent blessés également. Il y avait surtout la présence de sa famille, du moins, les membres qui en avaient la possibilité … et ceux qui comptaient réellement. Maera venait souvent, pour lui faire la lecture, et il l’égayait du mieux qu’il le pouvait. Et puis, surtout Daemor quittait rarement son chevet. Il le gourmandait pour cela, le rappelant à ses devoirs, bien que la séparation lui coutât. En vérité, le voir se glisser à ses côtés le soir, ou être présent le matin … Il en profitait autant qu’il le pouvait, conscient que cette domesticité ne serait possible que fort peu de temps. Ordinairement, ils n’en avaient pas le droit. Cependant, les blessés avaient tous les privilèges imaginables, et un jumeau éploré se devait de veiller sur son double mis à mal. C’était normal, accepté et acceptable socialement. Autant, alors, en tirer parti, et profiter du plaisir de sentir son corps chaud contre le sien, d’humer son odeur, de se réveiller parfois dans la nuit, pétri de douleur, pour être calmé par la flagrance familière et rassurante des cheveux bruns perdus contre son cou, chatouillant agréablement sa peau. Dans ces moments fugaces, son cœur se sentait en paix, et il contemplait furtivement ce futur chimérique peint par Daemor, ou cette réalité alternative où ils étaient heureux, isolés, loin de tout, uniquement perdus l’un en l’autre. Il s’endormait sur cette rêverie douce, chassant ainsi la douleur, les cauchemars, la crainte d’être diminué à jamais, lui qui avait tout bâti sur son physique et ses prouesses martiales. Que serait-il, sans cela ? Juste un énième cadet, obligé de quémander une place dans la famille, de s’humilier auprès de leur père. Et cela, jamais Aeganon ne le supporterait. Il fallait qu’il aille mieux. Il n’y avait pas d’autre alternative acceptable. Alors il se poussait, trop. Il s’énervait. Il vivait sa convalescence comme il avait toujours vécu son existence : en repoussant les limites, en jouant avec les barrières. Et c’est comme cela qu’il se relèverait.

L’élancement ne semblait pas vouloir s’arrêter. Aeganon sentit un début de grimace déformer ses traits. Cette dernière n’eut cependant pas le temps de fleurir sur son visage, puisqu’elle fut chassée par la sensation des doigts de Daemor sur sa face, dessinant les contours de ses joues, puis de ses lèvres, avant de les remplacer par la bouche de l’héritier des Bellarys. Son jumeau se laissa happer par la douceur de retrouver les lippes aimées, et grogna quand elles s’en allèrent, trop vite à son goût. Son bras valide émergea des couvertures pour se plaquer contre le cou de Daemor, alors qu’il arquait le sien dans un effort visible, contractant ses muscles endoloris sans se soucier de la décharge électrique qui le parcourait pour cette raison. Il cherchait, avidement, davantage de contact, et ses lèvres capturèrent celles de son frère à nouveau, avec plus de passion cette fois. Voilà comment il aurait voulu se réveiller, chaque jour : en respirant à travers son jumeau, en s’enivrant de son odeur, en s’émerveillant des petits follicules qui se contractaient sous ses doigts, tandis qu’il frissonnait sous l’assaut. Même blessé, même diminué, il voulait demeurer le seul à être capable de faire réagir ainsi son amant. Et lui-même avait besoin, désespérément, de savoir qu’il était toujours le même au fond de lui, que Daemor l’aimait encore, y compris dans cet état de faiblesse insupportable, avec tous ces bandages, ce camphre. Il éprouvait la nécessité impérieuse de se l’entendre dire, tous les jours, et de le démontrer, dans le secret de son lit de douleur, pour que celui-ci soit également associé à un lit de plaisir, aussi contradictoire que ce soit. Ses lèvres s’accrochaient, éperdues, tremblantes, pitoyables à celles de Daemor, sa main était prise de soubresauts alors qu’il tentait de maintenir le contact aussi longtemps que possible. La douleur devint atroce quand il joignit son autre main, entourant le visage de Daemor, y apposant l’immonde cicatrice, souillant ainsi ses traits sublimes de sa laideur. La souffrance irradia dans sa colonne vertébrale, dans son tronc cérébral. Il vit flou. Il ferma les yeux, et continua à embrasser son frère, s’enivrant pour ne pas contempler la triste vérité. Peut-être qu’il serait Aeganon l’infirme. Cette réalité était insupportable. Peut-être que Maera apporterait plus à leur frère qu’un alité comme lui. Peut-être qu’il ne l’attirait plus comme avant, en étant ainsi. Les nuits où il n’était pas avec lui, il devait rejoindre la couche de leur sœur et trouver un réel plaisir, plutôt que de subir ces soirées mornes, allongé auprès d’un corps rabougri et meurtri. Des larmes lui vinrent, sous le coup de la douleur, et brusquement, il dut renoncer, s’affaissant contre les oreillers. Un moment, il resta ainsi, immobile, les yeux tournés vers le plafond, reprenant sa respiration, sa poitrine se soulevant et s’abaissant avec difficulté. Et il murmura, avec plus d’acidité qu’il ne l’aurait voulu dans sa voix :

« Comment pourrais-je être un bel endormi, dans cet état ? Je n’arrive même pas à t’embrasser aussi longtemps que je le voudrais. »

Pathétique.

« Qu’est-ce que je vais faire … si tout ne redevient pas comme avant ? »

L’angoisse, sourde, lui étreignait le cœur. Et une autre crainte, plus profonde encore, émergeait.

« Comment est-ce que tu pourrais m’aimer ainsi ? »


avatar
Invité
Invité


Encore aujourd'hui, Daemor se souvenait avec une certaine douleur du jour où il avait compris qu'il était en train de prendre un chemin différent que celui qu'avait décidé d'emprunter Aeganon pour devenir un homme. La société de Valyria imposait à tous les hommes qui étaient en âge, de passer une année dans l'armée, faisant leur service pour pouvoir montrer leur entrée dans la société, leur début en tant qu'homme et pourquoi pas les destiner à une carrière militaire, peut-être d'un simple soldat qui viendrait à suivre les ordres ou au contraire, en devenant cet homme ayant sous son commandement de nombreuses vies humaines, certains ne s'exaltaient réellement qu'en ayant l'impression de posséder ce pouvoir, ce pouvoir de vie ou de mort sur ceux qui étaient leurs subalternes ou sur les ennemis, et d'autres qui avaient sacrifié l'ensemble de leur existence, se vouant corps et âme pour la protection d'un territoire, un peuple dans lequel ils avaient vu le jour et où ils avaient grandi. C'était souvent la place qu'on venait à accorder aux fils qui arrivaient en second dans la hiérarchie familiale, l'aîné prenant presque automatiquement la place d'héritier au service de sa famille, et les rares cas où cela ne se passaient pas ainsi, c'est que le premier né ne venait pas à rester assez longtemps envie pour pouvoir survivre à son père. Les choses étaient beaucoup plus complexes quand on venait à s'intéresser au cas des jumeaux Bellarys. Une première naissance, une naissance double, une naissance de deux potentiels héritiers, deux garçons avec la même force, tous les deux ressortant avec brio de l'épreuve du feu, qui n'avaient que quelques minutes d'écart pour pouvoir les séparer. Pour Jaegor Bellarys, sa maison ne pouvait pas être plus honorer que cela par les dieux, son mariage rapidement béni par la venue au monde de deux garçons. A la naissance, rien ne le prédestinait réellement à suivre une voie plutôt qu'une autre et pour autant, les choses s'étaient assez vite définies, les caractères de chacun se révélant, profondément différents et en même temps, indéniablement complémentaires. Daemor s'était parfois fait la réflexion qu'ensemble ils auraient pu soulever des montagnes et qu'à deux, leur pouvoir aurait été illimité. Mais, malheureusement, c'était sans compté sur le mauvais caractère de leur paternel et sur l'acharnement dont il avait fait preuve contre son jumeau sans qu'il ne comprenne réellement pourquoi. Ce qui avait été sans doute bénéfique pour lui, un jeu qu'il avait parfois joué contre son double également, pour venir piquer son orgueil, pour venir titiller son esprit et faire monter la colère en lui, jusqu'à ce que Aeganon ne vienne à décider de se venger, et qu'il vienne à le mettre aux supplices entre ses bras, lui arrachant autant de cris de rage que de cris de plaisir. Bien vite par ailleurs, les cris de rage avaient été moins nombreux que ceux de plaisir, de désir ardent qui faisait bouillir le sang de Daemor. Et il avait profité de chaque instant quand ils étaient en service militaire pour pouvoir recueillir le souffle de vie de son frère-amant, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus faire autre chose que de rendre les armes.

Et c'est ce qu'il avait fait littéralement. Daemor avait compris que le fer et le sang n'étaient pas pour lui, que s'il se défendait convenablement avec une épée à la main, cette voie n'était pas la sienne. Ce n'était pas sa destinée, mais celle d'Aeganon, et pour le pire, il avait fallu qu'il le laisse partir à la guerre. Et à partir de cet instant précis, il n'avait jamais pu réussir à vivre autant dans l'insouciance qu'avant, son sommeil n'était plus aussi calme, ses pas n'étaient plus autant assurés. L'absence de son frère à ses côtés avait été une véritable torture, et le fait de se trouver éloigné de lui, bien trop loin de lui alors qu'il était en train de risquer sa vie pour celles et ceux qui vivaient à Valyria, le rendait réellement fou d'inquiétude. Dans son cœur, au plus profond de celui-ci, dans le creux de son ventre néanmoins, il avait toujours su, su que cette moitié que représentait son jumeau était en vie, quelque part mais en vie. Il n'aurait en aucun cas pu expliquer le pourquoi du comment, mais il était convaincu de savoir si son frère allait bien ou allait mal, savoir si une catastrophe était en train de s'abattre sur lui ou non. Il était clair que le lien qui s'était créé, dès le commencement de leur existence dans le ventre de leur mère, était tout simplement indéfinissable, inébranlable, indestructible. Et il s'était raccroché à cela quand le doute devenait trop grand et manquait de le déstabiliser. Il ne pouvait pas faillir, cela lui était interdit, mais il était certain que sans son frère, il ne pourrait pas non plus arriver à continuer cette vie. Mais, il lui était revenu, fort et victorieux, à un moment où Daemor n'était pas réellement bien disposé pour des retrouvailles et d'une certaine façon, il avait même fini par fuir également son frère. La vie était profondément cruelle, alors qu'ils venaient juste de se retrouver, on avait cherché à nouveau à les séparer et pendant un temps, il avait bien cru que ces monstres avaient réussi à prendre l'amour de sa vie. Il l'avait vu revenir à la maison, son corps mutilé à de nombreux endroits, il avait vu les hommes et les femmes de connaissance, comme de magie se presser à son chevet pour pouvoir le soigner au mieux de leur capacité. Pour y parvenir, ils avaient malheureusement plongé le pauvre homme dans un profond sommeil, un sommeil essentiel pour qu'il puisse retrouver un semblant de vie à son réveil, mais pour la première fois de son existence, Daemor avait eu l'impression que ce lien si spécifique s'était brisé et que son âme était détachée de celle de son jumeau.

Il était revenu à lui aujourd'hui, il était à nouveau éveillé, il était à nouveau à ses côtés, répondant à ses mots et à ses caresses. Et très vite d'ailleurs, il sembla que le baiser furtif qu'il avait déposé au coin des lèvres d'Aeganon n'était pas suffisant pour pouvoir satisfaire l'appétit, le besoin de ce dernier. Pour autant, son aîné voulait tout simplement qu'il se réveille en douceur, qu'il vienne à poser son regard sur lui, que les yeux se lient l'un à l'autre pour ne plus se séparer ensuite. Il savait que la guérison de son jumeau n'était pas encore totale, que la douleur n'était jamais loin et il ne voulait pas le réveiller en lui provoquant un quelconque mal par à ses blessures, en provoquant un faux mouvement à ce dernier ou quoi que ce soit qui puisse lui arracher une grimace de douleur ou même un cri de souffrance. Il se souvenait que trop bien des premiers jours où il avait repris conscience et où le simple fait de le frôler, semblait presque être une torture pour lui. Il était après tout là pour pouvoir prendre soin de son homme, et non pas de le rendre plus mal qu'il ne l'était déjà. Mais Aeganon n'avait jamais été très doué en ce qui concerne la patience et Daemor connaissait que trop bien l'agacement qu'il sentait poindre en son jumeau, bien que celui-ci parvint à détourner son attention en venant à capturer ses lèvres, dans un baiser qui semblait vital pour l'un comme pour l'autre à cet instant. Car alors qu'il partageait ce précieux moment, le malade s'accrochant presque férocement à lui, ses mains ne restèrent pas inactives, parcourant alors sa nuque, son torse et ses hanches avec une certaine gourmandise. Il était terrible de ne pouvoir pleinement succomber au corps divin qui était allongé juste à côté du sien et de ne pas pouvoir en prendre possession. Alors il laissait son esprit se perdre dans un ailleurs bien plus délicieux au contact des lèvres de son amant, ne cherchant plus qu'à partager ce souffle de vie essentiel entre eux deux. Mais le baiser s'arrêta brusquement et Aeganon vint à nouveau à reposer à ses côtés. Il vit immédiatement les traits du visage de son jumeau changé, et ses yeux plus brillants que d'habitude. Il se pencha tendrement vers lui, posant une myriade de baisers sur son visage avant de plonger son regard dans le sien. « On ne pourrait jamais s'embrasser aussi longtemps qu'on le voudrait, si cela ne tenait qu'à nous, nous passerions notre temps à nous embrasser, tu sais bien mon amour que je ne suis jamais assez rassasié de toi et que sans tes lèvres sur les miennes je perds un peu de vie. » Il essayait tant bien que mal de détendre l'atmosphère, mais aussi de le rassurer, rien ne changerait entre eux. Pour autant, Daemor ne savait s'il pouvait répondre en réalité à la seconde question que venait de poser son frère, et il en était profondément désolé. Il caressa délicatement sa joue, gardant toujours le contact avec son regard. « Aeganon, rien ne sera plus jamais comme avant, chaque épreuve que nous vivons, nous change forcément. C'est une réalité, mais ce n'est pas une fatalité. Tu es encore en période de guérison, mais tu n'as jamais su être patient alors tout cela te rend fou. Mais je t'aime, quoi que tu puisses en penser, quoi que tu puisses croire. Je t'aime avec cette cicatrice, et avec toutes les autres. Elles sont ta force et ton histoire, et je les respecte, autant que je te respecte toi. Rien ne changera concernant mes sentiments pour toi, et pas plus mon désir pour toi. » Il posa son front contre le sien, fermant les yeux, il vint à murmurer avec malice. « Et si tu continues à m'embrasser ainsi, je vais sincèrement avoir du mal à ne pas te faire l'amour, tu ne sais pas quelle torture tu m'infliges. »
Contenu sponsorisé