La main leste arrangeait les boucles çà et là qui retombaient sur ses épaules menues. Elle en replaçait dans son chignon soigneusement travaillé, ou bien leur rendait leur liberté pour se muer dans sa démarche gracieuse. Derrière elle, la servante observait d’un œil attentif, voire quelque peu inquiet, le manège de sa maîtresse. Cette dernière ne négligeait rien de son apparence, appréciant toutes les lumières de regards séduits ou désireux. Aelys aimait jouer de ses charmes, n’ignorant point qu’elle incarnait à de nombreux égards l’héritage de beauté des Riahenor. Aussi ne laissait-elle rien aux griffes du hasard et l’exercice des servantes s’en retrouvaient périlleux chaque jour pour que la Dame Dragon se satisfasse du reflet que lui renvoyait le miroir. Au terme de nombreuses retouches appliquées par la jeune fille, elle consentit à la congédier d’un sourire satisfait. « Tu peux te retirer. Ce sera tout. Pense à préparer mes affaires, je pars bientôt chez les Bellarys. » La domestique s’inclina respectueusement avant de quitter les lieux, laissant Aelys auréolée de toutes ses vanités. Elle piocha parmi tous les bocaux qui se trouvaient devant elle pour se munir d’un onguent aux fragrances de rose et d’huiles précieuses. Le pot recélait une crème épaisse dont elle s’imprégna les mains, la peau et les ongles. Dans son esprit, la voix de sa mère lui rappelait combien il était essentiel qu’elle prenne soin de ce qui était la source de ses dons. Du bout de ses doigts graciles, elle savait tracer, créer, modeler à partir de nombreuses matières dont elle s’appropriait les propriétés au renfort d’expérience et de pratique.
Son attention fut attirée du coin de l'œil par un mouvement dans le miroir. Le reflet lui renvoyait l’image d’une petite tête timide qui se glissait par l’entrebâillement de la porte. Un sourire teinté d’affection s’échoua sur ses douces lèvres. « Que me vaut l’honneur de la visite d’une petite souris ici ? » Aelys se retourna, attestant bientôt de l’empourprement du visage de Rhaelys noyée sous de chaudes larmes. La jeune femme se redressa promptement et vint s’agenouiller devant cette petite sœur qui s’approchait piteusement dans la chambre. « Ma petite fleur, que t’arrive-t-il ? » La cadette des Riahenor guettait les moindres malheurs de la petite fille. Le départ de Saerelys pour le Collège des Mages l’avait incitée à plus de sagesse et d’attention pour cette frêle benjamine. Au fil des années, ses instincts protecteurs n’avaient fait que se décupler et Aelys avait pris grandement à cœur de prendre soin de Rhaelys durant la période de convalescence de sa mère et de son aînée après la tragédie du Grand Effondrement. « Tu vas me détester… » La main d’Aelys caressa la joue de l’enfant d’une tendresse toute maternelle. « Allons, il n’y a rien que tu pourrais faire qui me ferait te haïr. » tenta-t-elle de la rassurer. Le regard de la petite fille s’exprima à sa place en se posant sur ses mains. Progressivement, ses doigts s’ouvrirent pour dévoiler là les morceaux épars de ce qui fut autrefois une créature aux allures de guivre. La sculpture d’argile s’alliait à une autre figurine représentant un opinicus dont Aelys lui avait fait cadeau après les avoir modelés de ses propres mains. Ils étaient des présents destinés à ce qu’elle s’en serve pour jouer et s’amuser. Après tout, cette benjamine souffrait d’un grand écart d’âge avec ses aînés et en dépit de leurs efforts, ils ne pouvaient pas partager tous ses jeux. Il n’était certes guère plaisant de voir les fruits de son ouvrage être réduits à la poussière, mais le visage ravagé de chagrin de Rhaelys suffisait à éveiller toutes ses indulgences. « Voyons, Rhaelys. Quelle idée de te plonger dans une telle affliction pour quelques bouts d’argile. » Le soulagement qui s’inscrivit sur les traits de l’enfant fut une récompense assez belle pour qu’elle poursuive sur cette même lancée. « Tu n’as point de chagrin à avoir. Je t’en ferai d’autres. Des plus beaux encore, je te le promets ! » Cette fois, un sourire illumina le visage encore rond et gourmand de la dernière des Riahenor. Autrefois, Aelys se serait perdue en veine remontrances pour l’enjoindre à plus de soin et de prudence. A présent, les années avaient tassé son impétuosité et son caractère véhément. Elle réalisait qu’elle remportait plus de rançon à quelques douceurs. « J’en prendrai grand soin, je le jure ! » Les bras d’Aelys s’ouvrirent pour serrer cette créature encore si chétive contre son cœur. Etrangement, elle lui vouait toutes ses patiences, toutes ses tendresses et toutes ses protections. Quiconque oserait s’approcher des ailes encore délicates de Rhaelys recevrait les foudres ardentes de ses colères.
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La Dame Riahenor franchit les portes du palais des Bellarys avec cette même admiration malgré la course des années. Le faste et la richesse qui en découlaient égalaient la demeure des siens, mais la jeune femme se révélait sensible à quelques différences dans l’architecture, à une décoration qui marquait ses dissemblances et à une atmosphère autre que celle dont elle était familière. Il lui était plaisant de fouler ces lieux de son pas leste tandis qu’elle délaissait son manteau auprès de serviteurs alertes. « Je viens ici voir Dame Maera. » annonça-t-elle bien que la requête demeure la même à chaque visite. Une amitié forte régnait entre les deux Dames de ces grandes maisons valyriennes. Aelys, une fois encore, pouvait se targuer d’avoir engagé son amie sur des chemins tumultueux et l’avoir mêlée à quelques bêtises de son crue. Le temps semblait les avoir assagies, bien que l’authenticité de l’affection qu’elles se vouaient l’une à l’autre flamboyait comme au premier jour. Dès qu’elle fut introduite après de son amie, la Dame Riahenor se précipita vers elle, tendant ses mains pour qu’elle les attrape. « Ma chère Maera, comme il m’est plaisant de te voir ! » Ne dissimulant point sa tendresse, elle gratifia sa joue d’un léger baiser. « Pardonne-moi de mon retard. Hélas, quelques drames inattendus m’ont retenu à l’heure de mon départ. » Par chance, Rhaelys avait été rapide à consoler bien qu’il fut difficile de la convaincre de ne pas venir avec elle malgré son insistance. « Et si le cœur t’en dit, peut-être parviendrons-nous à terminer ce portrait commencé il y a bien longtemps ! » En effet, Aelys ne boudait pas l’expression de son art et ne rechignait pas à en faire profiter toute la société de ses amis chers. Ce n’était pas la première fois qu’elle s’essayait à peindre son amie, mais il lui importait d’inscrire son visage sur la toile à toutes les modulations de ses âges.