Un léviathan n’était pas un mince adversaire à combattre et encore moins à défaire.

Si Baelor et Maekar faisaient face avec une vaillance égale à leurs compagnons, Vaelya et Laedor disposaient sur eux d’un avantage incompressible. Ils étaient de sang pur, issus l’une et l’autre d’unions consanguines soigneusement préparées pour garder leur sang le moins dilué possible et leur donner, entre autres, un lien d’une profondeur unique avec leurs dragons respectifs. Pourtant, Kyraxes le Rouge était en confiance avec son frère Tergaryon et il se conformait à ses souhaits. À moins qu’il ne se fût agi de l’inverse ? Toujours était-il que l’attaque était relativement coordonnée, mis à part pour Phaebion. Le grand dragon cuivré de Baelor Cellaeron considérait comme un défi l’arrivée de cette immense créature. Il était un alpha, maître en son domaine et ce léviathan était un danger à sa toute-puissance lointaine. Il n’écoutait plus du tout Baelor qui, d’ailleurs, se gardait bien d’essayer de l’en dissuader. Laedor, Maekar et Vaelya se conformaient à des plans d’attaque bien coordonnés, empêchant le léviathan de pouvoir plonger pour véritablement se dissimuler ou fuir.

S’armant de courage, tous les navires autour d’eux reprenaient consistance et les équipages, bien que fortement ébranlés, voyaient soudainement la possibilité d’un butin qui dépasserait de loin tous leurs espoirs de richesse car l’on n’avait encore jamais tué un léviathan en mer. Ces derniers, arrivés à un âge parfois trop vénérable, finissaient par s’échouer sur une plage ou des hauts fonds et faisaient alors la joie des populations locales, mais c’était un événement rare et imprévisible. Cette fois, la bête était dans la force de l’âge et d’une puissance phénoménale. Les humains étaient semblables aux dragons, prêts à chasser pour le sport et tuer pour le plaisir : la perspective de massacrer un animal aussi extraordinaire leur donnait du courage et les faisait entrer dans une transe guerrière. Bien qu’il eût une peau épaisse et solide, le léviathan ne pouvait guère se dépêtrer des harpons qui s’enfonçaient un à un dans sa graisse et des filets qui commençaient à enserrer ses nageoires alors que les dragons lui brûlaient les yeux et que Phaebion restait à lui déchirer l’épiderme et brûler ses chairs.

La lutte était féroce et plus d’une fois, les filets cassèrent et les lignes des harpons se rompirent. Sans les dragons, le léviathan aurait pu contre attaquer et anéantir ces impertinents navires. Sans les baleiniers pour le retenir, il aurait pu plonger et fuir dans les profondeurs inatteignables pour les dragons. Avec ces deux périls conjugués et dédiés à sa perte, l’immense créature ne pouvait que se débattre avec rage et force, mais son sort était scellé. Comme pour le baleineau juvénile plus tôt, son sang commençait à se déverser à torrent dans la mer déchainée. Ses cris sourds résonnaient avec des accents de désespoir qu’entrecoupait la rage du combat.

Pourtant, bientôt ses mouvements ne furent plus aussi vifs et plus aussi précis. Sa peau craquelée par endroits où le feu-dragon avait mordu, ses nageoires enserrées dans des filets et percées de harpons, aveuglé par les attaques vicieuses des Valyriens, le léviathan agonisait. Les autres dragons se joignirent à la curée et se posèrent sur son dos immense, attaquant sa peau et ses muscles à coups de griffes, de dents acérées et de feu brûlant. La tempête redoublait d’intensité mais rien n’aurait détourné les dragons et leurs maîtres de leur cible. Bientôt l’immense créature cessa de bouger, s’éteignant presque paisiblement malgré l’horreur qui constituait la partie de son corps qui était immergée. Alors, les dragons poussèrent chacun un cri puissant et victorieux, proclamant à la terre entière leur victoire et célébrant leur travail commun. Et puis, repus et triomphants, ils s’envolèrent l’un après l’autre, laissant aux baleiniers le soin de ramener la dépouille titanesque jusqu’à Rhyos ou Gelios.

Chacun d’entre eux venait d’entrer dans la légende.