Elle déplia le billet d’une main fébrile.
« Je… » Ses yeux glissèrent sur le parchemin, captant çà et là les petits caractères manuscrits auxquels, hélas, elle n’entendait rien. Adhara releva son regard en direction de l’estafette, embarrassée. Elle se racla la gorge. « Je ne sais pas lire ta langue. » Un demi mensonge : toutes les langues - même la sienne ! - lui étaient étrangères, son sang ne lui ayant jamais permis d’en percer les mystères. Elle rendit le billet au soldat, qui, après quelques secondes de franche hésitation, consentit à le récupérer. « Qu’est-ce que ça dit ? » Souffla-t-elle au garçon (dont la mine, juvénile, trahissait la verdeur). Il grimaça. « Je ne suis pas censé… Je n’ai pas… Le règlement, il… » Et puis, croisant le regard noir de son interlocutrice : « D’accord, d’accord ! » Ses pupilles roulèrent le long des lignes griffonnées, à une vitesse qu’Adhara trouva déconcertante. Finalement, l’estafette lui tendit la missive. « Le Légat Valralys te salue, et espère que sa lettre te trouvera en bonne santé. Il t’invite à chevaucher en sa compagnie, demain matin. Si tu es d’accord, il t’attendra aux portes de la ville. »
Valralys… Le nom apaisa quelque peu la jeune femme, que l’irruption du légionnaire avait, de prime abord, sensiblement inquiétée. Elle referma le pli, tout en s’interrogeant sur l’invitation du Légat. C’est que l’homme lui était sympathique, mais qu’elle imaginait mal ce que le militaire - récemment auréolé de gloire - pouvait bien lui vouloir. Le souvenir de la campagne à Sothoryos, cependant, lui revint en mémoire, à l’instar de ce geste qu’il avait eu à son égard. Cette main tendue dans les ténèbres de Yéen, et pour laquelle Adhara n’avait jamais pu le remercier. « Très bien. » Sa voix s’éleva au milieu du brouhaha de l’auberge, et des marins qui, en contrebas, s’égosillaient joyeusement. « Tu peux dire au Légat que je le retrouverai aux portes de la cité, comme convenu. Transmets lui mes amitiés. » Un instant, elle se sentie l’âme d’une Sénatrice, et elle en apprécia brièvement l’illusion.
L'estafette acquiesça, avant de tourner les talons et disparaître au rez-de-chaussée de l’auberge. Adhara, quant à elle, regagna le calme de sa tanière. Les heures défilèrent, la nuit tomba. La Rhoynare veilla quelque peu, étendue sur sa paillasse, l’esprit occupé à chercher quoi faire de l’argent qu’elle parviendrait à tirer de la vente du trésor de Sothoryos. « ...pourrait m’acheter un navire. Ou une nouvelle armure. Peut-être une épée ? Je pourrais acheter une maison. Une bicoque dans un quartier tranquille. Ou retourner là-bas… Mais pourquoi faire ? Ils sont sans doute tous morts, de toute façon. Une maison. Une maison, ça pourrait être bien. » Et sur cela, elle s’endormit.
Elle s’éveilla quelques heures plus tard, aux premières lueurs de l’aube. Le soleil s’élevait doucement par delà les hautes tours de la capitale lorsque, au terme d’une brève toilette, Adhara s’habilla : une longue tunique de laine brune, son éternel plastron de cuir et son fidèle baudrier, auquel pendait son glaive. Un accoutrement pauvre, sans fioriture, dont elle appréciait la grande liberté de mouvement. Elle enfila ses sandales. Les portes de la ville, donc ?
Adhara les atteignit sans encombre, après une halte - plus longue que prévue - aux écuries de la ville, desquelles la Rhoynare était parvenue à négocier le prêt d’une monture contre quelques piécettes argentées. Le cheval, bai de robe, était à l’image de sa nouvelle (et temporaire) cavalière : banal, invisible mais à priori solide. Contrairement à elle, cependant, l’animal s’était laissé approcher sans mal et, s’il lui avait fallu quelques instants pour s'accommoder au poids de sa maîtresse, n’avait renâclé en aucune façon.
« Là-bas. » Perchée au côté de sa monture, Adhara guida l’animal par delà les portes de la cité, au travers desquelles elle avait aperçu, au milieu de la cohue matinale, la silhouette du Légat. Passant gardes et badauds, elle se porta au devant du légionnaire, qu’elle trouva à patienter une poignée de mètres plus loin, en retrait. Elle le salua d’un discret sourire. « Valralys. » Ses yeux scrutèrent la ganache du Légat, sa stature, à la recherche d’une quelconque faiblesse qui aurait pu résulter de leur rocambolesque exploration. En vain : Iason paraissait en bonne santé, frais et robuste comme il avait toujours semblé l’être depuis qu’elle l’avait rencontré un mois auparavant, sur le port d’Aquos Dhaen. Elle songea à lui faire la remarque, avant de se raviser. Ils se connaissaient si peu, la chose aurait été déplacée. « Ta lettre m’a surprise. Je ne m’attendais pas à avoir de tes nouvelles. » Elle tapota l’encolure de son bourrin. « J’espère ne pas t’avoir trop fait attendre. »
Que pouvait-il bien lui vouloir ?