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Ragaenor se trouvait dans le vaste bureau que sa confortable position de Curateur de la Bibliothèque de Tour-Vaekar lui offrait. Cette grande pièce, richement décorée et dans laquelle un buste de marbre du fondateur de la dynastie trônait était la tanière officieuse du Dynaste. Il y passait bien plus de temps que dans ses appartements privés, il y recevait et faisait partir son courrier. Il se plaisait à être l’araignée au centre de cette toile de parchemin. Si la Bibliothèque était un corps, le bureau du Curateur demeurait irrémédiablement son cerveau, dans lequel siégeait son âme, Ragaenor Vaelaron. Aucun dynaste, en mille an, n’avait consacré autant de temps à cet endroit splendide qui, avec la Bibliothèque du Collège, constituait le plus formidable rassemblement de connaissance du monde connu. Depuis sa sortie de l’adolescence, le dynaste avait organisé, archivé et acquis sans cesse les pièces de cette incommensurable collection. Une partie de l’âme de Valyria se trouvait là. Il se souvenait encore du jour de sa prise de fonction comme du plus grand honneur qu’on lui avait concédé dans cette vie amère et aride qui avait été la sienne. Son prédécesseur avait d’ailleurs bien tenu cette boutique, les comptes étaient nets, les volumes bien répertoriés, le suivi des acquisitions précis, Ragaenor en avait été surpris.

Le principal apport du dynaste, avait été dans une politique plus audacieuse d’acquisition. Ragaenor avait pratiqué un véritable lobbying auprès de son père puis de son frère ainé afin de consacrer des crédits toujours plus importants pour des acquisitions toujours plus couteuses. Il avait également mis en place un atelier de copistes, qui mangeait lui aussi sa part d’or. Mais, et c’était bien là le but, cet atelier de copiste avait fini par être une grande source de profit car, le Curateur, avait dédié une partie de cet atelier non pas à la simple copie d’ouvrage savant, mais aussi, à l’établissement de copie d’actes juridiques, de documents légaux et bien d’autres preuves et titres utiles à la vie de tous les jours et que l’on pouvait perdre. La politique mise en place par Ragaenor était simple, n’importe qui, moyennant finance, pouvait faire établie une copie d’un document, et conserver dans la Bibliothèque la copie dans des fonds d’archives personnels que l’on louait. Cela avait également rendu Ragaenor particulièrement attentif à l’état financier de certaines familles déclinantes qui ne pouvaient plus forcément conserver leurs papiers chez elles, et faisaient donc appel à ce service de stockage et de copie de la Bibliothèque. Tour-Vaekar était donc non seulement une réserve de savoir magiques, qui constituaient quand même la moitié des volumes, mais on trouvait aussi maintenant de l’Histoire, de la Géographie, de la Généalogie, des jurisprudences de droit valyrien… C’était une entreprise colossale que Ragaenor tentait de porter au plus haut niveau de gloire.

Lui qui vivait pour tout sans passion, il devait bien reconnaitre que pour ces livres, il en avait. Souvent, il traversait les rayons infinis, et parlait à ses livres, il les caressait amoureusement du regard. Là, cet ouvrage acheté fort cher qui contenait des sortilèges magiques uniques, là encore, cette Histoire de la Tetrarchie rédigée par un aïeul peu de temps après la chute, il y avait même un recueil de sentences philosophiques que l’on disait -et cela arrangeait bien Ragaenor de le penser- écrit de la main de Vaekar lui-même et qui constituait la seule trace écrite connue à sa connaissance, écrite de la main d’un des Fondateurs de Valyria. Il conservait jalousement ce volume dans son bureau, dans un coffre verrouillé.

Ce bureau luxueux était aussi l’épicentre des intrigues conduites par le dynaste, et elles étaient nombreuses, dirigées toute dans un seul but, la grandeur de sa famille et la sienne propre. Un dévoreur de connaissance tel que lui savait bien que l’information était le métal le plus précieux après l’or pour celui qui ambitionne de naviguer dans les eaux trouble du pouvoir. Il faut se tenir au courant de tout, partout. Ragaenor avait ainsi son réseau d’obligé et d’informateurs qui lui faisaient régulièrement un rapport, principalement sur ce qui se passait dans les couches plébéiennes que le dynaste faisait surveiller avec une attention particulière. Il recevait présentement l’un de ces informateurs. Un homme patibulaire qui faisait profession d’usurier dans les bas-fonds de la ville. Un truand en somme, qui, sans la comprendre, devinait la grandeur et l’aspect écrasant du lieu. D’après lui, la plèbe demeurait calme en ce moment. Chacun attendait avec joie les célébrations à venir en l’honneur du Dieu de la mer qui devait se dérouler sous peu. On aurait presque pu croire que la vie retrouvait son doux écoulement d’avant la guerre. Puis, vint un moment où l’informateur parla d’une mage qui sillonnait le peuple, prêchant le culte d’Arrax et faisant grand effet sur le populaire par une verve remarquable. Valyria était pleine de ces bateleurs d’estrades, mais ils étaient rarement des mages et prêchait rarement des divinités telles qu’Arrax, culte qui avait toujours semblé à Ragaenor un culte adapté à l’élite afin de servir d’exemple à une conduite forte et ordonnée des affaires du gouvernement.


-A-t-elle du succès ?

-Assez, le peuple semble écouter ce qu’elle dit.

Ragaenor se frotta le menton. Un tel astre nouveau pouvait avoir son intérêt. Lui-même faisait preuve d’une dévotion particulière envers Arrax, Dieu tutélaire par excellence des dynastes puisqu’ils avaient reçu l’onction divine de lui. Au reste, les prédicateurs populaires étaient toujours une forme de curiosité qu’il faisait bon de garder à l’œil et dont la plus part ne disaient pas non à une petite collation ou une petite démonstration devant la noblesse afin de gagner en influence et ainsi conforter leur statut auprès du peuple. Celtigar avait-il dit ? C’était une noblesse modeste quoi de d’un sang impeccable. Avec détachement, le dynaste demanda.

-As-tu assisté à un de ses prêches ?

- Oui, elle est d’une beauté comme seuls les dieux peuvent façonner, et d’un esprit et d’une éloquence digne des bretteurs les plus coriaces du Sénat, maître.

Ragaenor haussa un sourcil. Que savait cet imbécile des passes d’arme du Sénat ? Comment pouvait-il en juger ? Il ne douta cependant pas de la beauté qu’on lui rapportait, elle expliquait probablement tout, c’était là l’indéniable avantage des femmes : on n’écoutait en général que les plus belles car, les femmes n’ayant en général rien à dire d’intéressant, cela permettait de se rabattre sur autre chose. Ragaenor voyait déjà le produit qu’on avait fabriqué : une splendide mage du feu qui haranguait les masses avec quelques effets de manche. Oui mais, et si son informateur n’exagérait pas ? Faire avancer le culte d’Arrax faisait partie des projets du dynaste, s’il pouvait y aider, et en retirer quelque profit en ayant l’amitié d’une mage des rues ayant quelque aisance rhétorique, ce n’était pas perdu.

-Arrange sa venue ici, je veux la voir. Demain pour la collation du midi. Maintenant retire toi, j’ai à faire.

Plus tard dans l’après-midi, on sembla lui confirmer que la rencontre était acceptée. Le matin suivant, Ragaenor donna des instructions précises en cuisine. Raffinement, abondance et hauteur devaient se retrouver dans les mets servis. En effet c’était une forme d’obligation pour un sang divin comme celui des Vaekaron, lorsqu’il consentait à faire monter à lui des inférieurs, à lui recevoir dans toute la munificence de la divinité. Un peu avant midi, il prit le parti d’aller s’allonger là où lui et son invitée devait déjeuner. On lui annonça l’arrivée de la fameuse Rhaenyra Celtigar et on l’introduisit auprès de lui. Effectivement, les éloges de sa beauté n’étaient pas exagérés. De son visage de marbre, il analysait, calculait et déduisait toute sorte de choses sur ce corps. Pas celles qu’on aurait pu penser de la part d’un homme. Il guettait furtivement les harmonies anatomiques, les proportions, la tenue, le visage surtout. Tout en elle respirait le charme et la séduction au même titre qu’un élixir dangereux destiné à absorber la volonté du monde pour y substituer la sienne. Certains pouvaient y voir une beauté naturelle, brute et fantastique, comme sortie d’un songe, mais le dynaste voyait l’artifice, c’était une illusion comme on en voyait peu mais à qui avait l’œil, on devinait une chose : rien, chez cette femme, n’était un hasard, la moindre de ses mèches blondes rebelle était le fruit d’un savant calcul. Là, se révéla au dynaste le sens de cette rencontre dans toute sa réalité. Ce corps là, il en était certain, était loin d’être une coquille vide. Avec sa nonchalance habituelle, l’Erudit désigna d’un geste de la main la couche juste à coté de la sienne. La voix était monocorde et métallique mais sans être discourtoise.

-Je t’en prie, Rhaenyra Celtigar, prend place à mes cotés, j’espère que cette petite collation sera à ta convenance et que je saurais me montrer à la hauteur d’une conversation avec celle dont on me dit qu’elle fait tant vibrer les foules de la capitale.
Rhaenyra Celtigar
Rhaenyra Celtigar
Mage

Ora pro NobisRagaenor & Rhaenyra

La fête battait son plein en contrebas. Depuis les hauteurs de la tour où elle se trouvait, Rhaenyra pouvait entendre la musique et les rires, cet écho fabuleux de l’innocence, feinte comme réelle. Un peu plus tôt, ce furent les applaudissements et les sourire dont le retentissement n’avait été que plus puissant qu’ils étaient destinés à celle qui avait trouvé refuge en ces hauteurs. Elle s’était imaginé s’habituer à tout cela, à l’attention publique, mais il n’en était rien. Elle trouvait toujours surprenant qu’une magie si faiblement mobilisée puisse à ce point toucher les âmes de ceux qui en regardait la danse. N’étaient-ils pas tous de fiers seigneurs dragons ? Ne chevauchaient-ils pas quotidiennement de fières et massives bêtes de feu dont la puissance dépassait en tous points celle que Rhaenyra pouvait commander ?

Bien que les démonstrations ne requièrent bien souvent qu’une magie superficielle, Rhaenyra appréciait de se retirer quelques instants après, profitant de la fraicheur toute relative d’un soir festif. Elle trouvait dans cette solitude retrouvée un apaisement contrastant vigoureusement avec les élans d’une âme entièrement consacrée au feu. Elle ne pouvait guère lutter contre cela, lorsqu’elle souhaitait mobiliser son pouvoir, elle devait accepter de n’être qu’un moyen de chair et de sang pour la magie de s’incarner. Elle repensa à son audience, ils n’avaient pu voir que la magicienne, et s’étaient imaginé que sa puissance n’avait d’égale que sa maîtrise. Etaient-ils trop idiots, dès lors, pour comprendre qu’elle maîtrisait bien moins sa magie que cette dernière ne la maîtrisait ? Bien sûr, elle dirigeait les flammes et les contenait le feu, elle était celle qui en déterminait la trajectoire autant que la vigueur, mais elle ne dirigeait que les flammes visibles au regard de l’homme. Il y avait un tout autre feu, de ces feux simplement visibles des Dieux et des bêtes, de ces feux que nul ne peut prétendre maîtriser et qui, chaque jour, menaçait de la consumer tout entière. A la regarder ils ne voyaient que la gloire de cette magie capable de dompter l’indomptable, et leurs yeux étaient incapables d’apercevoir ce qui disparaissait au profit de l’indompté. Elle. Rhaenyra.

Alors, elle se retirait quelques instants, une coupe d’eau citronnée fraîche à la main, retrouvant l’air salvateur d’une nuit qu’elle verrait encore jusqu’à son terme et qui la mènerait à un nouveau jour. S’imaginait-elle que le feu la tuerait un jour ? Etrangement, elle ressentait une certaine proximité, comme une familiarité avec cette force qui dévorait son âme en échange d’une puissance grandissante. Elle sentait que tout cela n’avait qu’un but, un objectif très précis. Pourtant, malgré la lucidité dont elle osait se vanter, Rhaenyra ne parvenait pas à en déterminer les contours. Ce qu’elle parvenait à identifier étaient bien les contours et limites de ce qu’elle pouvait sacrifier sur l’autel d’un pouvoir sans limite. Elle le sentait, ce feu grignotant sa conscience, sa morale, sa culpabilité et ses peines, grignotant ce qui faisait d’elle la fille de ses parents, ne laissant qu’un être de feu, au service du feu.

« Je ne m’attendais pas à te trouver dans les ténèbres. »

L’attention de Rhaenyra, partie depuis de longues minutes bien au-delà de l’horizon sombre que son regard pointait, fut ramené de force et violemment à la petite tour où elle s’était réfugiée. Elle s’était imaginée pouvoir y rester seule quelques instants, mais la voix et le souffle qui l’envahissaient à présent lui dérobaient ce royaume. Elle en fut agacée tout d’abord, mais le regard du jeune homme était doux, et ses boucles blondes, si claires, lui donnaient un air angélique auquel Rhaenyra avait appris à ne pas se fier. Rhaegar Celtigar. Elle en aurait délogé plus d’un, mais elle avait appris avec les années qu’il était inutile de se lancer dans une telle entreprise avec ce jeune homme. Son cousin était un homme déterminé, du moins était-ce ainsi qu’il se plaisait à se décrire. Têtu, insupportable, terriblement sûr de lui, voilà ce qu’en aurait du Rhaenyra. Pourtant, pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, elle appréciait sa compagnie. Il était l’un des rares à ne pas se courber à sa vue, à la défier, à la provoquer, ne craignant que très peu le caractère incertain de la jeune femme et le risque hautement probable d’en ressortir quelque peu… coloré. Il s’approcha, un sourire aux lèvres, visiblement rendu léger par un alcool qui coulait à flots. A son habitude, il ne s’embarrassa guère de la politesse et de la bienséance, déposant sans attendre l’une de ses mains dans le bas du dos de Rhaenyra qui ne l’en délogea pas. Leur histoire était longue, compliquée, tortueuse, à l’image de ces deux caractères que le feu unissait. Le jeune homme eut, cependant, le bon goût de se taire, vidant sa coupe lentement tandis que Rhaenyra en faisait de même. Les deux fixaient l’horizon, le visage serein, n’ayant guère besoin de plus pour retrouver une énergie spectaculairement dépensée.

Il était important de préciser qu’en plus d’être têtu, Rhaegar Celtigar était un homme pressé, il laissa rapidement sa main parcourir le dos et les fesses de celle qu’il avait désigné comme sa partenaire du soir. D’un simple regard, Rhaenyra parvint à lui faire comprendre qu’il y avait une terrible différence entre les rêves et les ambitions, et n’eut guère besoin de mots pour la lui expliquer. Ce n’était pas que Rhaegar lui déplaisait, à vrai dire elle avait partagé de nombreuses célébrations religieuses entre ses bras, et il était sans doute, en ce monde, l’homme le plus proche de ce qu’elle aurait pu envisager accepter pour époux. Pourtant, l’humeur n’était pas là, et le mariage n’était pas à l’ordre du jour. Vaincu mais guère rancunier, le jeune homme se contenta de lever les mains en signe de reddition.

« Très bien, j’imagine qu’il me faudra attendre. Et puis, je n’étais pas venu pour cela, j’ai simplement été distrait par… et bien par ce qui a participé à distraire tout ton auditoire. »
« Ma capacité à réduire en cendres un palais tout entier ? »

Rhaenyra connaissait exactement la réponse, mais que voulez-vous, il est toujours utile de rappeler à un homme taquin à qui il s’adresse.

« Ces fesses incroyables. Eh oh attends j’avais un message… »

La panique était feinte car bien que la boule de feu ait pris naissance au creux de la main de Rhaenyra, son cousin ne se répartissait pas de ce sourire si agaçant. Souriant à son tour, amusée de voir celui qui aurait dû être un homme se comporter comme un enfant, elle l’invita à continuer.

« Il semblerait que tes prêches aient retenu l’attention d’un dynaste… A moins que ce soit tes fesses, je parierai sur cette dernière option. »

Ce ne fut pas une boule de feu mais le poing de Rhaenyra qui vint s’écraser contre l’épaule de Rhaegar, le sourire de la jeune femme ne laissant aucun doute sur son intention.

« Qui ? »
« Dame Rhaenyra Celtigar, vous êtes cordialement conviée à la Tour Vaekar, par le grand, l’unique, le fantastique Ragaenor Vaekaron ! »

Rhaegar avait beau se moquer, la nouvelle méritait bien une telle débauche d’effets et de gestes. C’était une première étape, une première réussite que Rhaenyra pouvait afficher car elle avait réussi là où beaucoup d’autres avaient échoués. Elle connaissait, bien sûr, l’influence de Jaeganon sur la haute société valyrienne, le Grand Prêtre d’Arrax avait partout ses entrées. La jeune femme n’était que plus heureuse d’être celle qui lui annoncerait la nouvelle. Elle parvenait enfin à se hisser au rang de partenaire de ce grand homme auquel le Dieu Arrax s’adressait et qui parlait en son nom.

Son énergie était revenue, son sourire n’avait fait que redoublé, et Rhaenyra se mit à exulter à l’idée que ses prêches et son pouvoir l’aient amenée si loin. La soirée serait longue finalement, car il ne pouvait y avoir de victoire sans célébration. Cette invitation n’était, certes, qu’une première étape, mais Rhaenyra était de ces êtres habitués à célébrer les petites comme les grandes victoires. Prenant appui sur les épaules de son cousin, d’un saut, elle se hissa contre lui, entourant ses hanches de ses jambes, lui jetant un regard de défi.

« Allons, aide-moi à remercier Arrax de sa bienveillance et de sa protection. »

***

Jamais encore Rhaenyra n’avait pénétré dans un lieu aussi unique que l’était la Tour Vaekar. Certains en auraient loué le faste et la noblesse du sang qui l’habitait, mais la jeune Celtigar connaissait la véritable valeur de ce palais… Celle-ci résidait dans les manuscrits qu’il renfermait. Il y avait, entre ces murs, des livres que personne n’avait pu consulter encore, d’autres que seuls les plus hauts mages du Collège avaient été autorisés à parcourir sous l’œil avisé du gardien des lieux. La bibliothèque des Vaekaron renfermait un savoir unique, un savoir capable d’offrir des clés précieuses à quiconque cherche à comprendre les origines d’un pouvoir unique. Nombreux étaient les mages qui redoutaient que la querelle entre les Vaekaron et le Magister conduise la prestigieuse famille à retirer son patronage et cesser de partager la puissance de son sang avec le Collège. Si l’on se fiait aux derniers mois, ces craintes semblaient réelles. Il se pressaient à ces portes, le regard bas, l’air respectueux, priant les grands de leur partager ce sang si précieux et si puissant. Rhaenyra n’avait jamais été de ceux-là, et bien que le sang d’un dynaste puisse représenter une source unique de pouvoir pour sa magie, elle n’y accordait à cet instant aucune importance. S’il lui avait fallu choisir entre ce sang puissant et quelques heures au sein de cette bibliothèque… Elle n’aurait pas réfléchi une seconde et se serait armée de patience en décortiquant chaque table des matières lui tombant sous la main.

Le rendez-vous était d’importance et, si elle avait essayé de convaincre Jaeganon de l’accompagner, le Grand Prêtre d’Arrax s’y était refusé. Elle seule avait été invitée, elle seule devrait honorer la prestigieuse invitation. Ainsi, Rhaenyra s’était préparée à rencontrer Ragaenor Vaekaron comme elle s’était préparée pour sa participation au Rêve d’Arrax, avec la plus grande minutie. Elle avait choisi une robe simple dont les seuls ornements étaient les coutures aux motifs compliqués destinés à l’ajuster au plus près de ses formes. Élégant, d’une étoffe précieuse et aux broderies élaborées, mais lui conférant une allure humble et digne.

Elle s’était attendue à être reçue au sein de cette bibliothèque qu’elle mourrait d’envie de découvrir, mais Rhaenyra fut conduite jusqu’à un grand salon, richement décoré et meublé, où l’attendait le maître de ces lieux. Elle s’était évidemment attendue à être reçue avec faste et abondance, elle ne s’y était pas trompée. Elle entra dans le salon en ancrant solidement son regard dans celui de Ragaenor, elle le savait supérieur à elle, reconnaissait en lui la puissance du sang des anciens, mais n’était pas une petite souris. Elle ne serait jamais une petite souris. Et ce n’était d’ailleurs pas une petite fille apeurée que Ragaenor Vaekaron avait invité, mais celle qu’elle devenait lorsque les mots franchissaient ses lèvres pour soulever les foules, et lorsque le feu jaillissait de son corps comme s’il y avait été contenu depuis toujours.

« Je t’en prie, Rhaenyra Celtigar, prend place à mes cotés, j’espère que cette petite collation sera à ta convenance et que je saurais me montrer à la hauteur d’une conversation avec celle dont on me dit qu’elle fait tant vibrer les foules de la capitale. »

La jeune femme s’exécuta sans se faire davantage prier, prenant place aux côtés de Ragaenor avec un sourire amusé aux lèvres.

« Les esprits les plus taquins diraient que je les embrase… ces foules. Je préfère imaginer que la magie que m’a confié le grand Arrax sait toucher les âmes, des plus simples au plus… élevées. »

Rhaenyra se saisit d’une des coupes qui lui étaient proposées par un serviteur discret. L’art oratoire avait cela de formateur qu’il apprenait à réguler le souffle et poser la voix. Ainsi, malgré la certaine tension qui s’était emparé du corps et de l’esprit de la jeune femme, elle donna l’impression d’être tout à fait sereine aux côtés d’un homme dont l’histoire vantait l’intelligence et la puissance.

« Il semblerait également que mes mots parviennent à toucher les cœurs, et pourtant me voilà dépourvue de termes adaptés pour t’exprimer l’honneur qui est le mien d’avoir été ainsi conviée dans cette prestigieuse demeure, et de te rencontrer, monseigneur. »



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Son analyse psycho morphologique terminée, le dynaste détourna le regard du corps de la jeune mage. Quoiqu’il fut, comme tous les hommes, poussés à des inclinations qui subsistaient en lui par l’instinct de conservation de l’espèce, la volonté, les convictions philosophiques et la retenue du dynaste le portaient à ne pas abuser plus avant de ce que son invitée donnait à offrir. Elle avait su taper juste pourtant. Ragaenor était fort loin d’être le puritain qu’on dépeignait parfois pour se moquer et il savait jouir du corps d’une belle femme avec les yeux comme avec le reste. Certes, ses mœurs retenues, le poussant ainsi à ne pas coucher partout avec tout le monde, semblait étrange à la haute noblesse valyrienne dont il était de la race la plus haute. Oui, y compris dans les célébrations religieuses où le dynaste ne rechignait pas à prendre celles qui convenaient à ses goûts et voulaient bien s’offrir, il ne multipliait pas les partenaires. Elles n’étaient pas si nombreuses que cela à se trouver, selon l’opinion de l’Erudit, à la hauteur de son bas ventre.

Car, et c’était bien là la véritable rupture avec ces nuits valyriennes, il réprouvait par-dessus tout la vulgarité et s’il aimait le faste, il détestait la surcharge. Or, la grande libération des mœurs de la haute société valyrienne lui avait toujours paru une surcharge nécessaire. Il n’y voyait pas une célébration du désir charnel, qui lui semblait quelque chose d’une hauteur et d’une sacralité considérable. Il y voyait une chose qu’il détestait par-dessus tout : une image du chaos, du désordre et de la passion. Trois mots qui constituaient tout ce que détestait le dynaste qui prônait ainsi la justice, l’ordre et la raison.

Au reste, le dynaste était en réalité un esthète, il savait la différence entre l’érotisme et la bestialité. Là où la mage avait tapé juste résidait dans le fait qu’elle apparaissait infiniment plus belle et désirable à un homme comme Ragaenor dans cette robe d’une grande finesse d’ouvrage mêlée à une simplicité toute divine que dans les robes que portaient les femmes de ce temps, allant toujours plus loin dans les extravagances et dans la débauche de luxe des parures, des décolletés toujours plus vertigineux et où, finalement, la beauté de la suggestion laissait sa place à la grossièreté du voyeurisme. La manœuvre était fine, le dynaste n’en était pas dupe, et en s’allongeant ainsi sur le dos en regardant le plafond, il faisait savoir qu’il ne serait pas si facile, en dépit d’une jolie tentative, de capter davantage son attention. Son bras se détendit longuement pour se saisir d’une grappe de raisin. Tout comme à l’invitée, on lui porte une coupe qu’il refusa d’un geste discret. Ragaenor ne buvait que rarement, encore moins lorsqu’il recevait une inconnue. Il se méfiait de l’alcool presque autant que des femmes.

Puis, vinrent les premiers mots. Le stoïcien ne bougea pas, continuant à manger la grappe tranquillement. Il était rare que Ragaenor honorent les fruits des collations, c’était un homme de viande, il tranchait aussi avec le reste des valyriens de ce côté-là. Là où ses congénères privilégiaient une alimentation peu carnée, souvent faite de viande bouillie, Ragaenor était resté en quelque sorte fidèle à la tradition pastorale de ses ancêtres millénaires. Il privilégiaient ainsi les viandes rôties, qui correspondaient à son appétit pantagruélique. L’agneau faisait son bonheur, il en dévorait des quantités astronomiques pour soulager la faim qui lui tenaillait le corps bien plus souvent qu’il ne l’aurait voulu.

Très souvent, il s’astreignait à quitter les repas alors qu’il avait encore faim, tout comme il s’astreignait à ne pas boire de vin alors qu’il en possédait du meilleur, ou comme il se forçait à ne pas s’adonner aux plaisirs de Meleys avec toutes les femmes qu’il trouvait à son goût. La raison en était religieuse, principalement, du moins théologique et profondément liée au Dieu Arrax. Arrax avait transformé trois bergers en demi-dieux, il avait transformé leur sang vulgaire et paysan par sa grâce en un sang divin, en d’autres termes, il avait élevé à la divinité des hommes farouches dont les conditions de vies les portaient plus à la bestialité qu’aux hauteurs du divin. L’invincible miracle avait ainsi donné une liberté redoutable à tous les fils de cette Nation élue par lui, le maître de toute chose. Fort loin de devoir cet entretien à ses formes que le dynaste n’aurait pas nié apprécier, elle le devait à celui qu’elle servait et qu’il servait aussi, le Dieu suprême, l’ordonnancier de l’univers et donc, le seul souverain qui valait la peine qu’on lui obéît véritablement, le Dieu Arrax. Ragaenor savait d’ailleurs bien la place qu’il occupait dans ce culte, car en vérité, sa filiation lui conférait le rôle à la fois d’adorateur et d’adoré, puisqu’il était la manifestation vivante de la volonté de ce Dieu, lui, comme tous les membres de sa famille en remontant jusqu’à Vaekar. S’il avait été un homme rustre et vulgaire, il aurait dit à ceux qui auraient devisés que le joli cul des magiciennes passeraient, mais qu’Arrax, lui, était éternel. Il en était ainsi d’ailleurs des culs comme des têtes et la fantastique cervelle qu’Arrax avait cru bon d’enchasser dans le crâne du dynaste retournerait elle aussi à la poussière, après avoir, comme la beauté des femmes, perdu son éclat et son génie.

En réalité, sa voix, plus que son corps, faisait comprendre au dynaste qu’il avait à côté de lui une femme hypnotique, elle connaissait sa place dans l’univers. Elle dégageait une douce assurance qu’on ne trouvait que chez les mères et les démagogues de son sexe. C’était là la confiance des gens convaincus et passionnés dont l’ardeur allait bien à l’élément qu’ils s’étaient choisis. Ainsi, elle ne se faisait certes pas plus grande qu’elle n’était face à l’écrasant héritage qu’elle contemplait, mais pas plus petite non plus eût égard au fait qu’elle servait avec les tous les talents qu’elle possédait l’être même qui l’avait engendré de sa volonté divine. Qu’à cela ne tienne. Le Dieu accueillait tous ses serviteurs pour sa gloire, les oratrices de feu comme les dynastes de glace. Froidement et mécaniquement, il continua la conversation qu’elle avait engagée.


-Est-il bien prudent de vouloir embraser les foules ? Il y a des feux qu’on gagne à ne pas allumer et si le feu est connu pour brûler, je m’étonne qu’on néglige trop souvent qu’il apporte aussi la lumière. Ne crois-tu pas qu’en toute chose, l’illumination est préférable à l’embrasement ?

Il haussa légèrement les épaules après cette sortie un peu piégeuse. Il avait en ce monde peu de plaisirs, mais il en était un qui ne le lassait jamais, c’était de prendre les conversation à revers et d’aller là où on ne l’attendait pas. Elle s’y connaissait aussi, si bien que lorsqu’elle l’appela « monseigneur » il se tourna de nouveau pour reposer son regard sur elle. Il était une bête dont Ragaenor savait bien qu’il la maîtrisait moins bien que toutes celles que son esprit torturé abritait, c’était son égo. Ce n’était pas une petite chose que monseigneur dans cette ère républicaine, cela méritait bien un regard, authentique et profond, doit dans les yeux de cette femme qui semblait avoir compris que la religion était un subtil équilibre entre le mystère, la simplicité et la magnificence. Son aura entretenait le mystère, sa tenue la simplicité et cette petite flatterie bien placée mettait la magnificence au seul endroit où elle était réellement acceptable : dans celui qu’on cherchait soit à servir, le Dieu, soit à séduire, politiquement, c’est-à-dire lui.

-Les serviteurs d’Arrax sont chez eux ici à Tour-Vaekar puisqu’il est la divinité tutélaire de ma famille et que la dignité que mon sang me confère n’existe que comme un témoignage de la grâce qu’il a conférée à l’ensemble de notre peuple par le viatique de mon ancêtre. C’est donc moi qui te remercie d’avoir accepté de céder à mon petit caprice de te voir en si peu de temps et ainsi de distraire et délasser l’esprit d’un homme par une conversation dont je dis dire, en quantité comme en qualité, qu’elle manque fort dans ce qui se prétend les hautes sphères de la République.

Ayant fini sa grappe de raison, il en prit machinalement une autre. Toujours avec ce détachement si singulier, il enchaina.

-Ainsi donc, tu prêches Arrax, et bien m’a-t-on dit. Je suis curieux de savoir, quels sont tes sujets de prêche ? De quel pain spirituel nourris-tu le peuple de Valyria ?
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