Drivo : complexe capitolin de Valyria,
Le Sénat, Valyria & Mois 12, an 1066.
Le
solstice approchait.
En temps normal, Naema appréciait cette période. L’air était doux, l’herbe prenait une teinte bleutée sous les rayons d’une lune
nitide, les nuits lui semblaient plus claires. Plus belles aussi. Un moment idéal pour passer une nuit ou deux à la belle étoile avec Hyndrill pour seule compagnie. Hélas, rien de tout cela ne se produirait, en ce soir. Allait-elle ressortir de cet endroit libre comme l’air, comme elle l’était en passant le seuil de cette porte qui venait de se refermer derrière eux ? La jeune femme n’aurait su le dire. Une partie de son âme en doutait, redoutait la décision qui serait prise en cette sombre soirée.
N’était-elle pas innocente, pourtant ? Sa lame n’avait connu aucun sang, si ce n’était le sien, alors que les Mages Herya et Alyrea avaient demandé à ce qu’elle leur cède son liquide vital. Alors que le Sénateur Maegon Riahenor énonçait la raison de leur présence en ces lieux, les mains de la jeune femme se refermèrent davantage sur la boîte de bois cubique qu’elle avait tenu à emporter avec elle. Elle inclina cependant poliment la tête à l’égard de la commission réunie en ces lieux, afin de juger de leurs propos. De leurs actes également. A bien des égards, les Flammes de la Vérité, étaient sans doute les seules personnes à pouvoir réellement brûler un Valyrien. Affectant un calme certain malgré la
brume qui avait envahi son esprit, la soigneuse se dirigea vers l’un des sièges, y prenant place. Quant à la boîte, elle la garda sur ses genoux, ne souhaitant la déposer sur le sol. Feu leur capitaine ne méritait pas cela.
Lorsqu’il fut fait mention de l’Inquisitrice, Naema eut l’impression que des
engelures s’étaient glissées dans chacun de ses membres. Tout mais pas cela. Encore un peu et sa voix aurait pu s’en retrouver
quinteuse. Qu’Arrax lui donne suffisamment de force pour combattre de tels adversaires et sortir victorieuse d’une telle rencontre. Tâchant de conserver son calme, la jeune femme prit une légère inspiration. Elle s’était préparée. Sa jumelle avait fait le déplacement pour cette unique raison, la pressant de conseils afin qu’elle puisse mener à bien sa représentation. Représenter avant de parler. Il fallait qu’elle soit irréprochable sous tous les points, sous toutes les coutures.
Aussi, Naema se montrait en guerrière, en soldate respectable. Celle qu’elle avait été durant son service militaire, durant leur quête à Sothoryos. Bottes cirées avec précision, vêtements sombres sans la moindre trace d’écailles de dragon, casque cornu lustré bien vite déposé à ses côtés, gantelets de cuir ornés d’une tête draconique, armes laissées à l’entrée sous la bonne garde des hommes qui se trouvaient là. Elle était prête à s’exprimer. Il lui fallait le faire en première. Il fallait qu’elle s’en sorte. Seule. Pour la première fois de son existence, l’une de ses décisions donnait lieu à d’importantes conséquences.
« Dignes Flammes de la Vérité, je vous remercie de nous donner la parole. Naema se leva, déposant le coffre derrière elle, veillant à ce qu’il ne puisse chuter. Pour ma part, tout cela commença par des mots échangés avec la Sénatrice Rhaenys Haeron. Ayant conscience de ma curiosité pour les terres lointaines, elle me fit par du fait qu’une nouvelle expédition se préparait pour rejoindre Sothoryos. Comme bien d’autres personnes, les récits des précédents voyageurs en ces terres inconnues m’avait été conté à de nombreuses reprises. Aussi voulais-je me faire ma propre opinion de cette étonnante Cité. C’est pour cela qu’avec camarades et Dragons, j’embarquai sur le navire mené par le capitaine Raekar Barlaris. Ma mission première sur son navire était de m’assurer de la bonne santé de nos Frères et Sœurs de Feu. Le voyage s’est passé pour le mieux. A vrai dire, sans doute n’aurait-il pas pu mieux se produire. »La jeune femme se tut quelques instants, son regard lilas se posant l’espace d’une poignée de secondes sur la boîte déposée derrière elle. Si seulement leur capitaine pouvait encore parler, lui aussi. Leurs récits respectifs n’auraient pu que les innocenter.
« Alors que nous nous rapprochions de Sothoryos, nous avons remarqué trois embarcations, à l’embouchure du fleuve qui devait nous mener jusqu’à la ville. Après une observation plus précise, nous acquîmes la certitude qu’il s’agissait-là de navires ghiscaris et pas des moindres. Nous devions trouver une solution. Le voyage avait été fort long et nous ne pouvions renoncer si près du but. Le capitaine Barlaris, les Dieux aient son âme, nous a alors réuni afin que nous puissions discuter de la marche à suivre. Ma première idée a été que Seigneurs et Dames Dragon étudient l’île depuis les airs, afin de trouver une autre zone praticable. Hélas, une telle solution nous aurait pris bien du temps et les chances de réussite étaient fort maigres. Aussi avons-nous finalement décidé d’entamer des négociations avec l’équipage qui se trouvait sur notre route. C’est ainsi que nous avons été séparé de deux des nôtres, envoyés en tant qu’ambassadeurs. La remontée du fleuve pouvait débuter. Naema poussa un soupir, affichant une mine désolée. Nous avons subi là un premier revers. D’immenses reptiles peuplaient ces eaux. A bien des égards, sans doute auraient-ils pu causer de réels dommages à nos dragons, s’ils avaient été dans leurs jeunes années. Bien des âmes ont été perdues, dans ce combat. La Magie et le Feu parvinrent cependant à les repousser. C’est ainsi que nous avons mis les pieds dans la cité. »Cette cité… Naema en frissonnait parfois, lorsqu’elle y repensait. Mais elle n’était pas ici en créature sans défense. Elle les avait combattu, ces immenses sauriens. Il lui en faudrait plus pour trembler. Bien plus.
« … L’atmosphère de cette ville était… était très étrange. Même les plantes et les animaux semblaient se tenir à une distance respectable de cette dernière. Une ville morte. A vrai dire, elle ne semblait jamais avoir réellement vécu. A bien des égards, elle ressemblait à un décor vide. Un nouveau choix s’offrait cependant à nous. Nous rendre dans une vieille bâtisse surmontée d’un dôme de pierre ou risquer notre chance dans une ancienne tanière de Vouivre. Après mûre réflexion, il a été décidé d’éviter ce second lieu. C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés dans cette vieille bâtisse. »C’était aussi à ce moment précis que la jeune femme perdait certains de ses souvenirs. Malgré ses efforts, malgré ces quelques mois écoulés, rien ne parvenait à lui faire retrouver ces bribes de réalité. Le choc avait-il était trop fort ? Il n’était plus question d’y songer ou d’en discuter.
« Les Mages qui nous accompagnaient se sont montrés méfiants, à notre arrivée dans le bâtiment. A raison, sans aucun doute, car une personne s’y trouvait déjà. Nous avons conversé avec elle, bien que je ne pourrai vous la décrire… Le regard lilas de la jeune femme s’était froid et dur. Il y a ensuite eu cette lumière derrière moi. Lorsque je me suis retournée, le capitaine Barlaris avait été réduit à l’état d’ossements et de poussière. Et cela, en quelques secondes seulement. Se retournant quelques instants, la soigneuse récupéra sa boîte, l’ouvrant avant de la présenter à l’assistance. Cet homme s’est sacrifié pour l’un des nôtres, dignes Flammes de la Vérité. Il s’est sacrifié pour l’homme qui est présent à mes côtés. Voici ce qu’il reste de lui, à présent. C’est bien là la seule partie que j’ai pu ramener de sa dépouille. Je ne sais si cet homme avait de la famille. Il mérite cependant des funérailles dignes de ce nom. Ce jour-là, il a agit en soldat, en homme de mérite. »Refermant le coffret, masquant ainsi le crâne, Naema le reposa sur son siège. Ceci fait, la jeune femme se retourna à nouveau, faisant face aux regards inquisiteurs qui étaient pointés sur elle. Ne pas se laisser impressionner. Elle ne devait pas perdre pieds. Elle avait affronté des dragons durant des années. Des Hommes, cela devait être dans ses cordes.
« Alors que j’emportai avec moi ce crâne et que la Sénatrice Haeron emportait la pierre avec elle, nous l’avions recouverte de ma cape afin de ne plus la toucher il me semble, une Vouivre nous a attaqué. Une créature impressionnante, à même de terrasser un jeune dragon ou un dragon adulte inexpérimenté. Par chance, et les Dieux en soient loués, nous avons réussi à la terrasser. Il n’est pas impossible que cette créature ait disposé d’armes naturelles particulières, car je suis tombée évanouie après l’affrontement. Naema se tut quelques instants, rassemblant ses souvenirs comme elle le pouvait. Lorsque j’ai repris conscience, je n’ai pu que remarquer qu’il en allait de même pour mes camarades. Je ne sais ce qui a causé notre sommeil. Le plus étonnant ne résidait pas dans ce phénomène, pourtant. La Vouivre… La Vouivre s’était presque totalement décomposée, alors que nous venions de l’affronter, selon moi. Je n’ai eu aucun mal à récupérer certaines de ses écailles, alors même qu’elles sont solidement fichées dans la chair d’une telle créature en temps normal. »Naema ne s’expliquait pas ce fait. Bien sûr, il lui était arrivé de découvrir des carcasses de dragons sauvages. Les affrontements entre de telles créatures étaient bien souvent fatals pour l’une d’entre elles. Mais les os n’apparaissaient qu’après plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois. Si le climat de l’île devait accélérer ce processus, le pouvait-il à un tel point ?
« Une fois remis sur pieds, nous avons rebroussé chemin. C’est à ce moment que nous avons appris que les navires ghiscaris avaient accosté à la suite de nos propres embarcations et qu’une rixe avait éclatée. Nous n’avions cependant pas été remarqués, jusqu’à ce moment. Notre salut, nous l’avons du à nos dragons. Ils nous ont ramené sains et saufs à Valyria. La suite des événements ne fait plus partie de mon récit mais de l’histoire présente. »Les choses étaient désormais dites. Il lui fallait encore se dédouaner des événements qui avaient ravivé les tensions entre Ghis et Valyria. La paix, Naema l’avait défendue sur leur navire, alors même que le feu de leurs dragons auraient pu leur ouvrir une voie royale. Royale, bien qu’avec de grandes conséquences. Plus graves encore que celles qui pendaient au-dessus de sa tête, dans les faits.
« Dignes Flammes de la Vérité, je ne sais ce qui a poussé ces hommes à en venir aux mains. Je déplore autant que vous la tournure prise par les évènements. Je ne suis qu’une soigneuse, bien que de noble sang. Celle que certains d’entre vous appellent lorsque leurs dragons sont trop sérieusement blessés. Lorsque leurs petits naissent avec une aile tordue ou qu’ils se blessent dans leurs premiers apprentissages. La jeune femme se tut quelques instants. Mes armes ne me servent que pour mater les plus résistants d’entre eux, à me protéger des dragons sauvages qu’il m’arrive de croiser. Jamais du sang d’homme ou de femme, si ce n’est le mien, n’a coulé par ma lame ou n’a été projeté par mon fouet. Mes états de service, aussi maigres soient-ils de part ma condition, rappellent bien ce fait. Ils sont cependant irréprochables. Je n’ai donné aucun ordre à ces hommes. Je n’en avais pas le pouvoir ni la volonté. Je déplore autant que vous la tournure prise par ces événements. Je déplore ces vies perdues, ce brasier ravivé. Je n’en suis cependant pas responsable. Lorsque nous avons posé le pied dans cette cité, rien ne laissait entendre que nos hommes et ceux de Ghis se rencontreraient avant notre départ. »Il n’y avait rien à dire de plus. Avait-elle réussi ? Scrutant quelques secondes les mines affichées par les personnes qui se trouvaient là, Naema devait avouer qu’elle ne savait quoi en penser. Qu’Arrax leur montre la voix de son innocence. Désormais, elle n’avait plus qu’à rendre les armes. A laisser Laedor s’expliquer. Aussi s’inclina-t-elle avec la plus grande des politesses, remerciant les Sénateurs et les Sénatrices de l’avoir écoutée. Ceci fait, la soigneuse s’en retourna à sa place, gardant son coffret sur ses genoux, guettant la tournure que prendraient les événements à présent.