Accoudé nonchalamment sur un muret je regarde la scène familiale qu’est ma vie. Mon père vient de rentrer d’une mâtinée chargée et se permet une pause bien méritée avant de retourner à ses obligations. Je l’observe et ne peux m’empêcher de penser que je vois là mon avenir. Je sais depuis toujours que mon devoir d'héritier sera de perpétuer l’honneur de notre nom et d’être le chef de cette famille lorsque le temps sera venu, mais une partie de moi veille à garder loin dans mon esprit cette éventualité. J’admire autant que je crains ce père, ce modèle. J’ai toujours fait ce qui était en mon pouvoir pour qu’il soit fier de m’appeler son fils.

J’entends au loin, se rapprochant, le bavardage de mes deux jeune soeurs. Surement vont-elles se divertir en ville pour l’après-midi. La plus jeune des deux sourit gaiement en suivant son aînée. Sa joie de vivre est contagieuse et je ne peux m’empêcher de sourire à mon tour à son air candide. Mon regard se pose ensuite sur Naerys et le souffle m’en coupe. Si la beauté et la grâce avait un nom ce serait le sien. Au fil des jours son charme évolue exponentiellement avec le nombre de ses prétendants. Bien que je les comprenne, je ne peux que tous les maudire de poser ainsi leurs yeux sur le plus beau joyau de Valyria sans retenue comme s’il leur était dû. Chaque jour nous rapproche un peu plus du Rêve de Meleys et de son entré dans le monde des hommes. Si un homme doit être digne d’elle alors c’est moi ou bien personne d’autre. Je ne peux concevoir que notre père accepterait de laisser le bien le plus précieux de notre famille en d’autres mains. Je ne suis pas sans connaître les plans qui commencent à se dessiner pour mon avenir. Pour combler la fente successorale je devrais plutôt épouser Daerys, mais bien que j’aime ma petite soeur d’un amour tendre, je ne peux me résoudre à me détourner de celle qui depuis un moment maintenant éclair mes jours d’une lueur surpassant l’astre solaire.

Alors que les voix se font plus lointaines, je regarde une nouvelle fois le chef de la famille. Je déglutis et prends quelques profondes inspirations pour calmer les battements frénétiques de mon coeur ainsi que le léger tremblement de mes mains alors que j’avance vers lui. Mon père est assis à son bureau, seul, passant en revue quelques documents et correspondances. Je prends une dernière grande inspiration pour me donner le courage nécessaire. C’est le moment ou jamais.
« Père ? J’ai une requête à te formuler... »


Cher Naerys,

Tu ne sais pas combien j’aimerais être près de toi, mais je préfère te savoir en sécurité alors que nous combattons au loin pour votre protection. Je dois voir cette guerre comme une chance. Je vais revenir victorieux et couvert de prestige tu peux me croire. Nous allons écraser ces Ghis comme la vermine qu’ils sont. Ce ne sera pas long, tu verras. À mon retour nous célébrerons notre mariage qui a déjà bien assez attendu. Tu n’auras pas que la chance de marier ton frère, digne héritier de la famille Arlaeron, non tu épouseras un héros de guerre qui reviendra couronné de succès.

J’espère avoir la chance de t’écrire assez souvent pour que tu ne m’oublies pas. Je ne t'ennuierai pas avec les détails de guerre, sache seulement que nous approchons de la Baie des Serfs. Tu ne dois pas t’en faire pour moi. Tu connais mon habileté au combat et tu sais que je suis préparé à cela depuis toujours.

J’aurais aimé que notre dernière étreinte dure éternellement. Comme ta douceur va me manquer. Il n’y a pas bien longtemps que nous nous sommes quittés et déjà je me sens vide sans ta présence à mes côtés. Vivement la victoire pour que je puisse te retrouver et célébrer comme il se doit. Sache que même si je suis loin mon coeur n’appartient qu’à toi et ce pour toujours.

Ton bien-aimé et dévoué
Laedor


La guerre, le sang, la mort, la victoire, tant de choses qui resteront toujours gravées en moi comme des marques tant dans ma peau que dans mon esprit. Lorsque enfant j'imaginais mon ancêtre chevauchant son dragon vers les plus hautes sphères dirigeantes de Valyria pour nous permettre d'accéder au pouvoir que nous avons présentement je dois bien avouer que j’avais une vision beaucoup plus romantique de la chose. Maintenant que mes yeux ont vu en face la réalité que sont la guerre et la mort, j’ai un tout autre respect pour les guerriers du passé. Je croyais que la victoire effacerait la nausée qui m’habite depuis déjà un moment, mais j’avais tort. Tout ce que je respire empeste l’odeur de la mort et du sang, tout ce que mon esprit voit lorsque je ferme les yeux est une pile de cadavres. Tous les hommes qui sont mort à mes côtés sans que je n’aie pu faire quoi que ce soit hantent à présent mes jours comme mes nuits.

Mais Naerys ne comprend pas, Naerys ne comprendra jamais. Loin, recluse entre les murs protecteurs de notre maison, elle n’a aucune idée de ce que nous avons vécu. Je quitte le champ de notre dernière bataille un peu à reculons. Alors que je croyais retrouver l'enveloppe protectrice et réconfortant de ses bras, la sensation de ses mains sur moi a été telle une lame tranchant ma peau. Le souffle m’a coupé. Comment reprendre une vie normale après avoir connu l’enfer durant les quatre dernières années? Comment lui avouer que je ne suis pas aussi fort que je le croyais et qu’elle le croit encore? Je ne suis pas un héros, je ne suis rien. Je déteste ma faiblesse et je déteste encore plus qu’elle l’ait vu. Je redoute nos retrouvailles officielles. Je sais qu’elle doit m’en vouloir, je la connais par coeur. Je sais qu’elle m'attend de pied ferme, prête à poser ma tête sur le billot. Dieux dont je lui en veux, que je m’en veux encore plus, que j’en veux à tous ceux qui comme moi ont perpétré cette guerre qui n’a laissé sur son passage que froid et désolation.

C’est l'âme remplie de rancoeur que je rentre chez moi. Le Laedor d’avant est mort, je l'ai laissé là-bas, enterré avec mes frères d’armes. Il me faudra du temps pour oublier, pour revivre. Alors que j'aperçois Aquos Dhaen au loin je dois faire un choix, décidé quel visage adopté. Tenté de faire comme si de rien n’était ou bien montré mon mal véritable. Non, je dois continuer à être fort il en va de l’honneur de la famille. Un Arlaeron ne peut montrer sa faiblesse et encore moins un héritier.