An 1066, premiers jours du Mois 12
Toutes deux femmes, elles ont su se tailler une place dans un monde d’hommes. Toutes deux mères de famille, elles partagent l’ambition d’un monde meilleur pour leurs enfants. Il n’en a guère fallu davantage pour convaincre Naerya de jouer les guides pour l’Andale, qu’elle emmène avec un plaisir toujours renouvelé visiter les quatre coins de la cité. Depuis qu’elle est sortie du confinement de la convalescence, la marchande n’a toutefois pas encore eu le temps de rendre visite à Helenys, ce qu’elle s’apprête à corriger aujourd’hui.
On dit d’elle qu’elle n’a rien en commun avec les Valyriens. Qu’elle ne comprend pas leur culture, ne prie pas leurs dieux et abhorre dragons et esclavage. Pourtant, Naerya sent qu’elle a tant en commun avec l’ambassadrice de Westeros : cinq ans les séparent, et selon certains un continent, mais leur voyage depuis la Perle du Nord jusqu'à la capitale a rapproché les deux femmes, qui partagent désormais une complicité encore hésitante. Vermax a veillé sur leur route, et elles sont arrivées à Valyria à temps pour la naissance du quatrième enfant du couple Deltheryon.
Sa tenue est soigneusement choisie, élégante mais sobre, plus proche de la mode andale que valyrienne. Seule concession au climat de la capitale, le tissu est léger et découpé en voiles qui permettent une respiration idéale. Naerya n’a pas encore perdu toutes les rondeurs de sa grossesse, mais elle ambitionne un retour à sa sveltesse ordinaire pour les festivités qui s’annoncent. La frénésie qui s’empare progressivement des ateliers Deltheryon l’y aidera certainement… Mais elle n’est pas là pour penser aux affaires, se reprend-elle en poussant la grille qui préserve les jardins de l’ambassade andale. Un domestique - pas un esclave, pas ici - se précipite pour l’aider, à moins que ce ne soit pour la surveiller. Après tout, les relations entre les Fils des Sept et les Seigneurs-Dragons ne sont pas exactement au beau fixe. Mais Naerya n’en a cure, elle n’est pas ici pour parler politique non plus. Non, elle vient ici en toute simplicité pour passer du temps avec son amie, explique-t-elle au serviteur concerné, qui la mène sans davantage de questions jusqu’à sa maîtresse.
Au passage, la Tisserande ne peut s’empêcher de remarquer toutes les marques de la présence andale dans le bâtiment. Ici, une tapisserie au fil d’or, qui a dû coûter trois fois le salaire de l’instructeur de ses enfants ; là, un vase incrusté de joyaux, quarante fois la journée de travail d’un tisserand valyrien. Elle est comme ça, elle réfléchit et calcule, sans cesse, un don ou peut-être une malédiction transmise par ses parents, qui l’ont élevée dans un monde de commerçants. Tout a une valeur, tout peut être estimé, classé, organisé, priorisé. Elle sait aujourd’hui user de cette méthode lorsqu’elle négocie des prix ou des contrats ; mais elle a également appris au fil de sa vie que les relations sont bien plus changeantes que le cours du prix du lin, et qu’à les évaluer en permanence on en oubliait le sens. Alors elle délaisse un instant ses calculations, et salue chaleureusement Helenys qui s’approche.
« Ma chère Dame, comment te portes-tu ? »
La Deltheryon adopte volontairement le Haut Valyrien pour cette entrée en matière, sachant que l’ambassadrice tient à cœur d’apprendre autant qu’elle le peut de cette culture encore nouvelle à ses yeux.
« Cela fait bien longtemps que je ne t’ai plus vue ! Sache que tes présents pour la naissance de notre fils Viserys ont été appréciés, par moi comme par Daekar ; nous t’en remercions sincèrement. Comment se porte Catlyn ? Et toi-même, as-tu poursuivi tes explorations de notre capitale en mon absence ? Si cela te dit, nous pourrions partir à la découverte des Thermes de Tessarion, cet après-midi ? »
Croisant ses longs doigts sur un ventre encore légèrement proéminent, la jeune femme attend patiemment que son amie réponde au barrage de questions qu’elle vient de lui poser.