La robe l'observait de l'autre côté de la pièce, la robe était devenue un fantôme de ce qu'elle avait cru naïvement être le plus beau jour de sa vie. L'argent avait laissé sa place au sang ; le sien, celui de son père. Elle n'avait pas laissé une seule larme couler, avant son agression ou même après. Elle n'avait rien laisser transparaître alors que le monde s'était affolé autour d'elle pensant qu'elle avait peut-être été grandement touchée par la lame du traître. Quand elle avait vu la lame s'élever contre elle, sa seule pensée avait été pour Laedor qui se retrouverait seul si elle mourait. Elle avait pensé à tous les moments qu'ils n'avaient pas encore vécus, à toutes les choses qu'elle n'avait pas encore pu voir. La lame avait tranché un peu de la chair de son bras, mais elle n'avait pas pleuré. Elle avait voulu rester digne comme son père lui avait appris alors qu'elle était plus jeune. Aujourd'hui, il n'était plus là et pourtant, il hantait chaque pensée et chaque couloir de la maison des Arlaeron. Ses mains effleurèrent le tissu ensanglanté du bout des doigts et elle ferma les yeux en sentant les larmes s'accumuler derrière ses paupières. Elle inspira et expira profondément avant de les réouvrir. Combien de temps cela allait-il durer ? Cette douleur, qui lui déchirait la poitrine semblait incurable, une maladie qui la rongeait silencieusement ; le deuil.
Cela faisait des semaines qu'elle ne dormait plus vraiment. À chaque fois qu'elle fermait les yeux, elle voyait le regard vide de son père l'observer fixement, elle voyait le marbre se teindre de rouge, la lame finir le travail en lui transperçant le cœur. À chaque fois qu'elle fermait les yeux le soir, elle entendait les cris de douleur des gens dehors, pouvait sentir l'odeur des feux que l'on allumait, pouvait de nouveau sentir la panique paralysant ses membres. Elle ne disait pas à Laedor qu'elle s'endormait chaque soir avec un couteau à proximité de peur qu'on ne la tue, qu'elle ne dormait que deux ou trois heures par nuit. Il était lui aussi tourmenté et elle n'avait pas envie d'ajouter du poids à son fardeau. Elle n'était même pas sûre de pouvoir lui expliquer ce qu'elle ressentait sans fondre en larmes. Elle aurait voulu jeter cette robe et tout ce qu'elle représentait, mais en la simple pensée de la jeter ou la brûler lui donnait l'impression d'abandonner son père, de laisser partir la dernière partie de lui. C'était irrationnel, elle le savait, mais comment pouvait-elle jeter celle-ci alors que c'était dans ce vêtement qu'elle l'avait tenu une dernière fois dans ses bras, que c'était dans cette robe qu'elle l'avait vu sourire pour la dernière fois et elle avait peur de l'oublier ; son sourire ou le son de sa voix.
Elle sortit alors de sa chambre et avec un homme de confiance s'engagea dans les rues pour aller à la prison. À chaque pas, elle pouvait sentir les regards sur elle, les chuchotis sur son passage. Le menton haut et le regard froid, elle continua de marcher. Elle ne donnerait pas l'impression d'être une bête de foire ou pire, une victime. Elle était une Arlaeron et les Arlaeron ne baissaient jamais le regard. Elle n'adressa pas une parole au Jurée d'Argent qui lui servait de protecteur, le mot la faisait désormais rire, elle n'avait plus confiance en eux même si elle devait faire semblant que si. Ces dernières semaines, la seule chose qui la faisait tenir tenait en un seul mot ; la vengeance. Elle jouerait sa partition à la perfection pour découvrir qui se cachait derrière tout ça et elle ferait en sorte que Valyria se souvienne du traitement que sa famille donnait aux traîtres et aux meurtriers. La colère bouillonnante l'empêchait de tomber de fatigue et lorsque les cauchemars lui interdisaient le sommeil, elle passait en revue les probables coupables de l'assassinat de son père, elle pensait à la stratégie à adopter, elle pensait aux procès qui s'ouvriraient prochainement. Elle ne croirait plus aveuglément en la fidélité des gens autour d'eux. Une chose à la fois cependant, aujourd'hui, elle devait s'occuper d'Herya.
Elle croisa le regard surpris des geôliers qui semblaient surpris qu'elle daigne voir celle qu'on accusait d'avoir participé à l'assassinat de son père ou peut-être parce qu'ils pensaient qu'elle était une petite chose éplorée qui n'aurait pas la force de voir la possible traîtresse. Un des geôliers ouvrit la porte et elle le suivit à l'intérieur de la cellule. Elle leva la tête et étudia la cellule des yeux lentement avant que ses yeux ne tombent sur Herya elle-même. Elle l'observa de haut en bas silencieusement, les deux femmes se faisant face comme des miroirs opposés l'une de l'autre. Naerys n'avait jamais pris le temps de bien observer Herya, elle était un rappel douloureux de l'histoire qu'elle avait partagé avec Laedor. Elle ne savait pas à quoi elle s'était attendue à ressentir en la voyant, mais sûrement pas le vide et la colère qui commençait à monter en elle. Elle s'approcha de la jeune femme tout en laissant une distance respectable entre elles deux.
« Passons nous de platitudes vaines que nous ne pensons pas une seule seconde.» Dit-elle en faisant un geste de la main pour qu'on les laisse seules « Je suis venue ici pour t'offrir une chance ; raconte moi tout, prouve moi que tu n'as rien à voir avec l'assassinat de mon père et je t'apporterais mon soutien, tu sortiras d'ici avec une mauvaise réputation mais tu sortiras.»
Elle ne rajouta pas les conséquences de l'inverse, la menace était implicite.