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Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

I saw the great void in your soul, and you saw mine
feat. Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, dernière semaine du mois 12, an 1066


Les membres d’Elineor tremblaient alors qu’elle regagnait le palais des Tyvaros. Seule. La place à côté d’elle dans le transport cahoteux restait nimbée de ténèbres, abandonnée par la présence de Daemon. Ce dernier était resté au cœur de la tourmente de Valyria afin de coordonner la suite des opérations et d’apporter son soutien en cette nuit agitée. Peu après la terrible tentative d’assassinat qui avait failli ôter la vie à Naerys Arlaeron et que Daemon ait pu s’entretenir avec ses hommes, il avait ordonné que sa fiancée soit renvoyée dans la demeure qu’ils partageaient. La jeune femme s’était alors défendue de repartir seule et avait insisté pour rester à ses côtés, ou au moins apporter son assistance aux blessés. Cette ultime suggestion lui avait permis d’avoir gain de cause et leur route s’était séparée ainsi, non sans qu’elle ne demeure sous la surveillance vigilante et attentive de quelques hommes de Tyvaros. Des heures effroyables s’étaient écoulées dans le sang, la douleur et les gémissements. Autant d’horreurs dont Elineor avait été préservée tout au cours de son existence. Elle était pourtant parvenue à se doter d’une détermination inflexible et s’était pliée aux ordres qui lui avaient été jetés çà et là par des religieux ou mages bien plus aguerris à l’art des soins qu’elle.

Ce ne fut que bien plus tard, quand l’épuisement commença à avoir raison de ses capacités et de sa force à tenir debout qu’un soldat l’escorta jusqu’à la sortie du temple pour la mettre définitivement à l’abri. Les rues de Valyria vibraient encore de la rage de ses habitants, du chaos qui avait été provoqué par la mort d’un seul. Œil d’Argent. L’une des fondations de cet empire majestueux. A présent, privé de l’un de ses robustes piliers, il s’effondrait. Le trajet se révélait dangereux pour atteindre les quartiers privilégiés, mais les mercenaires de Daemon étaient aussi compétents qu’habiles, et ce fut saine et sauve qu’elle atteignit les abords du palais. Fière et noble, elle repoussa l’aide d’un des hommes pour pénétrer seule et d’une démarche peu assurée dans la demeure. A l’intérieur, elle fut accueillie par une flopée de domestiques et serviteurs tout aussi apeurés les uns que les autres qu’elle congédia brusquement, les faisant s’envoler telle une nuée d’oiseaux. Son instinct la guida en premier lieu vers les quartiers de Daemon, mais force était de constater que son fiancé ne s’était toujours pas acquitté de ses obligations et devoirs. Bien malgré elle, elle devait lutter pour ne pas laisser l’angoisse la grignoter toute entière.

Elle s’échappa dans ses appartements, requérant la solitude pour unique compagne si celle de Daemon ne pouvait lui être offerte. Un éclat dans l’espace attira son attention survoltée. Elle sursauta de frayeur, capta ensuite la silhouette qui se dressait devant elle et reconnut son reflet dans le miroir. Une silhouette éprouvée qui avait perdu tout de la majesté dont son futur époux l’avait soigneusement parée avant de quitter le palais ce matin. Il ne restait plus rien des lumières dont elle était irradiée, sinon des bijoux qui pendaient sur des étoffes devenues carmin. Son regard ne renvoyait plus que la détresse et l’effroi qui la condamnaient à une culpabilité dévorante. Elineor retira tous de ses ornements et les jeta sur son lit pour ne plus porter que le cadavre infâme de cette précieuse robe qui n’aurait duré qu’un jour. Elle s’approcha ensuite d’une large coupe remplie d’eau pour s’en asperger le visage et tenter de se nettoyer le sang qui recouvrait son épiderme comme seconde peau. Un sang qui ne lui appartenait pas, sinon à de malheureuses personnes… Ce n’était guère dépourvue d’un certain intérêt qu’Elineor s’était jetée au secours des blessés. Transie d’inquiétude, elle guettait le moindre visage qui aurait pu être celui de Maelor, lui apprenant ainsi son trépas ou non. Hélas, nulle ombre de son frère n’avait été décelée, morte ou blessée. La pulsion mortifère qui l’avait habitée face à un Maelor en mauvaise posture irradiait toujours dans son être. La volonté de devenir la main qui le ferait trépasser, qui réclamerait vengeance après tant d’années de tourments et de souffrances. Dans la danse de Balerion, elle aurait souhaité qu’il soit emporté à son tour. Mais sa main s’était montrée faible, n’osant asséner le coup fatal. Si son aîné survivait à cette sombre nuit, nul doute qu’il la précipiterait dans la chute des Tyvaros. Si Daemon venait à lui confirmer dès son retour qu’il était en vie, alors elle devrait trouver un moyen d’agir pour mettre un terme définitif à ses machinations. Elle savait qu’il avait encore besoin d’elle pour épouser le mercenaire et profiter de la fortune qu’il remporterait, mais sa main vengeresse ne tarderait pas à s’abattre. Une solution s’imposait… Mais dans son esprit épuisé et paniqué, aucune réponse prodigue ne la gratifiait de ses bienfaits.

Sa main s’acharnait plutôt à faire disparaître la moindre trace de sang sur sa peau à l’aide d’un tissu humide, mais y trouvait la plus grande des peines. Excédée, elle jeta l’étoffe dans le paquet d’eau qui éclaboussa le pavé autour, et poussa un soupir impuissant. L’odeur de l’hémoglobine écorchait ses narines. Qu’adviendrait-il d’elle s’il arrivait malheur à Daemon ? A son sens, son retard tardait… Et elle décelait une cruelle ironie à la perspective qu’il connaisse un sort funeste à cause de la tempête qu’il avait lui-même soufflé sur la cité. Cependant, le claquement d’une canne sur le marbre de sa chambre lui indiqua bientôt le contraire. Elle se retourna vers lui, le voyant franchir le seuil de ses appartements. Elineor se précipita vers lui sans réfléchir, avant de s’arrêter à un pas de lui et de réprimer son élan. « D-Daemon. » Un soulagement improbable la disputait à une colère qu’elle lui dédiait toute entière. Une envie irrépressible de le gifler la consumait. Mais cela n’avait jamais été son rôle de donner des coups, les recevant qu’à de trop nombreuses reprises. La réprobation illuminait son regard clair et profond qui était le seul gage de son appartenance valyrienne. En dépit de sa rage, elle dissimulait mal sa consolation de l’avoir à ses côtés. Elle se détourna pour dissimuler ses sentiments déshonorants. Elle luttait également pour demander la moindre information sur son frère. « Te voilà sûr-rement bien satisf-fait. » Après tout, tout s’était déroulé selon ses plans savamment ourdis. Elle s’approcha du bassin pour tenter une nouvelle fois de laver le sang qui maculait encore sa peau d’albâtre. « Que va-t-il se p-passer maintenant ? »



Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

I saw the great void in your soul,
and you saw mine
Elineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, Valyria -  An 1066, mois 12

Tac. Tac. Tac. Tac. Tac.

La canne de bois et d’ivoire claquait contre le sol de marbre de la demeure valyrienne de Daemon Tyvaros. Elle n’était que temporaire, et Daemon la louait à prix d’or en attendant de s’installer dans le bien immobilier qu’il convoitait. Elle était assez impersonnelle car il ne souhaitait guère se projeter dans un lieu qu’il quitterait dès qu’il en aurait la possibilité. Pourtant, en cette funeste soirée pour Valyria, elle lui faisait l’effet d’un sanctuaire aussi apaisant et protecteur que la tente de ses parents, bien des années plus tôt. C’était une forteresse, un autel dédié à la protection, cerclé de pierre et aux portes de fer. C’était un repère à la hauteur du Tyvaros : solide et dur, froid comme la pierre et lisse comme un os.

Tac. Tac. Tac. Tac. Tac.

Suivant le parcours qu’avait emprunté Elineor quelques temps plus tôt, Daemon arriva à son tour dans le hall d’entrée assailli par une volée de domestiques et d’esclaves curieux et craintifs. Jouant son personnage, Daemon les regarda avec dureté, les sermonnant sur leur place tout en leur donnant l’information qu’ils convoitaient. Lucerys Arlaeron avait été tué lors des célébrations du mariage de ses enfants. La cité était en proie au chaos et l’armée se déployait pour contrôler la situation. Il fit barrer les portes du domaine par ses mercenaires qui se postèrent en sentinelles là où ils pouvaient. Daemon s’adressa au responsable du personnel pour lui ordonner de nourrir et loger tout le monde en cette soirée compliquée. Il devait se rendre au chevet de son épouse et se reposer de cette soirée terrible. Voilà ce qu’il leur donnait comme version. Ceux qui souhaitaient quitter les lieux pouvaient le faire par la petite porte de la cuisine mais celle-ci serait bientôt barrée jusqu’à l’aube et personne ne pourrait entrer ou sortir.

Tac. Tac. Tac. Tac. Tac.

Il donna comme instruction finale que personne ne se rendît à l’étage des maîtres, enjoignant ses gens à utiliser les sous-sols et certaines pièces du rez-de-chaussée. Et puis, claudiquant avec autant de noblesse dont il était capable, Daemon entreprît l’ascension des escaliers. Lorsqu’il se retrouva à l’étage, il referma lui-même les portes de l’étage et se dirigea vers ses appartements. Il savait par ses domestiques que sa promise était déjà revenue. Il passa une tête dans sa chambre, mais constatant qu’elle était vide, il se dirigea vers l’ensemble attribué à Elineor. De sa canne, il poussa la porte et fit une entrée en silence, seulement révélée par le résonnement du bois sur le marbre. Lorsqu’elle se leva, il déposa la canne devant lui et y laissa reposer ses deux mains, raide comme un i.

Tac.

Il la détailla alors qu’elle approchait avec une rapidité qui trahissait sa fébrilité. Ses traits étaient tirés et on pouvait lire une funeste fatigue qui pesait sur ses épaules. Son regard violet autrefois plein de douceur et de crainte n’était plus que souveraine désapprobation. Envers et contre tout, il n’y avait dans ce regard pas de meilleur témoignage de la noblesse de la naissance de la jeune femme. Daemon se tenait prêt à parer tout coup, contractant ses muscles pour une réaction rapide.

Il lisait autre chose que de la simple désapprobation. Il y décelait une lueur de soulagement. Elle n’était pas la seule à porter ce terrible secret qui était le leur. Elle lui fit remarquer qu’il devait se trouver bien satisfait, et cela arracha un premier sourire à Daemon. Ses yeux se plissèrent légèrement pour mieux regarder la jeune femme alors qu’il inclinait la tête vers la droite pour toute réponse. Satisfait, Oui. Il l’était, assurément. Il se détendit toutefois seulement lorsqu’elle se détourna de lui pour revenir à l’imposante coupe contenant de l’eau jadis claire et désormais teintée de suie et de sang. Toute prise à essayer de laver le sang séché maculant la blancheur virginale de sa peau, elle lui demanda ce qui allait se passer. A ces mots, il quitta la chambre brièvement.

Il revint quelques instants plus tard. Elineor n’avait pas bougé, obnubilée par la volonté de laver ce sang d’autrui. Daemon avait déjà vu ce comportement à plusieurs reprises. Il était fréquent lors du premier meurtre que perpétrait un mercenaire. Mais la jeune femme n’avait encore tué personne, du moins pas directement. Il la rejoignit et se posta à ses côtés, accrochant sa canne à meuble et déposant un petit flacon argenté.

« Maintenant, dit-il avec un calme olympien et une voix grave alors qu’il enlevait le morceau de tissu de la main de sa promise, nous n’allons jamais reparler ni mentionner cet évènement en des termes pouvant paraître incriminants. En ce qui nous concerne, nous sommes bouleversés et horrifiés par un tel sacrilège. »

Sa voix ne souffrait d’aucune discussion. Son regard d’airain se posa au plus profond des pupilles d’Elineor et rien dans l’attitude du Tyvaros ne laissait de place à la fuite ou à la discussion. Cet ordre était absolu. Il déboucha le flacon argenté et plaqua le tissu contre son goulot avant de verser ledit flacon. Une forte odeur de vinaigre emplissait peu à peu l’atmosphère. D’une main experte, à la poigne ferme mais douce, Daemon se saisit du poignet de la jeune femme et y apposa le tissu plein de vinaigre. Peu à peu, le tissu s’imbibait de rouge et la peau retrouvait son albâtre originel.

« Il me serait difficile d’être insatisfait. Le contrat a été exécuté à la perfection. L’objectif est rempli. Maintenant, le chaos va régner. Demain sera un autre jour. Nos alliés prendront contact avec nous quand le moment sera venu, quand cela sera sûr. Ton frère… »

Il jaugea la réaction de la jeune femme en laissant ces derniers moments suspendus dans l’air.

« Ton frère s’est bien comporté, il s’est montré utile. Par son aide, et la tienne, votre part du marché est tenue. J’honorerai la mienne. Mes alliés donneront aux Taellarys suffisamment pour rebâtir leur fortune et leur gloire. Charge à ton sot de frère de capitaliser dessus. »

Il avait fini de frotter les mains et les avant-bras de la jeune femme. Il lava le tissu dans l’eau, puis l’essora au-dessus de la bassine avant d’y apposer de nouveau le flacon de vinaigre. Il essuya une goutte de sang qui avait perlé sur la clavicule de la jeune femme dans un geste d’une douceur surprenante, prenant soin de ne pas faire couler de vinaigre le long de la peau d’ivoire. Il arrêta son mouvement. Il poussa la jeune femme sur quelques mètres pour la faire se déplacer jusqu’à un grand miroir d’étain poli où l’on distinguait leurs traits à tous les deux. Il la regarda au travers du miroir.

« Dis-moi, Elineor Taellarys, qui vois-tu dans ce miroir ? »

Avant même qu’elle ait pu répondre, il déposa le tissu de vinaigre sur un meuble proche et se plaça derrière elle, installant ses mains bien fines pour un ancien soldat et la regarda en plaçant sa bouche près de l’oreille de la jeune femme. Il murmura avec une fièvre assassine :

« Comment te sens-tu après avoir tordu le bras à l’Histoire ? Après avoir joué une part considérable dans un événement qui fera date dans les chroniques d’ici à des siècles ? Quelles émotions suscite en toi le fait d’avoir aidé à tuer un homme ? »


Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

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feat. Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, dernière semaine du mois 12, an 1066


Absorbée par la colère qui fulminait dans ses veines, Elineor ne songea pas un seul instant à s’enquérir de l’état de son promis ; qu’il fut blessé ou non. Sa simple présence en ces lieux, manifestement bien portant malgré la fatigue, suffisait à tarir un pan de ses angoisses. Désormais, sa réprobation pouvait s’exprimer au travers du fin rideau qu’Elineor s’accordait pour témoigner de ses émois profonds et intimes. Hélas ! A quelle autre oreille aurait-il pu confier les remords et l’amertume qui lacéraient sa peau diaphane ? Il lui semblait qu’à chaque instant écoulé, ce sang s’imprimait plus profondément dans sa chair, s’arrimait moindre rainure de son épiderme, témoignage morbide du terrible office qui s’était accompli lors du Rêve de Vermax. Elle s’imaginait presque tenir l’arme qui avait réduit l’illustre Lucerys Arlaeron au trépas. Une sentence arbitraire, destinée à accompagner le règne du chaos où elle siégerait aux côtés de celui qui l’avait ourdie. S’il demeurait toujours dans ses desseins qu’elle perdurât auprès de lui... Au terrifiant spectacle de voir ses volontés exécutées, même les plus viles, Elineor craignait qu’il ne forme des projets plus vicieux encore pour elle. Sa parole possédait-elle une quelconque valeur quand la bouche qui la prononçait provenait d’un sang si impur ? Sa langue pouvait-elle être tordue par le mensonge, même lorsqu’ils avaient scellé leur pacte dans les jardins du palais Taellarys ? Si l’alliance de la profonde ambition des Tyvaros et du désespoir des Taellarys avaient pu donner lieu à leur hyménée, jusqu’où pourraient s’envoler ses rêves de grandeur dès lors qu’il trônerait en conquérant sur les ruines d’une Valyria bafouée ? Quel intérêt pourrait-elle encore détenir pour un homme qui s’était hissé au firmament, elle qui n’aurait su revendiquer ni beauté ni pureté de sang ni adresse de la langue ? Les menaces de Maelor lui ordonnaient de refuser toute descendance à Daemon, mais l’urgence de la situation l’enjoignait plus volontiers à combler son ventre d’un héritier très vite pour assurer sa survie. Il ne saurait malmener sa propre chair, mais encore faudrait-il qu’elle lui donnât un fils.

Le marasme furieux de ses pensées lui ôta la moindre perception de l’approche de son promis à ses côtés. Elineor manqua de sursauter aux doigts effilés qui retirèrent le tissu mouillé de ses mains pour y répandre un liquide à l’odeur si âpre qu’elle en grimaça. Elle faillit refuser tout contact à Daemon, mais l’autorité grave et tranquille de son ton agit comme un sortilège sur elle. Silencieusement, elle écouta ce que sa voix avait à lui révéler de leurs prochaines actions, à prophétiser leur avenir tandis qu’il lavait avec une douceur improbable sa peau profanée. Ses maléfices l’envoûtaient avec une persuasion redoutable qui soufflait la terreur et le réconfort dans son cœur. L’effroi du prochain chaos qui allait être jeté sur Valyria et sur ses enfants dansait une valse morbide avec le soulagement de se tenir aux côtés de celui qui manipulait si bien les ombres et les ténèbres de ce théâtre sordide.

A l’évocation de Maelor, le maladif oiseau tressaillit. Il lui fallut accomplir des miracles de contenance pour étouffer la panique qui gonflait au creux de sa poitrine. L’image de son frère agonisant lui apparut dans sa plus cruelle clarté, et pire encore, à la perspective d’un destin assassin s’il réchappait au cataclysme que la mort de Lucerys avait suscité. A la menace atroce que constituait son frère à cet instant, Elineor ne sut éprouver une once de consolation au fait d’avoir satisfait les exigences de son promis. Une fois encore, il sut dévier le fil inquiétant de ses réflexions en l’acculant de quelques pas, jusqu’à ce qu’elle ne se retrouve à contempler son propre reflet dans le miroir d’étain. Son instinct premier fut de détourner le regard de cette silhouette abhorrée, honnie, réprouvée. La magnificence de la beauté valyrienne l’éblouissait depuis qu’elle avait posé le pied dans la merveilleuse cité, la ramenant au piètre éclat qu’elle renvoyait et à l’infamie de sa sombre chevelure. Mais Daemon ne lui offrit d’autre choix que celui de se confronter à leur réflexion dans le métal poli, vision terrifiante d’une ombre longiligne qui la surplombait de toute sa hauteur redoutable tandis que sa robe transportait encore le sang des innocents. La délectable fièvre de sa voix, plus que ses mots, la firent frissonner.

« Assez ! » se récria-t-elle en s’arrachant à l’étreinte de son fiancé et plus désespéramment à son reflet. Les flammes humides d'une rage et d'une émotion irrépressible faisaient étinceler son pâle regard violet. Cette soif glacial de cruauté qui transpirait de Daemon l’effrayait, mais plus encore par ce qu’elle pouvait susciter en elle. Une scène du Rêve de Vermax lui revint en mémoire, celle où Daenerys Maerion avait jugé avec mépris l’atrophie de sa langue. La violence de la fureur qui avait tempêté en elle au sacrilège qui était fait à son orgueil imprégnait toujours son être. Cette nécessité enragée de venger l’affront perpétré. Était-ce ce que Daemon ressentait à l’égard de cette noblesse bien trop choyée et gâtée par les Dieux ? Ses intentions pourraient-elles s’éprendre d’une revendication de justice ? Pas au prix du sang d’innocents… Et pourtant, elle avait été prête à verser celui de son frère en pures représailles. « Cela t’amuse-t-t-il de te jouer de m-moi ? Je t’écoute, je t’ob-béis, je p-parle ou me tais lorsque tu le réclames. Je n’ai pas fait déf-faut à ta parole une seule fois. Qu’attends-tu de p-plus de moi ? » Elle s’était éloignée de quelques pas, maintenant une distance à la protection illusoire. « Crois-tu que je p-puisse me repaître d’un tel tr-triomphe quand tant de vi-victimes ont été faites ?! » Elle dut lutter pour retenir ses mains d’arracher sa robe maculée du sang des ignorants, mais une pudeur qu’elle pouvait encore se permettre face à Daemon l’empêchait de se dévoiler. « Garde tes réjouissances de m-mauvais goûts pour t-toi. Le p-plan s’est déroulé sans imp-pair… c’est tout ce dont nous p-pouvons nous féliciter. » Elle conserva un silence qu’elle préféra écourter, craignant que la patience de Daemon ne s’émousse trop vite à son discours. L’indignation avait soudain cédé la place à l’inquiétude. « Qu’as-t-tu fait jusqu'à ton re-retour ? Pourront-ils remonter jusqu’à nous ? » Et la question lui brûlait ses lèvres depuis que son promis était revenu s'imposa à elle. « As-tu vu mon frère ? Et Alyhr-rys ? »




Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

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and you saw mine
Elineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, Valyria -  An 1066, mois 12

Assez ?

Le mot avait claqué dans l’air nocturne comme un fouet de contremaître sur le chantier de l’Arena. Daemon ouvrît ses mains et laissa les épaules de sa promise se dérober à sa poigne. Chancelant, il se rattrapa au mur. Sa canne au pommeau serpentin retrouva bientôt la place qui était sienne au creux de ses mains alors qu’il prenait de nouveau appui dessus. Tac. Il toisait la jeune femme qui explosait dans une colère incontrôlée bien légitime, mais bien dommageable. Ici-bas étaient des démons, et ils avaient fait le choix de les rejoindre. Enfin, Daemon, en tout cas. Elineor était plutôt une recrue malgré elle, mais le destin avait tissé sa toile et les fils la cernaient de toute part. Enchevêtrée, elle n’avait guère plus qu’un choix qui se résumait à un dilemme aisément solvable : subir ou mourir. Embrasser la cause, ou périr sur le bûcher des arrogances et des ambitions d’anonymes.

Il pivota autour de sa canne pour garder la jeune femme dans son champ de vision alors que celle-ci s’éloignait tout en continuant à éructer. Il ne voyait là qu’une forme d’hystérie – typiquement féminine selon les vieilles idéologies du Sud auxquelles Daemon ne souscrivait pas – due à la chute d’adrénaline et le remord d’avoir pris une vie, même par procuration. Il fit comme tout marin qui se respectait : il prit sur lui de subir la tempête jusqu’à ce que le vent se calmât et que le calme revînt. Il n'eût aucune réaction à la mention des victimes dont le sang maculait encore certaines parties du corps de la jeune femme. Ils n’étaient rien. Des grains de sables, des figurants broyés par la machine infernale de l’Histoire. Il la laissa se calmer et puis lui poser toutes les questions qui lui venaient à l’esprit. Elle s’inquiétait encore pour les siens. Cela était naturel et il ne s’en émouvait pas particulièrement. Elineor n’avait jamais connu que les Taellarys et leurs intérêts ; ainsi que leurs brimades. Il lui faudrait du temps pour se revendiquer Tyvaros, pour oublier ses vieilles allégeances de sang et se donner tout entière à ce projet qu’il lui avait jadis exposé au milieu des jardins dépérissant du manoir des Taellarys. Son attitude vipérine le fit toiser Elineor d’un mauvais.

« Est-ce bon ? As-tu terminé ? »

La question avait tranché l’air comme une lame d’acier valyrien, avec un sifflement caractéristique. Il lui jetait un regard où se mêlaient l’impatience et l’impériosité, tel un professeur face à une élève dissidente.

« Je remarque que tu conçois enfin qu’il puisse exister un « nous », » murmura-t-il avec un fin sourire victorieux.

Une bataille n’était certes pas la guerre, mais cela valait mieux qu’une défaite. Il prenait un malin plaisir à esquiver ses questions car il considérait que celles-ci étaient maladroites et non-avenues. Ici, il était maître en son château et c’était à lui de poser les questions.

« Tu as bien agi ce soir. J’aimerais te féliciter pour ta réactivité auprès des enfants Arlaeron. Tu viens de commencer à te bâtir une réputation que tu ne devras à personne d’autre que toi. Pas ton père, ni ton frère, ni tes sœurs, ni moi. Ce soir, tu étais, Elineor Taellarys. Cesse de perdre ton calme et savoure l’instant. Peu importe si un vieil homme et quelques inconnus ont eu le privilège de rencontrer Balerion plus tôt que cela leur était dû. »

Le ton était presque professoral alors qu’il souhaitait inculquer à celle qui partagerait sa vie et son lit les valeurs cardinales de son existence. Daemon Tyvaros n’avait de respect pour peu de choses et il souhaitait que sa promise comprenne pourquoi. Cela lui permettait d’avancer plus vite et plus directement que tous ceux qui s’empêtraient dans ces considérations purement stériles d’honneur et de sens commun. L’honneur ou le bien public n’avaient jamais rendu riche, ni enfanté une famille noble capable de monter des dragons. Seul le sang régissait Valyria. Et celui de Daemon était aussi valorisé que la boue. Mais celui d’Elineor était de l’argent liquide pur, sorti du four de l’orfèvre. Il se devait de la traiter aussi bien que possible, il n’aurait pas mille occasions de bénéficier d’un ventre fécond noble pour y faire fructifier une nouvelle dynastie.

« Qui pourrait remonter jusqu’à toi ? Je n’ai rien fait ce soir, à part embrasser ma promise et discuter avec quelques nobles pompeux. Quant à toi, tu n’as rien fait d’autre que de profiter de la soirée comme toute jeune noble autour de toi. Les soupçons se tourneront vers la mage qui a amené le coffret jusqu’à l’estrade et à la guilde des tisserands dont c’était sensé être le cadeau. Quant au meurtrier, il ne parlera pas. »

La dernière phrase sibylline de Daemon témoignait de son niveau d’implication dans le complot, car il avait été mis dans la confidence du sort qui attendait le juré d’argent qui avait trahi son serment. L’homme était mort dès l’instant où il s’était associé avec ces personnages qui faisaient travailler Daemon et Elineor. Quant à la guilde des tisserands, Daemon se garda bien d’y mentionner les complicités qu’ils y avaient. Elineor n’avait guère besoin d’en savoir plus.

« Tu peux donc te repaître, oui. Car tu l’as fait. Il est trop tard pour avoir des remords et des regrets. Ta conscience peut bien te travailler mais tu as mené ta mission à bout. Des inconnus sont morts, la belle affaire. Peut-être aurais-tu préféré que ce soit la pintade Maerion qui se fasse vider les tripes sur le sol de la place ? Est-ce ainsi que tu choisis qui meure et qui vit ? Selon tes rancunes ? »

Son ton s’était légèrement élevé sur les derniers mots. De sa main libre, il se massa les yeux dans une évidente tentative de retrouver son calme. Elle fut couronnée de succès. Il reprit, plus posément.

« Elineor. Nous ne sommes pas comme eux. Ils nous mépriseront toujours. Nous faisons ce qui est nécessaire. Nous bâtissons le destin, pas seulement le nôtre mais celui de tous les Valyriens. Cette soirée entraînera des répercussions dans le monde entier. L’odeur de la mort est un plus. Un bonus à l’hubris entêtant. Nous sommes les artisans de l’ombre. »

Daemon fit quelques pas pour s’asseoir sur le lit et reposer sa jambe endommagée. Il laissa la canne à ses côtés et se massa la cuisse. Concentré sur son muscle endolori, il continua de s’adresser à la jeune femme. Le meurtre avait un effet pratiquement aphrodisiaque sur Daemon qui y voyait là la plus pure expression d’un pouvoir divin : celui de vie et de mort.

« Décris-moi de ce que tu ressens depuis tout à l’heure. »


Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

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feat. Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, dernière semaine du mois 12, an 1066


Toute son existence, Elineor avait respecté le règne diligent du silence. Une absence de paroles dans laquelle elle s’était recluse pour ne point éprouver la sévérité du bâton, la cruauté des coups et des mots assénés avec violence et répulsion. La maudite créature des Taellarys s’était conformée à cette roide éducation qui lui épargnait une partie de la tourmente adressée. Une tyrannie à laquelle elle ne répondait que par un front bas, un regard fuyant et l’escapade de son ombre cherchant à se glisser de le moindre interstice de ténèbres. Son unique victoire résidait dans l’écoulement lent des années auxquelles elle survivait, insulte impudente au souhait de trépas de ceux qui portaient le même sang qu’elle. Mais ce soir, sa voix s’élevait enfin dans un premier cri de rage. Et s’il n’était point porté à la face du monde, il suppurait jusqu’aux oreilles de son promis. Une tempête qu’elle s’accordait sans être certaine de pouvoir en réclamer la légitimité, mais qu’elle invoquait pour elle-même. Dès leur première rencontre, Daemon avait souhaité qu’elle s’illustre à travers son nom, celui des Taellarys. Un rang et une appartenance niés, arrachés, contestés. Et voilà qu’au crépuscule de la gloire de sa dynastie, cet honneur lui était rendu pour pouvoir être jetée en pâture à un sang plus souillé encore. L’injustice exultait dans chaque fibre de son être, et il apparaissait plus intolérable encore que cette âme putréfiée conte un discours qui claquait si impétueusement à l’étendard de sa fureur. Un poison si pernicieux qu’il s’insinuait avec douleur dans ses veines, les gonflait d’un venin si atroce qu’il consumait son cœur d’une colère suprême alliée à la plus profonde des répulsions. Contre elle-même, contre les murmures de Daemon et ce qu’ils éveillaient d'impérieux au creux de ses tripes.

Sur sa colère éteinte, le Tyvaros y écrasa son ton glacial et redoutable, celui sur lequel elle ignorait encore s’il était les prémices de menaces ou de représailles. Toutefois, la tempête de ses émotions était telle qu’Elineor lui opposa les flammes froides de son pâle regard. Un nous ? A présent, il ne pouvait être question que de ce nous honni et réprouvé, symbole éclatant de l’odieux complot qui les liait l’un à l’autre. Un serment funeste qui entremêlait leurs âmes à jamais. Ils ne pouvaient être que ce nous s’ils souhaitaient perdurer et s’élever au firmament d’un triomphe ensanglanté. Désormais, ils n’avaient plus le droit de tomber.

De sa bouche vipérine, il lui servit des félicitations au goût si amer qu'elles ne la nourrissaient d’aucune fierté, d’aucune gloire. Seul demeurait ce grondement au fond de ses entrailles, comme un tonnerre lointain qui vrombissait sur un horizon tapissé d’orages. Elineor Taellarys. L’opprobre d’un nom maudit rattaché à la renommée d’une dynastie séculaire. Il ne lui avait jamais été demandé d’être Taellarys, jamais réclamé d’être une part, si infime soit-elle, d’elle-même. Elle découvrait là l’exultation hagarde d’un être tapi dans les recoins de son être sans avoir jamais pu l’éprouver complètement qui découvre la lumière du jour. Seulement une ombre intangible et aux contours vaporeux, recourbé dans le néant de sa conscience. Une étincelle tarie par des mots tranchants comme des lames, des coups plus nombreux que ceux de mille armées et le poids d’une malédiction dont elle était désignée entière coupable. Et voilà qu’un étranger venait à invoquer ce magma muet et éteint, à en attiser les braises noires et froides pour le faire devenir brasier ardent. Ces flammes-là, cruelles et séduisantes, Elineor les craignait bien plus que les ombres dansantes dans le regard coupant de Daemon. Elle s’arracha à son emprise, comme si le maléfice de ses paroles ne pourrait plus l’atteindre. Mais elles coulaient comme lave en fusion dans sa conscience, embrasant chaque fibre de son être, soufflant le chaud et le froid, provoquant fièvre et tremblements dans ce tourbillon désespéré.

Le discours de son promis détenait des airs de magie redoutable. Tirade omnisciente qui figea un instant la silhouette frêle et hésitante de l’oiseau maudit, comme s'il pouvait être doté du don de lire dans son esprit. La rage qui l’avait consumée à l’insulte proférée par l’héritière Maerion vibrait encore dans sa poitrine. Lance méprisable ayant transpercé son orgueil. Pulsion acide prompte à faire jaillir la vengeance par le sang. Et pire encore, le visage de Maelor s’imprimait derrière l’abîme de ses paupières closes, tel un tableau tragique où sa vulnérable posture attirait les plus viles tentations. Un regret violent secoua la Taellarys. Sa main trembla à la remembrance de la lame traîtresse dans sa main d’albâtre. Il y avait là le remord, la lamentation d’une volonté contrarié qui aurait préféré que son bras achève son geste meurtrier. Un appétit vengeur battait au creux de son âme, symphonie effrayante que l’hégémonie de sa raison ne parvenait à faire taire. « Cesse… » murmura-t-elle tout juste à l’encontre de son promis, dans ce qui ressemblait à une plainte douloureuse. Si sa voix était parvenue à toucher son ouïe, il n’en eut cure, car sa féroce diatribe se poursuivait inlassable. Le crime de l’hubris contre les Quatorze. L’injure décadente faite à la face de la foi valyrienne. Et pourtant, c’était pour le cœur battant du peuple de cette cité que les convictions de Daemon semblaient se porter.

Le regard translucide d’Elineor se posa un instant sur son fiancé, figure presque mythique d’une incarnation terrestre prête à conquérir l’acropole céleste. Elle ignorait encore si cette apparition la séduisait plus qu’elle ne la terrorisait, si son avidité relevait plus de la démence que de l’ambition. Et sur son chariot de feu qui s’élançait vers l’astre brûlant, elle trônait à ses côtés, la terre fertile d’une nouvelle dynastie à bâtir. Un tremblement brusque la saisit, terrifiée, envoûtée, mystifiée par ce que la bouche de Daemon prophétisait pour eux.

« Décris-moi ce que tu ressens depuis tout à l’heure. » Un rire d’une ironie tragique transperça les lèvres pâles d’Elineor. Son regard d’améthyste sonda celui qui se décrivait artisan de l’ombre, dénué du moindre remord, du moindre scrupule qu’il abandonnait volontiers aux piètres mortels. La colère avait déserté son cœur comme la marée se retire à l’appel de l’astre de la nuit, pour laisser la place à un cynisme las. « Ce que je r-ressens… pour que je p-puisse te dire ce que tu veux entendre ? Que j’aie aimé cela ? Ou juste p-pour contempler le spectacle de me voir devenir comme t-toi ? » Une ode au pouvoir qu’il parvenait à exercer sur elle, à la force redoutable qu’il martelait à son esprit malléable. Elle se débattait dans ses filets immenses et aveugles. Elle ne pouvait nier le sort étrange qu’il projetait sur elle. Dans ses paroles, il y avait là le rêve de grandeur, le hurlement vengeur d’une justice réclamée, la lame rancunière de destinées parjurées, l’étourdissante promesse de réussir à écrire l’avenir à l’encre leurs envies. Elineor pouvait éprouver sur le bout de sa langue cette soif de revanche, mais dont le tribut la paralysait encore. « Je ne te satisferai p-pas, Daemon. Je n’éprouve nul triomphe ni gloir-re à ce meurtre. Pas pour une guerre qui n’est pas encore la mienne. Pas pour un homme que je ne connais pas, et qui n’était à mes yeux que p-père et époux. Pas ce soir… » Elle n’avait pas encore assez goûté à l’affreux nectar des hautes dynasties valyriennes. Elle ne s’était pas encore assez abreuvée de leur vanité et de leur vacuité. Elle ne les enviait pas encore pour leur lumière et leur gloire. Pas encore.

Elineor marqua une pause, éprise de ses réflexions profondes, tâtant là tout ce qui lui semblait trop atroce, trop honteux pour être formulé. Mais face à une incarnation si bestiale que représentait Daemon, il semblait que ses vœux mortels détenaient moins d’horreur. « Mais je crois que… » Sa phrase demeura en suspens, incertaine de la confession qu’elle souhaitait livrer dans l’intimité nocturne de sa chambre. Elle se détourna du mercenaire, faisant quelques pas égarés vers le miroir d’étain sans oser en affronter le reflet. « Tu parles de Valyria, de destin et du monde quand je n’ai connu que les murs décrép-pis du Palais Taellarys… Tu prononces des noms à mon oreille qui ne me sont que des inconnus, et j’ignore jusqu’à l’odeur entêtante de la mort. Tu dessines des plans de vengeance pour des affronts que je n-n’aie pas encore reçus, ou tout juste. Et tu me voudrais satisfaite ? » Le calme qui l’habitait lui conférait une aura qui atténuait jusqu’à la déformation de sa langue. « Et pourtant, ce que je ressens… » Elle palpait tout juste les formes prodigieuses et inquiétantes de ce que son cœur transportait de rancœur et d’amertume. Une litanie enfiévrée qui frappait dans sa poitrine. Elle redressa ses prunelles enflammées et affronta la crue réflexion qui s’offrait à elle dans le miroir. Sa main se tendit vers la sienne, comme prête à toucher cette autre part enfouie d’elle-même, bannie depuis trop longtemps.

« Je crois que je connais la haine qui t-te dévore, celle qui réclame le ravage et le sang. Le renfort d’un bras vengeur pour conjurer le mép-pris et les abus reçus. Cette haine que je ressens et qui a tant soif de la mort de mon frère. » Ses traits fins et délicats se déformèrent sous le coup d’une colère et d’un regret entièrement dirigé contre elle-même. Une fureur que la violence et les humiliations n'avaient su étouffer. « Ce soir, j’aurais p-pu le tuer, mais je ne l’ai pas fait. J’aurais pu venger toutes ces années abjectes, mais je ne l’ai pas fait. Pourtant, mon cœur brûle t-toujours. » Il brûlait de vengeance. Il brûlait de pouvoir contempler la souffrance éclater dans les yeux de son aîné. Il brûlait du chaos qu’il n’avait su perpétrer. Sa main s’était racornie sur l’étain polie, griffant la surface de ses ongles carmins. Son reflet lui apparaissait sous sa forme la plus lâche et la plus pitoyable. Elle s’en détourna complètement pour pivoter vers son promis, encore étourdie de la terreur et du remord que provoquait sa confession. Son regard s’ingéniait à déceler les ressentiments que son discours avait eus sur lui. Devait-elle craindre ses railleries ou son courroux ? Il n’était de pire crime à Valyria que de retirer son allégeance à sa famille et à son sang, pire blasphème envers la cosmogonie que de s’ériger en traître parmi les siens. Cependant, de ses paroles, elle n’aurait souhaité en retirer aucun mot. Transie d’une crainte qui se mêlait à l’euphorie d’exprimer sa propre voix pour la première fois, elle s’aventura à de nouvelles interrogations qui ne connaîtraient probablement pas plus de réponse que les précédentes. « Est-ce ainsi que tu les hais, toi aussi ? Toutes ces d-dynasties puissantes et séculaires, ces êtres b-bénis par Arrax… Est-ce pour cela que tu veux les v-voir déchoir ? Pour corriger leurs injures ? » Et lorsque tous ces petits dieux seraient tombés de leurs cieux éblouissants, lorsque Valyria ne reconnaitrait plus le mérite du sang ou le prestige d’un nom, quelle valeur conserverait-elle à ses yeux dont chaque inflexion prophétisait le trépas des plus grands ?





Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

I saw the great void in your soul,
and you saw mine
Elineor Taellarys & Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, Valyria -  An 1066, mois 12

De tout temps, Daemon avait travaillé à être incontournable. De son initiation à la guerre parmi les Fils du Feu, il s’était échiné à toujours sortir du rang, mais jamais par ses fautes, toujours par son brio. Meilleure parade, meilleure utilisation du glaive, plus long lancé de javelot, flèche la plus précise. Depuis son tout jeune âge, Daemon Tyvaros travaillait à être le meilleur car il était le fils et le petit-fils de ceux qui régentaient la compagnie mercenaire d’Anogaria. Il voulait gagner leur estime tout autant que le respect des hommes de la troupe. Son héritage ne lui était pas acquis et s’il était mauvais, Daemon pouvait alors tout perdre. Ensuite, lorsqu’il avait pris la charge de commandant de la compagnie, il en avait fait de même. Il avait professionnalisé encore plus sa bande de mercenaire, fit carapaçonné ses éléphants et il les entraînait parfois lui-même, de l’aube à la nuit tombée. Il négociait les contrats avec ardeur, afin de pouvoir se coucher le soir et proclamer qu’il était le mieux payé, pour les travaux les plus difficiles, et les plus glorieux. Sous ses ordres, les Fils du Feu avaient mené cent batailles, parfois contre des ennemis en surnombre, quelques fois contre des troupes légendaires comme les javeliniers rhoynars ou les sang-coureurs dohtrakis.

Avec sa nouvelle vie qui s’offrait à lui, Daemon serait une nouvelle fois le meilleur. Son nom serait craint et révéré, et on ouvrirait toutes les portes à ceux qui portaient le nom de Tyvaros. Il y aurait bientôt une nouvelle dynastie en ville, tout aussi glorieuse que les trois oiseaux déplumés qui peinaient à garder leur équilibre sur un perchoir tout aussi bringuebalant. Tous ploieraient face à la puissance des Tyvaros. Et pour cela, il faudrait qu’Elineor embrassât cette grandeur future et la fasse sienne. Par monts et par vaux, ils devraient réaliser de nombreuses actions qu’ils réprouveraient et qui seraient considérées comme déshonorables par la majorité. Cela importait peu. Ils devaient bâtir leur destin et l’Histoire de leur nom bientôt commun. Les annales pourraient oublier les Taellarys, les Maerion ou les Haeron mais jamais plus elles n’occulteraient ceux qui avaient la vipère au poing. Ceux qui ne reculeraient devant aucune limite pour assurer un futur à leur lignée. Et pour cela, les Tyvaros devraient toujours compter sur la preuve de leurs prouesses parmi les ombres. Daemon était le dernier Tyvaros à vivre de la guerre en tant que telle. Désormais, ils s’enrichiraient grâce à elle, mais n’en vivraient plus. Elineor pourrait-elle un jour saisir cette vision qui obnubilait le Tyvaros ?

Elle s’énervait encore. L’adrénaline n’était pas encore retombée. Elle avait réalisé son destin, ou tout du moins une partie. Elle avait contribué à prendre la vie d’un Grand. Elle avait aimé cela. Elle pouvait tourner cela comme elle le souhaitait, elle venait de prononcer des mots qui allaient changer son destin, bien plus encore que lorsqu’elle avait accepté de participer à cette machination mise en branle depuis des années. Daemon lui-même ignorait l’entendu de ce complot. Il savait juste qu’il avait affaire à une coalition de personnages aux ressources virtuellement illimités et à l’influence sans bornes. Il n’avait aucune idée de combien de personnes trempaient dans cette affaire et qui tirait les ficelles finales. Elle parlait de ne ressentir ni triomphe, ni gloire. Mais cela était différent de ce qu’elle mentionnait plus tôt.

Elle était comme une apprentie en poterie. Son premier travail n’était guère à sa convenance, mais elle avait apprécié. Voilà qui valait toutes les garanties pour le Tortionnaire. Sa promise était la bonne. Daemon ne fit aucun commentaire supplémentaire sur Lucerys car peut lui importait qui était l’homme, ce qui comptait, c’est ce qu’il incarnait. L’arrogance des nouvelles fortunes issues de la chute des dynasties, la mainmise de certains intrigants sur la cité, leur vision verticale d’un monde qu’ils auraient pu jadis chambouler.

Et pourtant…

Daemon tendit l’oreille alors qu’il regardait sa jeune promise revenir à un calme olympien tout aristocratique. Il n’avait jamais été capable d’un tel maintien. Le contrôle qu’il exerçait sur ses sentiments était tout aussi rustique que son éducation. Il pouvait voir à quel point cela était inné chez Elineor. Il l’écouta avec attention alors qu’elle se livrait à lui sur la haine qu’elle avait pour son frère, ce même frère avec qui il traitait. Ainsi, elle aurait pu ôter la vie de son frère mais ne l’avait pas fait. C’était une information intéressante car cela signifiait qu’elle avait pensé à le faire, et qu’elle cherchait sans doute un moyen d’y parvenir. Que voulait-elle vraiment ? Discrétion ? Souffrance ? Les deux à la fois ? Autre chose ? Daemon l’observait en silence. Son visage était couvert d’un masque d’immobilité alors qu’il farfouillait au travers des yeux d’Elineor pour saisir tout le brasier de sa haine fraternelle. A son ultime question, Daemon répondit tout d’abord par un énigmatique sourire. Il s’approcha et plaça ses mains sur celles de la jeune femme.

« Tu t’es confiée avec honnêteté et transparence. Je t’en remercie. Ta confiance ne sera pas vaine. »

Il retira ses mains de leur étreinte silencieuse et les plaça sur les épaules de la jeune femme pour la regarder droit dans les yeux.

« Je ne les hais pas de la même manière que tu détestes ton frère, Elineor. Je ne suis pas un redresseur de tort, je laisse cette fonction à ceux qui s’imaginent connaître la volonté des dieux. Je n’ai guère que mépris et fureur pour ces nantis qui dictent leur volonté du haut de leurs tours et de leurs dragons. Sans leur sang, ils ne seraient que de petites créatures bouffies d’une importance fictive. Mais ils chevauchent des dragons et leur sang est magique. Je veux leur montrer que cela n’est pas prédestination mais bien coup du sort, coup de chance. Il y aura un jour où un Tyvaros, l’un de nos descendants, montera sur un dragon et revendiquera sa place parmi les familles du Quadrant Ouest : là où même les tiens n’ont plus les moyens de se maintenir. »

Se faisant, il s’était rapproché de la jeune femme jusqu’à sentir sa poitrine contre son torse. Il avait à nouveau en lui ce feu sacré qui l’animait, qui le nourrissait pour subvenir aux immenses besoins en énergie de son ambition quotidienne. Il laissa sa main droite remonter le long de la clavicule, puis de la nuque de la Taellarys, se perdant en une caresse tout aussi appuyée qu’évasive, alors qu’elle suivait le cheminement de son esprit.

« Tout cela pour te dire que je comprends ce que tu cherches à dire. Et je crois avoir saisi autre chose. »

Il laissait sa main se perdre dans la base de la crinière d’argent de la jeune femme tandis que son autre main glissait le long des hanches de cette dernière, jouant avec le corps comme avec les secrets de son âme.

« Tu ne l’as pas tué parce que tu veux une véritable rétribution. Lui planter un couteau entre les omoplates au milieu d’une panique générale, ce n’est pas intime. Tu cherches à lui faire payer, à lui faire comprendre que, toutes ces années, il a échoué à comprendre qui tu étais, mais surtout, il a échoué à te briser. Ne désires-tu pas par-dessus tout lui rappeler qu’il a beau t’avoir traité toute sa vie comme une bâtarde, c’est toi qui va lui ôter la sienne ? »

À chaque phrase qu’il prononçait, il amenait le corps chaud d’Elineor un peu plus contre lui. Il pouvait sentir son souffle et voir le sang qui battait fort à ses tempes. Sa main libre s’aventura au creux de son dos.

« Souhaites-tu exister une bonne fois pour toutes ? En effaçant de ce monde celui qui t’a toujours nié ce droit d’existence par ta simple naissance ? Souhaites-tu un jour te faire la messagère de Balerion ? »

Et pour faire bonne mesure, comme mis en transe par ces perspectives de goûter de nouveau au sang, il se pencha en avant pour déposer ses lèvres sur celles de sa promise.


Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

I saw the great void in your soul, and you saw mine
feat. Daemon Tyvaros

Palais Tyvaros, dernière semaine du mois 12, an 1066


Une existence de craintes s’était imposée à Elineor. Ses malédictions, elle les devait à la cruauté des Quatorze enclavés dans les cieux. Sa torpeur s’était inscrite dans le temps, au renfort de l’art subtil et pernicieux du mépris des siens, et de leur dégoût pour l’être qu’elle représentait. Sa vie semblait tenir qu’au renfort d’une chance insolente et grotesque. A tout instant, elle sentait qu’elle pouvait glisser entre ses doigts et s’évanouir dans le néant, l’abandonnant à une existence courte et dépourvue de sens. Les démons d’Elineor étaient nombreux, ayant pris racine dans son enfance et l’ayant accompagnée toutes ces années. Des ombres nouvelles se dessinaient à présent que les barreaux de sa cage s’agrandissaient. Cependant, elle demeurait toujours prisonnière et à la merci des silhouettes menaçantes qui peuplaient son quotidien. De longues années de mauvais traitements et de menaces avaient su la rendre craintive du moindre bruissement dans le vent, de la moindre violence d’un regard obtus ou d’une intonation tonnante. Les cauchemars hantaient encore ses nuits du terrible destin qui pourrait lui être réservé, de mauvais présages et de ce fatum duquel elle ne pourrait s’extraire sans en comprendre la cause.

Et pourtant, à la lueur des derniers évènements, Elineor se découvrait une terreur plus secrète encore. Un effroi violent qui lui faisait craindre son propre reflet en son royaume. Face à elle se révélait les contours d’une créature qui portait ses traits et son nom. Une créature qui revêtait tous les atours méconnus de la haine, d’une insatiable soif de vengeance et de justice. La peur se métamorphosait en un être gigantesque, un marasme incontrôlable de fureur, de représailles et de cruauté. Comme si un monstre demeurait tapi au creux de ses entrailles, endormi et retenu par des chaînes invisibles. Mais lorsque la bête s’éveillerait, elle provoquerait des ravages dévastateurs et terribles. La jeune fille n’en avait jamais soupçonné l’existence, pas même eu le pressentiment de partager son corps avec une telle ombre. Il lui était parfois arrivé que la colère balaie la peur, mais la raison l’avait constamment admonestée à courber l’échine, ainsi que la roideur des coups assénés.

Mais voilà que, Daemon, par un sortilège qu’elle ne s’expliquait guère, parvenait à titiller cette part enfouie d’elle-même, cette affreuse entité en cage. Sa voix serpentait de ses oreilles jusqu’au creux de sa poitrine, jusqu’aux fondements de son âme pour toucher des parties d’elle qu’elle n’aurait jamais osé admettre. Le sang recouvrait encore son corps tandis que sa langue dévoilait le chaos qui résidait en son âme. Ses mots décrivaient le geste d’une main vengeresse, résolue à abattre son office pour réparer là des années de torture. Bien que cette simple idée la fasse trembler, elle admettait qu’elle aurait pu être capable de tuer Maelor. L’image vivide de la lame s’enfonçant dans sa chair hantait délicieusement son esprit. Elle ne pouvait nier cette fièvre plaisante qui s’emparait d’elle à ce souvenir en dépit du remord et de la culpabilité que sa moral lui exigeait. Etait-il sage d’admettre un tel crime à son fiancé ? Que sa fidélité envers les siens pouvait faillir de la sorte, là où l’honneur familial brillait comme en vertu à Valyria ? Mais il n’était guère de probité dans le cœur de celui qu’elle devait épouser. Ou du moins, pas en ce qui concernait la caste à laquelle elle appartenait. Cette haine dévorante qu’elle nourrissait pour sa famille, elle la sentait luire dans le regard vipérin de Daemon pour l’ensemble de la noblesse valyrienne.

En dépit des tremblements qui agitaient son être, Elineor tentait de ne point laisser transparaître l’appréhension qui la dévorait en regardant l’homme approcher. Allait-il se jouer d’elle ? La trouverait-il lâche ou futile ? Indigne de confiance ou incapable ? Le frisson de crainte provoqué par le sourire sibyllin qu’il lui adressa se confronta à la douce chaleur qui irradia dans son ventre lorsqu’il prit ses mains. Délicatement et sans menace.

Elle ne songea même pas à réprimer sa surprise lorsqu’il exprima accorder une sincère valeur à sa franchise. Il lui offrit même une réponse à sa question, là où il ne cessait d’éluder ses interrogations. Il évoquait également un avenir emploi de gloire et de promesses pour eux et leur descendance, s’élevant au firmament et auréolés de lumières qui ne leur étaient pas destinés. La torpeur et l’épuisement de cette nuit s’effaçaient, balayés par l’émoi de la proximité de son fiancé. A son corps si proche du sien, à ses mains qui s’attardaient sur sa peau diaphane avec une douceur rarement éprouvée, au velouté de sa voix qui affirmait la comprendre et tentait de sonder ses désirs les plus sombres. A présent, la tentative de meurtre de son frère lui semblait plus être un projet si condamnable… presque une délicieuse justice à prononcer. Etourdie par sa proximité, sa chaleur, ses paroles, ses caresses, elle sentait monter en elle un désir aussi terrifiant qu’édifiant. Une soif suprême de pouvoir qui rendait également les lèvres de Daemon attrayantes… Ce dernier se penchait lentement vers elle, à la recherche de ce baiser qui ne revêtait, cette fois, aucun artifice à dessein de contenter les foules. Ce fut d’abord comme une caresse, puis un geste plus appuyé, sûrement en constatant qu’elle ne lui opposait aucune résistance. Et alors qu’un feu impérieux s’emparait progressivement d’eux, Elineor fut frappée par la brutalité de ses pensées. Sans brusquerie, sa bouche se sépara de celle de son futur époux. Elle n’osa se dérober entièrement à son étreinte, ses bras l’entourant avec fermeté. Les tremblements de ses mains se voulaient imperceptible. « Ils projettent de te t-tuer… » Sa voix était bien plus claire qu’elle ne l’aurait imaginée, bien que balbutiante. Son regard n’osa croiser le sien, irrémédiablement accroché aux boutons de la veste de Daemon. « Une fois q-qu’ils auront b-bénéficié de ta f-fortune… que ta p-part du marché sera remplie… ils veulent que j-je te tue… et que je te ref-fuse la moindre d-descendance » S'apprêtait-elle à recevoir le courroux implacable de son fiancé ? La colère qui allait naître en lui pourrait-elle s'abattre sur elle, afin de faire battre l'étendard de sa vengeance ? Croirait-il au moindre de ses propos ou à l'honnêteté de sa langue ? A présent, elle était allée trop loin pour reculer. « Maelor m-menace de me t-tuer si je ne le fais p-pas... Et de massacrer chaq-que enfant que je p-pourrai te donner... » La terreur la dévastait toute entière, menaçant de la faire flancher. Ses doigts fins se retenaient à la veste de Daemon pour ne pas tomber, bien qu'elle craignait à tout instant que ses crocs venimeux pourfendent sa chair tendre. « Tu n'es qu'un sang imp-pur à leur y-yeux... Ils ne veulent p-pas être associés aux T-Tyvaros... Et dès qu'ils le pourr-ront, ils se débarrasseront de t-toi... »




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