Au milieu du tohu-bohu de Valyria, le Collège apparaissait à bien des égards comme un havre de paix. Bien sûr, cela n’était qu’une illusion imparfaite : en coulisses, les débats faisaient rage entre mages de haut rang quant à leur implication dans les événements de leur patrie, s’il devait y en avoir une, et les trois factions qui s’étaient dessinées après l’assassinat de Lucerys Arlaeron avaient déjà commencé à prospecter dans les rangs des mages, soit au travers des familles qui leur étaient liés, soit via des inclinations particulières. Et ceux qui, comme Alyrea, préféraient maintenir une neutralité précaire, au moins de façade compte tenu des liens familiaux, qu’ils soient voulus au nom, marchaient sur une ligne étroite. Pour le moment, elle s’y tenait, observant les manœuvres des uns et des autres, cherchant à deviner les lignes de faille pour, éventuellement, en tirer profit, sans mettre sa lignée en péril mais sans lui offrir le soutien qu’elle aurait pu trouver en elle, se retranchant derrière la politique du Magister, à qui elle devait une fière chandelle de ce point de vue. Néanmoins, l’immense majorité des mages des cercles supérieurs maintenaient leurs éclats derrière des portes closes, et peu auraient eu l’audace d’aller à l’encontre des ordres directs de Perzygon et d’importuner les plus jeunes. Plusieurs fois, Alyrea s’était fait la remarque que la volonté farouche du vieux magister de s’accrocher à cette antique ligne de conduite trouvait peut-être dans les événements récents son explication la plus limpide : il aurait été tellement facile d’influencer les jeunes esprits sous leur garde, par des paroles bien placées, un patronnage loin d’être innocent … Sans parler des dégâts potentiels si certaines familles se mettaient à rappeler les leurs encore en formation, en période de crise comme celle-ci. Au moins, entre les murs du Collège, ils étaient libres de continuer leurs études sans être troublés par l’extérieur, ou du moins, aussi peu que possible. Et bon an mal an, des noms qu’il devenait impossible à associer dans la cité se retrouvaient encore pour collaborer à l’avancée des connaissances et savoirs du Collège. Cela aussi avait son importance, ne pouvait-elle s’empêcher de penser, considérant avec crainte les divisions, et donc les retards sur des recherches cruciales, que de telles querelles de chapelles auraient pu entraîner.
Ce jour-là, elle offrait un cours avancée d’Incantation Runique à de jeunes mages du Troisième Cercle. Comme souvent, elle valorisait l’imagination, critère indispensable dans sa discipline, mettant à disposition plusieurs canevas runiques et réactifs divers, avec une seule consigne large : faire s’écrouler le mur de trois briques que chacun avait devant eux sans ébrécher la tasse posée au-dessus. L’objectif était bien entendu d’enseigner le dosage des forces en présence, ainsi que la subtilité nécessaire pour progresser dans sa discipline. Alyrea avait toujours considéré, avec toute la mauvaise foi du mage ayant choisi sa voie, que l’Incantation Runique était de loin le champ de la sorcellerie valyrienne offrant le plus de possibilité, au point de lorgner sans difficulté dans les autres disciplines, pourvu que son utilisateur se révèle inventif, rigoureux, et précis. Chaque rune tracée, chaque inflexion de pinceau, chaque choix de réactif, chaque variation de ces derniers pouvait changer entièrement l’issue d’un sort. A cet égard, elle pensait sincèrement que l’on pouvait parler d’art. Ses méthodes n’étaient pas aussi tapageuses que d’autres, exigeaient plus de préparation que bien des disciplines magiques, mais elles ouvraient un champ des possibles infini, pour qui savait s’en servir. Parmi les jeunes gens sous sa férule se trouvait Aemond Qorahenos, et elle observa de loin les résultats qu’il produisait.
Au bout d’un moment, elle passa en revue les différentes solutions proposées, corrigeant immédiatement celles n’ayant aucune chance, et regardant les démonstrations – plus ou moins heureuses – avec un œil critique, sévère mais juste, offrant des explications sur ce qui n’avait pas marché, ou des conseils pour améliorer encore la formule découverte. Enfin, elle arriva au dernier de la salle, Aemond. Observant son établi, elle déclara d’une voix parfaitement neutre :
« Qohraenos … Voyons voir ce que tu as à me proposer. Décris-moi ta solution, et pourquoi tu l’as choisie. A vue d’œil, elle peut marcher et je te laisserai l’essayer, mais j’aimerai entendre tes arguments vis-à-vis de ce que tu as pris comme rune et comme composant. »