Le Deal du moment :
Jeux, jouets et Lego : le deuxième à ...
Voir le deal

Daemon Tyvaros
Daemon Tyvaros
Le Tortionnaire

Le Chant du SerpentBalade dans les ombres valyriennes

L’Elgrabar, Quadrant Sud de Valyria -  An 1066, mois 11

Il n’était pas si tard, mais déjà l’obscurité gagnait progressivement les rues de Valyria l’Éternelle. Fait rare dans ces contrées où l’été durait constant pendant des années, de gros nuages sombres s’étaient amoncelés au-dessus de la capitale depuis plusieurs jours. L’air était inhabituellement lourd et cela se ressentait partout : les gens étaient plus désagréables qu’à l’accoutumée, il suffisait d’un rien pour transpirer à grosses gouttes et la lumière pourtant omniprésente à cette époque de l’année disparaissait déjà sous ces cumulonimbus massifs.

La cité construite par les seigneurs-dragons et leurs maîtres-architectes semblait comme écrasée par ce ciel menaçant. Il n’y avait pas une once de vent mais on entendait déjà au loin les premiers coups de tonnerre. Les Valyriens n’étaient pas coutumiers des orages mais ils savaient que lorsque ceux-ci éclataient, mieux valait prendre abri. Ainsi, alors que le vent se levait péniblement et que la température diminuait enfin, la cité qui d’ordinaire ne dormait jamais, se claquemurait en regardant avec méfiance vers les cieux. Les rues se vidaient peu à peu car, après tout, la journée touchait déjà à sa fin. Quelques carrosses ou litières filaient à grands bruits vers les quartiers de la noblesse ou des bourgeois tandis que les moins fortunés se bousculaient pour retrouver leur chaumière. Alors que la pluie arrivait et que le vent se levait, l’odeur de souffre qui d’ordinaire couvait Valyria comme une chape inamovible disparaissait aussi. De nouvelles odeurs surgissaient alors, que la majorité oubliait. Si l’odeur du souffre était déplaisante pour les non-initiés, les Valyriens étaient nés avec et cette senteur leur rappelait la divine présence des Quatorze Flammes qui sauvegardaient Valyria. Mais avec sa disparition remontaient les effluves désagréables de la cité : déjections, pourriture, et simplement l’air vicié par des milliers d’êtres entassés dans un endroit.

D’ordinaire, à cette heure, le soleil brillait encore suffisamment haut pour illuminer la cité de ses rayons divins et produisait de splendides couchers de soleil irisant le ciel et les volcans de teintes d’or et d’orange. Ce soir, il faisait pratiquement nuit. Le premier éclair perça la couverture nuageuse pour jeter une lueur crue sur la cité. Le tonnerre gronda peu de temps après. Le vent tomba brusquement.

Les première gouttes, épaisses, percutèrent le sol.

Il faudrait bien une longue averse pour laver les péchés de la cité et de sa noblesse, songeait Daemon Tyvaros, adossé contre l’ouverture de son bureau qui donnait sur une partie du Quadrant Sud. Un autre éclair et le tonnerre, pratiquement immédiat. La pluie tombait désormais à torrents. Le bruit était assourdissant car il résonnait partout et déjà des torrents se formaient dans les rues, dévalant les reliefs vers le point le plus bas. Le natif d’Anogaria observait cette cité qu’il rêvait de conquérir et de soumettre par la force de son ambition et de son esprit. Par la force conjuguée de sa revanche sur la vie et de la noblesse d’un ventre aristocratique. Avant de se montrer digne de son plan, il devait se rendre utile et il avait trouvé des alliés aux moyens immenses.

L’Elgrabar – la Flèche en Haut-Valyrien – résonna du vrombissement d’un nouveau coup de tonnerre, comme le cri sourd d’un Ancien. La prison était désormais achevée et se présentait sous la forme d’une large tour, imitation assumée de l’architecture de celles de la noblesse, bien que plus basse. La prison était vide en ce jour sombre car elle n’avait pas encore reçu ses premiers locataires et l’endroit était seulement verrouillé. Les sons y résonnaient, elle semblait abandonnée mais tout y était neuf. Daemon, toutefois, n’était pas seul. Une figure emmitouflée dans une pelisse noire lui donnait la réplique alors qu’ils discutaient de sacrilèges et d’affront au destin.

« Une fois que tout cet enchaînement infernal sera amorcé, il ne doit plus y avoir de moyen de l’arrêter, Tyvaros. »

Daemon voulût sourire mais son visage restait crispé. Il n’était pas en mesure de faire de rodomontade face à cette personne qu’il savait particulièrement influente. Aussi, il connaissait son histoire et respectait le personnage.

« Je te garantis que tout se déroulera selon votre volonté. Je n’ai pas coutume de trahir mes promesses. Ma parole est d’or, ou en tout cas d’acier. »

Il avait tout de même fini par se lancer dans une petite figure de style pleine de conviction en son succès.

« Votre intermédiaire est en tout cas de grande qualité, je vois que vous ne négligez pas les détails. Je ferai en sorte de m’assurer de son extraction de l’endroit. Mais je dois vous prévenir ; ce que vous avez en tête pour le tireur ne marchera pas avec moi. »

- Voyons, pour qui nous prends-tu ? Nous savons reconnaître un talent utile à la cité.

« Talent ou pas, je te préviens simplement. Je sais couvrir mes arrières et j’en sais suffisamment pour ne pas tout emporter dans la tombe. Mais tu n’as pas à craindre ma loyauté, je suis acquis à la cause. »

Un hochement de tête en silence, la discussion se terminait. Le message était passé. Daemon agrippait avec force le pommeau d’argent de sa canne d’ivoire. Les jointures de ses phalanges en blanchissaient tant il serrait fort pour s’empêcher de trembler. Il était pétrifié de terreur à l’idée de faire un impair fac à de tels personnages mais il devait aller au bout et prouver sa détermination. Ceux qui ne reculaient devant rien pour s’assurer la sûreté de leurs complots étaient de puissants alliés mais de dangereuses fréquentations, car ils pouvaient décider de supprimer Daemon comme ils supprimeraient leur futur tireur. Se montrer prudent était une chose qu’il avait appris jeune et il se surprenait à la mettre toujours en application ici, bien que le contexte ait largement changé.

Il raccompagna son contact à la base de la prison, jusqu’à une porte dérobée donnant sur une petite ruelle engoncée dans un dédale entre plusieurs bâtiments officiels.

« Nous prévaudrons.

- Les parjures chuteront pour rejoindre Balerion. »

Leur salutation cryptique effectuée, le contact de Daemon s’éclipsa, ne se laissant guère impressionner par les torrents de pluie vomis du ciel. Le Tortionnaire referma la porte et la verrouilla. Alors que le silence se faisait, il revint vers l’entrée principale de la prison. Quelques traces d’eau indiquaient que quelqu’un était entré là après le début de l’orage. Il sentait une odeur de parfum sucré qui n’avait rien à faire dans sa prison. Il fronça les sourcils et sa main gauche attrapa sa canne. D’ordinaire, il s’appuyait sur la main droite, mais c’était là sa main d’épée. Il tira de son flanc ce qui ressemblait à une longue dague effilée mais qui était en réalité un glaive brisé. Faute de mieux, cela faisait parfaitement office pour l’usage qu’il souhaitait en avoir : percer un corps. Il avançait à pas de loup, retrouvant ses réflexes de soldat. Il avait égorgé plus d’un inconnu, le soir, lors d’une reconnaissance ou en prévision d’un assaut.

Là.

Il pouvait sentir la présence de l’autre côté de ce mur. Il entendait la respiration non maîtrisée. Prenant appuis sur sa bonne jambe, sa canne servant de balancer, il se projeta en avant. Désormais, il voyait la silhouette dans l’obscurité. Il visa la gorge avec sa canne pour immobiliser l’autre tandis que sa dague venait se poser sur le ventre de l’intrus.

« Toi ? Ici ? »



Elineor Taellarys
Elineor Taellarys
Dame

I saw the great void in your soul, and you saw mine
feat. Daemon Tyvaros

Palais Taellarys, Mois 12 de l’an 1066


Au creux de la nuit, son pas, lesté par la légère ivresse qui irradiait son être, la mena vers ses appartements. Il ne lui était guère offert l’opportunité de jouir des festivités à la même table que les siens et l’âpreté de l’alcool ne touchait que rarement sa langue. Aussi résidait-elle dans une sorte de béatitude factice qui serait bien vite écrasée au matin par la réalité des derniers événements. Au cours de l’ostentatoire et grotesque banquet de ce soir, son esprit n’avait cessé de rejouer la scène déroutante de son entretien avec Daemon Tyvaros que le destin lui désignait à présent sans ambiguïté comme son futur époux. Elle ignorait encore s’il était figure d’allié ou s’il rejoindrait la parade infernale des démons qui peuplaient son existence. L’avenir se dessinait sous des traits aussi inconnus qu’effrayants.

Mais une créature plus redoutable jaillit depuis l’ombre, lui agrippa le bras et la traîna jusqu’à la porte de sa chambre qui ne se tenait plus qu’à quelques pas. Trop frêle pour se défendre d’une poigne si puissante, Elineor se retrouva traînée avant d’être projetée dans ses appartements sans ménagement. Il lui était inutile d’essayer de discerner le visage de son assaillant, moins encore de se débattre d’une quelconque façon. Le rapace qui l’emprisonnait entre ses griffes était un bourreau à l’office bien connu. Elle ne s’ingénia nullement à calmer sa colère au renfort de ses mots ou en invoquant son nom. Réclamer pitié ne saurait être envisagée par son orgueil. Aussi ne se récria-t-elle aucunement quand les riches doigts bagués de Maelor molestèrent son visage une première fois, puis une seconde, et encore une autre jusqu’à ce que son étourdissement ne la fasse tomber à terre.

Fulminante de rage, la bête tournait autour d’elle sans qu’elle ne puisse saisir ses mugissements. Chaque parcelle de son visage hurlait de douleur et il lui sembla reconnaître l’âpre goût du sang dans sa bouche. Elineor n’avait cependant pas besoin d’écouter sa sentence pour en connaître l’objet. Toute insolence, si insignifiante soit-elle, méritait son châtiment. Son aîné lui avait commandé de se taire et elle lui avait désobéi, provoquant cette entrevue dont il avait été exclu. Une insulte suprême à laquelle il exigeait réparation. Ainsi en était-il depuis toujours… « Que t’a-t-il dit ?! » rugit froidement la bête. Des balbutiements épars s’étiolèrent misérablement dans la bouche de l’enfant maudite. Trop confuse, trop endolorie. Par de brèves syllabes laborieuses, elle contait un récit qui ne trouvait nulle écho avec la réalité de ce qu’il s’était passé. Les paroles du serpent l’avaient-elles tant abusée qu’elle voilait si précieusement la vérité ? Les effluves entêtants d'un abominable danger électrisaient tout son être. Ces quelques bribes maladroites parurent apaiser son frère dans ses violences. Il se mit à arpenter furieusement la pièce, déversant sa verve venimeuse. « Ce parvenu se croit maître en ce domaine. Il oublie que le sang sacré des dragons coule dans nos veines et non les siennes ! » Tant bien que mal, Elineor se redressa sur ses jambes tandis que Maelor vitupérait son fiel concernant son fiancé.

Lors d’un sombre moment de folie, un égarement brusque lui intima presque de proposer à son frère de rompre cette alliance insensée. Mais à la douleur atroce qui irradiait visage, elle retint sa langue et son esprit s’arrangea plus noblement de ce devoir qu’elle devait remplir. « Il n’obtiendra rien de nous. Nul titre, nulle reconnaissance, nul prestige. Pas même une seule parcelle de notre sang, si damné soit-il, chez un seul de ses bâtards. » La jeune femme fronça les sourcils, incertaine et troublée. Ses lèvres bégayèrent quelques mots tranchés promptement par le regard glacial de son aîné. En deux pas, il fut de nouveau près d’elle en dépit de sa tentative d’esquive. Ses larges mains agrippèrent à la fois son bras et sa mâchoire pour qu’elle lève la tête vers lui. Ses prunelles d’un violet effroyable se heurtèrent aux siennes. Sa voix se fit un murmure aussi grondant que le pire des orages. « Qu’importe le nombre de fois qu’il te prend, si tu viens à lui produire la moindre engeance impie, je viendrai l’arracher moi-même de tes entrailles ! » Son index raide s’était enfoncé dans son bas-ventre. Elineor grimaça. « Obéis-lui, mais n’oublie jamais à qui tu appartiens, n’oublie pas ton allégeance. Tu devras me rapporter la moindre de ses paroles, le moindre de ses gestes. Et quand je te l’ordonnerai, tu te débarrasseras de lui. »


***


L’Elgrabar, Quadrant Sud de Valyria – Mois 11 de l’an 1066


Ses entrailles lui semblaient aussi lourdes que les nuages qui parsemaient le ciel. Evoluant dans les ombres dansantes de cette nuit d’orage, Elineor priait les dieux facétieux pour que sa présence ne soit pas décelée et qu’elle se découvre quelque talent insoupçonné pour l’art de la filature. La haute silhouette de Daemon se découpait plus loin dans les rues de Valyria dans lesquelles il serpentait avec aise et discrétion. Il n’avait guère annoncé son départ auprès de sa fiancée. Depuis leur arrivée à Valyria, le séjour se jalonnait des absences du Tyvaros. Si Elineor ne boudait pas ses solitudes et d’être écartée de la compagnie des siens, elle se retrouvait livrée à de nombreuses heures oisives où ses angoisses ne lui accordaient aucun répit. Les injonctions de Maelor entretenaient une valse macabre dans son esprit. Les ordres étaient clairs, et bien qu’elle aurait préféré fomenter sa propre fuite, elle se retrouvait à espionner l’un des êtres les plus redoutables qu’elle ait pu rencontrer sous un orage et une pluie diluvienne. Leur destination se dessina bientôt sous les contours augustes et lugubres de l’Elgrabar.

Le cœur battant à tout rompre, l’Oiseau Maudit s’ingéniait à se glisser dans chaque recoin d’ombre. Une pratique qui ne lui était pas étrangère, elle qui avait dû se dissimuler dans toutes les caches du palais Taellarys. Guère hospitalière, la prison possédait malgré tout l’avantage de regorger de ces aspérités dans lesquelles se fondre. Elle se réfugia dans l’une d’entre elles tandis que Daemon semblait attendre un contact qui ne tarda pas à se présenter, dissimulé sous une capuche insondable. Bien que leurs voix soient claires, la prudence de la jeune fille la tenait trop à l’écart de la conversation et la pluie assourdissante dissimulait des bribes de mots, l’empêchant de saisir entièrement l’échange. Cependant, elle comprenait qu’il y avait là funeste complot. La terreur s’imprima dans sa chair. Il lui semblait trouver en Valyria une société aux allures plus mortifères encore que sa propre famille.

Tandis que les deux silhouettes s’éloignaient vers la sortie de la prison, Elineor tenta de rassembler ses esprits, décidée à regagner la demeure de son futur époux au plus vite. Néanmoins, la torpeur la figeait sur place, brouillait sa perception. Elle amorça un premier pas, avant de réaliser que Daemon était revenu sur ses pas. Elle se glissa promptement derrière un mur, plaquant sa main contre sa bouche pour en étouffer la respiration saccadée. Les tempes battantes, ses oreilles se dressèrent pour essayer de capter un moindre bruit au travers de la cacophonie de la tempête. Impossible de discerner quoi que ce soit… Se penchant subrepticement, son geste s’interrompit d’un seul coup lorsque son fiancé jaillit devant elle. Une lame sur son ventre et sa canne contre sa gorge, il la tenait en respect. La jeune femme retint une exclamation de stupeur avant de s’immobiliser, de crainte que la lame traîtresse ne vienne la pourfendre. Pour son salut, Daemon la reconnut en dépit de la capuche qui lui servait toujours de coiffe. Les bras d’Elineor se relevèrent en signe de reddition et pour prouver qu’elle ne dissimulait aucune arme. « P-pitié… » bredouilla-t-elle pour qu’il abaisse ses armes. Un éclair barra le ciel, éclairant le visage de Daemon d’une lueur menaçante avant que le hurlement du tonnerre n’éclate. La Taellarys sursauta. Toutes ses pensées s’embrouillaient. Mentir serait inutile. Pire encore d’inventer un quelconque mensonge. La situation était bien transparente. « Je ne d-dévoilerai r-rien. Je le j-jure… » Une parole qu’elle tiendrait si elle souhaitait que sa tête restât bien accrochée sur ses épaules. Elle continua de secouer la tête en signe de dénégation. « Je… je n’ai p-presque r-rien saisi. Je ne s-sais de q-quoi il en retourne… »