Il n’était pas si tard, mais déjà l’obscurité gagnait progressivement les rues de Valyria l’Éternelle. Fait rare dans ces contrées où l’été durait constant pendant des années, de gros nuages sombres s’étaient amoncelés au-dessus de la capitale depuis plusieurs jours. L’air était inhabituellement lourd et cela se ressentait partout : les gens étaient plus désagréables qu’à l’accoutumée, il suffisait d’un rien pour transpirer à grosses gouttes et la lumière pourtant omniprésente à cette époque de l’année disparaissait déjà sous ces cumulonimbus massifs.
La cité construite par les seigneurs-dragons et leurs maîtres-architectes semblait comme écrasée par ce ciel menaçant. Il n’y avait pas une once de vent mais on entendait déjà au loin les premiers coups de tonnerre. Les Valyriens n’étaient pas coutumiers des orages mais ils savaient que lorsque ceux-ci éclataient, mieux valait prendre abri. Ainsi, alors que le vent se levait péniblement et que la température diminuait enfin, la cité qui d’ordinaire ne dormait jamais, se claquemurait en regardant avec méfiance vers les cieux. Les rues se vidaient peu à peu car, après tout, la journée touchait déjà à sa fin. Quelques carrosses ou litières filaient à grands bruits vers les quartiers de la noblesse ou des bourgeois tandis que les moins fortunés se bousculaient pour retrouver leur chaumière. Alors que la pluie arrivait et que le vent se levait, l’odeur de souffre qui d’ordinaire couvait Valyria comme une chape inamovible disparaissait aussi. De nouvelles odeurs surgissaient alors, que la majorité oubliait. Si l’odeur du souffre était déplaisante pour les non-initiés, les Valyriens étaient nés avec et cette senteur leur rappelait la divine présence des Quatorze Flammes qui sauvegardaient Valyria. Mais avec sa disparition remontaient les effluves désagréables de la cité : déjections, pourriture, et simplement l’air vicié par des milliers d’êtres entassés dans un endroit.
D’ordinaire, à cette heure, le soleil brillait encore suffisamment haut pour illuminer la cité de ses rayons divins et produisait de splendides couchers de soleil irisant le ciel et les volcans de teintes d’or et d’orange. Ce soir, il faisait pratiquement nuit. Le premier éclair perça la couverture nuageuse pour jeter une lueur crue sur la cité. Le tonnerre gronda peu de temps après. Le vent tomba brusquement.
Les première gouttes, épaisses, percutèrent le sol.
Il faudrait bien une longue averse pour laver les péchés de la cité et de sa noblesse, songeait Daemon Tyvaros, adossé contre l’ouverture de son bureau qui donnait sur une partie du Quadrant Sud. Un autre éclair et le tonnerre, pratiquement immédiat. La pluie tombait désormais à torrents. Le bruit était assourdissant car il résonnait partout et déjà des torrents se formaient dans les rues, dévalant les reliefs vers le point le plus bas. Le natif d’Anogaria observait cette cité qu’il rêvait de conquérir et de soumettre par la force de son ambition et de son esprit. Par la force conjuguée de sa revanche sur la vie et de la noblesse d’un ventre aristocratique. Avant de se montrer digne de son plan, il devait se rendre utile et il avait trouvé des alliés aux moyens immenses.
L’Elgrabar – la Flèche en Haut-Valyrien – résonna du vrombissement d’un nouveau coup de tonnerre, comme le cri sourd d’un Ancien. La prison était désormais achevée et se présentait sous la forme d’une large tour, imitation assumée de l’architecture de celles de la noblesse, bien que plus basse. La prison était vide en ce jour sombre car elle n’avait pas encore reçu ses premiers locataires et l’endroit était seulement verrouillé. Les sons y résonnaient, elle semblait abandonnée mais tout y était neuf. Daemon, toutefois, n’était pas seul. Une figure emmitouflée dans une pelisse noire lui donnait la réplique alors qu’ils discutaient de sacrilèges et d’affront au destin.
«
Daemon voulût sourire mais son visage restait crispé. Il n’était pas en mesure de faire de rodomontade face à cette personne qu’il savait particulièrement influente. Aussi, il connaissait son histoire et respectait le personnage.
« Je te garantis que tout se déroulera selon votre volonté. Je n’ai pas coutume de trahir mes promesses. Ma parole est d’or, ou en tout cas d’acier. »
Il avait tout de même fini par se lancer dans une petite figure de style pleine de conviction en son succès.
« Votre intermédiaire est en tout cas de grande qualité, je vois que vous ne négligez pas les détails. Je ferai en sorte de m’assurer de son extraction de l’endroit. Mais je dois vous prévenir ; ce que vous avez en tête pour le tireur ne marchera pas avec moi. »
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« Talent ou pas, je te préviens simplement. Je sais couvrir mes arrières et j’en sais suffisamment pour ne pas tout emporter dans la tombe. Mais tu n’as pas à craindre ma loyauté, je suis acquis à la cause. »
Un hochement de tête en silence, la discussion se terminait. Le message était passé. Daemon agrippait avec force le pommeau d’argent de sa canne d’ivoire. Les jointures de ses phalanges en blanchissaient tant il serrait fort pour s’empêcher de trembler. Il était pétrifié de terreur à l’idée de faire un impair fac à de tels personnages mais il devait aller au bout et prouver sa détermination. Ceux qui ne reculaient devant rien pour s’assurer la sûreté de leurs complots étaient de puissants alliés mais de dangereuses fréquentations, car ils pouvaient décider de supprimer Daemon comme ils supprimeraient leur futur tireur. Se montrer prudent était une chose qu’il avait appris jeune et il se surprenait à la mettre toujours en application ici, bien que le contexte ait largement changé.
Il raccompagna son contact à la base de la prison, jusqu’à une porte dérobée donnant sur une petite ruelle engoncée dans un dédale entre plusieurs bâtiments officiels.
« Nous prévaudrons.
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Leur salutation cryptique effectuée, le contact de Daemon s’éclipsa, ne se laissant guère impressionner par les torrents de pluie vomis du ciel. Le Tortionnaire referma la porte et la verrouilla. Alors que le silence se faisait, il revint vers l’entrée principale de la prison. Quelques traces d’eau indiquaient que quelqu’un était entré là après le début de l’orage. Il sentait une odeur de parfum sucré qui n’avait rien à faire dans sa prison. Il fronça les sourcils et sa main gauche attrapa sa canne. D’ordinaire, il s’appuyait sur la main droite, mais c’était là sa main d’épée. Il tira de son flanc ce qui ressemblait à une longue dague effilée mais qui était en réalité un glaive brisé. Faute de mieux, cela faisait parfaitement office pour l’usage qu’il souhaitait en avoir : percer un corps. Il avançait à pas de loup, retrouvant ses réflexes de soldat. Il avait égorgé plus d’un inconnu, le soir, lors d’une reconnaissance ou en prévision d’un assaut.
Là.
Il pouvait sentir la présence de l’autre côté de ce mur. Il entendait la respiration non maîtrisée. Prenant appuis sur sa bonne jambe, sa canne servant de balancer, il se projeta en avant. Désormais, il voyait la silhouette dans l’obscurité. Il visa la gorge avec sa canne pour immobiliser l’autre tandis que sa dague venait se poser sur le ventre de l’intrus.
« Toi ? Ici ? »