Tout était très calme. Sans doute beaucoup trop calme pour que chacun puisse mentalement se reposer avant le début du cauchemar. Voilà quelques jours qu'ils étaient en mer, a essuyer les aléas de la météo et les relents anxieux de ce qui les attendaient. A 21 ans, Daelarys Nadresyon avait de nouveau été envoyé au front. Depuis la trahison de Bhorash, le jeune homme n'avait presque plus quitté son embarcation. S'il ne descendait que pour ravitailler le navire ou pour prendre parfois un peu de repos, le bâtard Celaeron vivait littéralement sur les flots. En sa qualité de marin, il avait participé au ravitaillement de la cité de Tolos lorsque celle-ci fut assiégée par Ghis. Malgré les diverses batailles en mer qu'ils avaient dû mener pour passer outre le blocus, ils étaient parvenus à livrer quelques vivres. Alors, Daelarys avait vu la mort de ses propres yeux. Il n'avait pas vu de cadavres au sol, ni de tombes fraîchement creusées. Non. Il avait été témoin de scènes bien pires encore. Face à lui, des habitants de Tolos décharnés. Blancs, faibles et au bord d'une mort qui ne semblait pas vouloir venir abréger leurs souffrances, les citoyens sombraient dans la famine.
Le jeune homme eu un déclic, une décharge au fond de lui. S'il avait vu la guerre emporter certains de ses camarades au fond des flots ou parfois à ses pieds, il l'avait assimilé. Difficilement, mais il avait su le faire. En revanche, regarder droit dans les yeux des citoyens à l'agonie qui n'étaient pas responsables du conflit qui faisait rage entre les deux empires, il ne sut s'y résoudre. Face à cette scène, qu'il dut subir de nouveaux durant toute la durée du ravitaillement, Daelarys renvoya son maigre repas à terre. Son ventre se tordait, son œsophage se contractait dans une brûlure insupportable, et ses doigts s'agrippaient autant que possible contre les murs abîmés des bâtiments militaires depuis lesquels ils ravitaillaient la population. Jamais il n'en parlerait. Ni même à son père, lui qui connaissait ses peines, ses secrets, ses désirs. Cette vision là, il ne la connaîtrait pas.
Trois mois plus tard, l'heure de la bataille avait sonné. le Nadresyon était de retour, mais cette fois-ci, plus déterminé que jamais à se battre contre les troupes de la Harpies. Armé jusqu'au cou et les muscles à chaud, il attendait nerveusement. Sous ses pieds, le navire immense voguait paisiblement. Il contrastait avec la tension qui régnait sur le pont. Le bois craquait doucement, les voiles claquaient à l'unisson, et les clapotis des rames venaient compléter l'ensemble. Habituellement plus efficace sur mer que sur terre, on avait décidé d'envoyer Daelarys compléter les attaques des armées amphibies de sa trirème dirigées par le polémarque Jacaerys Velaryon. Le bâtard ne le connaissait que de nom et de parcours. Il savait que celui-ci avait 10 ans de plus que lui et qu'il s'était construit seul. Comme lui. Naturellement, il développa pour lui une sorte d'admiration toute particulière. Mais le temps n'était pas l'engouement. D'autres choses plus importantes étaient sur le point d'arriver.
Le bâtard scruta l'horizon et deux choses apparurent. D'une part, Tolos et la terre, et d'une autre part, un navire qui n'appartenait clairement pas à la flotte valyrienne. Il ajusta son armure et s'empressa de se présenter auprès du légat. Avec un respect mesuré, puisque la situation était urgente, il se courba face à lui et lui fit son rapport.
- "Cher polémarque, je suis Daelarys Celaeron, mais on m'appelle Daelarys Nadresyon. Je viens faire mon rapport." - il se racla la gorge et se redressa. La peau tannée et abîmée par le sel et le soleil témoignaient de ses longs mois passés en mer - "Nous approchons de Tolos, la terre ferme est à l'horizon. Mais nous ne sommes pas seuls puisqu'un navire se dresse à tribord. Ma vue a peut-être été diminuée par le soleil mais il me semble qu'il n'appartient pas à notre flotte. Quels sont tes ordres ?
Le Nadresyon avait beau être un simple marin, le capitaine de son navire, Gahaerys Nohaeron, lui faisait entière confiance. Malgré une expérience inébranlable, il devenait vieux et sourd par moment, si bien qu'il confia une grande partie des responsabilités de sa trirème à Daelarys. De plus, Gahaerys sentit, au fond de ses tripes, qu'aujourd'hui serait son dernier jour. Il avait prié la mer de l'emporter une bonne fois pour toutes, depuis que sa femme était morte de maladie le mois précédent. En tant que capitaine, il avait rempli son rôle des années durant, et il était temps de laisser sa place et de trouver le repos auprès de sa douce. Il espérait que les dieux lui accorderaient cette faveur.