La carte était gravée dans un bois ancien, presque noir après des décennies passées sur les flancs désolés des Quatorze Flammes. Elle était la fierté de chaque génération de Légats de la Veme depuis plusieurs siècles et chaque nouveau changement y avait été apporté avec délicatesse. Sirotant son eau coupée de jus de citron et diverses épices, Jacaerys y accordait une attention toute particulière. Un éclat poli par l'âge accrochait spécifiquement son concentration. Une touche de peinture rouge sang y avait été apposée en bas. Velos et l'île aux Cèdres. La raison même de la spécialisation de la Veme Armée et pourtant, elle lui avait failli. Telle une marque d'opprobre, Jacaerys sentait la honte l'envahir. Il n'était pas Légat lors de l'invasion de l'île et l'occupation de la colonie.
À vrai dire il n'y avait jamais mis les pieds. À peine avait-il navigué au large de ses côtes lorsque la guerre l'avait appelé à Tolos. Même lorsque, devenu Légat au siège de Meereen, il était rentré du pays ghiscari, il ne l'avait que survolée. Mysarix avait par ailleurs tiré sur ses rêves pour s'y poser. Il était vrai que l'île semblait paradisiaque avec ses cascades et falaises ainsi que les arbres dont elle tenait son nom. Pourtant, fidèle à une tradition muette, Jacaerys l'avait ignorée. Elle savait se rappeler à lui. Le regard du Légat se porta vers le parchemin demandant à le voir. En temps normal, il n'aurait même pas pris la peine de le lire, se contentant de le consumer à la lueur d'une bougie, aussitôt oubliée. Seul le devoir moral l'avait fait hésiter jusqu'à découvrir la signature apposée au bas du vélin.
Rhaenys Haeron. Lorsque la deuxième plus puissante famille de l'Île aux Cèdres demandait à voir celui qui était le protecteur de sa terre natale, il ne pouvait refuser. D'autant plus qu'il avait échoué dans son serment aussi bien que tant que Polémarque des Premiers que Légat. Fort heureusement, Jacaerys connaissait la belle Rhaenys pour avoir en partie mené l'expédition qui avait libéré Tolos. Elle lui devait également une dette morale. La confrontation avec la famille de Naehrys s'avérerait bien plus ombrageuse. Non la convocation l'inquiétait pour deux raisons: la première était le caractère de la matriarche. D'une volonté indépendante, déterminée et surtout agressive, elle était aux antipodes de Jacaerys. S'il n'était pas entièrement intimidé, il préférait ne pas s'y frotter. De plus, elle était intimement liée à la Faction Rouge. Jacaerys n'avait pas encore eu de contact avec celle-ci et ne la portait pas dans son cœur. Au moins, ne l'avait-elle pas convoquée aux thermes, autrement ce n'était pas la chaleur qui l'aurait fait fondre.
***
Lorsqu'il se présenta enfin aux portes de l'hôtel particulier des Haeron, l'après-midi touchait à sa fin. Le Légat espérait ainsi hâter l'entrevue et quitter la demeure de Rhaenys avant la nuit tombée sous couvert de respecter les règles militaires. La matriarche ne serait certes pas dupe que son rang de Légat lui permettait de se déplacer même à l'heure du hibou, mais il se devait bien de tenter Balerion de temps à autre. Entrant dans la cour du bâtiment, il sauta de salle, gratifia Joggo d'une caresse avant de se diriger vers le serviteur.
"Je suis le Légat Velaryon. Ta maîtresse m'a demandé à te voir, amène-moi."
Ce fut un véritable officier de la Veme armée qui fut présenté à Rhaenys. Rasé de près, ses cheveux bouclés flottant au rythme de ses pas, Jacaerys endossait fièrement sa cuirasse en bronze ainsi qu'une jupe cloutée et des sandales montantes. Si l'épée andale, en lieu et place du glaive, trônait à son ceinturon, il ne portait aucune arme. Il portait comme tout bijou une broche à son col, un triton surgissant d'une vague stylisée et son casque sous le bras. Saluant vaguement la matriarche, les mâchoires serrées, il se présenta :
"Jacaerys Velaryon, Légat de la Veme Armée. Tu as demandé à me voir Rhaenys Haeron. Je ne puis te faire la grâce que d'une rapide entrevue avant que la nuit ne tombe. Quelles étaient les raisons de cette.. Convocation ?" conclut il sèchement.