Daera adorait le théâtre comme un mendiant adore le pain qu'on lui donne après des journées sans ressentir de satiété. Elle en était tellement amatrice qu'elle demandait à une servante de lui écrire chaque nouvelle pièce qui passait à l'amphithéâtre afin qu'elle puisse ensuite la lire en rentrant du Sénat. Plus jeune, elle adorait rester cacher pour observer les acteurs se préparer et incarner des personnages dramatiques. En les observant s'agiter sur scène, mourir, s'embrasser, s'enivrer, elle avait l'impression de vivre à travers eux. Elle avait l'impression de vivre ces aventures dont elle rêvait le soir en rentrant au bordel. Depuis, cette passion ne l'avait jamais quitté bien que le Sénat avait réussi à la rendre incapable la plupart du temps à assister en personne à ce genre de représentations. Ce soir cependant, elle avait décidé de libérer sa nuit pour s'y rendre. Il faut dire que la représentation était exceptionnelle ; un des plus grands dramaturges de Valyria venait présenter sa nouvelle pièce au public, elle avait même reçu une invitation pour s'y rendre de l'auteur lui-même. Elle avait ri comme une jeune fille après avoir lu le parchemin. C'était une de ses pièces qu'on lui avait fait lire pour la première fois à voix haute quand elle apprenait à lire, elle avait essayé de prendre la voix des acteurs faisant rire les gens autour d'elle. Elle s'était même entraîné des jours entiers pour avoir le bon ton, les bonnes expressions. Sa mère l'avait observé d'un air appréciateur avant de la prendre à part, un soir alors qu'elle révisait toujours le texte. Elle avait soulevé son menton pour qu'elle la regarde dans les yeux et lui avait chuchoté dans le noir "La vie est une pièce de théâtre, mon cœur, sois sûre de toujours être la meilleure actrice". L'enfant qu'elle était n'avait pas compris, pour elle cela n'était qu'un jeu, mais plus tard elle avait compris. Elle avait alors perfectionné ses talents d'actrice pour que personne ne voie les craquelures de son armure au Sénat.
Ce soir, elle avait perfectionné son armure ; prenant une de ses robes simples, mais aux tissus précieux et chatoyants d'un blanc nacré. Elle avait relevé ses cheveux en un nœud de tresses et avait laissé quelques mèches cascader dans son dos librement si bien qu'elle pouvait les sentir effleurer sa peau. Elle avait pris un châle bleu pâle qu'elle regarda un instant, l'effleurant du bout des doigts. Il commençait à délaver comme s'il se mettait à refléter sa façon de penser, son début d'indépendance de la faction bleu. Elle hésita un moment avant de ranger le tissu et d'en prendre un autre, plus violet et agrémenté de quelques broderies dorées. Elle le noua sur ses épaules et se dépêcha de sortir de sa demeure pour se déplacer jusqu'à l'amphithéâtre. À mesure qu'elle avançait, les gens s'écartaient pour lui laisser le passage, ne pouvaient s'empêcher de la quitter des yeux. Elle avait l'habitude désormais, d'être comme une nouvelle espèce pour eux bien que cela la rende toujours légèrement nerveuse. Elle connaissait un autre homme qui avait hérité d'un tel respect et il était mort lors du mariage de ses enfants. Dans les yeux de ces gens, néanmoins, elle ne voyait que de la reconnaissance. Après tout, cette soirée n'aurait pas été possible si le couvre-feu avait toujours été là. L'amphithéâtre n'aurait pas pu être illuminé de ses flambeaux, ses abords n'auraient pas pu être remplis d'une foule et de rires. Peut-être était-ce pour la remercier que le dramaturge avait voulu l'inviter. Elle adressa quelques sourires à certains des gens qu'elle reconnaissait de la marche qu'elle avait effectué jusqu'au Sénat et avança silencieusement à la lueur des bougies qui entouraient le bâtiment. Elle monta quelques marches et ayant un peu de temps, elle passa d'alcôve en alcôve pour observer Valyria de nuit, toujours aussi belle et lumineuse qu'en pleine journée.
En passant devant l'un d'eux, elle remarqua alors une ombre qu'elle connaissait seulement de nom et de vue. Jaekar Veltheon était là. À bien des égards, ils étaient semblables après tout, il était lui aussi un bâtard n'ayant pu s'élever que grâce à une partie de sa naissance et à sa volonté d'être enfin respecté. Comme elle, il ne méprisait pas le peuple et aimait l'art apparemment. Comme elle, il venait d'une famille noble, modeste et avait été recueilli par un père qui l'avait choyé et formé. Jaekar était un charmeur, elle l'avait vu avec tant de femmes qu'elle ne pouvait les compter et avait tellement entendu de ses prouesses qu'elle avait l'impression d'avoir déjà vécu une aventure avec lui. C'étaient toutes ces raisons qui l'avaient poussé aussi à prendre du temps ce soir. Elle avait espéré le croisé à cet événement et lui faire une proposition, mais avant cela, elle voulait au moins lui parler et voir si leurs intérêts pouvaient converger. Contrairement à la plupart des femmes de la capitale, elle était immunisée à son charme et ne voyait en lui qu'un être qu'elle voulait voir triompher parce que si lui le pouvait alors elle le pouvait certainement. Elle prit une légère inspiration, respirant l'odeur sucrée qui régnait. Elle se mit contre le mur de l'alcôve, en face de Jaekar et lui adressa un sourire.
« Jaekar Veltheon, je ne te savais pas amateur de tragédie ?»