Marché Aux Etoffes, Cité de Valyria ֍ Deuxième Mois de l'An 1066
« Tu entends ça, Haedar ? Ferme les yeux, et écoute... c'est tout Valyria qui chante à présent ! » Les paumes à plat sur le balcon qui ornait sa chambre des grands appartements privés de Drivo, Naerys irradiait. Enroulée dans une simple toge de nuit blanche, les cheveux croulant librement dans son dos et les pieds nus, sa poitrine se soulevait au rythme de plus en plus frénétique de la clameur qui montait depuis les quatre coins de la ville. Tout son être chantait, lui aussi, criait même, car c'était comme s'il se remettait à vivre. Bien que la vie à Aquos Dhaen n'avait rien d'un purgatoire, rien ne pourrait jamais égaler la sensation enivrante d'être en plein cœur battant de la capitale. Depuis la haute flèche, elle surplombait de plusieurs mètres les milliers de toitures et ruelles, qui s'activaient plus encore qu'à l'accoutumée. Inspirant une profonde bouffée d'air, Naerys rejeta la tête en arrière et se mit à rire : d'abord doucement, puis de plus en plus fort et jusqu'à gorge déployée, ouvrant les bras comme Selarya ses longues ailes majestueuses. D'ailleurs, à l'appel de sa maîtresse, la dragonne argentée tournoya au dessus d'elle avant de planer à quelques centimètres de sa main, nichant sa tête aux écailles douces contre sa peau blanche. « Toi aussi, tu l'entends, n'est-ce pas ? Ce sont tous tes frères qui vont revenir, eux aussi... » Selarya lui répondit d'un cri puissant. Elles étaient, tout comme le reste de la famille Arlaeron, arrivées du Palais d'Argent la veille. Une lettre de Lucerys leur avait appris l'heureux dénouement du conflit et leur intimait de se rendre d'ores et déjà à Valyria. Naerys en tête. C'était comme si elle n'avait fait qu'un sa dragonne, moulée du même appétit de quitter la douceur d'Argent pour les tumultes de la Flamboyante.
« Moi, je n'entends que ton rire, Rōva Mandia, et c'est là tout le chant dont j'ai besoin ! » Le sourire éclairant toujours vivement son visage, Naerys se retourna vers sa demi-sœur. Baptisée "Joie d'Argent" il y a peu, il n'aurait pu en être autrement ; les quatre années écoulées l'avaient fait grandir plus rapidement et pourtant, bien que sortie brutalement de l'enfance, Daerys avait gardé intacte sa bonne humeur et sa douceur. Un rayon de soleil dans un ciel parfois bien trop sombre, et qui avait plus d'une fois manqué de lui faire oublier que leur devoir sacré, à tous, était de vivre. Elle s'élança alors vers elle et l'enferma dans ses bras en déposant un doux baiser sur son front. « Je serais perdue sans toi... Je ne remercierai jamais assez les Dieux de m'avoir donné un tel trésor pour sœur et amie ! » Elle sentit Daerys sourire contre sa peau, et nicher un peu plus sa tête au creux de son sein. « En parlant d'amie et de Dieux à remercier... Il y en a une autre qui risque de t'attendre désespérément aux temples si tu ne te décides pas promptement à aller te faire habiller ! » Naerys leva les yeux au ciel. « Pitié, pas de ce ton-là avec moi, on dirait ta mère ! » Daerys se mit à rire. Après un dernier baiser sur ses cheveux, Naerys appela ses femmes et se dirigea vers la petite pièce qui servait de bains pour commencer sa toilette. Entre leurs mains, elle réfléchit à la manière qui leur permettrait, à elle et à la fameuse amie, d'expédier le plus rapidement possible leurs offrandes aux Dieux pour se concentrer sur une activité autrement plus agréable ! Car qui annonçait le recours des héros annonçait fête. Et personne ne verrait Naerys Arlaeron rater une telle occasion pour se faire faire les dernières créations à la mode !
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« J'ai cru que cela ne finirait jamais ! » Escortées de quatre Jurés d'Argent, bras dessus et bras dessous en compagnie de Daenerys Maerion, Naerys porta une main gracieuse à son front, comme si elle était sur le point de s'évanouir. « Je sais que ta mère est une sainte, petit chat, mais je croyais qu'il était question d'une visite pieuse de courtoisie et non d'une entière croisade ! » En effet, Vhaenyra Maerion ne les avaient ni plus ni moins guidées durant toute la matinée au quatorze temples que comptait la ville pour y déposer fleurs et victuailles, tissus et talismans, le tout en scandant prières et mélopées d'une voix grave et solennelle. De quoi ruiner sa bonne humeur, et qui avait finalement eu raison de sa patience. Prétextant une vapeur et le besoin quasi vital de savoir la jeune fille auprès d'elle, Naerys avait réussi à leur épargner une procession jusqu'au Glaeron où déjà, on installait le décors du prochain Triomphe. Le Triomphe ! Un grand évènement qui accueillerait en grande pompe les guerriers partis depuis quatre ans. Parmis eux, le frère de Daenerys - Aerys Maerion, que Naerys connaissait au moins depuis aussi longtemps que son propre frère, Laedor. Et en fin de compte, c'était bien la perspective de le revoir, enfin, lui plus que n'importe quel autre seigneur-dragon qui lui important. Son frère, son amant, son promis, allait revenir. L'une de ses dernières lettres lui avaient appris qu'il avait bien failli mourir lors des combats, et qu'il devait la vie à un compagnon d'armes, auquel il avait également rendu la pareille. Laedor. Le revoir enfin, le toucher enfin ! Pour un peu, elle en aurait pleuré ! Au lieu de cela, elle entraina sa jeune compagne dans l'une des ruelles qui faisait aujourd'hui étalage des derniers imports de tissus. « J'ai déjà ma robe pour le Triomphe, celle que Laedor m'a offerte avant de partir. Tu verras, c'est un pur bijou - blanche et or, comme les tenues dont on drape les jeunes filles pour le Rêve de Meleys. Elle vient d'Asshaï et elle lui a coûté une fortune. Il m'a fait promettre de la porter à son retour. Tu te rends compte, après quatre ans... Et toi ? Tu as des nouvelles d'Aerys ? »