C’était un euphémisme que d’affirmer que la journée avait pris un tournant qu’Enoria n’aurait pu anticiper. Elle était pourtant une femme prévoyante, c’était là l’essence même de sa mission – et de sa survie. Pourtant, alors qu’elle se trouvait à présent partiellement dénudée, courant pour sa vie dans les boyaux inégaux et menaçants des sous-sols de la cité de Valyria, elle crut appréhender ce que l’on appelait l’humour du destin. Sans doute était-ce là une manière de lui rappeler qu’elle n’était qu’un être de chair et de sang, et qu’il suffisait d’un court instant pour qu’elle ne soit plus rien du tout.
Après l’intermède forcé qui avait réduit la distance entre le petit groupe et les choses élancées à leur poursuite, ils avaient repris leur course folle. Il fallait à présent être réalistes, il n’y avait que peu de chance pour eux de s’en sortir intacts. Peut-être était-ce le fruit de son imagination, mais il semblait que malgré une vitesse tout à fait honorable, Enoria ne parvenait plus à distancier le danger. Elle le sentait presque respirer dans le creux de son cou. A moins qu’il ne s’agisse de Jaekar.
Ils débouchaient enfin sur quelque chose. Le soulagement de voir l’espace s’élargir fut de courte durée et trouva un digne successeur dans le désespoir qui survint à la vue des différentes options qui s’offraient à eux. Un premier chemin, face à eux, semblait capable de les envoyer rejoindre le royaume des morts en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire. Un second chemin, moins inquiétant, était cependant plus petit et entièrement recouvert d’une couche verdâtre que, bien qu’elle ne sût pas l’identifier précisément, Enoria n’avait guère envie d’observer de plus près. Les choses, cependant, semblaient tout à fait ravies à la perspective d’observer Enoria et ses compagnons de plus près. Il s’en fallut de peu, de très peu, pour que l’une d’elle n’emporte définitivement Hordar dans son sillage, sans doute faudrait-il donner un nom à cette chose s’ils étaient amenés à la côtoyer davantage, voir à être dévorés par elle. Jaekar laissa échapper un rire et si Enoria eut immédiatement l’envie irrépressible de le frapper à l’entente d’un tel rire alors même que la chose tournait son visage (si on pouvait appeler ça comme ça ?) vers Hordar, et indirectement vers Enoria qui se trouvait exactement entre lui et Jaekar.
« Je ne suis pas sûre de saisir les raisons de cette hilari… »
Enoria notait dans le coin de sa tête qu’il lui faudrait expliquer à Jaekar que non, elle n’était pas une poupée de chiffon. Elle ne s’en plaindrait cependant pas aujourd’hui, puis le jeune homme était parvenu à ouvrir la porte, et qu’il avait décidé qu’Enoria serait la première à être mise à l’abri des choses qui, visiblement déterminées, continuaient à tenter d’atteindre Hordar. Mise à l’abri… C’est ce que pensa Enoria au départ, mais alors qu’elle avançait dans le couloir dans lequel elle avait été jetée, rapidement rejoint par Jaekar et Hordar, elle comprit qu’ils venaient peut-être simplement d’allonger la liste – déjà conséquente – de leurs problèmes.
« La porte ne se referme pas ! Les choses vont nous avoir ici... Il n'y a pas une autre porte ? »
Déjà glacée par les sons et murmures qui semblaient habiter ce lieu, Enoria n’avait guère d’espace mental disponible pour s’inquiéter d’une mort prochaine. A vrai dire, ils allaient probablement y passer. S’ils n’étaient pas dévorés par les choses à leurs trousses, peut-être ce qui hantait ces lieux se chargerait du sale boulot. Peut-être même, et c’était une autre perspective joyeuse à ajouter, finiraient-ils simplement par mourir de faim et de soif ici. Ce tombeau serait leur tombeau.
« Sérieux, c'est la poisse ! Fouillez les coffres et les meubles, on trouvera peut-être quelque chose pour repousser ces monstres. Je vais continuer de garder un œil sur l'entrée pour les empêcher d'arriver jusqu'à nous si elles voulaient tenter leur chance... »
La poisse. Oui, un euphémisme, encore. Il fallait à présent se reprendre. Ils allaient mourir, d’accord, mais pas sans résister. Si les choses voulaient les dévorer, si les esprits voulaient les supprimer, si la faim voulait les emporter, d’accord, mais tous ces ennemis allaient devoir les mériter. Enoria se mit ainsi à chercher, chassant la poussière des meubles et coffres pour guetter des inscriptions et tentant d’en ouvrir certains, avec plus ou moins de chance. Peut-être trouveraient-ils quelque chose pour se défendre à minima, des armes, des projectiles, même une cuillère en bois ferait l’affaire.
« Tiens Enoria. Prends ma cape pour te couvrir. Elle risque de me gêner si jamais je dois me battre. »
« Très chevaleresque, mais si je peux me battre en robe, tu peux te battre en cape. »
En revanche, se battre avec une robe déchirée et une cape équivalait à rendre les armes avant même de les prendre. Enoria connaissait le concept de pudeur, il pouvait être utile, mais il ne servait pas à grand-chose lorsqu’il s’agissait de sauver sa vie. Elle aurait bien le temps de réquisitionner la cape du jeune homme lorsqu’ils seraient sauvés et retournés à la surface (s’ils la retrouvaient un jour). La porte était ouverte, et bientôt ce qui était déjà à l’intérieur serait rejoint par ce qu’ils avaient quitté à l’extérieur de cette pièce. Enoria passait d’un meuble à l’autre, d’un coffre à l’autre, elle posait ses mains sur les murs, tentant d’y déceler des signes, des aspérités, quelque chose qui lui permette de déceler une issue. Le tombeau était scellé, et elle n’était guère sûre de vouloir qu’il soit ouvert, mais peut-être y avait-il en son sein quelque chose d’utile ? Elle s’en approcha, tentant sans grande conviction de pousser la stèle qui venait en fermer l’accès, avant d’abandonner sans trop d’acharnement.
« Je ne suis vraiment pas certaine d’avoir envie d’ouvrir cette chose… »
- Spoiler:
- Foutu pour foutu... Entre 5 et 6 ?