La soirée était belle à Valyria. Elles étaient toutes belles, selon Aerys, mais celle-ci avait une atmosphère particulière. Le ciel était dégagé et la voûte étoilée semblait encore plus intense que d’ordinaire. Depuis son retour dans la capitale des dragons, le cadet Maerion ne se lassait pas des plaisirs qu’offrait la vie valyrienne. Il avait couru toutes les orgies de la capitale et enchaîné à un rythme effréné les fêtes et couru les tavernes au grand dam de son père qui, malgré tout ce qu’il avait à penser, continuait à surveiller son fils. S’il avait été décrété qu’Aerys prendrait davantage de responsabilités au sein du réseau Maerion, cela restait encore à démontrer. Dans les faits, Aerys rongeait son frein en attendant de prendre une part plus active dans la gloire familiale. Il essayait surtout d’occulter tout ce que le retour à Valyria avait réveillé.
Aerys était toujours éclaireur dans la troisième armée et, s’il profitait d’une permission bien méritée, il y avait fort à parier qu’il devrait bientôt retourner aux affaires militaires… A moins que son père ne lui offre quelque chose digne de retenir son intérêt. Il n’avait plus que cela. Arraxios Maerion, Lumière de Sagesse et guide des Valyriens dans ce conflit qui s’était achevé récemment, n’était pas un père facile, mais il était écouté par sa progéniture. Aerys était loyal, à outrance peut-être, mais loyal. Aussi, quand le puissant seigneur-dragon qu’était son paternel lui avait demandé de réserver sa soirée, il avait accepté sans moufter. Jaehaegaron était sans doute à une soirée où se mêlaient la plupart des grands héritiers de Valyria, et il croyait comprendre que Mère et Daenerys étaient à la présentation d’une vaste collection d’œuvres rassemblées par Vhaenyra pour célébrer la victoire. Pour tuer le temps, il s’était résolu à s’entraîner. Il travaillait son jeu de jambes et ses parades avec le maître d’armes de la maison : un ancien soldat, un homme d’expérience qui avait longtemps servi son père dans les ruelles et qui avait jadis eu la réputation d’être un sbire redouté parmi les ennemis des Maerion. Maintenant âgé, il avait été promu par Père au service exclusif de la famille et l’homme, quoiqu’encore très capable, avait accepté avec reconnaissance. En le sortant de la rue et en le recrutant à ses côtés, Arraxios avait démontré qu’il était un homme attentif aux siens et à ses gens.
« Allons Aerys, tu m’as habitué à mieux ! Montre-moi que tu n’es pas un fils d’unijambiste, avec tout le respect que je dois à ton cher père ! »
L’homme n’avait peur de rien, mais c’était cela qui plaisait à Aerys. Vêtu d’une tunique beige à liseré bleu clair, il faisait tournoyer son glaive court en contrant les différentes attaques de l’ancien tueur. Coup à droite, coup à gauche, nouveau coup à gauche, feinte au centre, attaque verticale, hop. Sans être un héros du corps à corps, Aerys se débrouillait bien et plusieurs années de conflit en avaient fait un vétéran accompli. Le maître d’arme pouvait être railleur, il n’en restait rien d’autre qu’aucune attaque n’avait franchie les défenses érigées par Aerys. Ils s’exerçaient depuis une bonne demi-heure sur l’une des vastes terrasses du Castel, avec une vue imprenable (« la meilleure », se vantaient les Maerion) sur Valyria. Assoupi dans un coin, Mythrax surveillait d’un œil entrouvert l’entraînement. Le petit dragon améthyste avait presque l’air d’un – certes imposant – chat endormi, à moitié roulé en boule, enveloppé dans sa queue, les ailes repliées comme pour le protéger. La créature connaissait suffisamment son maître pour savoir quand il s’entraînait.
« Tu te fais vieux, mon cher ! Tu attaques comme une pucelle ! Peut-être devrais-je reprendre l’initiative. »
Il attendit une confirmation de son opposant, un simple signe de tête en l’occurrence, et il débuta son attaque avec soin. Il se rappelait toutes les leçons apprises ici, et toutes les autres, mortelles, qu’il avait reçues durant la guerre. Il commença par échauffer son adversaire avec quelques attaques classiques. Un coup latéral sur sa gauche, une attaque d’estoc et un coup latéral du bas droit vers le haut gauche, sans succès, tous parés efficacement. La pique ne tarda pas à tomber.
« Eh bien jeune Aerys ! Si tu as pu abattre les fiers légionnaires de Ghis avec des attaques aussi prévisibles, je m’étonne que vous ayez mis cinq ans à revenir ! »
Aerys se mit à sourire. Touché. Il n’avait connu aucun adversaire aussi coriace qu’un légionnaire ghiscari, entraîné, équipé et soldé durant tout un service. Si l’armée valyrienne n’avait pas à démériter, aucune armée du monde n’égalait la tactique ghiscarie. Tolos et Mantarys s’en souvenaient encore. Aerys sentit un regard peser sur son épaule et il sentit Myhtrax se tendre. Il ne s’en préoccupa pas et utilisa quelques bottes élaborées et plus compliquées. Certaines provenaient directement des Ghiscaris qu’il avait combattus. Sur ces enchaînements compliqués et inattendus, le vieil homme finit par trébucher et tomba le postérieur par terre dans un éclat de rire. Haletant et transpirant, Aerys lui tendit une main pour l’aider à se relever. Ils se congratulèrent chacun pour leurs performances et le maître d’armes lui fit signe de regarder. Sur la terrasse qui surplombait la leur, Père et son invitée les observaient. Un grondement sonore résonna dans la gorge de Mytrhax qui se réveilla et redressa la tête, dévisageant la jeune femme d’un air peu sympathique. Tandis Père et cette charmante apparition descendaient l’escalier de marbre blanc qui les mènerait à hauteur d’Aerys et du maître d’armes, ces derniers profitèrent du répit pour rapidement se débarbouiller et évacuer le trop plein de transpiration.
Lorsque leurs deux visiteurs posèrent le pied sur la terrasse et qu’ils se dirigèrent vers Aerys et son compagnon, Mytrhax se planta derrière son maître et poussa un rugissement menaçant dévoilant une rangée de crocs acérés. Un cri bien plus fort, bien plus rauque, fit vrombir l’air et résonner les cœurs alors que l’énorme créature d’Arraxios survolait la terrasse dans une bourrasque digne d’un ouragan. Le grand dragon du patriarche faisait clairement signifier à son inférieur de ne pas menacer son maître : Père. Il suffit d’un simple échange de regards entre Arraxios et sa créature pour que cette dernière s’éloigne d’un battement d’ailes et disparaisse derrière un piton rocheux, sans doute pour surveiller la rencontre de loin. Les pupilles légèrement dilatées, Myhtrax restait très méfiant, ne lâchant pas la jeune princesse du regard. Il fallu qu’Aerys se tourne vers lui, lui flatte l’encolure et qu’il lui murmure quelque mystique formule en valyrien pour que le dragon se calme. Ses écailles s’agitèrent de méfiance mais il retourna se coucher dans son coin, l’air attentif à la suite. Arraxios s’avança, présentant son invitée.
« Aerys, pourrais-tu tenir cette bête et saluer dignement Son Altesse Princière Enoria ? Pardonne-lui princesse, il est difficile de tenir inactifs de jeunes gens comme vous êtes. »
Aerys connaissait vaguement Enoria pour lui avoir adressé la parole plusieurs fois durant les festivités qui avaient eu lieu à la suite du Triomphe. Il congédia son maître d’armes d’une tape sur l’épaule et s’avança vers les deux nouveaux arrivants. Il nota instantanément que l’œil de Père luisait d’une lueur particulière : il avait quelque chose en tête et Aerys nota cette information avant de s’incliner devant Enoria avec une révérence toute protocolaire. Il saisit avec délicatesse la main à la peau douce de la princesse, sans trop savoir si elle la retirerait et lui offrit un baisemain qui aurait ravi Mère si elle avait pu voir qu’il était capable d’interactions sociales dignes de son rang. Lorsqu’il releva les yeux, il plongea ses disques violets dans le regard de la native du royaume de Sarnor.
« Princesse Enoria, c’est un plaisir et un honneur que de te voir en ces murs vénérables. Sois la très bienvenue au Castel Maerion. Et pardonne-moi pour cet accueil en tenue bien pitoyable. »