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Daenyra Tergaryon
Daenyra Tergaryon
Dame-Dragon

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Whatever our souls are made of, his
and mine are the same

feat. Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

Une merveilleuse sensation de paix envahit Daenyra dans toute sa chair et dans tout son être à présent qu’elle franchissait les portes du palais Hoskagon. Elle éprouva la quiétude d’un silence intérieur qui apaisa les maux cinglants qui frappaient son crâne. Ayant retiré ses sandales, elle se délecta du contact froid du marbre sur ses pieds nus et endoloris. Il n’était pas dans ses habitudes de si longues heures à rester debout, presque immobile à chaque fois, ou à simplement piétiner d’une pièce à l’autre. Les prouesses de danse d’Elaena avaient toujours le don d’impressionner sa cadette qui comprenait difficilement par quel miracle l’épuisement n’avait pas raison d’elle presque avant l’aube. Car, autant que cela lui était possible, le petit oiseau s’épargnait l’agitation de la piste de danse.

Pour sa part, il lui avait fallu se retirer à mesure que la fête se revêtait de ses atours les plus dépravés et les plus fiévreux. Ces réjouissances demeuraient de singulières épreuves, la confrontant au capharnaüm épuisant de l’agitation de toutes ces âmes. Il fallait subir les vanités, les mensonges, l’hypocrisie, les vices, les horreurs de tous ces êtres qui flottaient dans cette valse infernale de sembler et de paraître. Daenyra ne lisait que trop clairement les porosités de l’esprit, le mal qui se cache dans les coins les plus reclus, les fêlures et les dangers. Toutes ces subtilités épuisaient ses maigres forces et elle ne s’était pas sentie d’affronter les sensations troublantes qui transperçaient chaque fibre de son être. Le désir, l’attrait des corps, l’extase dans sa plus pure matérialisation. La jeune fille préférait s’effacer, ressentant un malaise qui lui asséchait la bouche, qui enivrait sa tête comme le plus fin des breuvages et qui excitait le palpitant à sa poitrine. Dans la plus grande des discrétions, Daenyra s’était éclipsée après avoir prévenu sa sœur de son départ. Elle aurait préféré rester à ses côtés, mais l’oiseau demeurait lucide quant à ses capacités. Si elle se forçait à combattre ses faiblesses, elle ne serait que plus vulnérable au lendemain. Et alors, elle ne pourrait suivre son aînée dans ses prochains périples et lui offrir toute l’assistance et la protection dont elle pourrait avoir besoin.

Ainsi, les soirées se tissaient de la sorte. Daenyra restait aux côtés d’Elaena autant que ses maigres ressources le lui permettaient. Elle s’assurait que l’entourage était convenable, qu’aucune menace ne serait à pressentir. Elle estimait les intentions des convives, sollicitant parfois ce don avec trop d’avidité. Sa bouche conseillait l’oreille de sa sœur lorsque cela était nécessaire, ou se taisait simplement. Mais quand l’étourdissement de la fête venait à affecter sa concentration et ses capacités, elle s’empressait de quitter les lieux et de retourner se ressourcer dans le palais déserté de Hoskagon.

Daenyra profita du contact salvateur de la pierre fraîche sous ses pas qui se dirigeaient lestement vers ses appartements. Elle ne croisa que quelques serviteurs occupés à leur propre besogne qu’elle salua comme elle en avait l’usage. Dans l’intimité de sa chambre, elle se débarrassa des atours dont elle avait été sertie et qui n’étaient guère de son goût. Plus libre, plus légère, plus elle-même. Ce ne fut qu’après s’être rincé le visage avec bonheur dans l’eau fraîche et parfumé qu’elle trouva le chemin de la grande bibliothèque. L’oiseau s’empara d’un chandelier pour s’ouvrir le passage vers le lieu qui conférait le mieux ses forces. L’odeur merveilleuse du papier et du cuir l’accueillit telle une vieille amie. Pourtant, Daenyra n’arpentait ces nombreux rayonnages que depuis peu, ayant durant longtemps établi son nid entre les livres du palais de l’Archonte. Un monde splendide s’était offert à elle, riche de tant de savoirs nouveaux, d’écrits inédits à ses yeux émerveillés et de connaissances à approfondir. Elle s’égayait de nourrir son esprit toujours plus fécond, plus avide, plus curieux. Il lui semblait que toute l’énergie dont elle avait été vidée précédemment venait refluer dans ses veines à mesure que ses prunelles affamées parcouraient les lignes des ouvrages et des parchemins.

Elle ne sut combien de temps elle resta là, à abîmer sa bougie dans la fièvre de sa lecture, mais un sentiment bien particulier vint lui serrer les tripes. Elle ne pouvait ignorer d’où cela provenait, ni même de quel cœur ce chant de désespoir hurlait. Cette complainte saignait sa chair depuis quelques temps déjà sans qu’elle ne puisse rien y faire.

La jeune fille rangea précautionneusement le livre emprunté avant de quitter l’antre sublime de la bibliothèque. Naturellement, ses sens la guidèrent à travers les couloirs jusqu’aux appartements de sa sœur. La lumière jaillissait, timide, depuis l’entrebâillement de la porte. Des bruits étouffés se faisaient également entendre. Les pas de la Dame-Dragon dans sa propre caverne. L’oiseau se décida à marquer son entrée d’un léger coup à la porte avant de glisser un pas à l’intérieur. « C’est moi, Daenyra. » Le trouble fut plus vif encore, comme un étau sur le cœur. Une machine infernale dont les rouages ne peuvent être interrompus. « Comment s’est terminé cette soirée ? J’espère que tu n’as pas fait trop de bêtises. » s’amusa-t-elle avec un sourire complice. Cependant, elle ne pouvait ignorer les cris de détresse qui jaillissaient des entrailles muettes de sa sœur. « Quelque chose trouble ta quiétude, n’est-ce pas ? » La question était toute rhétorique. Elaena ne pouvait mentir aux dons de sa cadette. « Cela concerne Maeker… » Le ton n’était plus à l’interrogation mais à la constatation. Au départ, il lui semblait que cette souffrance qui vibrait chez la Sénatrice provenait des maux qui affligeaient sa famille, de la menace qui pesait sur eux telle une ombre perfide, du poids du devoir qui pesait sur ses épaules. Daenyra admettait s’être fourvoyée. Le mal était dans le cœur. Vicieuse et indomptable faiblesse de l’homme.


Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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feat. Daenyra Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

Une fête de plus. Elaena n’aurait jamais imaginé en venir à redouter de se rendre à une célébration tant elle y était à son aise, dans son élément. Des enfants Tergaryon, Elaena avait toujours été la plus mondaine. Aenar avait sans doute été le plus proche de la jeune femme en termes de caractère. Il avait été élevé pour briller. Il était né premier fils, premier enfant, et à ce titre lui revenait la responsabilité de porter le nom des Tergaryon mais également leur prestige et leur influence. On pouvait bien en penser ce que l’on souhaitait, mais une influence politique solide et pérenne à Valyria n’allait pas sans une implication mondaine. Il y avait bien sûr ceux qui avaient été bénis d’autres talents, notamment martiaux, et qui tiraient leur épingle du jeu du fait de leurs prouesses militaires. Pour les autres, il fallait user d’un savant mélange de stratégie, intrigues et paraître. Aenar Tergaryon avait toujours été excellent à ces jeux là. Il n’en aurait guère fait étalage mais il n’était guère secret d’Aenar avait longtemps été la coqueluche des soirées valyriennes.

Elaena, elle-même, n’avait pas démérité et s’était forgé la réputation d’être une excellente invitée lorsqu’il s’agissait de donner une fête éclatante. Il n’y avait pas une musique qu’elle n’honorait pas de quelques mouvements gracieux de danse. Il n’y avait pas un vin qu’elle ne goutait pas, ni un banquet qu’elle boudait. Elle se mêlait d’ailleurs bien volontiers au jeu classique des échanges entre jeunes gens, soufflant le chaud et le froid avec toujours cet humour piquant qu’elle pouvait se permettre du fait de son appartenance à une grande famille.

Pourtant, dernièrement, les fêtes étaient devenues plus difficiles à gérer. Il ne s’agissait plus seulement de s’amuser et de briller comme on le lui avait toujours demandé. A présent il s’agissait de parler politique, de parler à certaines personnes en priorité pour resserrer des liens mis en difficulté par les hauts et les bas de la vie politique. Il s’agissait également de se comporter en accord avec ce que la société attendait d’elle. Les premiers mois, la relation exclusive qu’elle et Maekar avaient affiché avait fait se soulever quelques sourcils. A présent, l’entêtement des deux à ne pas se mêler aux autres lors des parties les plus charnelles des célébrations était ouvertement critiquée et réprouvée. Qu’y pouvaient-ils après tout s’ils ne souhaitaient que l’un et l’autre ? Seulement, Elaena était fatiguée. Elle était fatiguée de toujours devoir trouver une parade aux multiples propositions qui se voulaient légitimes, ou encore de devoir expliquer aux conseillers qui se risquaient à évoquer le sujet que non, elle n’était pas encore prête.

Ainsi, elle trouvait des parades, plus ou moins intelligentes et efficaces. Et lorsqu’elle rentrait enfin au palais Hoskagon, elle était plus épuisée encore d’avoir dû jouer au chat et à la souris pour sauver les apparences. Cette soirée-là avait été particulièrement éprouvante. Il lui avait fallu deviser longuement avec un sénateur de la faction civiliste qui semblait déterminé à la convaincre sur un sujet qui ne l’intéressait pas le moins du monde. Elle avait, bien sûr, dansé et brillé, mais après quelques heures le cœur n’y était plus. Elle n’avait dû son salut qu’à Daemor Bellarys qui l’avait sauvé, héroïquement, des griffes de son homologue civiliste. C’est au bras de Daemor qu’elle avait continué la soirée, persuadée que la figure de celui-ci aurait au moins pour effet de dissuader d’autres jeunes hommes de se risquer à lui proposer une fin de soirée plus animée en leur compagnie.

Alors qu’elle passait les grandes portes de l’entrée du palais, elle ôtait ses chaussures, marchant pieds nus sur le marbre froid des grands couloirs qui desservaient plusieurs appartements. Les deux branches de la famille Tergaryon se retrouvaient unies sous ce toit. Le simple fait de marcher ainsi, frissonnant à chaque nouveau contact froid sur la peau de ses pieds, lui mit du baume au cœur. C’était une habitude que Daenyra et elle avaient prise lorsqu’elles rentraient en pleine nuit. Il était rare que Daenyra parvienne à rester aussi longtemps qu’Elaena, mais la cadette semblait décidée à se faire plus présente depuis l’empoisonnement de leur père, au détriment de sa propre santé. Cela n’était guère pour rassurer Elaena, mais elle devait avouer, égoïstement, qu’elle se trouvait confortée par la présence de sa sœur. Une fois dans ses appartements, allumant quelques bougies supplémentaires, la toute nouvelle sénatrice ôtait son manteau, rapidement emporté par une domestique qu’elle congédia, décidée à se déshabiller seule et se mettre au lit au plus vite. Le sommeil chassait la tristesse disait-on. Il ne fallait pas s’arrêter, il ne fallait pas penser. Elaena se sentait comme galvanisée par la liste très organisée des tâches qu’il lui fallait réaliser avant d’aller se coucher. Elle sentait aussi et surtout que s’arrêter une seconde, prendre le temps de s’asseoir, aurait pour effet immédiat de faire céder les remparts capables de maintenir enfouis les angoisses, frustrations et autres doutes qui ne semblaient plus la quitter. Son réflexe, d’ordinaire, aurait été de chercher du réconfort auprès de son frère. Pourtant, depuis l’empoisonnement de leur père et l’annonce de la menace qui planait sur leurs vies, il était devenu presque impossible de le voir une seule seconde. Lorsqu’il n’était pas au sénat il s’entraînait, et lorsqu’il ne s’entraînait pas il mettait en place toutes sortes de plans de protection pour le palais Hoskagon, pour le palais d’Oros où s’étaient réfugiés nos parents, ou encore lors des différents déplacements des membres de la famille. Leur protection était devenue sa priorité première… Au détriment de leur intimité.

« C’est moi, Daenyra. Comment s’est terminé cette soirée ? J’espère que tu n’as pas fait trop de bêtises. »

Elaena n’avait pas entendu sa sœur approcher, bien trop en prise avec ses tiraillements intérieurs. Elle sursauta largement et laissa tomber la bougie éteinte qu’elle tentait d’allumer depuis quelques secondes sans succès.

« Oh. N’es-tu pas au lit à cette heure ? Tout va bien ? Te sens-tu mal ? »

L’inquiétude pouvait se lire sur les traits d’Elaena, tant inquiète pour sa sœur que troublée par le manque et le vide que l’absence de son frère laissait en elle.

« Quelque chose trouble ta quiétude, n’est-ce pas ? Cela concerne Maeker… »

Les lèvres d’Elaena s’étirèrent en un sourire amusé, décidément il n’y avait rien qu’elle puisse dissimuler à sa sœur. Se penchant tout d’abord pour ramasser la bougie et la déposer sur la petite table non loin d’elle, la jeune femme resta un instant dos à sa sœur, tentant de collecter l’énergie qui lui restait pour faire face à une conversation qu’elle repoussait depuis trop longtemps déjà mais que sa sœur ne laisserait pas passer. Elle le savait.

« N’y a-t-il donc rien que je puisse te cacher, Dae ? »

Un sourire tendre aux lèvres, Elaena se rapprocha de sa sœur pour la prendre dans ses bras. On aurait pu penser à la tentative d’une sœur ainée de rassurer sa cadette, mais il n’en était rien. Elaena avait besoin de la tendresse et de l’attention de Daenyra. Elle avait besoin de sentir l’énergie que sa sœur lui dédiait. Elles restèrent ainsi un long moment, Elaena ne parvenant pas à retenir les émotions qui l’emporteraient bientôt.

« … Ca a toujours été lui. Cela sera toujours lui. Je… »

L’ainée des filles Tergaryon mis fin à l’étreinte à laquelle, pourtant, elle s’était raccrochée ces dernières minutes pour ne pas flancher. Comme pour repousser un peu plus le moment où il lui faudrait céder et s’ouvrir, Elaena entrepris de retirer sa robe et revêtir ses habits de nuit. Se raclant la gorge, ravalant la boule qui l’obstruait depuis des jours, elle évita le regard de sa sœur, tout affairée à ses tenues.

« Tu devrais aller te coucher ma douce, tu es restée si longtemps à la soirée, il faut te ménager… »

Une fois changée, Elaena enroula une étole autour de ses épaules et s’approcha à nouveau de sa sœur pour saisir ses mains.

« Je vois ton inquiétude, mais il n’y a rien qui ne se trouvera pas réglé demain… »

Passant une main sur l’une des joues de Daenyra, elle déposa un baiser sur l’autre.

« … Tout ira bien. »

Incapable de feindre d’avantage l’aise, Elaena fit mine de s’affairer à d’autres choses, ranger un parchemin, déplacer une bougie, laver ses mains avec l’eau parfumée au jasmin déposée à son intention. Tout ce qui pouvait donner l’impression à sa sœur qu’elle irait bien. Pouvait-elle réellement s'imaginer duper Daenyra après toutes ces années. C'était une entreprise vaine, mais Elaena n'avait plus qu'une chose en tête : la porte claquerait au départ de sa sœur, et là, seulement là, elle pourrait laisser couler les larmes qu’elle retenait depuis son départ de la fête.


Daenyra Tergaryon
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Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

« Oh. N’es-tu pas au lit à cette heure ? Tout va bien ? Te sens-tu mal ? » Les lèvres de Daenyra s’étirèrent en un sourire tendre. En dépit de toute la souffrance qu’elle lisait dans l’âme de sa sœur, cette dernière s’inquiétait sincèrement pour elle. Un amour indéfectible, puissant, immuable. Les Tergaryon se distinguaient chacun par un caractère singulier et bien marqué. Les uns et les autres ne se ressemblaient guère. Ils étaient cependant tous rattachés par ce lien merveilleux, ce besoin de veiller sur chacun. La lignée séculaire pouvait se targuer de posséder cette magie sublime accordée par le sang qui coulait dans leurs veines. Un même corps, une même âme, un même cœur ; voilà quel était leur héritage commun.

« Je me porte bien, n’aie crainte. Je lisais à la bibliothèque pour me ressourcer quand j’ai senti ton retour. » La fatigue capturait effectivement son corps, autant à cause des efforts fournis pour assister aux festivités de ce soir que par l’heure tardive qui se dessinait dans le ciel. L’oiseau ne pouvait cependant rester sourd à la triste complainte du cœur d’Elaena. Elle s’était donc envolée jusqu’à elle, refusant de céder à l’impuissance. Ce n’était pas la première fois que Daenyra ressentait ce trouble dans l’esprit de son aînée. Ce mal vicieux s’était glissé en elle lors de ce soir funeste où leur père avait été empoisonné. Des responsabilités trop grandes s’étaient abattues sur ses épaules, la propulsant au rôle de Sénatrice et de représentante officielle de la famille Tergaryon au sein de la vie politique de Valyria. Outre le danger qui planait sur leurs têtes, Elaena devait se battre avec l’intuition perfide de ne pas être à la hauteur. A de nombreuses reprises, sa cadette avait tenté de la rassurer en ce sens, lui affirmant qu’il ne pouvait y avoir de personne plus capable et forte qu’elle pour endosser ce rôle. Mais l’orage dans son être ne se dissipait pas.

Ce soir, Daenyra reconnaissait qu’elle s’était entièrement fourvoyée. Comment n’avait-elle pu lire aussi clairement dans le cœur de sa sœur ? Le nom de Maekar se murmurait jusque dans son oreille, soupir douloureux et envieux à la fois. Il ne pouvait en être autrement et l’oiseau ne sut cacher cette vérité plus longtemps. Elaena ne chercha pas à la détourner de ses convictions. Voilà longtemps que les deux sœurs avaient appris à composer sur un même tempo. Son aînée vint tendrement la prendre dans ses bras. Un contact aussi apaisant que désagréable pour la jeune fille que ne ressentait que plus intensément la souffrance qui meurtrissait l’être d’Elaena. Elle ne serait séparée cependant pour rien au monde de l’étreinte de son aînée.

La suite se déroula tel un acte mal orchestré. Elaena tenta de dévier les inquiétudes de sa cadette qui ne firent que s’accroître à mesure qu’elle mimait l’indolence. Daenyra ne pouvait se laisser leurrer par tous les artifices qu’elle déployait, autant par ses lippes que par ses attitudes pour reposer cette discussion inéluctable. Elle ne chercha pourtant pas à l’interrompre, du moins pas tout de suite. Elle s’avança de quelques pas, doucement, comme pour ne pas effrayer la bête blessée. Sa main se posa délicatement sur l’épaule de sa sœur dont elle éprouva le tremblement infime.

« Ta bouche parle, mais ton cœur chante une toute autre complainte. » Elle voulut capter son regard en la tournant lentement vers elle mais il se dérobait obstinément à elle. Ses doigts caressèrent la douceur de ses joues de nacre. « Crois-tu que je pourrai fermer cette porte et t’abandonner à ton chagrin ? Tu ne peux me réclamer une telle chose… » Et toutes les attitudes qu’elle pourrait feindre n’y ferait rien. Daenyra était discrète, mais elle n’en était pas moins déterminée. « Ela, comment pourrais-je supporter d’être à ce point impuissante ? Je ne le tolère pas. Mais n’aie crainte, tu sais que tu peux me parler. » Cela ne serait pas la première fois qu’elle revêtait l’habit de la confidente. Elle s’était usée de nombreuses fois à cet exercice, soucieuse du bien-être de sa sœur. « Qu’est-ce qui trouble ainsi ton cœur ? »


Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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feat. Daenyra Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

« Ta bouche parle, mais ton cœur chante une toute autre complainte. »

Elaena tentait tant bien que mal de s’éloigner de sa sœur, évitant son regard à défaut de pouvoir instaurer une distance physique entre elles deux. Si elle considérait cela comme un don, il était arrivé à Elaena d’en vouloir à sa sœur. C’était idiot, elle le savait, mais cette manière qu’avait sa sœur de sans cesse lire au plus profond de son cœur lui donnait l’impression de ne pas avoir de jardin secret. A présent adulte, elle ne comprenait que trop la souffrance de sa sœur qui subissait les assauts de pensées qu’elle aurait préféré ignorer. Lorsqu’elle était plus jeune, et elle en avait honte, encore aujourd’hui, il lui était arrivé de fuir Daenyra. En proie aux tourments d’un amour qu’elle cherchait à taire, de peur qu’il ne soit pas réciproque, elle s’était évertuée à cacher les élans de son cœur à sa sœur. Elle voulait que cela soit son secret à elle. Cela avait été, évidemment, naïf, et il n’avait fallu guère longtemps à la jeune cadette de percer le mystère du lien unissant Maekar et Elaena.

Ce soir-là, Elaena à nouveau cherchait à se cacher de sa sœur. Elle n’y parvenait pas, évidemment. Daenyra avait fait la promesse d’être, pour toujours, à ses côtés et de la soutenir dans ces nouvelles responsabilités. Ainsi, Elaena s’était promis de ne plus se fermer face à elle. Si sa cadette dédiait sa vie à l’aider, pouvait-elle continuer à la laisser en dehors comme elle avait essayé de le faire ? Pourtant, il y avait bien des choses trop douloureuses pour être dites, et ces choses tordaient ses tripes et son cœur de telle sorte qu’il était impossible, pour Daenyra, de ne pas les apercevoir. C’est la main de sa sœur qui la tirait de réflexions coupables et la ramena à l’instant présent. La douce caresse de cette main contre la peau de sa joue conforta Elaena plus qu’elle ne s’y était attendue. Depuis combien de temps n’avait-elle pas été l’objet d’un geste tendre ? Il lui semblait n’être, aujourd’hui, qu’une figure publique. Il lui semblait que sa vie privée était un champ de ruine, sacrifié sur l’autel de cette vie publique qu’elle n’avait jamais appelée de ses vœux.

« Crois-tu que je pourrai fermer cette porte et t’abandonner à ton chagrin ? Tu ne peux me réclamer une telle chose… Ela, comment pourrais-je supporter d’être à ce point impuissante ? Je ne le tolère pas. Mais n’aie crainte, tu sais que tu peux me parler. »

S’il y avait une personne sur cette planète à qui Elaena pouvait se confier, c’était bien Daenyra. Il y avait bien plus, entre elles, que le lien du sang évident liant deux sœurs, leurs âmes avaient été liées il y a bien longtemps… leurs destins également, par le choix de Daenyra.

« Je le sais… »

Elaena prenait la main de sa sœur entre les siennes, comme cherchant à la couvrir d’une tendresse propre à la gratitude.

« Qu’est-ce qui trouble ainsi ton cœur ? »
« Tu n’as pas même besoin de demander, tu as déjà entrevu l’objet de mes tourments… »

Maekar. Daenyra n’avait eu guère besoin que le moindre mot ne filtre de la bouche de sa sœur pour comprendre qu’il s’agissait de leur frère. Cela faisait de longues semaines qu’Elaena n’avait pas approché son frère, entêtée dans sa décision de lui faire comprendre, de manière immature sans doute, la peine qui était la sienne. Elle s’était effondrée, son monde s’était fissuré, et lui était resté là, silencieux et plus lointain que jamais. Depuis, le jeune homme n’était guère venu troubler le terrible silence qui s’était insinué dans les nuits de sa sœur. Elaena avait dormi seule, du moins essayé de dormir car son sommeil était troublé par la conjonction des anxiétés. Ses journées se ressemblaient, toutes mettaient en danger sa santé mentale à mesure qu’elles grignotaient sa confiance en elle comme son énergie.

« Je lui en veux, tu le sais… Je sais que tu l’as perçu. Il a été si… lointain. Jamais encore, pas même alors qu’il était en guerre, l’avais-je senti si loin de moi. J’ai pensé que m’éloigner le ferai revenir, que peut-être sentirait-il la même souffrance que moi à nous voir séparés. Mais rien. Il s’enferme dans cette quête illusoire de protection contre le monde entier. Et… »

Elaena reculait, car elle sentait la terrible vague qui remontait de son estomac à sa gorge, lui donnant l’impression terrible qu’elle était sur le point de vomir. Elle dû prendre, un instant, appui sur un petit meuble disposé non loin d’elles, comme pour s’empêcher de tomber et de sombrer. Elle était épuisée et malheureuse, un mélange qui ne réussissait guère à une personne de feu comme l’était Elaena. Cet état faisait d’elle un volcan, capable de l’emporter elle-même et tous ceux qui l’entouraient. Plus les secondes passaient, et plus sa vue se brouillait. Elle crut tout d’abord à un malaise, avant de sentir sur son bras la trace fraîche et humide d’une larme. Le visage baissé vers le sol, Elaena ne put en dire plus, et sa sœur laissait le silence s’imposer car, sans doute le sentait-elle, Elaena reprendrait la parole lorsqu’elle le pourrait.

« … Je suis si fatiguée, Dae. »

Sa voix n’avait été qu’un souffle, aigu, une plainte terrible comparable à un soupir de détresse. C’était à peine si elle pouvait à présent hausser la voix tant sa gorge était obstruée… Respirait-elle encore ? Elle n’aurait su le dire. Après quelques secondes à dissimuler son visage, elle le releva finalement vers Daenyra, assumant enfin ces larmes qui rougissaient ses yeux et ses joues.

« Je… je suis épuisée. Je pensais être capable de faire tout cela, je le pensais vraiment. Mais… Sans lui tout est plus difficile. Sans lui je ne dors pas, je n’ai pas d’appétit, et toutes les journées ont la fadeur d’un jour sans vie. Et si tu savais comme je me déteste d’être à ce point dépendante de lui, alors même qu’il semble tout à fait capable de mener son existence sans moi ! »

Elaena allait s’effondrer, et sans doute sa sœur le sentit car alors que ses jambes flanchaient, elle ne heurta pas le sol car deux bras parvinrent à amortir sa chute. Sans questionner davantage, Elaena plongea son visage contre sa sœur, laissant aller des larmes tant dues à la fatigue profonde qu’à la peine qui étreignait son cœur.

« On attend tant de moi, j’aimerais tant bien faire, pour Père, pour toi et… et pour Maekar… Mais je n’y arrive pas, Dae…. Je n’y arrive plus… Et il me manque… »

Ce qui s’était libéré, ce soir-là, avait été couvé si longtemps qu’il semblait que jamais Elaena ne parviendrait à cesser de pleurer. Il y avait cependant, dans l’étreinte de sa sœur, les prémices d’un jour nouveau. Ainsi soutenue, ainsi aimée, Elaena trouverait le chemin de l’apaisement. Il y avait bien des sujets à débattre en cette nuit noire, Elaena le savait, mais elle ne pouvait parler tant son corps tout entier tendait vers un seul être, une seule absence.



Daenyra Tergaryon
Daenyra Tergaryon
Dame-Dragon

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feat. Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

Daenyra n’ignorait rien des terribles maux qui affligeaient sa sœur. Elle avait toujours perçu de ses plus grands embrasements à ses plus légers frissons, de ses plus terribles tempêtes à ses plus imperceptibles soupirs. Don ou malédiction ? La demoiselle Tergaryon ignorait encore à ce jour si elle avait été bénie ou maudite par les Dieux tout-puissants. Trop souvent, cette particularité la plongeait dans la tourmente. Elle aspirait ses maigres forces et la forçait à des repos non désirés. Elle ne pouvait se fondre aussi aisément qu’Elaena dans la foule et se conformer aux uses et coutumes de Valyria. Il fallait toujours qu’elle veille à ne pas s’épuiser inutilement. Toute son existence s’était tissée autour de cette capacité singulière, l’obligeant à être mise à l’écart, à occuper son quotidien autrement ou à définir ses liens différemment avec le monde qui l’entourait. Et quelquefois, elle honnissait le ciel de l’avoir dotée de ces intuitions qui lui permettaient si aisément de cerner l’âme des gens, d’y lire ce qui devrait être scellé par les secrets de l’intime. Elle se serait préférée ignorante des imperfections de l’être humain, de ce que l’âme pouvait receler de plus obscure, de plus mauvais, de plus inavouable. Hélas, elle devait porter chaque jour ce fardeau de connaître ce qu’il y avait au plus profond de chacun… Aussi essayait-elle de le parfaire en atout pour que tous ces tourments ne soient pas vains. Pour se porter utile à sa famille en la conseillant avec pertinence. Pour se défier des mauvais gens qui pourraient vouloir nuire à sa famille ou à ses amis chers. Ou pour guérir l’âme en peine, même si celle-ci aspirait à une implacable solitude. Cependant, Daenyra ne pouvait se résoudre à abandonner sa sœur à son chagrin et sa colère.

« Qu’est-ce qui trouble ainsi ton cœur ? » demanda-t-elle, ses mains d’albâtre étroitement enlacées à celles de sa sœur. « Tu n’as pas même besoin de demander, tu as déjà entrevu l’objet de mes tourments… » Maekar… Il n’y avait que lui. Il ne pouvait y avoir que lui. Car même lorsque qu’Elaena luttait pour ne pas songer à lui, son âme hurlait son nom dans le noir. Il était dans la moindre de ses pensées, dans le moindre de ses gestes, dans tous ses soupirs, ses regards, ses caresses. Il ne la quittait jamais, comme une empreinte laissée au fer blanc sur sa chair vibrante de son amour. Daenyra entendait ce nom se répercuter en écho dans les moindres recoins de son esprit. Il brillait même dans ses absences.

Ce soir, Daenyra percevait douleur, colère et rancœur. Elle entendait les cris et les lamentations, aussi clairement que la voix de son aînée qui lui contait toutes ses souffrances. Silencieusement, patiemment, tendrement, elle écoutait jusqu’à la vibration la plus tourmentée de sa voix. A cet instant, elle aurait presque souhaité que son lien soit aussi fort avec Maekar pour connaître ses propres malheurs, ses propres faiblesses. Alors, elle aurait su qu’il était soumis aux mêmes douleurs qu’Elaena, qu’il menaçait de crouler sous le poids qui était sur ses épaules. Protéger sa famille. Trouver les coupables. Et encore et toujours, Elaena. Elaena dans son cœur, dans son esprit, dans son âme, dans sa chair et dans ses tripes.

La Dame-Dragon ne précipita pas son aînée quand le silence s’instaura entre elles. Elle savait la valeur de la parole autant que des silences qui en révélaient parfois davantage. Elle osa à peine s’approcher quand Elaena s’arracha à elle, soumise au trouble de ses sentiments et assaillie par des larmes trop longtemps retenues. Une vague de chagrin affligea Daenyra. Une tristesse qui appartenait autant à sa sœur qu’à elle. Il semblait qu’une ombre malveillante enrobait le corps tremblant d’Elaena, lui faisant courber l’échine et lui abandonnant toute force. Elle se précipita aussitôt qu’elle la sentit flancher, empêchant sa chute à terre. « Elaena… Accroche-toi à moi… » Elle la soutint autant qu’elle put pour la guider jusqu’au lit où elles s’assirent sur le rebord. Les larmes inondaient le visage de la Sénatrice sans qu’elle ne puisse trouver le moindre répit.

Ses doigts écartèrent délicatement les mèches qui, çà et là, s’éparpillaient sur le visage d’Elaena, caressèrent ses joues humides et remirent un peu d’ordre dans ses cheveux d’argent. Ses yeux, d’un violet éclatant d’ordinaire, avaient pris la teinte d’un crépuscule d’orage au travers de ses larmes. « Ne rougis pas de tes larmes, Ela… N’aie crainte de l’avenir, car tu ne seras jamais seule. Un Tergaryon, jamais isolé, ne demeure. Et tu fais déjà tant pour cette famille. Tu la rends si fière, si grande… » D’une légère pression sur l’épaule, Daenyra fit basculer sa sœur pour qu’elle se couche dans les draps, la tête reposée sur l’édredon duveteux. Elle vint se placer aux pieds du lit, continuant à caresser tendrement le visage de son aînée. « L’amour est une créature indomptée, maligne et mystérieuse. » murmura-t-elle comme si elle lui révélait un secret. « L’amour de Maekar pour les siens est comme le feuillage des arbres et l’herbe qui tapisse les plaines, le temps pourra le transformer, les vents le courber, le soleil l’assécher, les pluies le tourmenter. Rien ne saurait dévier la course des années… Mais Ela, son amour pour toi… Il est comme les roches immuables tapies dans les sols, il est comme ces océans de jadis qui règnent encore. Son amour est entier, souverain et indestructible. Oh ma tendre sœur, si tu pouvais ressentir un jour un quart de l’amour qu’il te porte et que j’entrevoie dès que je le croise. Tu lui es nécessaire. Tu es l’air qu’il respire, tu es lui et il est toi. Vos âmes sont forgées de la même matière. » Un sourire amusé étira les lèvres de Daenyra tandis qu’elle observait Elaena avec douceur. « Aussi fort que votre amour est semblable, vous êtes les mêmes. Aussi fougueux qu’orgueilleux. Aussi déterminés que têtus. Maekar est aussi effrayé que toi par ce qu’il se passe en ce moment et il se dédie à sa quête pour nous sauver… pour te sauver. Car tu es importante Elaena. Tu es plus importante pour lui que nous ne le serons jamais. » Depuis bien longtemps, ce fait était devenu une évidence, mais cela n’était pas grave. Cela ne devait pas l’être. « Ne vous épuisez pas en vaines querelles et ne vous affamez pas en solitude. Il faut vous parler, il faut que tu lui livres tout ce que tu me dis à cette heure. Pour que ton tourment cesse. » Daenyra déposa un baiser sur le front de sa sœur, puis sur sa joue, avant de prendre ses mains et de les baiser. « N’oublie jamais que seul un Tergaryon peut vraiment aimer un Tergaryon. »



Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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« Elaena… Accroche-toi à moi… »

Daenyra n’aurait pu utiliser de mot plus juste pour qualifier ce qui se passait en ces lieux. Elaena s’accrochait à sa sœur comme à la vie, presque étourdie par l’illusion que le simple contact de sa sœur avait le pouvoir de l’apaiser. C’était un fait, il y avait en la benjamine des Tergaryon d’Oros une force calme capable d’apaiser le feu terrible qui hantait son ainée. Il y avait en Elaena un extrême dangereux et une propension à se laisser consumer par un feu tout à fait aveuglant. C’était ce feu qui l’aveuglait tant à son propre sujet qu’à celui de ceux qui l’entouraient. Sans doute était-ce le défaut le plus létal de la jeune femme, car il rendait l’exercice de la politique bien plus périlleux. Elaena était une femme intelligente, nul n’aurait pu en douter, mais elle n’était pas de ces êtres d’esprit capables de prendre le recul nécessaire avant de sauter. Elle était de ceux qui se jetaient à corps perdus dans les émotions et les tourments que la vie pouvait lui envoyer. C’était en partie une force, car elle était plus connectée que personne à son instinct, mais c’était une source d’empressement prompt à lui faire choisir le mauvais chemin. A l’opposé se tenait Daenyra, cette jeune femme qui voyait au-delà des apparences, qui voyait et percevait ce que d’autres tentaient de cacher. Il n’était pas exagéré de dire que Daenyra était un élément essentiel du succès futur d’Elaena. L’une ne pouvait aller sans l’autre, et cette nuit tourmentée en était l’exemple parfait.

« Ne rougis pas de tes larmes, Ela… N’aie crainte de l’avenir, car tu ne seras jamais seule. Un Tergaryon, jamais isolé, ne demeure. Et tu fais déjà tant pour cette famille. Tu la rends si fière, si grande… »

Vidée de toute énergie, Elaena laissa sa sœur la mener jusqu’au rebord du lit pour s’y asseoir, et prendre le soin de remettre de l’ordre dans ses cheveux et sur son visage. Fermant les yeux, elle se délecta de la douce sensation de pouvoir se laisser aller, qu’une autre qu’elle pouvait, l’espace d’un instant, reprendre le contrôle et prendre soin d’elle. Elle voulut parler sans y parvenir néanmoins, soudain écrasée par une fatigue presque surnaturelle. En véritable poupée de chiffon, elle n’opposa aucune résistance lorsque sa sœur l’amena à s’étendre sur le lit, déposant l’arrière de sa tête contre l’oreiller. Le regard perdu dans le vide, Elaena tenta de reprendre le dessus sur ces émotions qui l’avaient fait s’effondrer, sans y parvenir. Alors, réaction presque trop évidente, la jeune femme bascula sur le côté pour se recroqueviller sur elle-même.

« L’amour est une créature indomptée, maligne et mystérieuse. L’amour de Maekar pour les siens est comme le feuillage des arbres et l’herbe qui tapisse les plaines, le temps pourra le transformer, les vents le courber, le soleil l’assécher, les pluies le tourmenter. Rien ne saurait dévier la course des années… Mais Ela, son amour pour toi… »

La simple évocation du prénom de son bien aimé avait suffi à faire s’effondrer les maigres remparts qu’Elaena était parvenu à redresser. Déjà les larmes avaient retrouvé le chemin de ses joues, s’échouant lamentablement sur le tissu de l’oreiller. L’amour qui unifiait Elaena et Maekar Tergaryon était de ceux, si rares, qu’aucun qualificatif ne pouvait leur convenir réellement. S’il lui fallait parler de ce que Maekar représentait pour elle, sans doute Elaena ne parviendrait-elle pas à trouver de terme juste, tout ne serait que trop fade. Il était le vent qui se levait en plein été, soufflant sur les corps étourdis de chaleur ; il était le soleil, capable de faire naître la plus belle des fleurs, mais capable également de l’achever ; il était l’eau, creusant son chemin dans la roche, patiemment mais sûrement. A l’image de cette eau, Maekar avait façonné Elaena par sa simple présence, il avait fait sa place en elle et l’avait modifiée à jamais. Il avait façonné son cœur, son esprit, ses espoirs et ses craintes, son corps même, de telle sorte qu’ils ne puissent être qu’à lui.

« Il est comme les roches immuables tapies dans les sols, il est comme ces océans de jadis qui règnent encore. Son amour est entier, souverain et indestructible. Oh ma tendre sœur, si tu pouvais ressentir un jour un quart de l’amour qu’il te porte et que j’entrevoie dès que je le croise. Tu lui es nécessaire. Tu es l’air qu’il respire, tu es lui et il est toi. Vos âmes sont forgées de la même matière. Aussi fort que votre amour est semblable, vous êtes les mêmes. Aussi fougueux qu’orgueilleux. Aussi déterminés que têtus. Maekar est aussi effrayé que toi par ce qu’il se passe en ce moment et il se dédie à sa quête pour nous sauver… pour te sauver. Car tu es importante Elaena. Tu es plus importante pour lui que nous ne le serons jamais. »

Malgré les douces paroles qui parvenaient à se frayer un chemin dans l’esprit troublé d’Elaena, cette dernière ne put s’empêcher de ressentir un pincement au cœur à l’idée que Daenyra puisse s’imaginer moins importante. L’était-elle ? Il y avait quelque chose de si unique dans ce qui liait Elaena et son frère qu’elle ne pouvait même faire la comparaison. Elle en était persuadée, ce n’était pas que Maekar aimait moins le reste de sa fratrie… Cet amour ne pouvait simplement pas être le même que celui qui le liait à Elaena.

« Ne vous épuisez pas en vaines querelles et ne vous affamez pas en solitude. Il faut vous parler, il faut que tu lui livres tout ce que tu me dis à cette heure. Pour que ton tourment cesse. »

C’était d’une simplicité élémentaire. Il fallait évidemment qu’Elaena et Maekar se parlent. Il y avait tant de choses capables de s’interposer entre eux, la première étant eux-mêmes. Elaena était une jeune femme fière, sans doute bien trop pour son propre bien, mais elle s’était mise en tête d’attendre que son frère fasse le premier pas. C’était à lui de le faire. N’était-il pas celui qui était parti ? Raisonnement bien peu rationnel, surtout considérant la souffrance que cet entêtement faisait subir à la jeune femme. Elle ne voulait pas être la première à céder. Serait-ce toujours ainsi ? Serait-elle toujours la plus dépendante ? Elle s’y refusait. C’était une torture, une souffrance indicible, mais elle ne pouvait simplement pas se résoudre à faire le premier pas.

« N’oublie jamais que seul un Tergaryon peut vraiment aimer un Tergaryon. »

Pour la première fois depuis de longues minutes, le regard d’Elaena quitta cet horizon, qu’elle ne voyait même pas, pour se mêler à celui – fort semblable – de sa jeune sœur. L’ainée des filles Tergaryon réalisa que jamais encore elle n’avait à ce point aimé sa sœur qu’en cet instant. Oh bien sûr elle l’avait toujours aimé, mais alors que ses yeux se mêlaient aux siens, elle réalisa à quel point cette figure discrète était devenue aussi essentielle pour elle que l’était Maekar. Dire qu’elle était reconnaissante envers sa sœur n’aurait sans doute guère été suffisant pour faire justice à ce qui gonflait son cœur en cet instant. Prenant faiblement appui sur ses mains, Elaena se redressa avant d’essuyer, du revers de la main, les larmes qui avaient marqué ses joues. S’approchant légèrement de Daenyra, elle porta la paume d’une de ses mains jusqu’à la joue de la jeune femme.

« Avy jorrāelan, hāedar.  Ñuha nēdenka se kostōba mandia. Emā se irudy hen jorrāelagon se iksā ñuha kustikāne » - Je t’aime, petite sœur. Ma courageuse et forte sœur. Tu détiens en toi le pouvoir de l’amour, et tu es ma force.

Elaena retrouva le silence, laissant ces derniers mots flotter dans l’air autour d’elles deux, et prit sa sœur dans ses bras. A la différence de leur dernière étreinte, Elaena déposa la tête de sa sœur contre sa poitrine, comme pour la protéger alors qu’elle était elle-même l’être en détresse.

« Je ne sais pas si je parviendrai à lui parler. J’aimerais tant qu’il soit capable de faire ce simple pas que j’attends de lui… Qu’il fasse ce qu’il n’a pas su faire alors que le monde s’écroulait autour de moi. Mais… Yn mērī iā Tergaryon kostagon jorrāelagon iā Tergaryon » - Seul un Tergaryon peut aimer un Tergaryon.

D’un bond Elaena était à présent debout, se déplaçant d’un air peu assuré la jeune femme se rapprocha d’une coiffeuse où étaient déposés toute sorte de produits de beauté. Tournant le dos à sa jeune sœur, la demoiselle d’Oros pris le temps d’observer son reflet dans le miroir, encore méthodiquement les quelques larmes qui s’étaient écoulées. Il était temps de reprendre le dessus. Il lui faudrait parler à Maekar, qu’il soit l’instigateur de cet échange ou non, mais elle craignait de dire des choses qu’elle ne pensait pas, de briser quelque chose, s’il ne venait pas à elle. Il y avait pourtant bien des choses à dire.

« Il nous faudra de toute façon parler. Notre famille est solide mais nous avons une réputation à protéger et une gloire à préserver. Nous n’avons pas le droit à l’erreur et,… »

Assise devant la petite coiffeuse, Elaena pivota rapidement, tournant le dos au miroir pour retrouver le visage rassurant de Daenyra.

« J’ai échangé avec Aeganon, il semblerait qu’il paye, depuis de longs mois, afin que l’honneur de Maekar soit sauf. Nous ne nous sommes mêlés à aucune célébration religieuse, trop occupés que nous étions à retrouver les bras de l’autre… Et les gens parlent. On ne peut continuer indéfiniment de compter sur la prévenance de notre ami et nous avons besoin d’être vus dans ces cérémonies. Il ne sera pas dit que notre père a failli à sa mission de faire de nous de dignes et pieux valyriens… Qu’en penses-tu ? »


Daenyra Tergaryon
Daenyra Tergaryon
Dame-Dragon

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Ses plus grandes douleurs étaient celles d’Elaena, car il n’était de pire souffrance que de sentir son âme jumelle se fendre. Daenyra éprouvait sa détresse et son drame dans chaque fibre de son être, comme s’ils lui appartenaient complètement. La tourmente qui gangrenait ses veines et engourdissait tous ses membres, toutes les fibres de sa chair ; la bile fiévreuse qui brûlait ses entrailles et le chagrin qui cristallisait ses terreurs les plus enfouies, éveillait une agonie qui n’aurait existé si l’autre part de soi ne foulait pas cette terre. L’amour qui liait Maekar à Elaena n’avait jamais revêtu aucun secret pour cette discrète cadette. Elle en avait perçu les premiers contours, les effleurements délicats comme une brise aux premières heures du jour, ses balbutiements jusqu’à ce que les jours la renforce, que ses racines s’agrippent fermement au sol, que le tronc se dresse dans toute sa splendeur et que l’écorce le protège pour les siècles à venir. Leur amour était ainsi : forgé dans le temps et par le temps ; il ne connaissait pas l’implacable tourment des saisons qui s’écoulent, ni même la lassitude des jours. Il était tel un astre intangible et immuable, pareil à Ceux qui peuplaient les cieux. Et aussi violentes étaient leurs joies, aussi violentes seraient leurs douleurs.

Les mots de Daenyra s’ingéniaient à décrire cet amour qu’elle décelait mieux que quiconque dans les cœurs de son frère et de sa sœur. Dieu que la langue était pauvre pour exprimer ne serait-ce qu’une infime partie de ce qui existait véritablement. Elle tentait d’apporter son maigre tribu au nom du salut de son aînée pour panser les maux insolents et sauvages. Jamais elle ne lui avait paru aussi vulnérable qu’en cette soirée. Le corps trop rompu de chagrin pour se défendre des douces inflexions de l’Oiseau. Une posture si inédite que Daenyra sentait poindre en elle le véritable sentiment d’être utile pour les membres de sa famille, de ne pas être que cette créature fragile et dolente. Les prunelles pâles de la Dame-Dragon couvaient avec tendresse cette silhouette recroquevillée sur le lit, avec cette évidence parfaite dans les tripes qu’elle serait là pour lui apprendre à voler à nouveau, à déployer fièrement ses ailes. Le dragon pouvait perdre de son souffle, mais jamais la flamme ne se destinerait à la nuit. Dusse-t-elle offrir son brasier à Elaena pour que celle-ci demeure pour toujours.

« Avy jorrāelan, hāedar.  Ñuha nēdenka se kostōba mandia. Emā se irudy hen jorrāelagon se iksā ñuha kustikāne » Timides et pudiques, des larmes se mirent à poindre dans le regard clair de la jeune femme. Sa main venait de se glisser délicatement dans celle de sa sœur, l’étreignant comme si elle pouvait lui échapper au moindre instant. Des doigts faits de fumée et poussières. Elle s’y agrippait plus encore, éprouvant ce contact tangible et chaud. Ses paroles, telle une incantation, transformèrent la forte Tergaryon qui se dressa à nouveau, splendide et merveilleuse, pour prendre Daenyra dans ses bras. Vint à elle tous les souvenirs de ces étreintes maintes fois échangées, de son oreille posée tout contre son cœur, de l’adoration muette qu’elle vouait à Elaena. Aussi fort que le vent chasse l’averse, la Tergaryon enflammait à nouveau le brasier de son être. Il semblait que les tourments d’hier demeuraient moins cuisants, pas suffisamment puissants pour ravager la flamme immense qui s’emparait à présent d’elle. Il y avait là les craqures, les fêlures et les blessures. Il y avait là la douleur, le chagrin et la peur. Cependant, le rugissement du dragon recouvrait toutes ces imperfections, forgeant une volonté neuve. Sous le vernis craquelé de ses larmes, la détermination n’avait jamais brillé aussi fort qu’en cet instant.

« Il vous faut balayer cet orgueil et cet entêtement. Ils sont vos pires ennemis et écrasent l’amour. Ce dernier s’abreuve de sincérité, non de silences douloureux. Autrement, il se meurt. » La fierté, souveraine, domptait les caractères de l’un et de l’autre, les affligeant des nombreux tourments. Les choses essentielles se devaient d’être rappelées pour éteindre les passions néfastes. Attentive, Daenyra écouta sa sœur lui conter les derniers éléments qui étaient à sa connaissance. Eprouvant les joies des retrouvailles après une absence douloureuse, Maekar et Elaena s’étaient éloignés de la scène publique et des réjouissances propres à la vie valyrienne. Un manque de dévotion qui semblait se faire sentir, en dépit des efforts d’Aeganon pour endiguer cette déconvenue.

Qu’en pensait-elle alors ? Bien différente de ses semblables, Daenyra ne partageait pas cette affection pour la luxure et les dévotions sensuelles adressées aux Dieux. Outre le trouble bien trop important qui pourrait affecter son être, elle ne supportait guère l’idée d’être ainsi offerte en objet de désir, quand à chaque battement de cils, le noir théâtre de ses paupières lui imposait la vue d’un seul homme. Fantôme aux contours diaphanes, silhouette éthérée perdue dans les ténèbres, bribe arrachée de son âme. Néanmoins, l’Oiseau n’ignorait en rien les stratégies et artifices qui régissaient cette vie de faux-semblants. « Vous possédez cette lourde tâche d’être les principaux joyaux Tergaryon. Une vie composée de devoirs et d’obligations. Je crains que votre notoriété soit trop importante pour qu’Aeganon puisse éloigner les rumeurs plus longtemps. » Les prochaines élections n’arrangeaient guère cet état de fait, les propulsant sous des lumières qu’ils auraient sûrement voulu éviter.

Ce fut au tour de Daenyra de se redresser, effectuant quelques pas au hasard de la chambre. Son esprit était tout droit dirigé vers l’objet de ses réflexions. « Toutefois, il est important que votre dialogue soit rétabli. Notre famille se doit d’être forte et unie, plus que jamais auparavant. » Une menace rôdait autour d’eux, projetant son ombre menaçante et grossière. Ils ne pouvaient pas se permettre d’être disloqués. L’Oiseau se posa près de la fenêtre, contemplant les astres lointains qui décoraient la nuit. Tout là-haut, elle savait qu’il était là, qu’il observait et qu’il veillait. « Elaena… saurais-tu si d’autres rumeurs circulent à ce sujet sur... d'autres membres de cette famille ? » La force tranquille de Daenyra l’amenait à faire fi des remarques et des critiques qu’autrui pouvait émettre. Cependant, elle ne pouvait se permettre une telle indifférence lorsqu’il était également question de l’honneur de la famille et de leur père. Un véritable enjeu de crainte pour la jeune Tergaryon.




Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

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feat. Daenyra Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

« Il vous faut balayer cet orgueil et cet entêtement. Ils sont vos pires ennemis et écrasent l’amour. Ce dernier s’abreuve de sincérité, non de silences douloureux. Autrement, il se meurt. »

Elaena fut frappée de constater qu’elle n’avait jamais envisagé que l’amour qu’elle portait à Maekar puisse mourir. A vrai dire, elle était persuadée qu’il ne pourrait disparaître, pas même si son aimé devait lui préférer une autre ou quitter ce monde. Leur couple avait beau être tourmenté et leur avenir incertain, il y avait une certitude à laquelle Elaena se raccrochait contre vents et marées, l’amour qu’elle portait à son frère était un élément immuable. Il y avait quelque chose de rassurant à savoir qu’un aspect de soi ne serait jamais amené à changer. A présent, lorsqu’elle se regardait dans le miroir, Elaena n’était plus si sûre de reconnaître celle qu’elle regardait. Cela l’effrayait parfois. Plonger son regard au plus profond de celui de son reflet et ne pas y retrouver ce que l’on imagine être soi. Être face à une inconnue aux traits devenus plus durs. Maekar était la seule continuité. Elle l’avait aimé avant et l’aimerait après, mais après quoi ? Après être devenue autre ?

La jeune femme ne répondit pas à sa sœur, elle repensait à cette histoire familiale lointaine qui faisait à présent partie des nombreuses légendes que les parents Vaelarys racontaient à leurs enfants pour les enjoindre à bien se comporter. C’était l’histoire d’un ancêtre Vaelarys, parti à dos de dragon en exploration des territoires les plus lointains. C’était une époque où Valyria n’avait pas sa superbe d’aujourd’hui, mais déjà le monde était-il fasciné par la majesté des dragons que montaient les valyriens. Déjà le monde se questionnait-il au sujet de ces êtres étranges qui ne ressemblaient à aucun autre et pour lesquels les magies les plus puissantes n’avaient guère de secret. Alors l’homme était parti, pensant trouver la gloire auprès de peuples pour lesquels il était un mystère. Après des années de découvertes, il était revenu, acclamé en héros car ayant bravé l’inconnu et ramené une connaissance précieuse qu’il partagea avec tous. Le modeste inconnu était devenu héros, et bientôt il ne fréquenta plus que ceux qui le louaient avec suffisamment de verve. Qu’il était bon de voir dans le regard admiratif de ceux qui le connaissaient si peu. Mais à trop se voir au travers d’autres yeux, les siens finirent par ne plus être capables de lucidité. Malheureusement, la gloire tournait avec le vent, et un autre héros vint remplacer celui-ci dans le cœur des foules. Privé de ces regards, l’homme ne parvenait plus à se voir, il regardait mais ne voyait pas. Il n’y a guère de mot pour cela, il n’était pas aveugle non, il voyait les choses de ce monde, mais privé de la connaissance de soi, il était comme étranger dans sa propre maison. Après des années d’absence, il retrouva le chemin de la demeure familiale, le palais historique des Vaelarys à Draconys. Il retrouva les odeurs de l’enfance et le goût de la paix. Il retrouva les bras d’une famille qui ne l’avait guère encensé, mais ne l’avait oublié. Il retrouva, surtout, le chemin de celui qu’il était. Elle avait beau l’écouter avec attention, Elaena n’avait jamais trouvé d’intérêt à cette histoire bien banale. N’étaient-ils pas nombreux à s’égarer, aveuglés un temps par le faste de la gloire, avant de revenir puiser leur vérité à la source de leur vie ? Mais à présent qu’elle se trouvait ainsi tourmentée, guère soumise à une telle gloire mais propulsée dans un monde où elle était étrangère, Elaena se senti comme cet ancêtre voyageur qui avait quitté les siens pour se réaliser lui-même. Fallait-il ainsi partir pour s’affranchir d’attendus familiaux prompts à limiter l’indépendance ? Lui faudrait-il partir, s’affranchir de ces liens si puissants, pour mieux les retrouver ? Il lui semblait que déjà le destin était en marche. N’avait-elle pas quitté les bras de Maekar ?

La jeune native d’Oros releva les yeux vers sa jeune sœur et senti le contact de sa main dans la sienne. Elle lui apparut comme une ancre pour un bateau à la dérive. Cette simple main déposée dans la sienne était-elle ce qui la maintenait à flots, lui rappelant que s’affranchir de ces liens était, finalement, synonyme de perte de soi ? Il avait fallu partir et se perdre soi-même, devenir ignorant du monde et de soi, pour que le voyageur retrouve le chemin de ce qu’il était. Et ce chemin l’avait mené vers les siens. La morale était simple mais il était pertinent de la questionner : n’était-ce pas là un juste prix à payer ? Le voyage en lui-même n’était-il pas suffisant pour justifier l’errance loin de soi-même ? Et finalement, se perdre n’était-il pas nécessaire pour marcher avec assurance sur un chemin que l’on sait sien ?

« Vous possédez cette lourde tâche d’être les principaux joyaux Tergaryon. Une vie composée de devoirs et d’obligations. Je crains que votre notoriété soit trop importante pour qu’Aeganon puisse éloigner les rumeurs plus longtemps. »

C’est à nouveau la douce voix de sa sœur qui tira Elaena de ses pensées. En quelques mots elle ramenait son ainée à des préoccupations bien plus réelles et moins imagées. L’ainée des filles Tergaryon n’avait rien oublié de ses échanges avec Aeganon Bellarys et la mise en garde qu’il avait émise. Ces dernières faisaient échos à celles que leur père avait adressé lorsque, au retour de la guerre, Elaena et Maekar avaient tenus à se retrouver, plutôt qu’à se mêler à d’autres pour construire leur renommée. Là était la tradition et la condition pour tout valyrien, les dieux n’étaient pas une affaire de préférence mais bien de devoir et de dévotion. Maekar était général de l’armée valyrienne, et son surnom de Téméraire était sur toutes les lèvres. Elaena, elle, avait fait sensation lors de sa prise de parole au Sénat, et si nombreux étaient ceux qui doutaient de sa capacité à assumer sa nouvelle et lourde tâche, ils étaient tout aussi nombreux à l’observer et la jauger. Les deux ne pouvaient se soustraire au regard et à la lumière, pour le moment, et il n’était pas dans l’intérêt de leur famille de le faire. Il leur fallait une stratégie, de long terme, des alliances et acquérir un poids politique certain afin qu’aucun de leurs opposants ne parvienne à les évincer. Si la position de Maekar était, pour le moment, relativement stable, celle d’Elaena l’était bien moins. Mais aucun des deux ne pouvait se permettre de prêter le flanc à la critique… et surtout d’être pointés du doigt comme impies.
Il y avait bien sûr des stratégies à envisager, nul n’était obligé de se voir imposer une cérémonie religieuse entre des bras non désirés, mais elles impliquaient toutes de sortir d’un statu quo devenu intenable. Il fallait qu’Elaena et Maekar se parlent. Il leur fallait parler de cette stratégie, mais également des pions qu’ils devaient avancer tous les deux afin de consolider la position familiale. Sans doute faudrait-il également travailler avec Maegon. Elle connaissait l’inimitié sourde qui séparait les deux cousins, mais elle ne pouvait nier que l’accompagnement de Maegon avait été précieux, et ils partageaient tous trois l’ambition de défendre les intérêts de la famille Tergaryon.

« Toutefois, il est important que votre dialogue soit rétabli. Notre famille se doit d’être forte et unie, plus que jamais auparavant. »
« Je sais que tu as raison, petite sœur. Tu connais nos tempéraments et caractère, peut-être mieux que nous-mêmes. Je sais qu’il ne viendra pas vers moi, et j’enrage de devoir aller vers lui. Pourtant, quelles que soient les tensions qui nous éloignent, il nous faut travailler ensemble pour notre famille. »  

Alors qu’elle finissait sa phrase, Elaena constatait que l’esprit de Daenyra semblait ailleurs. Son visage, doux et d’ordinaire tendre, s’était couvert d’un voile de préoccupation, presque d’inquiétude et d’embarras. Déposant une main sur la joue de sa cadette, la jeune femme lui adressa un sourire.

« Que se passe-t-il ? Nous parlons de moi mais je vois sans peine que quelque chose trouble ta quiétude. Ne me diras-tu pas ce qui te préoccupe ? »
« Elaena… saurais-tu si d’autres rumeurs circulent à ce sujet sur... d'autres membres de cette famille ? »

C’était cela. Elaena n’avait encore jamais abordé le sujet avec Daenyra, connaissant la pudeur de sa jeune sœur, mais c’était un sujet qui ne pouvait être ignoré. Elle ne connaissait guère d’intérêt amoureux à sa sœur, et bien que la beauté de sa cadette lui attirât régulièrement les attentions de quelques jeunes hommes, elle n’avait encore jamais démontré d’intérêt pour ces aspects de la vie valyrienne.

« J’imagine que tu cherches à savoir s’il te faudra également te plier à cette démonstration de piété ? »

Elaena mesurait ses mots et ses regards, elle connaissait la sensibilité de sa sœur, mais elle ne doutait pas que déjà cette dernière avait perçu le moindre de ses sentiments.

« Il n’y a pas de rumeurs à ton sujet à ma connaissance, mais je ne peux te cacher qu’il pourra y en avoir. A présent que père s’est éloigné, tu ne pourras être dans l’ombre éternellement. Tu es une demoiselle de grande famille, et d’une grande beauté. Comment blâmer ceux qui se pâment devant toi ? Pourtant, je ne sais que trop la souffrance de n’être qu’un pantin entre les mains d’une ambition familiale, de voir son corps être réduit à un outil. Daenyra, jamais je ne te forcerai à cela, tu le sais n’est-ce pas ? »

Elaena couvait à présent le visage de sa sœur entre ses mains, plongeant ses yeux au creux de ceux de sa jeune sœur pour que la sincérité de son regard vienne appuyer ses dires.

« Nous trouverons une stratégie pour préserver ta réputation en attendant que tu sois prête. Et si tu ne l’es jamais… et bien nous trouverons une solution. »

Elaena se recula pour adopter une position plus agréable sur le lit.

« Mais cette question en amène d’autres… Nous parlons sans cesse d’amour, et pourtant tu ne m’as jamais confié les élans de ton cœur. La cheffe de famille en moi, évidemment, se pose des questions quant à ton avenir en la matière. Mais ce n’est pas elle qui te questionne. C’est ta sœur et uniquement elle qui cherche à recueillir tes confidences comme tu le fais si bien avec elle. »


Daenyra Tergaryon
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Dame-Dragon

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feat. Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

Du lien qui unissait Elaena à Maekar, Daenyra ne pourrait jamais en prétendre égaler sa force, sa majesté et son immuabilité. Il était de ces amours qui ne sauraient souffrir le sort des mots, comme si rien de la puissance d’aucune langue en ce monde ne pourrait parvenir à en esquisser seulement leurs contours. Car ces amours-là ne comprenaient aucune frontière, aucune limite qui puissent les éloigner un instant des cieux et d’un au-delà plus majestueux encore. Il y avait là la grandeur d’un brasier qui ne pouvait s’éteindre, qui n’avait besoin d’aucune offrande pour aviver ses flammes superbes et qui ne perdait jamais en ardeur. L'amour d'Elaena et de Maekar était de ceux-là. Toutefois, ce qui liait les deux sœurs connaissait un caractère tout aussi mystique. Et même aux heures où l’âge les séparait, il régnait un attachement entre les demoiselles Tergaryon qui ne souffrait aucune faiblesse. La jeune femme osait même songer parfois que, si les Dieux lui avaient ôté son don, elle aurait été capable de lire en Elaena avec une aisance semblable. Il suffisait parfois qu’elle n’ait qu’à déceler une expression sur son visage, une fine craquelure, une ombre passagère, un voile invisible pour comprendre avant même que les sentiments de sa sœur ne la touchent, que son âme vivait quelques tourments. Une compréhension merveilleuse qui les rendait si intimes, si proches et si tendres l’une envers l’autre. Daenyra choyait et estimait ce lien privilégié avec celle qui lui demeurait la plus fidèle et qui ne tentait pas de l’éviter.

Daenyra honnissait cette capacité spectaculaire qui était sienne, pas uniquement parce qu’elle la plongeait sans pudeur dans l’âme de ceux qui l’entouraient, mais également pour toutes les fois où cela la tenait éloignée des siens. Des inconnus dont elle n’avait jamais croisé la route, elle pouvait blâmer toutes les solitudes auxquelles elle s’astreignait, désireuse de s’offrir du repos. Mais de son propre sang, elle éprouvait aussi leur besoin de la placer à l’écart quand ils souhaitaient que leur être ne soit pas sondé. Des intentions sans malice qui balafrait le cœur de la Dame Dragon de nombreuses cicatrices putrescentes. Elle n’ignorait rien de la distance que Maekar plaçait entre eux, et ce, depuis qu’il était rentré de la guerre. Les paroles n’eurent point besoin d’être pour qu’elle capte toutes les souffrances qui suintaient de ce corps maltraité par les abominations des batailles et la violence de mains ensanglantées. Et aussi sûrement qu’elle avait pressenti ses douleurs avant qu’il ne les prononce, il avait compris qu’elle savait. De sa compagnie, Daenyra n’en profitait plus qu’en de rares occasions et elle peinait à se remémorer leur dernier tête-à-tête. Maerion, pour des raisons bien différentes, vivait au loin, au Collège des Mages, mais voilà qu’il faisait preuve des mêmes silences. A mesure que leur correspondance s’échangeait, elle pouvait cerner tout ce qui n’était pas écrit sur le papier, tous ces mystères qui ne pouvaient être révélés et qu’il ne souhaitait pas lui partager ou qu’il craignait qu’elle ne comprenne grâce à ses dons. La jeune femme souffrait de cette relation fanée avec les âges, de cette confiance qui s’était égarée dans la distance avec celui dont elle avait été si proche jadis, qui avait su si bien apaiser les tourments de son âme. Et puis, il y avait lui, grand absent de ses jours et de ses nuits. Astre perdu dans un ciel bien trop lointain. Corps éthéré qui la suivait tel son ombre. Murmure constant à son oreille. Toucher impalpable qui meurtrissait ses chairs.

Ainsi, il lui semblait qu’il ne lui restait plus que cette sœur à qui elle vouait toutes ses dévotions et ses douceurs. Ses douleurs étaient les siennes, et tandis qu’elles s’effaçaient au baume salvateur des mots, Daenyra se sentait plus apaisée. Elle pouvait même sentir cette énergie sublime qui drainait dans chaque fibre de l'être d'Elaena, qui inondait ses veines alors que ses larmes se tarissaient et que son regard d’améthyste flamboyait. Une admiration toujours intacte la prit en considérant cette sœur si forte et capable de se redresser avec tant de vélocité. Cette fougue qu’elle lui connaissait si bien éclatait dans ses paroles et sa stature à présent altière et fière. « Forcer le premier pas vers lui serait une forme de courage et d’intelligence. N’enrage point ma sœur, car par cette action, tu lui en seras supérieure. » La joute de leurs orgueils les plaçait souvent dans des situations impossibles. Daenyra identifiait là l’ubris attachée à ces deux corps que tout opposait et que tout rattachait en même temps. Cependant, il n’était point l’heure pour les Tergaryon d’être divisés, mais bien de s’unir, plus forts et plus grandioses, pour affronter cette menace aveugle qui tentait de les frapper.

Le cours de leurs échanges aiguilla la discussion sur un sujet plus délicat à aborder pour la cadette de cette famille. Outre ses dons qui l’empêchaient de rendre hommage à Meleys, elle vivait de pudeurs qui la plongeaient dans la plus profonde angoisse à l’idée d’être projetée au cœur des démonstrations de piété. L’idée singulière que son corps soit offert pour satisfaire l’appétit de la déesse lui déplaisait et abîmait son cœur d’une telle infidélité à l’égard de celui que son être chérissait. Sans même que Daenyra n’ait à approfondir le sens de ses propos, Elaena comprit le véritable enjeu de sa question. « En effet, c’est ce que je souhaiterai savoir… » Elle n’ignorait pas qu’elle se devait d’honorer sa famille et que les Tergaryon ne pouvaient pas permettre que de vilaines rumeurs circulent à leur sujet. Toutefois, elle ne savait pas si elle parviendrait à se plier à de telles cérémonies. La main de sa sœur sur sa joue se fit douce et tendre, à l’instar de son regard. « Tu me flattes, Ela. Mais tu n’es pas sans ignorer que toi seule représente la beauté la plus éclatante de cette famille. » Daenyra serait naïve de penser qu’elle n’était pas gracieuse elle-même. Toutefois, les Dieux ne les avaient pas dotées des mêmes attraits. Elaena savait embellir au renfort de ses charmes, de son charisme et de sa présence. Elle irradiait, semblable à Aenar, tel un astre sur toutes les terres qu’elle foulait. Sans le décider véritablement, Daenyra ne pouvait se destiner qu’à l’ombre, position réconfortante pour elle qui ne supportait guère les rayons trop ardents des lumières. « Oui, je le sais… Et j’en suis soulagée, ma sœur. Je suis cependant navrée de ne pouvoir apporter ce tribut-là à notre lignée. Je crains de n’être pas prête. » Et sûrement de ne jamais l’être. Sa main se joignit à celle de sa sœur sur sa joue, la guidant doucement à ses lèvres pour un baiser chaste et tendre.

Hélas, son apaisement ne fut que de courte durée. Elle fut presque aussitôt projetée dans une tourmente muette dont elle ne laissa rien deviner, hormis des frissons qui vinrent la parcourir. Les élans de son cœur, elle les destinait qu’à un seul être depuis toujours. Une silhouette immaculée et radieuse. Une oreille attentive à toutes ses confidences. Une bouche qui savait mieux l’aimer et la réconforter que son être de chair, d’os et de sang. Lentement, Daenyra se redressa pour effectuer quelques pas dans la chambre. Sa langue ne saurait se délier si facilement sur cet aveu secret et protégé. D’une volonté absente, elle promena ses doigts sur les divers riches objets de décoration. « Crois-tu que je puisse être capable de quelques élans du cœur, Ela ? Quelquefois, je crains qu’Arrax ne m’ait pas façonné comme ses autres enfants. » Ses sentiments auraient pu s’éveiller à la proximité d’âmes pures, aimables et sagaces. Elle aurait pu, par plusieurs fois, oublier ce visage aimé qui s’accrochait à sa rétine. « Il me vient parfois au cœur que je ne serai jamais capable d’aimer. Que ce sentiment si complexe et éblouissant qui éclate dans les poitrines conquises et dont je comprends toute la force ne me sera jamais propre. » Ses doigts tremblèrent légèrement à cette confession douloureuse qui s’avérait sincère même si elle dissimulait un plus gros secret encore. Ses yeux vacillèrent sur la silhouette d’Elaena posée dans les draps. « Crois-tu que ce don qui est mien et qui m’accapare les textures de chaque âme puisse m’affranchir de mes propres sentiments ? Crois-tu qu’il m’est permis de sculpter mes propres émotions quand celles des autres prennent tant de place ? » Ses yeux brillèrent d’une détresse jamais formulée jusqu’alors. Son expression se fissura en même temps que sa voix. « Comme je vous envie parfois. Comme j’aurai aimé naître aussi Tergaryon que vous… » L’épuisement accrochait son cœur, son âme et ses tripes. A sa poitrine serrée, il lui fallut prendre une grande inspiration pour rassembler des bribes de courage. « Je suis si seule au milieu de toutes ces voix qui se fracassent dans mon esprit et je crains, qu’un jour, elles ne m’engloutissent complètement. »



Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Whatever our souls are made of, his
and mine are the same

feat. Daenyra Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

« Tu me flattes, Ela. Mais tu n’es pas sans ignorer que toi seule représente la beauté la plus éclatante de cette famille. »
« Arrête donc tes bêtises, j'aime être flattée tu le sais bien mais même ma prétention a ses limites »

Elaena rompit la distance physique qui la séparait de sa sœur, ne se déplaçant pas pour autant mais inclinant le buste et tendant la main vers celle de sa jeune sœur. La Tergaryon avait toujours eu une tendresse toute particulière pour celle qui avait toujours préféré l’ombre à la lumière. Très jeune déjà, l’ainée des filles Tergaryon avait eu à cœur de protéger sa sœur de tout ce qui pourrait la heurter. Il y avait eu les garçons qui, lorsqu’ils n’étaient tous que de jeunes enfants, s’amusaient à la taquiner pour la faire sortir de sa réserve et que l’ainée chassait sans ambages. Il y avait eu les grands rassemblements où il avait fallu se montrer plus encore, distraire plus encore, et permettre à sa jeune sœur de s’éclipser sans être repérée. Il eut été faux d’affirmer que la propension d’Elaena Tergaryon à occuper le devant de la scène était entièrement dû à cette mission de protéger sa petite sœur, elle en avait le plaisir et démontrait les prédispositions adaptées pour un tel rôle, mais cela avait été sans équivoque les raisons de son entêtement à l’endosser.

« Oui, je le sais… Et j’en suis soulagée, ma sœur. Je suis cependant navrée de ne pouvoir apporter ce tribut-là à notre lignée. Je crains de n’être pas prête. Crois-tu que je puisse être capable de quelques élans du cœur, Ela ? Quelquefois, je crains qu’Arrax ne m’ait pas façonné comme ses autres enfants. »

Elaena resta bouche bée. Les deux sœurs avaient beau avoir développé une relation de proximité unique au fil des années, il n’en restait pas moins que Daenyra n’était guère de ceux qui exposent aisément leurs sentiments. A trop percevoir ceux des personnes qui l’entouraient, la jeune femme avait sans doute fini par enfouir les siens. A trop écouter les tourments de ceux qu’elle aimait, elle avait fini par ne jamais partager les siens. Ce fut ce qui frappa son ainée. Cela faisait des mois que leurs vies avaient été bouleversées et il n’avait toujours été question que d’Elaena. Les discussions éclairées à la bougie, les jeux et divertissements, les échanges politiques et stratégiques… tout n’avait fait que tourner autour d’Elaena qui, sans même s’en rendre compte, avait intégré l’illusion qui voulait que sa sœur n’eût finalement aucun tourment. Le cœur de la jeune femme se brisant à cette idée. C’est en plongeant son regard dans celui de sa sœur qu’elle comprit l’ampleur de ce qui avait été sous ses yeux tant de mois sans qu’elle daigne le regarder pour de bon. A voir la profonde douleur qui marquait les doux traits de Daenyra, Elaena ressenti la plus terrible des culpabilités. Elle s’était promis de la protéger, mais comment en serait-elle capable si elle ne pouvait pas même voir ce qui à présent semblait aussi évident que le bleu du ciel.

Son instinct lui dicta de se rapprocher de sa sœur, de la prendre dans ses bras, mais elle n’en fit rien. Elle savait que cela ne ferait qu’envahir l’esprit de Daenyra, saturer l’espace de sa propre culpabilité, de ses propres sentiments au détriment de ceux de Daenyra qui méritaient d’être au cœur de leur échange. Alors Elaena resta à bonne distance, malheureuse de ne pouvoir consoler sa sœur mais tentant de maîtriser ses émotions afin que celles-ci n’empêchent pas sa cadette de parler.

« Il me vient parfois au cœur que je ne serai jamais capable d’aimer. Que ce sentiment si complexe et éblouissant qui éclate dans les poitrines conquises et dont je comprends toute la force ne me sera jamais propre. Crois-tu que ce don qui est mien et qui m’accapare les textures de chaque âme puisse m’affranchir de mes propres sentiments ? Crois-tu qu’il m’est permis de sculpter mes propres émotions quand celles des autres prennent tant de place ?

Comme je vous envie parfois. Comme j’aurai aimé naître aussi Tergaryon que vous… Je suis si seule au milieu de toutes ces voix qui se fracassent dans mon esprit et je crains, qu’un jour, elles ne m’engloutissent complètement. »


Le silence redevint maître des lieux alors que le regard d’Elaena avait quitté Daenyra pour se fixer au sol. C’était lâche, mais elle ne parvenait pas à contenir son émotion, ainsi avait-elle fait le choix de ne pas affronter la vision de sa sœur en proie à une telle détresse. Elle sentait d’ores et déjà les larmes l’étreindre, obstruer sa gorge et la peine enserrer son cœur. Elle sentait déjà qu’elle ne serait pas capable de laisser à sa sœur l’espace suffisant pour être elle-même si elle continuait à la regarder. Elle finit par se lever, instaurant une distance supplémentaire avec Daenyra, distance physique oui mais leurs âmes venaient de créer un lien plus profond encore. Avait-il vraiment fallu tant de temps à Elaena pour comprendre que, derrière le sérieux et l’apparent désintérêt de sa sœur envers les choses de l’amour, se cachait quelque chose de plus douloureux et insondable ? La jeune sénatrice se mit à faire les cent pas, sans trop comprendre elle-même ce qui la poussait à réagir ainsi alors même que toute son âme lui criait de rejoindre sa sœur et de l’étreindre. Il n’y avait pas là de peur que Daenyra puisse saisir ses sentiments, comme cela avait pu être le cas auparavant, c’était bien différent. Elaena cherchait à apaiser ses propres sentiments afin que ses mots puissent être plus forts que ce que pourrait ressentir sa sœur de ce qui bouillonnait en elle. Lorsqu’elle eut finalement repris la maîtrise de son cœur, elle se retourna vers sa cadette et s’avança à pas doux vers le lit au bord duquel elle était assise. Elle s’agenouilla devant la silhouette recroquevillée de la demoiselle, nouant ses mains aux siennes et imposant son visage dans le champ de vision de sa cadette.

« Sais-tu ce que je vois lorsque je te regarde, Daenyra Tergaryon ? Je vois une jeune femme qui montre le visage de la réserve alors même que couve un feu des plus ardent en son âme. Je vois un visage délicat, aux traits magnifiques et profondément bons, reflet honorable de son âme mais bien incapable d’en présenter la profondeur… Et fort heureusement car comment protéger une âme si belle des convoitises si tout devait en être lu sur le visage ? Je vois une femme forte, déterminée, dédiée à ceux qu’elle aime et absolument habitée par l’amour. Tu me parlais de beauté tout à l’heure… Il n’y a rien de comparable à cela. Il n’y a pas beauté plus éclatante que celle-ci.

Ainsi tu serais incapable d’aimer ? Toi qui t’évertues à oublier tes propres peines pour ressentir et apaiser les miennes ? Tu as raison sur un point, tu n’as pas été façonnée comme les autres, car Arrax a fait de toi un être unique. Je ne suis pas assez naïve pour considérer cela comme une bénédiction, et je vois au fond de tes yeux que cela ressemble à bien des égards à une malédiction. »


Elaena se tut un instant, prenant une longue respiration à mesure qu’elle sentait l’émotion l’étreindre à nouveau. Il ne s’agissait plus là de tristesse ou de culpabilité… l’ainée des filles Tergaryon se sentait progressivement submerger par l’amour sans commune mesure qu’elle ressentait pour sa sœur.

« Sais-tu comme je t’aime, Dae ? Le ressens-tu en cet instant ? Sens-tu la fierté que je ressens lorsque je te regarde ou lorsque je t’écoute ? Tu es une Tergaryon, tu n’es et ne seras jamais seule. M’entends-tu ? Si c’est ce que tu ressens alors j’ai manqué à mon devoir de sœur car il n’y aurait que la mort pour m’empêcher d’être à tes côtés. Il n’y a pas de moi sans toi, Dae. Il n’y a pas de Tergaryon sans toi. »

La jeune femme se releva, les yeux brillants d’émotion alors qu’elle s’éloignait à nouveau de sa jeune sœur.

« Sais-tu comment je sais que tu sauras aimer, un jour ?

Parce que tu l’as déjà fait.

Et que celle qui a aimé un jour aimera à nouveau. Lorsque la bonne personne se présentera. »


Elaena n’en dit pas plus, elle savait que sa sœur comprendrait son allusion et préférait lui laisser l’initiative de parler davantage de ce sujet. La jeune femme n’avait aucun droit d’évoquer ce qui semblait être le secret le plus intime de sa cadette et dont elle ne comprenait que les contours lointains. Elle l’avait compris des années auparavant, mais avait remis en doute cette observation, mais cela lui paraissait à présent évident. Elle avait déjà vu ce regard, cette peine, ces doutes. Elle avait déjà vu les traits de sa sœur se déformer ainsi pour laisser place au deuil. Elle pouvait reconnaître ce regard sans peine.

« Nous allons trouver un mage. »

Elle vit que ce changement de ton et de sujet surprit Daenyra. Elaena avait fait son annonce d’une voix décidée bien que douce.

« Il est plus que temps que tu cesses de souffrir de ce don et que tu apprennes à le maîtriser. Tout du moins il est temps que nous obtenions des réponses, nous ne savons rien de ce qui t’habite, s’il s’agit d’un don magique ou non, s’il peut être maîtrisé ou non. Ces réponses nous aideront à y voir plus clair et s’il y a une chance, même infime, que tu parviennes à vivre en paix avec celui-ci alors nous n’allons pas la laisser filer. »

Elaena se rapprocha à nouveau de sa sœur, prenant ses mains entre les siennes et l’invitant à se lever avant de délaisser ses mains pour encadrer son visage des siennes.

« Et je dis bien nous. M’entends-tu ? Tu n’es pas seule. Tu ne seras jamais seule. »


Daenyra Tergaryon
Daenyra Tergaryon
Dame-Dragon

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Whatever our souls are made of, his
and mine are the same

feat. Elaena Tergaryon

Palais Hoskagon & mois 5 de l'an 1066

Le cœur de Daenyra lui était aussi étranger que l’âme des autres lui était connue. Et à si peu connaître la matière dont elle était faite, la Tergaryon ignorait jusqu’à l’essence même de ce qui la constituait. Les émotions l’effleuraient, la touchaient, la frappaient sans distinction aucune entre ce qui était bon et ce qui était mauvais. Elle éprouvait le florilège des émulsions qui ébranlaient les esprits de la moindre âme qui croisait son passage. Un magma sensationnel si écrasant qu’elle ne discernait plus ce qui lui appartenait de ce qui au passant. Et de cette ignorance complète, Daenyra en détenait progressivement la complète conviction que son âme n’était pas formée comme les autres enfants d’Arrax. Que ses chairs, ses os et son âme étaient sculptés dans une matière inconnue.

Elaena et Maekar étaient forgés dans des métaux robustes, résistant à tous les assauts des tempêtes et du temps. Une même matière qui les rendait si semblables et si complémentaires qu’il était parfois ardu de les distinguer dans ce qui les constituait primairement. Ils savaient endurer le froid, la douleur et l’absence. Ils savaient se relever après les tremblements et les bourrasques. Ils savaient s’embraser aussi puissamment que le souffle incandescent des féroces dragons qu’ils montaient et rugir plus fort que l’orage. Ils étaient de ceux qui ne perdaient ni force ni courage, ou alors guère longtemps. Si bien qu’ils forçaient une admiration souveraine chez leur cadette.

Le caractère de Maerion était plus doux, plus tranquille. Toutefois, il vibrait de cette froide détermination qui illuminait le moindre de ses regards. Un feu de sagacité et de passions endormies qui menaçaient d’exploser à tout instant, mais en faisait un être puissant. Mais il savait aussi bien aimer que haïr et être submergé par ses humeurs. Une créature prompte à accueillir ses émotions, même si elles devaient demeurer sous un voile impassible et inébranlable.

Puis il y avait Aenar… L’astre lui-même, brillant de mille feux, éructant de vie et de passion, de fureur et de rage. Il était tout ce que Daenyra n’était pas. Une voix forte, un corps puissant, une force impressionnante… Une âme assourdissante pour les sens de la Tergaryon. Et pourtant, c’était dans sa matière la plus robuste qu’elle puisait toutes ses forces et toutes ses certitudes. A présent que sa vie avait déserté ce monde et que Balerion l’avait arraché à elle, la saveur des jours n’était plus la même. Une parade sordide qui l’avait éloignée plus encore de ce qui la constituait dans son être. Elle ignorait ce qui faisait d’elle une Tergaryon hormis son nom. Quelle était sa force ? Elle, créature dolente et fragile qui ne pouvait souffrir trop longtemps la compagnie des autres. Ses plus rares émois s’évanouissaient dans le gouffre béant du cœur des autres. Plus rien d’elle ne demeurait, tel un corps rejeté après l’ouragan sur les rebords de l’océan. Et du jour où Aenar avait disparu, Daenyra ne s’était plus senti l’âme d’aimer. Pas d’un amour aussi fort que le réclamait le privilège du sang.

Ce soir, au cœur de cette nuit qui ne ménageait guère les deux sœurs Tergaryon, Daenyra osait cette pudique confession. Cette peur viscérale de ne plus jamais pouvoir aimer, d’être si accrochée à l’âme d’Aenar qu’elle ne pourrait jamais rencontrer sa propre moitié. Car cette dernière n’existait plus. Et ce don maudit qui l’empêchait de se connecter à elle-même, à cette part inconnue à qui elle n’avait jamais pu parler. Tant de voix dans son esprit sans jamais pouvoir entendre la sienne… La jeune femme craignait d’être noyée complètement sous le poids de ce fardeau que lui avaient conféré les dieux pour une raison nébuleuse.

Depuis son refuge, Daenyra pouvait éprouver les tourments qui emprisonnaient le cœur de son aînée. Si toutes ses pensées étaient dirigées quelques instants plus tôt vers Maekar, il n’en était plus rien à présent. Toute son attention était dirigée vers cette cadette qui exprimait une plainte rendue silencieuse durant tant d’années. Elaena demeura immobile, laissant planer un silence uniquement perturbé par la caresse du vent du soir dans les riches teintures de la chambre, avant de venir s’agenouiller près de sa cadette. Daenyra n’opposa aucune résistance à ses mains qui vinrent prendre les siennes tendrement.

Sa voix se faisait douce tandis qu’elle peignait ses mots d’une affection sincère et d’un amour que la réservée Tergaryon aurait pu palper sans ses dons. Au travers des yeux d’Elaena, elle pouvait se voir belle, forte, courageuse et éblouissante. Toutes ces incroyables qualités qu’elle ne se serait octroyée pour rien au monde, dont elle se croyait affranchie et rejetée. Les yeux de Daenyra se mirent à briller d’émotions. Non point de ses propres émois, mais de toutes les tendresses que sa sœur lui conférait en cet instant. Cette place si spéciale qu’elle lui offrait et qui lui était due. Une place pour être aimée et estimée. Une place où elle était une Tergaryon. Toutefois, son cœur se tordit dans sa poitrine à la mention muette d’Aenar. Sais-tu comment je sais que tu sauras aimer, un jour ? Parce que tu l’as déjà fait. Et que celle qui a aimé un jour aimera à nouveau. Lorsque la bonne personne se présentera. Elle ignorait si ces mots pouvaient être vrais, s’ils pouvaient résonner dans le futur. Toutefois, juste pour ce soir, Daenyra voulait bien y croire un peu.

Pour apaiser quelques tourments. Pour se convaincre que l’absence ne serait plus aussi déchirante après le temps. Pour croire que les voix sauraient se taire sous les murmures d’une voix aimée.

« Je l’aime encore tant… » bredouilla Daenyra d’une voix étranglée, comme si cette confession faite à la nuit pouvait être étendue par-delà les murs. De lourdes larmes s’écrasèrent sur leurs mains jointes

« Nous allons trouver un mage. » Cette brusque remarque surprit Daenyra qui releva les yeux vers sa sœur. Déterminée, Elaena exposa le fond de sa pensée à sa cadette. Plus réservée, la jeune femme appréciait cette idée tout autant qu’elle ne suscitait quelques inquiétudes chez elle. « Ce n’est point un secret qui est sorti du cercle des Tergaryon… Crois-tu que nous pourrons trouver un mage à qui dédier ainsi notre confiance ? Et s’il venait à découvrir quelque chose de pire encore ? Si cela est une malédiction… Oh Ela, je ne veux pas qu’une quelconque révélation vous porte ombrage. » Ses mains s’étaient resserrées autour de celles d’Elaena, éprises d’une angoisse certaine. A présent qu’elles étaient debout, Daenyra sentait le tremblement qui agitait ses jambes et toute la fatigue qui lui tombait sur le corps. « En parlerons-nous à mère et père ? Promets-moi que cela demeurera notre secret pour l’instant. Je ne veux pas qu’ils puissent s’inquiéter outre mesure… » Ni même qu’ils les empêchent de mener une telle enquête. Car, bien que profondément inquiète, Daenyra brûlait de lever le voile sur ce mystère étrange qui l’entourait depuis sa naissance. Un don ou une malédiction… Bénie des dieux ou condamnée…




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