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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera Vaekaron et Saerelys Riahenor.

Tour Vaekar & An 1064, mois 11.

Un feuillet froissé. Un feuillet qu’elle serrait à s’en faire blanchir les jointures, la mine grave. Un feuillet qui avait été mainte et mainte fois déroulé, enroulé à nouveau. Déroulé, enroulé. Déroulé, enroulé. Enroulé des jours durant. Enfermant sa peine. Enfermant son désarroi. Enroulé, déroulé. Saerelys laissait le parchemin glisser entre ses doigts, les mâchoires serrées. Serrées pour ne pas laisser ses larmes couler. Serrées pour ne pas laisser échapper une plainte, un râle face à son propre échec. Elle n’avait pas été là. Elle arrivait trop tard. Bien trop tard. Cette lettre, lissée, polie à force d’être déroulée, lue, enroulée à nouveau, n’était qu’un rappel de ce cuisant et douloureux échec.  De ses émotions qui l’avaient submergée.

Il y a de cela quelques jours, serviteur venait lui porter la lettre. Une lettre scellée de cire. Une lettre pourtant ce sceau qu’elle ne connaissait que trop bien, une lettre sur laquelle s’écoulait cette écriture qu’elle reconnaîtrait entre mille. Alynera lui écrivait, comme souvent. Saerelys n’avait pu que se réjouir, lorsque la missive lui avait été remise. La première qu’elle recevait depuis son retour au Palais Riahenor. Elle qui n’appartenait alors qu’au Deuxième Cercle, il s’agissait-là de son dernier réel lien avec le monde extérieur. Le sceau avait rapidement été brisé. Aussi vite que son sourire s’était évaporé, ne laissant place qu’à l’effroi le plus profond. Un effroi qui avait paralysé chacun de ses nerfs, chacun de ses muscles, jusqu’au sang dans ses veines.  

Taelor n’était plus. Mhysa Faer. La bataille remontait à maintenant quelques jours. Taelor n’était pas revenu. Voilà ce que disait les quelques mots esquissés sur le feuillet, où l’encre semblait avoir coulé, la faute à de traîtresses larmes. Maelor, puis maintenant Taelor. Deux adolescents devenus deux jeunes hommes, qui la taquinaient plus jeune, lorsqu’elle se rendait à la Tour Vaekar. Ils n’étaient que des enfants, à cette époque. Que des enfants qu’elle avait eu l’occasion de revoir le jour de ses fiançailles. Que des jeunes gens. Des jeunes gens qui avaient la vie devant eux. Qui pensaient pouvoir se jouer de la Mort. Et pourtant, la guerre avait eu raison d’eux. Elle avait pleuré, ce jour-là. Longuement. Elle en avait sangloté à perdre sa voix, tant et si bien que Mealys avait du obtenir un congé pour elle, sa protégée ne pouvant point se rendre à ses cours dans un tel état.

Une journée afin qu’elle puisse se remettre de cette nouvelle. Hélas, l’inquiétude avait vite pris la place de la tristesse, de la colère. Il avait fallu une journée à la jeune femme pour qu’elle trouve le courage de répondre à cette missive. Pour qu’elle rassemble ses émotions. Pour ne point user son parchemin de larmes, à défaut d’encre. Une lettre courte. Une lettre simple. Tracée d’une main hésitante, pourtant habituée à un tel exercice. Une main tremblante. Elle serait là. Elle le devait. Il le fallait. De simples mots, quelques phrases tout au plus, annonçant sa venue prochaine. Elle serait là. Elle le devait. Il le fallait.

Tout cela pour en arriver à cet instant. A cet après-midi ensoleillé que la novice n’avait qu’à peine remarqué, en se rendant jusqu’ici. Tout cela pour se retrouver dans ce couloir vaguement familier. Cela faisait des années que Saerelys ne s’était pas rendue à la Tour Vaekar. Tout était différent. La guerre avait emporté avec elle ces couleurs, ces rires, ces chants qui résonnaient auparavant en ces lieux. De lointains souvenirs, dont il ne restait qu’une vague senteur. Celle d’un passé lointain, presque révolu. Comme sa tête lui bourdonnait. Il lui fallait marcher. Alors, la novice marcha. Fit les cent pas, tournant comme un fauve en cage. Où pouvait bien être passé ce serviteur ?! Il lui semblait être parti depuis une éternité !

Le serviteur revint finalement. Alors, les traits de Saerelys s’adoucirent légèrement, bien que sa main serrait toujours fébrilement le feuillet. Elle devait le suivre. La novice emboîta donc le pas du serviteur, sans se faire prier un seul instant. Pressant le pas, ce fut finalement à l’homme de s’adapter à sa mesure. Cette attente n’avait que trop duré. Le serviteur finit cependant par la dépasser à nouveau, s’inclinant devant elle, posant sa main sur la poignée. Machinalement, la novice glissa sa main dans cette sacoche qui ne la quittait plus depuis le début de son noviciat. Le feuillet disparu à l’intérêt de la besace, alors que la jeune femme en ôtait sa main. Une pièce de monnaie s’y trouvait, qui trouva bien vite place dans le creux de la main libre du serviteur, qui s’apprêtait à lui ouvrir.

Le grand moment était venu. Alors, Saerelys prit une grande inspiration, chassant les derniers plis indélicats qui s’étaient glissés sur dans le tissu noir dans lequel sa robe avait été taillée. Un voile d’une pareille couleur ornait sa chevelure, masquée comme le deuil le demandait. Un deuil que la jeune femme portait aussi bien pour elle-même, que pour Alynera. N’était-ce pas là ce qu’une sœur, une amie, se devait de faire en de pareilles circonstances. Rassemblant son courage, la jeune femme fit signe à l’homme de lui ouvrir. Ce dernier s’exécuta, disparaissant ensuite dans le couloir. C’est seule que Saerelys entra. Comme elle aurait voulu sourire. Comme elle aurait voulu que ces retrouvailles, ces réelles retrouvailles, bien loin de ces quelques instants qu’elles avaient partagé lors de la fête qui avait célébré ses fiançailles avec Aedar, se passent autrement. Dans de joyeuses circonstances. Dans la joie, dans l’allégresse.

« Alynera ? »

Juste un murmure. Il n’avait s’agit que d’un murmure, tant Saerelys craignait de voir sa voix se briser, se casser à nouveau. Alynera était là, enveloppée de cette lueur qu’elle lui avait toujours connue. Une douce aura, qu’elle ne percevait que mieux depuis qu’elle avait été éveillée à la Magie. Une douce aura ternie de tristesse, de souffrance. Comme la novice aurait voulu pouvoir l’apaiser aussi facilement qu’elle pouvait forcer une plaie à se refermer, à se recoudre d’elle-même. Tout d’abord hésitante, la Riahenor avança finalement d’un pas. Puis d’un autre. D’un troisième, puis d’un quatrième.

Elles étaient désormais face-à-face. Alors, Saerelys esquissa un sourire. Déjà, elle sentait des larmes poindre au coin de ses paupières. Et pourtant, elle souriait. Elle souriait doucement. Et pourtant, comme ses joues pouvaient lui faire mal. Un sourire pour signifiait qu’elle était là. Que tout irait mieux, à présent. Du moins, la jeune femme ne pouvait que l’espérer. Si seulement les Dieux l’avaient doté d’un tel pouvoir. Elle n’était pas venue ici en novice, mais en amie. En sœur d’âme, à défaut de l’être de sang. Peut-être l’avaient-elles été dans une autre vie ? La jeune femme ouvrit les bras, enveloppant Alynera des larges manches dont était pourvue sa robe, la ramenant contre elle. La serrant doucement, comme si elle craignait de la briser en se comportement de la sorte.

« Alynera… Alynera… chuchotait la jeune femme. Comme j’aurai voulu être là. Comme j’aurai voulu venir plus tôt, les pleurer avec toi. Ma sœur, je t’en prie, pardonne-moi mon absence. Saerelys se tut quelques instants, sa voix se cassant. Pardonne-moi. »

Une première larme perla sur sa joue. Le Collège attendrait. Il attendrait des jours s’il le fallait, elle en assumerait les conséquences. Elle ne laisserait pas Alynera seule. Plus maintenant, alors qu’elle avait le pouvoir de prendre un certain nombre de décisions. Des sœurs, elles l’avaient été. Dans une autre vie. A une autre époque, sans doute. Mais elles l’avaient été. Saerelys en avait la certitude. Et si ce lien avait effectivement existé, la jeune femme se devait d’y faire pleinement honneur, de rendre grâce aux Dieux d’avoir permis à leurs deux âmes de se croiser à nouveau dans cette vie.




( Gif de haticesultanas. )
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera & Saerelys

Les doigts du guérisseur sont rugueux. D’une main experte ils appliquent un cataplasme d’argile rouge sur le bras de la Dame-Dragon. Les blessures, quelques égratignures, ne sont pas dangereuses. D’ailleurs, il les soupçonne de ne pas être les fruits du champ de bataille… Dans les couloirs, il se murmurait que la belle avait été vue dans les flots, au milieu des débris ghiscaris. Les murmures les plus inaudibles racontaient que, telle une démente, nourrie par une passion fraternelle, elle s’était époumonée pendant de nombreuses heures à chercher son frère. Malheureusement, au cœur de la bataille, le beau Taelor Vaekaron était tombé du Ciel. Sa créature touchée en son point le plus faible par une lance meurtrière, probablement enduite d'un poison vénéneux, il s’était écrasé dans le Golfe de Douleur. Dans un dernier râle le dragon avait emporté avec lui un navire entier dans les profondeurs. Malgré cet acte héroïque, la chute trop était trop haute, même pour un héritier de Vaekar. Tué sur le coup, ou ne sachant pas nagé, ses poumons s’étaient engorgés d’écumes. L’eau avait eu raison de la vie du fils puîné. Le corps n’avait été rejeté par la mer que de nombreuses heures plus tard. Tout ce temps, les murmures aimaient à narrer que la Vaekaron avait attendu sur le rivage. Bien sûr, les serviteurs aimaient à ressasser les histoires de leurs maîtres jusqu’à en faire des épisodes légendaires et le médecin ne pouvait être certain des faits exacts. De toute évidence, la Dame ne les lui aurait jamais confiés — et il ne se serait jamais permis de les lui demander. Seules ces blessures étranges, causées par des épines de bois flottants, laissaient entrevoir qu’une partie de ce récit prosaïque devait être vraie. « Voilà qui est nettoyé. Je reviendrais demain pour vérifier que les plaies cicatrisent » Distraite, égarée dans des pensées vides, Alynera hoche la tête. Il lui semble que son corps ne peut plus ressentir la douleur, que quelque chose s’est brisé en elle. Depuis combien de temps l’iatralipice était-il présent ? « Tu devrais te substanter. Les Quatorze ne t’en voudront pas d’ingurgiter pain et figues… » « Le jeûne à Balerion est strict. » « Je suis sûr que le pain et les figues sont abondants dans le royaume de l’Au-Delà… » L’homme de sciences préfère laisser sa phrase en suspens. Sa famille, médecin de père en fils depuis des centaines de générations, était fidèle aux dynastes : ils avaient appris à ressentir leurs émotions dissimulées. L’épouse de Daelor était pieuse, presque trop, là n’était pas le moment pour entendre que son état psychique ne pouvait souffrir d’un jeûne abusif. D’autant plus que depuis le début de la guerre, les jeûnes chez les Vaekaron étaient devenus chose courante…

Une porte dissimulée s’ouvre furtivement. « Ma Dame, la Mage Saerelys s’est présentée. Elle demande à te voir. »« Saerelys… » À l’évocation du prénom de la Riahenor, la maîtresse des lieux semble soudain se réveiller de sa torpeur monosyllabique. « Où est-elle ?! » « Euh, dans le vestibule… » « Habille-moi, vite ! Je veux ma stolae noire, en soie brodée aux fils d’argent. » Saerelys devait être reçue comme une princesse. La chambre nuptiale, endeuillée depuis de longs mois, s’active dans un bourdonnement féminin. Chassant un sourire, car il préfère voir l’épouse de Daelor coquette et disposée à sortir de son lit, le médecin s’éclipse après une légère révérence informelle. « Tu iras aux cuisines chercher des douceurs, les Dieux seuls savent ce qu’elle a pu manger ces dernières années. Je veux qu’elle soit reçue ici comme notre sœur, comme avant lorsque nous… » Alynera se tait. Les mots disparaissent, encore. Une agitation trop vive, trop rapide, pour la torpeur de son état. La tête lui tourne. Son corps est pris d’un vertige bileux. « Fais au mieux. » La servante comprend ce que sous-entendent ces trois mots. La fille de Maegon serait reçue avec les honneurs de son rang, que les temps soient aux deuils ou non. De gestes agiles, rodés aux mêmes mouvements quotidiens, elle dresse la dragonne de sa robe d’apparat. La même avec laquelle, au rythme des chants funéraires des praeficae, elle avait gravi la Troisième Flamme pour jeter au Dieu des Morts le corps de son défunt frère. Cette robe avait tellement vu le magma divin qu'elle en dégageait un souffre trop imprégné. « Comment est-elle ? » « Je ne l’ai pas vue… » Alynera mord sa lèvre inférieure, tentant de dissimuler une attente qui, après quarante et un mois, lui semblait durer l’éternité. Dans un dernier geste minutieux, la servante ajuste les drapés de la longue robe sur l’avant-bras de sa maîtresse. Il ne servait à rien que la jeune Mage perçoive les blessures physiques de son amie d’enfance. De toute manière, pensait secrètement la servante, elle allait vite se rendre compte qu’Alynera était effacée, déstabilisée et trop frêle pour être réellement elle-même.



À l’instant même où la servante s’efface dans l’épaisseur des murs, la porte seigneuriale s’entrouvre. « Alynera ? » Le cœur de la Vaekaron manque un battement. Quoique préparée à ses retrouvailles, son prénom ainsi susurré, à mi-voix, laisse entrer la remembrance du passé. Saerelys. Ces trois dernières années, elle avait tissé les fils de leurs souvenirs pour ne jamais les oublier. Ces images, brodées de nœuds tout aussi invisibles que complexes, semblent scintiller dans la pièce comme les chemins de toute une vie anéantie. Haute de toute sa stature, Alynera toise silencieusement la jeune inconnue qui se tient devant elle. Elle n’ose pas bouger, même ses yeux améthystes demeurent fixes. Le moindre mouvement risquerait de briser l’enchantement. Saerelys pouvait-elle vraiment être cette membre du Collège qui se tenait devant elle ? depuis quand l’adolescente malicieuse possédait les traits d’une femme épanouie ? Bravant les ténèbres de ces années volées, la Mage s’avance la première. Incertaine, un pas pour un mois d’absence, elle avale la distance qui les sépare. Alynera est toujours figée lorsque deux bras forts l’enlacent, des racines aimantes qui l’attirent tout contre le corps de la jeune magicienne. Les mains de la Riahenor parcourent son dos. Ses deux paumes la pressent avec émois. Un long instant encore, la Dame de la Tour demeure immobile. Incapable d’enlacer Saerelys, pétrifiée par des émotions retenues trop longtemps. Pourquoi avait-il fallu que les Dieux la lui arrache ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle soti enfermer de si longues années ? « Alynera… Alynera… » À entendre son prénom, encore et encore, la belle referme doucement ses bras autour de son amie. Quoiqu’inertes pendant le longs moments, ils serrent bientôt tant le corps frêle qu’ils pourraient la soulever du sol. « Comme j’aurai voulu être là. Comme j’aurai voulu venir plus tôt, les pleurer avec toi. Ma sœur, je t’en prie, pardonne-moi mon absence. » La voix est lourde, remplie d’amertume salée, et la gorge d’Alynera se noue. « Pardonne-moi. »



Coupant d’une râle une longue inspiration, la Vaekaron appuie sa tempe contre celle de son amie. Ce n’était pas à elle de s’excuser. Ce n’était pas à aller de demander pardon… « Chhh… Chhh… » Son corps tout contre le sien, elle berce un instant les pleurs de leurs deux âmes. « Je suis celle qui suis désolée… J’ai cru te protéger en te dissimulant la vérité… » Ses doigts s’enroulent dans les cheveux de cette sœur qu’elle a choisie parmi toutes. Malgré les années passées au loin, enfermée dans les murs mystérieux du Collège, ils n’avaient pas perdus leur odeur si particulière. Elle aurait pu la reconnaître entre mille. Oui, après tous ces mois de séparation, Saerelys lui était revenue. Elle était là, forte et pleine de vie, ici, dans la Tour Vaekar. Finalement, malgré les pertes de la guerre, Riahenys et Vaekar les bénissaient de leur clémence ! Le bonheur était immense. Probablement trop grand pour un cœur valyrien. « Je pensais que si tu apprenais l’hécatombe qui touchait les nôtres, la distance te serait plus éprouvante… Savoir ton père et Aedar engagés dans les combats me semblait déjà peine suffisante. » Ainsi prononcés, ses mots, ses explications, lui semblent bien lâches. En vérité, elle était une cruelle amie ! Comment avait-elle pu feindre, dissimuler tel un serpent venimeux, la disparition des siens ? Oui, elle avait craint que le joyau des dynastes ne renonce à ses vœux pour lui venir en aide. Elle avait craint qu’elle ne réussisse pas la Grande Épreuve. Une pensée bien peu avouable… qui hantait ses cauchemars les plus sombres. « C’est à moi d’implorer ton pardon petite sœur… seulement à moi. »

Sous les longs cils blonds du dragon coulent des larmes rares. Elle pourrait l’éteindre aussi longtemps qu’elle voulait, rien ne pourrait effacer son pêché. Elle avait volontairement causé du tord au, désormais, seul roc de son existence. Yraenarys et Daelor étaient sa chair, ses muscles, ses respirations… mais Saerelys était toute autre chose. Une force extérieure, inébranlable à sa vie. Alors que Meleys avait donné des filles à tous ses oncles, Alynera était restée fille unique. La déesse avait un projet pour elle, une fortune tapie dans l’ombre — peut-être était-ce pour cette raison que sur son terrain de prédilection Vermithor avait laissé Belarion venir cueillir les siens. Quoiqu’il en soit, la déesse de l'amour ne lui avait peut-être pas donné une sœur de sang, mais elle lui avait offert l’amour d’une sœur dynaste. Et ce lien était peut-être plus fort encore que les autres. Alynera dépose un baiser humide dans les cheveux magiques de sa tendre sœur. « Je te demande pardon Saerelys, du plus profond de mon âme. Je comprends désormais que tu avais le droit de les pleurer comme nous tous, aux mêmes moments où les derniers hommages leurs étaient rendus. Toi qui est si douce, voit mon hybris ! car qui suis-je, simple mortelle, pour t'avoir interdit de prier leurs mémoires ? »


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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera Vaekaron et Saerelys Riahenor.

Tour Vaekar & An 1064, mois 10.

Tout cela était réel. Cette étreinte fraternelle, mêlant tristesse profonde et tendresse, cette chaleur. Ce cœur qui battait contre le sien. Ce parfum si lointain dans son esprit mais reconnaissable entre tous. Tout cela était réel. Combien de fois Saerelys avait imaginé cette scène ? Tournant et retournant dans son esprit comment les choses auraient dû se produire, se passer. Si seulement la guerre n’était pas venue frapper à leurs portes. Si seulement Vhagar n’avait pas fait sonner son cor. Car à son retour au Palais, Mère, Aelys, Gaelor, Rhaelys et Grand-Mère avaient été les seuls à pouvoir l’accueillir. Aedar ne l’avait pas enlacée, soulevée dans les airs pour la faire voler quelques instants. Père n’avait pas posé sa main sur son épaule, la guidant dans son bureau afin d’entendre ses récits. Ses cousins ne l’avaient pas pressée de questions, ne lui avaient pas demandé de leur faire montre de ses dons.

Et que dire de cet instant ? La Tour Vaekar était silencieuse, endeuillée. Des draps sombres avaient été tendus à certaines fenêtres, tandis que les miroirs avaient été tournés contre les murs, quand ils n’étaient pas dissimulés à leur tour. Les rires ne résonnaient plus. Balerion avait laissé son empreinte sur cette demeure. Saerelys le ressentait jusque dans ses veines. Comme elle aurait voulu surprendre Alynera et ses frères. Arriver ici sans être attendue, comme cette sœur d’une autre vie qu’elle était, retrouvant un foyer qui était le sien, d’une certaine manière. Les amusant de ses tours, de ses compétences. Rattraper tout ce temps perdu tout en réveillant d’anciens souvenirs.

Rien de tout cela n’était arrivé. Il n’y avait à Valyria que tristesse et larmes. Une lourde chappe de plomb s’était abattue sur leur si belle cité. Les amoureux ne vivaient plus leurs idylles ou leurs béguins. Les jeunes mariés n’allaient pas demander sa protection à Vermax, se jurant assistance et fidélité devant elle. Des alliances étaient brisées par de simples feuillets, ne portant que quelques mots, quelques mots d’une lourdeur infinie car apportant la nouvelle d’un décès tant redouté. Et que dire de ces femmes qui serraient leurs plus jeunes fils contre elles, les protégeant de la guerre de leur étreinte maternelle, craignant qu’eux aussi, ils ne soient envoyés au front comme leurs aînés qui n’en étaient pas revenus, qui n’en reviendraient jamais ?

Le Collège permettait aux novices de tous âges de quitter ses murs en cas de deuil. Bien des personnes avaient bénéficié de cette règle, depuis le début des combats. Balerion frappait sans distinction, sans nulle pitié. La soif de conquêtes et de combats de Ghis n’était qu’un prétexte parmi tant d’autres pour répandre son haleine fétide en ce bas monde. Peut-être aurait-elle pu demander à Mealys d’intercéder en sa faveur auprès des Archimages. Auprès du Magister en personne ? Mais ce n’était pas son sang qui avait été fauché. Pas cette fois du moins. Aux yeux du Collège, là était la différence. A leurs yeux, Alynera n’était pas sa sœur. Tout comme ses frères n’étaient pas les siens, malgré les liens que leurs dynasties entretenaient depuis la nuit des temps. Malgré ce lien qui s’était naturellement tissé, noué entre elle et la première des Vaekaron. Sans doute n’auraient-ils vu dans sa demande qu’un caprice

« En cela… En cela me connais-tu sans doute mieux que bien des personnes… bredouilla Saerelys. Même des chaînes d’acier valyrien n’auraient pas suffit à me retenir, si mon souhait de te rejoindre s’était opposé à la volonté du Collège… »

Saerelys esquissa un pauvre sourire. Aurait-elle osé braver les interdits du Collège ? La jeune femme était du sang des premiers dragons qui avaient peuplé cette péninsule. Jamais de simples murs de pierre n’auraient pu durablement entraver ses mouvements. Si les Archimages ou le Magister ne lui avaient pas accordé leur autorisation, sans doute aurait-elle trouvé un moyen de s’échapper. Qu’importe les conséquences. L’aurait-elle regretté ? Voilà une question dont la réponse n’était pas des plus évidentes. Sa famille, son sang, son âme, passait avant tout ce que le Collège avait à lui apprendre. Ils étaient à la fois son bouclier et son épée, en ce bas monde. Et inversement. Des pensées pour le moins impies. Car c’était par la volonté des Dieux qu’elle s’était retrouvée à tenir entre ses mains le destin magique des Riahenor. Jamais Père n’aurait supporté pareil affront.

« Jamais je ne pourrai accepter pareille chose de ta part, Alynera. Jamais, au grand jamais. Mes oreilles ne pourraient souffrir d’un pareil aveu. Tu as fait ce que tu pensais être juste car c’est là ce que te soufflais ton âme. Une âme qui connait la mienne comme peu d’autres peuvent se targuer de la connaître. Je n’ais rien à te pardonner. Les Dieux savent que mon âme est en paix et que je ne nourris nul ressentiment à ton égard, ma sœur. Cela me serait impossible. »

Délicatement, les mains de Saerelys quittèrent le dos d’Alynera, se retrouvant finalement sur ses joues. D’un geste doux, la jeune femme effaça les quelques larmes qui se perdaient sur les joues de la Vaekaron. Tant de larmes avaient déjà coulé sur son visage. Cette âme si proche de la sienne, la jeune femme ne la percevait que trop bien. Meurtrie, fêlée par endroits. Tout cela à cause de cette maudite guerre. A cause de cet affront que Ghis leur avait fait. Comment avaient-ils osé, ces fils de la Harpie ? Comment avaient-ils osé ? S’en prendre à eux, Enfants des Dragons et des Volcans ? Comment avaient-ils osé toucher à la chair des Fondateurs eux-mêmes ? Les Pères et les Mères des Dragons ? Déjà, son sang s’échauffait dans ses veines à ces pensées. Ils ne méritaient aucune clémence pour ces odieux crimes.

Alors, Saerelys ferma les yeux quelques instants, alors qu’Alynera déposait un baiser sur le haut de son crâne. La Magie était aussi une affaire de sentiments. A chaque incantation était liée une volonté, une raison. Ne pas se laisser dominer par ses pulsions. C’était là le premier pas vers la folie, vers la fin de sa Raison. Petit à petit, le feu se tut dans ses veines, ne laissant place qu’à une sensation de plénitude. Une aura douce, chaleureuse, rassurante comme la lueur d’une bougie dans l’obscurité. Bien des Valyriens percevaient les auras sans réellement les comprendre. Parfois ne les frôlaient-ils que du bout des doigts sans même s’en apercevoir. Alors ressentaient-ils les sentiments d’autrui, paniquant face à eux car ne pouvant point les comprendre, tant ils étaient à la fois ténus, mais d’une force capable de les bouleverser. Mais il y avait aussi ces simples intuitions, donnant lieu à une joie passagère, à un rire dont l’origine semblait futile, ou inconnue pour le commun des mortels. La jeune femme ne pouvait savoir si Alynera y était sensible. Mais qu’importe. Si cette autre âme pouvait partager un peu de sa plénitude, elle la lui offrait bien volontiers toute entière.

« Par quatorze fois je leur rendrai hommage, Alynera. Par quatorze fois, je monterai sur le Volcan de Balerion afin de leur offrir un dernier salut, une nourriture profitable, un souvenir capable de les faire sourire depuis la demeure de nos ancêtres. La jeune femme rouvrit les yeux. Car c’est là la volonté des Dieux. Rien ni personne ne pourra m’empêcher de prier leurs mémoires, de chérir ces souvenirs que nous avons partagé. De les conter à qui voudra les entendre afin que jamais leurs noms ne s’éteignent. »

Le sourire de la jeune femme se fit plus doux, plus compatissant. Comme elle avait pu en vouloir à leurs Dieux, d’avoir ainsi joué avec son Destin. Il lui avait fallu apprendre à les apprivoiser à nouveau, à les prier comme toute Valyrienne se devait de les prier, de les vénérer. Doucement, les mains de la novice glissèrent sur les épaules de cette sœur aînée qui ne partageait point son sang, frôlant ses bras. Alors que Saerelys serrait les mains d’Alynera dans les siennes, ses traits s’étirèrent d’inquiétude. Qu’avait-elle senti, sous l’étoffe sombre ? Il y avait là comme de discrets reliefs, quelque peu boursouflés. Au toucher de bien d’autres, sans doute seraient-ils passé inaperçus. Mais la novice ne faisait pas partie de cette catégorie de personnes. Car de l’art du soin elle avait fait l’une de ses armes.

« Alynera, ma sœur, tes bras… murmura la jeune femme. Quelqu’un s’en est pris à toi, ma sœur ? Qui a osé commettre pareil acte ? »

La discrétion était de mise, lorsqu’il s’agissait de la médecine. Un malade ou un blessé qui ne se confiait pas était un mort en devenir dans bien des cas. Car le simple examen d’un membre blessé, d’une mauvaise toux, ne pouvait suffire à déduire les maux réels qui secouaient un Être. Qu’avait-il bien pu se passer ? Quelqu’un avait-il songé à s’en prendre à Alynera alors qu’elle était seule, affaiblie par son deuil ? Seul un Être infame aurait pu agir de la sorte… Il fallait qu’elle sache. Car si tel était le cas, la Riahenor qu’elle était ne pourrait laisser un tel acte impuni.




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Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera & Saerelys

« Par quatorze fois je leur rendrai hommage, Alynera. Par quatorze fois, je monterai sur le Volcan de Balerion afin de leur offrir un dernier salut, une nourriture profitable, un souvenir capable de les faire sourire depuis la demeure de nos ancêtres. La jeune femme rouvrit les yeux. Car c’est là la volonté des Dieux. Rien ni personne ne pourra m’empêcher de prier leurs mémoires, de chérir ces souvenirs que nous avons partagé. De les conter à qui voudra les entendre afin que jamais leurs noms ne s’éteignent. »


Dans leur nouvelle demeure, à l’instant de ces retrouvailles, souriaient-ils ces frères tant aimés ? Et Glaïa, leur mère, riait-elle au milieu de ses fils retrouvés ? Elle qui avait tant dépéri dès la mort de Maelor, chassant jour après jour jusqu’à la moindre particule de vie, avait-elle pu retrouver quelque douceurs entre leurs bras guerriers ? Bien sûr, Daelor avait été toute sa fierté d’épouse, mais, en tant qu’héritier, dès son premier vagissement il avait appartenu aux autres. À tous ces autres hommes et à toutes ces autres femmes, connus ou inconnus. Oui, son enfant préféré avait toujours été Maelor. Jamais la belle Glaïa n’avait été plus heureuse que dès son arrivée en ce monde. Dès le jour où le médecin lui avait appris qu’elle était enceinte, elle avait décrété que cet enfant, fille ou garçon, n’appartiendrait qu’à elle. Elle l’avait élevé de ses mains divines, lui conférant tout l’amour qu’elle ne pouvait donner à ses premiers nés. Sa fille parce qu’elle était une déception orgueilleuse et une enfant trop vite ravie par son époux ; son fils parce qu’il ne devait appartenir qu’à Valyria. Lorsque l’annonce de la mort de Maelor était arrivée, son corps tout entier s’était écrasé sur le marbre millénaire. Il ne devait jamais s’en relever. Sous les cris des domestiques, Alynera avait accouru auprès de sa mère. Malheureusement, malgré ses grands bras l’attirant dans le monde des vivants, elle était incapable de parvenir jusqu’à elle. Alors, une à une, ses tantes avaient accouru. Nulles n’avaient réussi à la relever, à l’emporter du royaume qu’elle s’était créé entre les morts et les vivants. La veuve de Lorgor gisait dans les mètres de sa soie d’Oros, les hurlements déments. Seule la décoction du médecin avait pu la tranquilliser. Et si ce jour-là, les Quatorze ne lui avaient pas ravi sa vie c’était pour mieux la tourmenter car dès lors elle n’avait eu de cesse d’attendre le retour triomphal son fils. Chaque matin, parée de ses vêtements de fête, les bras chargés des palmes de la victoire, on pouvait la trouver à l’endroit même où elle avait appris sa mort. Après des heures, ne le voyant pas venir, elle détournait la tête, un sourire amusé, comme s’il pu encore lui faire une farce, pour retourner en ses appartements. Et puis, huit mois plus tard, la mort était venue la trouver dans son sommeil. Glaïa Vaekaron, qui avait un jour fait tourner toute la Cité au son des grelots de sa coiffe, s’était endormie pour ne jamais se réveiller. Afin de respecter ce départ silencieux, ses funérailles avaient été discrètes. Les hommes sur les champs de batailles, le cortège funéraire avait été majoritairement composé de matrones, jeunes et moins jeunes, souhaitant rendre un dernier hommage à celle qui avait été l’une des plus grande dame de sa génération. Depuis ce jour, une flamme s’était allumée à côté de celle de Lorgor pour ne jamais s’éteindre.

« Et, par quatorze fois je monterai à tes côtés. Par quatorze fois nous leur rendrons un hommage, nous, les sœurs qu’ils ont laissés derrière eux. »



La mansuétude de Saerelys inondait son jeune visage d’un sourire apaisant et Alynera la serra un peu plus contre elle. Un jour lointain leur tour viendrait. Elles iraient les rejoindre pour trinquer avec eux au milieu de leurs aïeuls. Elles pourraient les enlacer et se repaître entre leurs bras. Sur les monts des Dieux, d'une danse envoûtante, ils célébreraient le dernier epectase. Mais ce jour, et Alynera se le promettait, serait très lointain. Jusque là, elle veillerait sur les siens pour que leurs vies soient longues. Bientôt, de son hyménée avec Daelor, elle engendrerait des enfants pour perpétuer leurs lignée. Leurs noms étaient déjà choisis, pour que toujours les disparus demeurent proche d’eux. Pour ces hommes tombés trop tôt, les hommages seraient nombreux.



« Alynera, ma sœur, tes bras… Quelqu’un s’en est pris à toi, ma sœur ? Qui a osé commettre pareil acte ? »

Perdue dans ses pensées secrètes, la Vaekaron n’avait pas sentie Saerelys palper ses boursouflures. Et quoique son mouvement de recul fut trop lent, elle chassa doucement la main de sa sœur. « Ce ne sont que des blessures, bénignes qui plus est. Crois-moi, ces cataplasmes d’argile sont bien plus impressionnants que les réelles écorchures. » Dans ses explications, Alynera ne pu s’empêcher de sourire discrètement. La douce mage avait été recluse du monde si longtemps, sa naïveté était touchante.  Afin de ne pas paraître trop brusque, elle ramène a elle la main chassée. « Mhysa Faer a été… les mots me manquent encore pour décrire, ou simplement comprendre, ce que j’y ai ressenti. Tout a été si soudain. Un jour ils avaient besoin des dragons les plus puissants et nous étions partis. » Des larmes inondent ses cils. Elle pouvait encore entendre la fureur des combats. Pire, son corps tout entier pouvait sentir cette force immense sortir d’elle pour se déchaîner à des centaines de mètres plus bas. « J’ai puisé tant de fureur en Yraenarys et moi sans que personne ne m’ait jamais expliqué comment faire. C’était comme si une force primordiale et inconnue se libérait pour tout détruire. » Bien sûr, il y avait eu l’année du service militaire pourtant il lui semblait que personne ne lui avait expliqué ce qu’il se passerait avec son dragon. Par la grâce des Dieux, elle était devenue créature divine, abandonnant toute part humaine, pour ravager la bêtise des hommes. « Maelor. Vaerys. Vaegor. Taelor. Tous avaient reçus les hauts enseignements de Ragaenor, mais moi… » Sa voix se meure sans qu’elle ne puisse l’expliquer. Tout ceci était trop récent, beaucoup trop récent. « Fi, tout ceci appartient désormais au passé. »



« Ma Dame, tout est prêt. » Ajustant les plis de sa stolae sur son bras, faisant disparaître l’objet du trouble, Alynera hoche la tête. La servante était restée invisible, cachée derrière les voilages de coton blanc. « Je t’en prie, ma douce petite sœur, ne t’inquiètes donc pas. Ces égratignures ne sont rien… mais tu sais comment agirait Daelor si il devait apprendre que je n’avais pas reçue toutes les attentions possibles. » Elle faisait évidemment référence aux excès de ce frère-époux qui, malgré une bonhommie immense pour les siens, pouvait se mettre dans des états colériques diluviens lorsqu’il considérait que son aimée n’avait pas été assez choyée, vénérée, et autres synonymes que lui seul comprenait. « Viens, je t’ai fait préparer des mets. Tes mets préférés. »


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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera Vaekaron et Saerelys Riahenor.

Tour Vaekar & An 1064, mois 10.

Vaste, la fratrie de Saerelys l’était. Six, ils avaient été. Cinq, ils étaient désormais. Aux yeux de la société Valyrienne, basée sur la pureté du sang, les choses étaient ainsi. Aux yeux des Dieux, les choses étaient sans doute toutes autres. Les Dynasties étaient proches. Depuis la création de Valyria, les fibres et les fils de leurs destinées s’étaient tissées ensemble. Saerelys n’avait pas perdu Aedar ou Gaelor, les seuls frères de sang qu’elle avait en ce bas monde. Elle en avait perdu d’autres. A qui elle n’avait même pas eu le loisir de dire au revoir, d’accompagner dans leur départ. La faute à une destinée qu’elle ne pouvait contrôler.

La jeune femme ne prononça pas le moindre mot alors qu’Alynera lui fit ôter sa main de son bras. Les explications vinrent ensuite. Des blessures de faible gravité, sans doute proches de celles qu’Aelys et Gaelor avaient reçu au cours de la bataille. Le frottement de la chair sur les écailles d’un dragon pouvait abîmer la peau et que dire des éclats de bois qui avaient dû virevolter dans les différents impacts ? Sans doute était-ce le cataplasme, que la novice avait senti sous le tissu qui couvrait les bras d’Alynera. Sans doute Saerelys aurait-elle pu proposer son aide. N’avait-elle pas été capable de prendre soin des siens, à leur retour ? Alynera reprit sa main, l’empêchant de proposer pareille idée. Le travail était déjà fait. Une autre tâche lui incombait. Si seulement il suffisait de laisser son énergie affluer pour apaiser une âme quelque peu fissurée.

Saerelys avait assisté au départ des Seigneurs et des Dames Dragons pour Mhysa Faer. Une scène glaçante. Tout était allait si vite. Bien trop vite. La rumeur s’était répandue comme une traînée de poudre, alors qu’Aelarys Targaryen parvenait jusqu’à Valyria. Ghis, toujours assoiffée de conquêtes, s’approchait de leurs côtes avec sa flotte. Les Riahenor ne pouvaient pas laisser passer un tel affront, tout comme les autres familles. Plusieurs cousins, plusieurs cousines, avaient rameutés leurs dragons, se joignant au reste de la nuée qui quittait alors leur si belle Cité. Comme elle avait paru silencieuse, après le départ de tant de ses enfants. De tout cela, la novice ne pouvait qu’être consciente. Elle se trouvait au Palais, alors que sa grand-tante bénissait ceux et celles qui s’étaient portés volontaires pour le combat.

« Mhysa Faer… répéta Saerelys, dans un murmure. On m’en a fait le récit… »

Comme l’atmosphère était lourde, en ce jour. Il y eut des étreintes maternelles ou fraternelles, des promesses d’un retour rapide furent échangées. Une rune déposée ici, une autre là. C’était bien là la seule chose que Saerelys avait pu faire. Combien de membres de sa famille avait-elle enlacé, ce jour-là ? Ils furent trop nombreux à partir. Ils le furent davantage lorsque les absences d’Aelys et de Gaelor fut remarquées. Par ce qui fut considéré comme un caprice par plus d’un, la première s’en était allée afin de combattre sur le dos de sa propre Dragonne, le second la suivant par fidélité, veillant sur la personne avec qui il partageait une idylle, un jour prochain une alliance. Alors, Saerelys avait prié avec toute la ferveur dont elle était capable. Que les Dieux lui rendent son frère et sa sœur en vie, elle se consacrerait avec davantage d’ardeur encore dans ce destin qui était le sien.

Aelys et Gaelor étaient revenus. Blessés, épuisés, mais revenus. Avait-elle été en colère face à leur acte ? Saerelys n’en avait plus le moindre souvenir. Si colère elle avait ressenti par le passé, elle n’eut d’égale que la tendresse dont elle fit preuve à leur retour, tant son soulagement fut grand. Dans un premier temps, nul n’avait osé parler de ce qui s’était produit, au-dessus des eaux. Les Riahenor étaient revenus. Leurs dragons également. Tous et toutes étaient revenus marqués d’une autre manière. Quand les premiers mots avaient été prononcé, la novice n’avait pu que se rendre compte de la raison de ce silence. Balerion avait frappé sans distinction. Hommes, femmes, dragons. Personne n’avait évité ses flèches. Personne n’avait pu retenir son souffle suffisamment pour éviter de sentir son haleine fétide. Et si eux avaient été épargné, d’autres Valyriens, d’autres Valyriennes, avaient péri sous leurs yeux.

« Uēpkta Mandia… Du bout de son pouce, Saerelys ôta certaines des larmes qui s’étaient perdues sur les cils d’Alynera. Le sang des premiers dompteurs de dragons coule dans nos veines. Tu n’as fait que répondre à son appel, ce jour-là. Car il le fallait. »

Saerelys se contenta de hocher doucement la tête, lorsqu’Alynera fit part de son désir d’en rester là. La plaie était encore vive. Trop vive. La guerre n’en ouvrait que trop et la jeune femme doutait que la paix suffise à les refermer. A faire oublier à tous ces atrocités qui s’étaient déroulées devant leurs yeux, ces personnes qui ne reviendraient jamais des combats, à ces familles qui resteraient brisées des années durant, à ces jeunes gens qui ne connaîtraient jamais leurs premiers béguins, qui ne profiteraient pas de cette vie qui leur avait été arrachée. La novice s’écarta légèrement, secouant délicatement la tête, alors qu’une servante faisait montre de sa présence.

« Je ne le sais que trop bien. Le Collège me demande bien des sacrifices, mais pas celui de mes souvenirs les plus doux et les plus précieux. Il me tarde de retrouver Daelor. Sans doute me trouvera-t-il moins agaçante qu’auparavant. »

Un sourire finit par naître sur ses lèvres. Ainsi, existaient-ils des choses qui ne changeaient jamais. Auxquelles se rattacher dans la tourmente quoiqu’il puisse se produire ? Au sein de la Tour Vaekar, Saerelys n’avait jamais été l’aînée de sa fratrie. Son jeune âge à cette époque faisait que ce rôle revenait à d’autres. Aussi avait-elle profité de cet état de fait, faisant l’étalage d’un caractère plus enfantin que celui qu’elle avait au Palais. Parmi les Riahenor, Saerelys avait un rang à tenir, un exemple à montrer. Parmi les Vaekaron, cette perspective lui semblait lointaine, à cette époque. Une bouffée d’air dans une atmosphère parfois étouffante. Des souvenirs lointains mais des plus précieux.

« Oh… commença Saerelys, faussement effarée, frôlant l’emplacement de ses propres côtes du bout des doigts. Serais-je maigre à ce point ? »

L’effarement laissa rapidement place à un nouveau sourire, ainsi qu’à un léger rire. Touchée, Saerelys l’était. Les nouvelles de l’extérieur parvenaient aux novices du Collège. Mais cela ne pouvait pas avoir autant de valeur que de se rendre compte par soi-même de toutes ces années qui avaient passé. Que de se rendre compte qu’à l’extérieur, personne ne vous avait oublié, que votre retour était attendu. Si le retour à la réalité était parfois frappant, comme Rhaelys avait pu grandir en si peu de temps, il n’en restait pas moins attendu. Aussi, la novice espérait réussir à arracher un sourire, un rire, à son amie de toujours. De lui montrer qu’elle aussi, elle avait attendu cet instant avec impatience. Qu’elle aussi, elle était toujours, à sa manière, cette enfant qui avait quitté sa famille, ses familles, pendant tant d’années.

« Tout cela est pour moi ? Vraiment ? » s’enquit la jeune femme, dont l’étonnement était réel, découvrant à son tour les mets sur la table dressée.

Au Collège, les repas étaient frugaux et identiques pour chacun. Si certains novices parvenaient à s’échanger leurs repas afin de n’obtenir que ce qu’ils appréciaient, les choses s’arrêtaient généralement là. Il fallait alors attendre les quelques colis que leurs familles faisaient préparer à leur attention. Mais cela n’était en rien comparable à ce qui se trouvait là. Les bouillons et les fruits lui sembleraient bien fades, à son retour ! Du bout des doigts, Saerelys se saisit de quelques fruits enrobés de ce qui semblait être du miel. Croquant dans l’un d’entre eux, la jeune femme esquissa un sourire, retrouvant l’un de ces goûts propres à l’enfance.

« Tu me gâtes trop, ma sœur. s’amusa Saerelys. Puis-je te proposer de te joindre à moi ? Comme lorsque nous étions enfants ? Saerelys se plongea dans ses souvenirs. Te souviens-tu de ce jour où j’avais réussi à subtiliser ces pâtes de fruits dans les réserves de la Tour ? Je n’avais que dix ans et nous nous étions cachées dans les jardins afin de pouvoir les manger sans être dérangées. Il m’arrive encore de me demander comment il me fut capable de faire une pareille chose sans éveiller l’attention. »

Saerelys n’était pas sans ignorer les règles imposées par Balerion aux Mortels qu’ils étaient lorsqu’il se rendait dans une demeure valyrienne. Les jeûnes étaient fréquents, de durées variables également. Certaines personnes ne les suivaient pas, pour des raisons religieuses également. La jeune femme avait conscience de tout cela. Comme elle avait conscience qu’aucun d’entre eux ne pouvait durer plusieurs jours sans rien offrir à son corps.




( Gif de haticesultanas. )

Traduction:
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera & Saerelys


« Tout cela est pour moi ? Vraiment ? »



Le visage radieux de la Riahenor invoquait les souvenirs d’antan jusqu’à la haute terrasse de la Tour Vaekar. S’élevant dans la tiédeur de l’après-midi, ils venaient déposer un frimas sur leurs cœurs tourmentés. Irradiant sous cette poussière invisible, la mage rayonnait encore plus qu’à l’ordinaire. Des milliers de particules diamantées semblaient transpirer de sa peau mystérieuse. Et, par enchantement, Alynera pouvait percevoir tous les mirages de son enfance. Son ouïe bestiale percevait soudainement tous les chuchotements malicieux de sa fratrie. L’oreille tendue, frémissante de cette étrangeté, elle entendait l’écho rapide de leurs courses effrénées dans le grand jardin du bas. Le pouls battant à grands coups, elle cligna ses yeux. Il lui suffisait de soulever le vélum de coton pour remonter le temps vers ces remembrances… Malheureusement, les comédiens de ce théâtre de l’esprit avaient disparus et le soleil était encore trop haut pour danser avec les morts. Elle chassa cette pensée morbide — celle qui lui collait à la peau, toujours plus exsangue. Si elle empruntait ce chemin, seule la folie, lézardant déjà les murs, l’attendait. Elle pressa doucement le fin poignet de Saerelys, répondant après une courte absence.


« Je t’en prie Hāedar, tout est pour toi. »



« Tu me gâtes trop, ma sœur. Puis-je te proposer de te joindre à moi ? Comme lorsque nous étions enfants ? »



Le ventre noué, la révulsion pendant aux lèvres, Alynera observa les fastes culinaires. Rien ne lui faisait moins envie que de goûter à ces délices. Ce n’était pas tant le respect de son jeûne, qu’après tous désiraient qu’elle parjure, mais la sensation que son corps était trop noué pour ingurgiter quoique ce soit. Du bout des doigts elle prit la même pâtisserie que son amie, indifférente au choix cornélien, essayant de chasser la sensation désagréable du miel se déposant sur ses phalanges. Elle savait que son amie, sa petite sœur, était trop fine pour exiger sèchement qu’elle se joigne à elle.

« Te souviens-tu de ce jour où j’avais réussi à subtiliser ces pâtes de fruits dans les réserves de la Tour ? Je n’avais que dix ans et nous nous étions cachées dans les jardins afin de pouvoir les manger sans être dérangées. Il m’arrive encore de me demander comment il me fut capable de faire une pareille chose sans éveiller l’attention. »



Hochant la tête, elle esquissa un sourire. De son vivant, Lorgor n’avait jamais apprécié que des bouches d’enfants, trop turbulentes pour comprendre le verbe sapiō, puissent manger les même mets que les adultes. Malgré les fastes royales de son existence, il avait tenu à ce que les siens soient élevés dans une certaine frugalité de l’existence. Bien évidemment, cette frugalité avait ces limites où la richesse et l’aura de la dynastie commençaient. Ce qui était frugal pour eux était un luxe pour la majorité des citoyens en Valyria. Néanmoins, homme chaste et pieux, il avait érigé des règles simples élevants ainsi des interdits que ses enfants s’étaient tous empressés, au moins une fois, de pourfendre. Aussi se faufiler dans les réserves ou les cuisines pour voler les fruits défendus étaient devenus, plus qu’un jeu, une réelle brimade entre ainés et cadets. Largement admise à la Tour comme progéniture des lieux, la fille de Maegor s’était pliée à l’épreuve sous les ordres de Maelor. Lorsque Alynera les avait surpris, les poches pleines de leurs larcins, le sucre débordant de leurs lèvres gourmandes, elle avait rit de la frayeur que tous deux affichaient sur leurs visages. À cette époque lointaine, elle prenait très à cœur son futur rôle, imminent, d’épouse et les siens s’étaient pris à s’inquiéter qu’elle perde sa malice. Il n’en était pourtant rien. Ce jour là, elle avait couvert leur méfait et s’était perdue dans la luxuriante végétation des lieux, partageant leur délicieux butin. C’était la première fois qu’elle volait et désobéissait à son père.



« Tu étais tout aussi discrète qu’imprévisible, toujours prête à te saisir de l’instant que personne ne percevait… »


Cette tradition, fallait il le préciser, était venue de Daelor — qui dès son plus tendre âge agissait dans la Tour comme le petit maître qu’il était. Puisqu’il avait commis l’interdit, vivant ainsi une aventure extraordinaire faite de dangers en tous genre, frères et cousins s’étaient empressés de suivre son exemple. Comment n’avaient-ils, avec les années, pas éveillés l’attention ? Alynera secoua la tête, son sourire plus grand encore. En vérité, peut-être était-ce l’insouciance de leur jeunesse et de leur innocence qui leur faisaient croire qu’aucun adulte n’avait compris leur petit jeu. Délicatement, du bout des lèvres, elle croqua dans une part du dessert au miel.



« … ou alors c’est un secret que seuls les parents connaissent. Si c’est le cas, nous le comprendrons bien assez tôt ! »



Alynera n’était pas enceinte, la guerre éloignait Daelor depuis trop longtemps. Néanmoins, elle savait qu’elle porterait bientôt un héritier en son ventre. Si l’espérance de vie des siens était semblable aux autres humains, les femmes de sa famille enfantaient plus tardivement. En effet, très rares, voire nulles, étaient les femmes de sa famille à posséder la force nécessaire pour engendrer un seigneur-dragon. Évidemment, la situation était bien différente avec le peuple où la magie était inexistante. Il en allait de même avec certaines Maisons Nobles dont le sang était trop modifié, trop instable ou pas top impur. De manière générale, les femmes issues des Maisons Dynastes, et plus particulièrement les Vaekaron, étaient réellement fécondes à l’approche de leur troisième décennie. Les enfants de Vaekar, dont le sang n’avait jamais été dilué, avaient compris depuis longtemps que cette condition était liée à l’âge des dragons immortels. Une femme n’enfantait pas seulement une progéniture, mais un être hautement magique. Il fallait une force terrible, du corps et de l’esprit, pour arriver à un tel miracle interdit à toutes autres races humaines. 

Comme toutes les autres femmes, elle avait eu ses lunes il y a longtemps, à l’aube du rêve de Meleys. Mais elles étaient alors vagabondes et capricieuses : les linges mensuels étaient de couleur incarnat, peu tachés et inodores. Un changement majeur s’était opéré depuis quelques mois. À l’intérieur d’elle, son corps se construisait réellement pour accueillir la force nécessaire à enfanter un dragon. Elle le sentait. Désormais, ses linges accueillaient un magma de tissus perméables et extensibles, un nid d’écailles sanglants à la muqueuse parfaite de couleur rouge-violet sentant le souffre. Plus particulièrement depuis Mhysa Faer, sans qu’elle puisse l’expliquer, son bas ventre était plus ferme. 



« Raconte-moi ma sœur comment se porte Aedar. Je ne le vois que très peu… Malheureusement, Daelor et ton père n’entretiennent pas les meilleurs rapports : ils semblent vouloir se déchiqueter à chacune de leur rencontre ! »


Ses lèvres se pincèrent pour réprimer un sourire amusé qui n’avait pas lieu d’être. En vérité, il était tragique que Lyseon, Riahenor et Vaekaron ne fassent pas front commun face aux autres familles. Si la populace aimait les croire unis par la même aura divine, là n’était que simulacre. Dans ce monde qu’avaient créé les Dragons Verts, chaque famille tentait de se créer une place plus dorée que celle de l’autre. Daelor, dans la fougue de sa jeunesse, n’appréciait pas Maegon et n’avait pas hésité à rassembler son cercle d’adulateur sur la même idée. Néanmoins, elle devait avouer trouver cette situation plus comique que réellement affligeante.


« Tu as changé Saerelys. Les dieux t’ont béni par deux fois, la grande beauté qu’ils t’ont donnée et l’aura magique que tu en as créé. Ne t’as t’on donc pas dit qu’il ne fallait pas faire jalouser les dieux ? »

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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera Vaekaron et Saerelys Riahenor.

Tour Vaekar & An 1064, mois 10.

Les Riahenor vivaient dans une grande aisance, les faits étaient là. Jamais la nourriture n’avait manqué, bien au contraire. Au Collège, les choses s’étaient révélées bien différentes et même prévenue de cela par Mealys, qui s’était fait un devoir que de veiller sur elle, Saerelys avait eu quelques difficultés pour se faire à ce nouveau monde. Parmi les Mages, malgré le nom qui était le sien, elle n’était rien de plus qu’une novice parmi tant d’autres. Une novice vêtu de couleurs sombres, les cheveux nattés, rarement laissés libres pour ne pas qu’ils trempent dans les mixtures, dans les marmites des cuisines. L’Épreuve des Nerfs ne se passait pas aisément. Tous et toutes se devaient d’y apprendre l’humilité, afin de résister à la tentation d’user de leurs Magies de bien fâcheuses manières. Afin de garder à l’esprit que, malgré les noms qui étaient les leurs, malgré le prestige de leurs lignées respectives, ils n’en restaient pas moins des novices qui se devaient de faire leurs preuves. Ni plus, ni moins.

Toujours est-il que Saerelys s’était fait à cet environnement de privation, où chacun mangeait le même repas que son voisin, où les plus jeunes se devaient d’assister à la préparation des mets qui seraient servi à autrui. Ces pâtes d’amande ou de fruits, ces gâteaux au miel présentés là, ces boissons succulentes… La jeune femme ne put que s’amuser du fait que faire le récit de tout cela attirerait sans doute quelques convoitises à son retour au Collège ! Il lui semblait que cela faisait une éternité qu’elle n’avait pas pu goûter à tout cela. Si son retour au Palais avait été fêté par les siens, ces retrouvailles avaient été entachées par l’absence de son père, de son jumeau et d’une partie de ses cousins. Dès lors, les mets présentés avaient comme pris un goût de fiel. Sans doute Alynera ressentait pareille chose, à cet instant. L’exécration même de la nourriture était, hélas, bien fréquente lorsqu’un drame se produisait. Aussi, le sourire de la novice ne put que s’agrandir davantage, lorsqu’elle vit sa sœur d’âme se saisir d’un des gâteaux présents sur l’un des plateaux. Il ne s’agissait-là que d’une petite victoire mais d’une victoire tout de même.

« Le dragon peut très bien se changer en lézard, quand la situation l’exige. » répondit Saerelys, sur un ton malicieux.

Au-delà de cette humilité que Saerelys avait acquise au fil de ces années passées au Collège, fort était de constater qu’elle s’était toujours plu dans un simulacre de discrétion. Loin de se laisser languir ou embéguiner pour autant, elle avait appris à observer, à tendre l’oreille. L’action était bien un domaine masculin. Aussi laissait-elle volontiers cela à son jumeau, préférant les moyens détournés. Si la Magie offrait un tout autre destin aux femmes, Valyria n’acceptait pas aisément les femmes qui souhaitaient prendre leur destin en main. Une règle du jeu qu’il fallait apprendre, comprendre afin d’en jouer pleinement par la suite en toute harmonie, sans attirer les soupçons.


« Que Meleys entende tes mots, ma sœur ! Et que Tyraxes me permette d’atteindre le Quatrième Cercle de la meilleure des manières possibles afin que Vermax puisse bénir mes noces ! »

Le sourire de la novice se fit plus rêveur à la mention du nom de son jumeau. Toute idolâtrie mise de côté, avec quelques difficultés tout de même, Aedar était l’objet de nombreuses de ses passions. Les choses n’auraient pas pu être différentes, les Dieux, dans leur grande mansuétude, lui ayant permis de naître à ses côtés, de partager une existence avant leur existence terrestre. Son absence n’en devenait que plus douloureuse, plus effrayante encore. Malgré la distance, il semblait à Saerelys que leurs cœurs battaient une mesure semblable. Qu’un battement rate et son âme se plongeait dans de profonds tourments, dans des émois indescriptibles. Les lettres n’étaient que trop rares, trop courtes, trop évasives pour lui suffire. Si ces quelques mots tâchaient de se montrer rassurants, ils ne remplaçaient en rien une étreinte ou un baiser.

« Sans doute vas-tu me prendre pour une jouvencelle qui n’a point connu son Rêve de Meleys, si tu me lances sur un tel sujet. La jeune femme se laissa aller à un rire. Hélas, je n’ai pas vu mon jumeau depuis plusieurs mois. Il est partit défendre Valyria comme tes frères. Saerelys sentit une boule se former dans sa gorge. Mon noviciat ne m’a même pas permis de lui dire au revoir, quand le glas a sonné pour nos armées. Ses lettres sont toujours succinctes. Le temps lui manque comme il manque à tous nos soldats. Il en va de même pour le papier. Saerelys se tut, déglutissant difficilement. Mais il va bien. J’en ai l’absolue certitude. Je lui donnerai de tes nouvelles, la prochaine fois qu’il m’écrira. »

Une partie de son âme s’était déchirée, lorsque la guerre avait débuté. Au fond de son âme, Saerelys savait que si elle l’avait supplié, Aedar ne serait pas partit. Gaelor n’était qu’un enfant, au moment de son départ. Un enfant qu’il aurait été plus aisé d’attaquer en l’absence de son père et de son frère aîné. Si Mère et Grand-mère veillaient sur lui et sur le reste de leur Dynastie, la mort hypothétique de son Soleil ne pourrait que les mettre en danger. Elle-même doutait d’y survivre. Son cœur ne mentait pas, à ce sujet. Plusieurs fois, elle s’était réveillée en larmes, l’esprit brumeux, perturbé à cause d’une crainte viscérale qu’elle avait ressenti durant son sommeil au sujet de son double. La novice chassa ces pensées de son esprit. Aedar vivait. C’était là tout ce dont elle devait penser.

« Et quand cette guerre sera terminée, peut-être pourrions-nous tous nous retrouver ici ? Rien que Daelor, Aedar, toi et moi. Le futur de deux Dynasties réunies sous le même toit pour quelques heures ! »

Car cette guerre se terminerait un jour. Une paix qu’il faudrait célébrer à sa juste valeur. Penser au futur également. Un futur que la jeune Riahenor imaginait glorieux, lumineux, radieux. Il faudrait bien cela après tant d’années sombres et funestes. Les Dynastes se devaient de prendre part à ce futur, plus ou moins lointain. Daelor, Alynera, Aedar et elle-même représentaient cette génération future. Cette génération dynastique qui avait tout à prouver, tout à gagner. Un futur à forger, à partager. Les Dynasties s’étaient éloignées, un fait que Saerelys ne pouvait que regretter. Ils avaient été des alliés séculaires. Un passé qui n’était pourtant pas si lointain, au regard des dates, mais qui semblait l’être dans le cœur des Mortels qu’ils étaient.

« Le Collège change toutes les âmes qui vivent entre ses murs, ma sœur. Saerelys croqua une dernière bouchée du gâteau sur lequel elle avait jeté son dévolu, prenant par la suite les mains d’Alynera dans les siennes. Meleys s’est aussi penchée sur ton berceau, personne ne peut le nier, Alynera. Tyraxes a fait de même, je n’en doute pas. Les présents des Dieux font notre force. Il n’y a pas de mal à en user, sans tomber pour autant dans l’hybris le plus profond. La jeune femme se tut quelques instants. J’ai perdu bien assez d’années, les flammes s’étant montrées troubles au moment de mon Épreuve du Feu. Hélas, j’ai bien des choses à prouver à mes confrères et mes consœurs à cause de ce fait… Mon aura te semble fort grande, fort lumineuse peut-être. Mais comme elle peut être petite et insignifiante, aux yeux de d’autres personnes. »

Saerelys n’avait pas droit à l’erreur. Elle n’en avait que trop conscience. Père n’y verrait là qu’un opprobre jetée sur leur nom, sur leur Dynastie toute entière. Les Riahenor comptaient de nombreux Seigneurs et Dames Dragon de talent. Des Prêtres et des Grands Prêtres également. Les Mages s’étaient faits plus discrets et leur avenir reposait ses épaules, pourtant bien frêles. Et si son avancement était trop lent ? Et si elle ne parvenait pas rapidement au Quatrième Cercle ? Et si elle ne vouait pas sa vie, son existence, à l’étude de la Sang Magie ? Que se passerait-il ? Lui passerait-on ces ‘’ écarts ‘’ ?




( Gif de haticesultanas. )
Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera & Saerelys

« Que Meleys entende tes mots, ma sœur ! Et que Tyraxes me permette d’atteindre le Quatrième Cercle de la meilleure des manières possibles afin que Vermax puisse bénir mes noces ! »


Devant le sourire rêveur de la Mage, les paupières de l’endeuillée se baissent. Alynera vouait une grande pudeur à l’égard de sa sœur. Les mœurs valyriennes étaient peu habituées à l’amour courtois. Pourtant, peu de mots suffisaient aux Jumeaux pour faire comprendre à tous le lien intrinsèque qui les liait. Aedar et Saerelys formaient un couple vernaculaire. Enfants bénis des Dieux, Meleys les avait enveloppé de ses charmes. La déesse de l’Amour n’accordait pas le même privilège à tout Valyria. Par exemple, malgré qu’elle soit bénie des Quatorze, Alynera n’avait jamais eu cette chance. L’amour fraternel qu’elle portait à son époux n’avait jamais éclos en amour-amant. Les jours précédents ses épousailles elle avait cru que le nectar des chants troubadours l’attendait à l’échange de leurs vœux. Hélas, sa vie maritale n’était construite que de désillusions. 


« Sans doute vas-tu me prendre pour une jouvencelle qui n’a point connu son Rêve de Meleys, si tu me lances sur un tel sujet. Hélas, je n’ai pas vu mon jumeau depuis plusieurs mois. Il est partit défendre Valyria comme tes frères. Mon noviciat ne m’a même pas permis de lui dire au revoir, quand le glas a sonné pour nos armées. Ses lettres sont toujours succinctes. Le temps lui manque comme il manque à tous nos soldats. Il en va de même pour le papier. Mais il va bien. J’en ai l’absolue certitude. Je lui donnerai de tes nouvelles, la prochaine fois qu’il m’écrira. »



Ses doigts attirent contre elle la main inquiète, tout autant que sucrée, de sa petite sœur.



« Vhagar et Thyraxes, frères de nos pères, veillent sur lui ; tout comme Shrykos t’accompagne chaque jour. Il te reviendra. Votre amour est plus fort que toutes les embuches de vos destinées. »



De toute évidence, chez les Dynastes, cette guerre n’avait emportée que le sang de Vaekar. Quatre seigneurs donnés en pâture pour satisfaire les Quatorze, comme tous les aristocrates. Lorsque la victoire serait à eux et les blessures refermées, ces derniers se réjouiraient  de voir les descendants des tétrarques un peu plus affaiblis. Incontestablement, ils y verraient un signe que le temps était venu pour eux de se rapprocher de l’Astre. Quoiqu’elle s’efforçait d’être juste en son cœur, Alynera n’appréciait guère ces sangs trop mêlés, voire impurs, qui venaient déstabiliser l’ordre naturel des choses. En vérité, plus ils franchissaient les barrières de la notoriété, plus l’autorité des fondateurs s’affaiblissait. Et voilà que, ses frères morts, sa famille était plus affaiblie que jamais. Les dragons, aux ailes de vautour,  volaient presque déjà au-dessus de la Tour, prêts à arracher les vestiges de ces demi-dieux. À ces terribles pensées, son bas-ventre rugit. Bientôt, dans quelques mois, elle portera un héritier pour les siens. Sa mère avait donné trois fils, elle en donnerait bien plus — même si elle devait y amenuiser sa vie.



« Et quand cette guerre sera terminée, peut-être pourrions-nous tous nous retrouver ici ? Rien que Daelor, Aedar, toi et moi. Le futur de deux Dynasties réunies sous le même toit pour quelques heures ! »


Les larmes noient les yeux de la Vaekaron. Imperceptiblement elle hoche la tête, s’excusant du bout des lèvres. Autrefois, la Tour était un jardin d’éden. Les rires et les joies fleurissaient chaque jour. Aujourd’hui, le silence est d’acier. Alynera ne peut pas imaginer le silence inquiétant perdurer dans ce lieu. La guerre frappant aux portes de l’Empire, il était aisé de se dire qu’il allait disparaître… mais quand Daelor reviendrait, même lui, cet être tapageur, ne pourrait le masquer. Incapable d’affronter le regard de son amie, mortifiée de l’étalage de ses sentiments, elle tourne sa tête vers l’horizon. D’ici, la ville semblait lointaine comme si les terrasses d’ogives avaient été construites pour imiter les ailes d’un dragon. Un dragon de pierre, énorme, qui n’avait plus sa place dans cet étrange monde.



« Le Collège change toutes les âmes qui vivent entre ses murs, ma sœur. Meleys s’est aussi penchée sur ton berceau, personne ne peut le nier, Alynera. Tyraxes a fait de même, je n’en doute pas. Les présents des Dieux font notre force. Il n’y a pas de mal à en user, sans tomber pour autant dans l’hybris le plus profond. J’ai perdu bien assez d’années, les flammes s’étant montrées troubles au moment de mon Épreuve du Feu. Hélas, j’ai bien des choses à prouver à mes confrères et mes consœurs à cause de ce fait… Mon aura te semble fort grande, fort lumineuse peut-être. Mais comme elle peut être petite et insignifiante, aux yeux de d’autres personnes. »



« Ne laisse jamais ces autres te diminuer. Tu es Saeralys Riahenor. Le sang des Dieux coule en tes veines. Quant au Collège, il n’existerait pas si ce n’était pour la magie dont nous nourrissons cette terre depuis plus de mille ans. Quiconque ose qualifier ton aura de « petite » ou d’« insignifiante » a oublié que se tient devant elle l’essence même de sa vie. Tu ne devrais rien avoir à prouver, à personne. Tu ne serais certainement pas dans cette position si le Magister du Collège n’était pas… »



Secouant la tête, les lèvres pincées, elle chasse le nom de sa langue. Il ne serait pas prononcé sur le sol de Vaekar. La rage consumait rarement Alynera Vaekaron, mais concernant l’homme en question elle était intarissable. Elle le haïssait. Ce fils de prostituée des bas-fonds avait réussi à passer l’Épreuve du Feu et, enorgueillit de cette étrange faveur divine, était venu commettre le crime de rapt ! Oh, bien sûr, ils avaient été nombreux à raconter qu’elle l’avait aimé, mais sa famille lui avait fermement appris que la sœur de son grand-père avait été ensorcelée. Bien sûr, son prénom avait été raclé de tous les parchemins et son visage brûlé de toutes les tentures de la Tour. Pour son crime, il avait vécu et elle s’était retrouvée au fond des eaux. La plus grande insulte qui pouvait exister sur cette terre de feu. Oui, avec un tel homme à la tête du Collège, nul doute que l’aura de Saerelys était minimisé, trainé dans la boue pour ne pas briller. Elle le haïssait. D’ailleurs, elle avait fermement maintenu la volonté de son grand-père, et de son père, à fermer les coffres de Vaekar au Collège. Ils ne trouveraient jamais d’autres mécènes plus prestigieux, mais les Vaekaron ne pouvaient souffrir cette insulte. Depuis, ils étaient en concurrence direct avec la bibliothèque magique — gardant pour eux les plus grands secrets de ce monde. Bien heureux était Raegaenor qui s’assurait qu’aucun intrus ne vienne s’y immiscer ! 


« Peu importe ! Sache que nous portons tous sur toi un regard plein de fierté et d’assurance. Comment pourrais-tu évoluer au même rythme que ces autres ? Leur sang ne contient pas la même magie. Il te faut plus de temps pour en prendre conscience et le canaliser, c’est tout à fait compréhensible. Ma sœur, tu as en toi la sève des Dragons. »



Alynera croit sincèrement à ses mots. Fine observatrice, elle sait que la société change drastiquement et rapidement. Au départ, ils étaient trois. Désormais ils sont trop nombreux pour être comptés. Tous ces Seigneurs, fiers de leurs créatures magiques, oubliaient trop souvent leur ascendance primordiale. Eux. La vie était de plus en plus difficile en-dehors de la Tour. D’une main tremblante, elle prend une gorgée de vin. Il n’était pas coupé en eau, ce qui était très peu honorable, mais c’était le seul remède capable de calmer ses nerfs. Ces pensées terribles, elle ne sait pas si Saeralys en a conscience — les épais murs du Collège la garde peut-être de ces maux qui ravagent leur terre.



« Ñuha dōna Saeralys, de grands dangers rôdent pour nous autres. Certains nobles, devenus trop sûrs de leur puissance, disent que nous étions de simples bergers guidés par la chance. Ils regardent nos palais et ne voient que des caselles à encorbellement. Sais-tu ce qu’il se passe actuellement en notre Cité ? Certains s’intéressent aux pratiques impies de Ghis. Des marchés d’esclaves commencent à apparaître dans notre Cité ! Ils espèrent s’enrichir pour nous réduire à poussière, faire de l’ombre à nos demeures ancestrales. Bientôt leurs fèces même seront d’or. »



Sa main tremble un peu plus, laissant le vin glisser dans sa gorge. 


« Il y aura de nombreuses rencontre entre nos deux maisons. Nous devons rétablir un statu-quo avant qu’il ne soit trop tard. Nous vivons dans un monde bien étrange ma sœur… »

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Lorsque les mots ne suffisent plus.Alynera Vaekaron et Saerelys Riahenor.

Tour Vaekar & An 1064, mois 10.

En s’apercevant de la mine désormais affichée par son aînée, le cœur de Saerelys ne put que se serrer. Il lui semblait presque qu’une petite lame se faufilait entre ses côtes. Qu’importe que leurs mœurs soient considérées comme barbares aux yeux des Sept et de d’autres Dieux. Ils étaient les Enfants des Quatorze Flammes. Dès lors, leurs destinées ne pouvaient que différer de celles connues par le commun des Mortels. Il existait pourtant bien des couples de la noblesse valyrienne qui n’éprouvaient rien de plus qu’un attachement fraternel pour leur époux ou leur épouse. Des liens semblables à ceux que ces ambassadeurs pouvaient ressentir pour leur propre fratrie. L’Amour ne se commandait pas, hélas. Il naissait sans qu’il soit possible de s’y attendre. Aedar avait été son âme sœur dès leurs premiers instants d’existence. Alynera ne semblait pas avoir connu pareille chance, à son grand désarroi.


« Ce que les Dieux lient, nul Mortel ne peut les séparer. commenta doucement la novice, sa main caressant les doigts d’Alynera. Il n’y a nul besoin de longs discours dans de tels cas. Mon cœur est le sien. Son cœur est le mien. Tout comme ton âme et la mienne ne formaient qu’une à une autre époque, sans doute. »


C’est alors que Saerelys sentit un frisson lui parcourir l’entièreté du dos. Empathique, la jeune femme l’avait toujours été. Profondément, même. Mealys y voyait là une déformation de sa pratique de la Magie, qui avait rendu ses sens et ses instincts plus aiguisés. L’amplification d’un fait déjà présent auparavant qui avait profité de ses dons magiques pour devenir l’un d’entre eux. Peut-être était-ce pour cela qu’elle s’évertuait à soulager les maux d’autrui ? Qu’elle se perdait dans les ouvrages de botanique, décrivant plantes palustres ou à fleurs, qui lui permettraient d’avancer davantage dans sa quête ? La tristesse d’Alynera était manifeste. Plus attristante encore aux yeux de la novice dans le fait qu’elle tentait de la lui cacher. Tant et si bien que sa propre aura ne put que faiblir, devenant grisonnante là où elle était auparavant si éclatante.



« … Ne te cache pas à mes yeux, ma Sœur. chuchota Saerelys, peinée. Le sang des Dieux ne coule pas uniquement dans mes veines, comme tu le dis si bien. Il t’appartient également. Ta puissance est plus grande que tu l’imagines. Je puis te l’assurer, car je l’aperçois dans ton regard. Dans ta manière d’être. Dans ton aura que tu ne peux cacher à mon regard. La jeune femme esquissa un sourire avenant, serrant à nouveau délicatement la main d’Alynera dans la sienne. Tu restes une Dragonne. Cela n’a pas changé, depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Tu retrouveras la clef des cieux le moment venu. Je n’ai pas besoin de lire dans les flammes pour voir cela. »


Avant même que son destin ne prenne une tournure pour le moins inattendue, Saerelys avait passé de nombreuses heures en cette Tour. Dès lors, ses règles et ses coutumes ne pouvaient que lui être connues. Ses règles, ses coutumes, ses secrets et ses non-dits. Si le nom des Maerion était honni parmi les Riahenor, pour des raisons pour le moins évidentes, celui de Talaegar Perzygon l’était pour les Vaekaron. Une histoire qui se murmurait jusque dans les murs du Collège. Une histoire que Saerelys connaissait avant même son arrivée parmi les novices. Dès lors, du haut de ses douze années, n’avait-elle pu jeter qu’un regard méfiant sur cet homme tant détesté par son aînée. Alynera n’avait point hérité d’une âme détestable, bien au contraire. Et si la jeune Riahenor avait appris à connaître leur Magister, travaillant sous son égide comme le commandait son Épreuve des Nerfs, d’amères pensées s’étaient tout de même faites persistantes à son sujet…


« Ma jeunesse joue en ma défaveur. Ma prudence également. avoua la jeune femme, sans le moindre détour. J’aimerai que mes mains soient moins tremblantes lorsque je fais usage de mes dons. Que mon instinct lui-même ne sois pas un bouclier contre mes propres pouvoirs. Hélas, les choses sont ainsi faites. J’ai mes propres barrières, la Peur en premier lieu. J’aurai du quitter le Collège bien plus tôt, pour nous faire honneur à tous. Pour montrer la réelle puissance de mon sang. Car j’entends tes mots, Alynera. Je les entends et les partage. Hélas, malgré tout cela, je ne suis que novice et non pas Mage. Les Dieux savent pourtant comme j’aurai aimé me montrer à toi en digne représentante du Quatrième Cercle. »


Saerelys ne put retenir son sang, alors que ce dernier montait jusqu’à ses joues, leur donnant une teinte rosâtre. Au Collège, elle ne pouvait que craindre que les mots qui lui étaient adressés n’étaient que de viles flatteries. Tout juste se montrait-elle plus touchée lorsque Mealys était l’instigatrice de telles paroles. Son nom, celui de sa Dynastie, primait sur le reste dans son cas. Elle était à la fois épiée et reconnue comme d’intérêt pour cela. Ses compétences ne venaient qu’en second lieu, pour ce qu’elle avait pu remarquer. Elle n’était qu’un nom, dans bien des cas. Un nom et un sang. Dès lors, les propos d’Alynera n’en devenaient que plus touchants encore, la novice les sachant sincères.


« Je tâcherai cependant de réparer cette erreur dans les plus brefs délais. Ainsi, cette fierté que tu me portes n’en sera que plus méritée encore. Je m’en voudrais de devoir te détromper à ce sujet. »


Naïve, Saerelys l’était sans doute encore. Sa jeunesse jouait en sa défaveur sur bien des points, fait dont la jeune femme n’avait pas tout à fait conscience. L’éloignement du Collège des affaires du commun des Mortels jouait aussi un rôle dans ce fait. Aussi, la novice écouta attentivement les propos de son aînée. De pareilles rumeurs lui étaient parvenues. Ainsi se seraient-elles vérifiées entre-temps ? Saerelys devait avouer qu’elle n’avait guère eut le temps de prêter attention à tout cela. Sa Grande Épreuve, et tous les préparatifs inhérents à ces examens, l’avaient bien trop absorbée pour cela.


« Tu m’apprends là un fait dont je n’avais que peu entendu parlé, Alynera. avoua la jeune femme, tendant un carré d’étoffe à l’autre Dynaste afin qu’elle puisse essuyer le vin qui s’était échappé de ses lèvres. Il y a bien des choses qu’il faudrait changer, au Collège. L’éloignement des affaires du monde aux yeux et aux oreilles des novices en fait partie, selon moi. Saerelys chassa ses propres mots d’un simple mouvement de main. Je ne pensais pas que les choses iraient si loin, lorsque mon frère me fit part du fait que nos armées se mettaient en marche pour combattre Ghis… Saerelys se tut, secouant doucement la tête. Ainsi allons-nous hériter des pires vices de cette Harpie. Voilà un fait que même les flammes nous avaient caché. »


Chaque jour, Saerelys se rendait compte de ce décalage qui existait entre elle et le reste de la jeunesse Valyrienne. La Magie l’avait forcée à mûrir plus vite, de même que son rang d’aînée. Il lui fallait apprendre à réapprivoiser son existence, à retrouver une place dans ce monde qui était le sien. A renouer avec cette famille qu’elle aimait tant mais qui avait tant changé durant toutes ces années. Certaines personnes avaient vieilli, d’autres n’étaient plus tout à fait les mêmes. Et elle, elle était là. Au milieu de ce tumulte, cherchant un point d’ancrage, une donnée qui n’avait point changé afin d’apaiser les troubles dont elle devenait, bien malgré elle, la victime.  


« J’ai l’impression d’avoir manqué tant de choses, Grande Sœur. Tant de choses. Saerelys baissa la tête, troublée. Rhaelys n’était qu’une toute petite fille, le jour de mes fiançailles. Je l’ai retrouvée il y a peu, me parlant de son premier vol à dos de dragon qui aura bientôt lieu. Et que dire d’Aelys et Gaelor ? J’ai… J’ai l’impression d’avoir raté les plus douces années de leurs existences. Mon rôle d’aînée m’appelait à leurs côtés. Mes tantes ont donné naissance à de nouveaux enfants, qui ne connaissent de moi que mon nom. Comme j’aimerai t’assurer de mon soutien pour cette quête qui te tient à cœur et qui me concerne également. Hélas, je peine déjà à retisser la toile de mon existence depuis ma sortie du Collège. La jeune femme se tut, redressant la tête, plongeant son regard d’améthyste dans celui de l’autre jeune femme. Mais avec ton aide… Peut-être pourrais-tu me relater la teneur de ces années qui me furent arrachées, d’une certaine manière ? La nouvelle de mon arrivée au Troisième Cercle se propage petit à petit. Je ne peux que craindre de commettre un impair auprès des nôtres, à présent, la faute à un manque de connaissances. »


Aelys lui avait déjà relaté un certain nombre de choses, il est vrai. Mais ce n’était point à sa cadette de la guider. L’inverse aurait été une chose bien plus logique, attendue même. Parmi les Riahenor, Saerelys était l’aînée et se devait de récupérer son rôle de gardienne des siens. Hélas, fort était de constater que ses lacunes étaient nombreuses. Trop nombreuses. Elle en était arrivée à hésiter sur la manière la plus convenable de se vêtir, étant bien trop habituée aux tenues sombres que les novices portaient et à leurs tabliers de cuir. Il lui fallait une oreille attentive, qui ne trouverait pas ses questionnements étonnants. Qui lui donnerait tous les renseignements dont elle pouvait avoir besoin.


« Mais je n’aimerai pas abuser de trop de ton temps, ma sœur. Saerelys déposa un léger baiser sur la joue de l’autre Dynaste. Je t’en prie, prends soin de toi, Alynera. Je serais vite de retour, je te le promets. »


Tout en disant ces mots, Saerelys s’était levée, chassant maladroitement les plis qui s’étaient glissés dans l’étoffe de ses vêtements. Saluant une dernière fois Alynera, la jeune femme disparu ensuite dans le couloir le plus proche. Elle reviendrait. Il n’y avait pas d’autre possibilité. Le Troisième Cercle était le temps des libertés nouvelles, des découvertes. Et elle avait tout un monde à redécouvrir. Tant de personnes à réapprivoiser également.




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