La caravane était assemblée non loin du grand marché ouvert de Valyria.
Une trentaine de chariots étaient rassemblés, surveillés de près par une escorte composite de gardes portant l’armure légère des troupes Cellaeron et des mercenaires employés pour la surveillance des caravanes comme on en trouvait des tas dans toute la Péninsule. Le convoi lui-même était un assortiment de chariots à destination du Pinacle, le fief des Cellaeron, des partenaires commerciaux de Baelor dans le nord de la Valyria et parfois même au-delà des frontières du domaine des dragons. On trouvait des épices et des produits pour le Pinacle, quelques denrées pour l’export et surtout de nombreux esclaves fraîchement acquis par les mines Cellaeron pour agrandir les galeries profondes qui couraient sous les Montagnes Peintes. A la différence des monts volcaniques valyriens, les montagnes des Cellaeron n’étaient creusées que par quelques familles qui avaient les moyens et l’esprit d’aventure pour domper leurs pics sauvages. Les flancs colorés et enneigés de cette chaîne rocailleuse marquaient la limite de la civilisation valyrienne et le début vers les territoires sauvages du centre d’Essos. Les risques y étaient bien différents de ceux du centre de Valyria, et les récompenses souvent plus intéressantes bien que l’organisation et la logistique y furent critiques pour éviter des accidents terribles pour la rentabilité des exploitations minières.
Installé dans un palanquin couvert de soie dorée et tracté par des éléphants nains d’une blancheur immaculée, Baelor conversait avec le chef de la caravane, un homme à la mine patibulaire et aux yeux vairons, l’un étant d’un violet sombre et l’autre d’un vert clair comme l’eau d’un lac de montagne. Maegor Actaleon était un fils de la fange qui avait su s’élever jusqu’aux hautes sphères du peuple valyrien, disposant d’une demeure cossue à Mantarys et d’une solide réputation d’organisateur de convois commerciaux et de logisticien sans pareil. La rumeur voulait qu’il avait largement mis à profit ses compétences en la matière durant la guerre pour organiser la chaîne logistique qui s’étendait ou se contractait selon les mouvements des armées de Valyria. Les deux hommes, Maegor debout et Baelor avachi avec désinvolture, dégustant quelques huîtres au vinaigre, s’entretenaient à l’ombre d’un grand bâtiment. Les derniers détails, comme le paiement final et les pénalités de retard étaient déjà réglés depuis belle lurette, et les deux hommes devisaient sur la possibilité d’une reprise du conflit contre Ghis d’ici quelques années. Baelor, qui préparait son entrée dans la course pour l’élection de Lumière de Sagesse, prenait soin de jauger la température de tous ceux qu’il croisait à ce sujet.
Baelor avait beau avoir de nombreux contacts avec Ghis, il n’en était pas pour autant aveugle. Il était évident que les événements débutés durant la Trahison de Bhorash ne se termineraient pas avant des décennies, voire des siècles. Cette première guerre n’était, selon lui, que le premier acte d’une pièce qui ne connaîtrait pas de dénouement tant que l’un des deux empires n’aurait pas consenti sa défaite de manière éternelle face au rival honni. Les Ghiscaris ne s’arrêteraient pas tant que le chevaucheurs de dragons qui venaient challenger leur domination sans partage sur cette région d’Essos ne seraient pas tous esclaves des grandes familles aux pyramides, et leurs terrifiantes créatures toutes tuées. Valyria avait trouvé en Ghis un ennemi à la mesure de ses ambitions et de ses possibilités ; après plusieurs siècles à croître sous la menace des légions de l’Empereur, il n’y avait désormais pas d’autre possibilité que de faire s’effondrer pour de bon le Vieil Empire.
En son for intérieur, Baelor savait que les Valyriens avaient le potentiel pour devenir les maîtres du monde. Des dizaines de peuples et de civilisations seraient ravagés et versés dans les mines sans fond de Valyria. Là n’était pourtant pas sa réflexion du moment. Il profitait de ce met exquis provenant des mers chaudes entourant la Péninsule. Il aimait le Grand Bazar, son atmosphère, les centaines de badauds qui évoluaient çà et là pour faire leurs achats, simplement pour observer ou encore pour dérober les innocents. On sentait les remugles d’un peuple tout entier rassemblé dans un grand endroit ensoleillé. Les étals et leurs auvents colorés illuminait la grande place de pavés rougeâtres, la transformant en une mer d’étoffes multicolore où les odeurs de sueur, d’épices, de plantes et d’encens se mêlaient aux cris des vendeurs appâtant le chaland, aux promeneurs essayant de se faire entendre les uns des autres. Le Grand Bazar était un joyeux désordre dans lequel l’âme de Valyria résidait bien plus que dans les hautes tours du Quadrant Ouest ou sous la coupole du Sénat, car c’était ici le cœur battant de l’activité populaire de la plus merveilleuse cité du monde. Au fond, derrière les bâtiments plus ou moins bien entretenus, on devinait les épais remparts de pierre valyrienne qui protégeaient la ville et, encore au-delà, une partie des Flammes noires qui ceignaient Valyria comme un berceau titantesque. Haut dans l’azur, bien au-dessus de la plus haute tour de la ville, la silhouette épaisse d’un imposant dragon noir tournait autour de la place, tel un faucon surveillant des champs montagnards. La créature était si haute que personne ne la remarquait, tant ils étaient tous habitués, car elle ne semblait guère plus grosse qu’un faucon, tant elle volait haut.
Apparue au détour d’une conversation sur la possibilité de fortifier l’Île aux Cèdres pour en faire le tremplin d’une attaque-éclair sur Ghis directement, Adhara Narham se présenta devant les deux hommes pour rendre compte à son employeur. Baelor se redressa en la voyant arriver la jeune femme à la peau sombre. Elle tranchait avec la plupart des membres de l’équipage, dont la peau était claire. Elle expliqua avoir été occupée à sécuriser les chariots d’épices et briefer ses hommes.
« Merci Adhara. Beau boulot. Je te présente notre employeur, l’estimable sénateur Baelor Cellaeron. Sénateur, je te présente Adhara Nahram, une dame de qualité qui a d'excellentes références à Tolos, à Mantarys et à Valyria. »
Le Seigneur-Soie adressa un signe de tête à la jeune femme.
« C’est un plaisir de faire ta connaissance, dame Adhara. Je n’ai nul doute que tu sauras prendre soin de la totalité de mon convoi. Tu as ma bénédiction pour secouer un peu les esclaves qui auraient l’idée de se montrer turbulents avant d’arriver au Pinacle. Je te demande simplement de les laisser aptes à descendre dans les mines. Avez-vous des questions, l’un et l’autre ? »