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Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
Quand la nuit vient,
nous devons créer notre propre lumière
Elaena & Alynera

Palais Hoskagon, An 1066, Mois 4

Dissimulé derrière de hauts murs ocre, le viridarium du Palais Hoskagon était un temple de douceur. Les plantes exotiques venues en boutures du Palais Targeryon, à Oros, étaient tant en abondance que Syrax semblait se repaître dans chaque recoin. Ainsi enveloppée de la présence divine, assise au bord du nymphée, la Mīsio Lentor de la Tour Vaekar attendait patiemment que son amie soit prévenue de sa visite improviste. Presque rêveurs, ses doigts traçaient des sillons cristallins comme autant de souvenirs invisibles.  Ils dansaient de longs instants dans le bassin avant s’effacer. Ces mouvements circulaires étaient les seuls à percer la précieuse aménité des lieux. Dans ce jardin doucereux, parsemés de cyclamens en fleurs, un étranger n’aurait pu soupçonner qu’ici se donnait parmi les plus savoureuses orgies de la capitale. D’une richesse immense, la gens déployait des fastes et des luxes comme peu pouvaient les égaler. À Valyria, tout comme à Oros et à Gélios, les riches citoyens envoyaient leurs serviteurs se bousculer aux portes targeryonnes pour recevoir les premières invitations.



D’un geste engourdi, la jeune servante ajusta la large ombrelle d’ivoire qui protégeait sa maîtresse de l’Astre solaire. La chaleur de l’après-midi n’était pas encore étouffante, pourtant les traits du front d’Alynera Vaekaron témoignaient déjà d’une certaine lassitude. En effet, les longues heures à Drivio avaient été tout aussi tempétueuses qu’éprouvantes. La motion du Général Lucerys Arlaeron avait ourdi les colères de nombreux sénateurs. Notamment, parmi eux, celle de Daeron Gazarelys dont l’unique œil avait suffit à jeter le seul hiver que la Cité n’avait encore jamais connu. Prenant la parole, il avait harangué l’assemblée d’un discours plein de fiel et, ce faisant, divisé la faction religieuse en deux parties distinctes. En quelques minutes, les alliés rutilants d’Arraxios Maerion s’étaient vus refoulés dans un coin obscur de l’hémicycle. À son habitude, Alynera était restée silencieuse face à cette rixe d’alliances. Sa position était bien trop délicate pour qu’elle puisse se mettre en avant dans ce genre de situation. Au milieu du statu quo déséquilibré, elle avait suivi la volonté d’Arraxios, Lumière de Sagesse et chef de la faction religieuse, en faveur de la motion proposée par l’armée. Cependant, si les paroles du jeune infirme avaient provoqué une forte indignation auprès de la plupart des sénateurs, la veuve devait bien s’avouer avoir été fortement impressionnée par le scintillement courageux de cet homme. L’élu du Dieu des Morts, appelant à l’agapé primordiale, avait osé braver le courroux des familles issues de la révolte des Dragons Verts. Quelque part, il avait raison : ce n’était pas à un membre de l’armée de proposer de nourrir le peuple. Car, et quoique la motion adoptée de Lucerys était valeureuse, cette proposition renforçait bien trop le pouvoir et la main-mise de l’autorité militaire. C’était bel et bien au clergé régulier, voire séculier, de prendre soin des enfants de Valyria. 


Bien évidemment, consumé par une grandeur, forgée par les Fondateurs et léguée par d’autres, tous les sénateurs voulaient se targuer d’être le citoyen le plus compatissant, le plus humaniste. Or, de ces idolâtries humaines, les Quatorze, eux, étaient complètement oubliés. Tant et si bien que Maegon Riahenor avait profité de cette discorde ambiante pour jouer sa carte — dont la proposition était d’une bassesse trop invraisemblable pour accepter qu’elle émane d’un Fondateur. Utiliser des esclaves Ghis pour cultiver la terre divine des Dieux ? Alynera en avait eu un haut de cœur. C’était à se demander comment Ragaenor, cet oncle qu’elle avait pourtant admiré de longues années, pouvait passer le plus clair de son temps avec lui. Partageait-il ses idées ? Étaient-ce pour elles qu’il voulait tant lui voler son siège sénatorial ?



Hélas, ce n’étaient pas les seules factions du Sénat à avoir montré leur désunion et, pire, leur difficulté à respecter les volontés dictées par leur chef de faction. Le Dragon d’Oros souffrant, Baelor Cellaeron n’avait pas tardé à révéler une facette de sa convoitise politique. Vif comme les flammes de l’Épreuve, le maître de la Montagne Peinte avait pris la place d’Elaena non sans une pointe de passion mal déguisée. Il avait tant jubilé que sa glotte avait frétillé de longs instants. Malheureusement, et quoique Alynera lui était reconnaissante pour avoir rendu hommage aux siens, il était évident que le discours de la Targeryon n’avait fait que souligner le malaise de la faction mercantiliste. D’autant plus que, pétrie d’un mutisme révélateur, elle était une des première à avoir quitté les lieux. De son vivant, Daelor avait aimé lui narrer ces délicieux coups de théâtre sénatoriaux. Féru des jeux, il aimait à répéter qu’il n’y avait rien de plus inébriant qu’une séance au Drivio Perzo. Un spectacle qu’il avait surnommé « Jardin des Délices ». Bien sûr, cette petite exécration était une rengaine, le meilleur appât, pour mettre leur oncle dans une fureur terrible. Quoiqu’il en soit, même sans être fin politicien, Daelor n’avait pas eu tord : marcher sur le marbre pourpre était marcher au milieu de vipères du meilleur venin.


« Misio Lentor, Dame Elaena arrive. » Perdue dans ses réflexions, la Vaekaron en avait presque oublié où elle se trouvait. Ajustant d’un geste rapide sa palla, elle se leva promptement pour la retrouver. « Elaena, Skorkydoso gaomagon gaomā ?* J’espère que tu ne m’en voudras pas de m’imposer de la sorte… » Ses mains dans les siennes, elle les pressa avec douceur pour lui témoigner sa fidélité. La fille aînée de Vaegon était d’une beauté plantureuse dont les courbes merveilleuses faisaient tourner la péninsule dans des murmures souvent jalousés. Malgré leur écart d’âge, les deux femmes possédaient de nombreux points communs qui les avaient unies depuis que chacune avait eu l’âge d’enlacer Meleys. Aînée de fratrie, digne fille de l’empire du Sud, Elaena avait été élevée dans les mêmes traditions ancestrales que la fille de Lorgor. Depuis que son père avait du partir rapidement en convalescence, elle partageait le même poids politique. Et quoique leurs positions différaient sensiblement, la savoir à ses côtés au Sénat était évidemment une force bienvenue. Lorsqu’elle avait vu son autorité fustigée, Alynera avait tout de suite ressenti une tendresse toute fraternelle. « … que s’est-il passé à Drivio ? Pour quelle raison Cellaeron a-t-il bafoué l’autorité de ton père de manière aussi… irrévocable ? »



* Comment te portes-tu ?
Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Quand la nuit vient,
nous devons créer notre propre lumière
Elaena & Alynera

Palais Hoskagon, An 1066, Mois 4

« Elaena ! »

La voix de Maelion disparut rapidement dans le brouhaha de la séance à peine levée du Sénat. Le sénateur ne haussa pas plus la voix, soucieux de ne pas attirer l’attention sur eux, et particulièrement sur la jeune femme qui quittait la salle sans plus attendre. Alors qu’elle traversait la salle immense, elle adressait, ci et là, un sourire et un signe de tête à ceux qui l’interpelaient. Il était extraordinaire qu’elle parvienne à feindre une quelconque émotion alors qu’elle était entière consumée par la colère. Elle savait pertinemment que Maelion était sur ses talons, elle savait que Maekar, lui aussi, se trouvait dans l’hémicycle, mais elle n’avait qu’un objectif : rentrer au palais Hoskagon.

« Laissez-moi, messieurs. »

Congédiant sa garde personnelle, Elaena ferma en un lourd fracas les grandes portes de ce qui, longtemps, avait été le bureau de son père au Palais Hoskagon, et était devenu le sien. Le cœur battant à tout rompre, les joues rougies et le souffle court, la jeune femme s’assit dans le gigantesque fauteuil qui faisait face au bureau. Lorsque Maelion entra, elle ne le vit pas, le visage déjà enfoui dans ses mains afin de reprendre son calme petit à petit. L’homme resta un long moment à la regarder. Ainsi assise dans l’immense fauteuil, elle semblait minuscule, fragile et délicate. C’est ce qui avait frappé son esprit la première fois que la jeune femme lui avait été présentée. Elle n’était alors qu’une jeune demoiselle à laquelle la vie ne promettait rien d’autre qu’un mariage prestigieux et la responsabilité d’enfanter. Maelion Velnarys n’osait se l’avouer, mais il pensa immédiatement que la jeune femme serait une bonne manière d’avancer les affaires des mercantilistes. Lui qui était avant tout un animal politique, bien que préférant l’ombre à la lumière, ne put que concéder ce que tous scandaient à Oros : Elaena Tergaryon était une beauté. Elle était belle, déjà si jeune, et la maturité toute relative n’avait fait que confirmer ce fait. Le Velnarys avait, de nombreuses fois, proposé à Vaegon Tergaryon de marier sa fille à une autre famille, dans le but de forger des alliances que rien ne pourrait ternir. Le dragon d’Oros ne pouvait cependant guère se résoudre à mêler son sang davantage, lui qui était né de sang pur et avait consenti à un mariage d’intérêt. Fort heureusement, le mélange des sangs avait amené à faire éclore un amour dévorant dans le cœur de Vaegon et celui de son épouse, Saera, et leur avait offert cinq beaux et vigoureux enfants. A la regarder ainsi, Maelion Velnarys ne put s’empêcher, à nouveau, d’envisager pour elle une union qui la stabiliserait dans son pouvoir.

Pourtant, les choses avaient changé. La princesse d’Oros était à présent reine, si tant est que l’image monarchique puisse valoir à Valyria. Elle avait été précipité, malgré elle, à la tête d’une faction qui ne la connaissait qu’à travers le nom de son père. Si jeune et inexpérimentée, voilà que son patriarche s’attendait à ce qu’elle réalise des prouesses, lui qui doutait encore de sa légitimité quelques mois auparavant. Vaegon Tergaryon aurait voulu que Maekar soit son héritier. Comment l’en blâmer ? Le général, le Téméraire, l’homme était tout ce que l’on pouvait espérer d’un héros. Seulement, le fils avait choisi une autre voie, et ce fut dans les rangs des militaristes que celui-ci fit son entrée. Longtemps le patriarche Tergaryon voulu convaincre son fils de ne pas rejeter ce qui lui revenait de droit, et finalement, avait accepté ce qui s’imposait à lui. Il ne pouvait pas y avoir que des désavantages à avoir un fils dans une faction autre que celle du père, encore fallait-il que le fils agisse dans les intérêts de la famille. Pour cela, Vaegon disposait d’un atout indéniable : Elaena elle-même. Il ne fallut guère longtemps à Maelion Velnarys pour comprendre l’adoration que les deux enfants Tergaryon se vouaient. Il fallut plus longtemps à Vaegon Tergaryon pour le percevoir comme une opportunité. Elaena héritière, elle devenait la tête de cette famille, et ainsi rien, ni personne, ne pourrait détourner Maekar de sa volonté de la protéger, pas même sa propre ambition.

Maelion avait eu, ces dernières semaines, l’opportunité de travailler quotidiennement avec la jeune femme, et si son tempérament emporté était définitivement une menace, elle était pleine de ressources. Elle s’était jetée à corps perdue dans cette mission qui était à présent celle de sa vie, et avait dédié ses journées et ses nuits au souci d’apprendre toujours plus. Être digne de la confiance de son père, voilà ce qui obsédait une Elaena malheureusement inconsciente de n’être qu’un point dans la stratégie de Vaegon. Ce dernier aimait sa fille, terriblement, et la respectait immensément, mais éduqué dans une famille du Sud de Valyria il ne pouvait considérer sa fille comme aussi apte que son fils à gouverner. Elle était pour lui une sécurité, un garde-fou contre les égarements de Maekar. Elle était un visage avenant capable de détourner l’attention et lui permettant, à lui, de tirer les fils en secret. Elle était enfin, pour le moment, une jeune femme célibataire dont la main attirait, chaque jour, de nouveaux partenaires. Elle en serait brisée sans doute, ainsi Maelion avait-il décidé de n’en rien dire et de l’accompagner au mieux.

« Tu m’as conseillé de ne rien dire, mais il existe des moments à ne pas laisser passer. Je ne pouvais pas rester silencieuse. »

A la regarder sans la voir, le Velnarys n’avait pas remarqué que la jeune femme avait levé la tête vers lui. Ses yeux améthyste brillaient d’une émotion qu’elle ne parvenait plus à contenir. Il aurait dû être fâché des initiatives qu’elle avait prises sans le consulter, sans consulter tous ceux qui avaient pris le risque de se ranger derrière elle, et pourtant… Il eut envie d’essuyer les larmes qui menaçaient de lui échapper, d’une minute à l’autre. Elle lui paraissait si petite dans ce grand bureau, et si vulnérable. Pourtant Elaena Tergaryon venait de démontrer qu’elle n’était ni petite, ni vulnérable. Cette jeune femme sans expérience, soumise à une pression sans précédent, s’était levée face au Sénat, et avait fait entendre sa voix lorsque tant avaient tenté de la réduire au silence. Sans doute avait-elle pris beaucoup de risques, et oui elle s’était opposée aux conseils de ceux qui l’entouraient, mais avait-elle eu tort ? Maelion aurait aimé un discours plus travaillé, moins idéaliste, mais il ne put nier qu’elle avait eu un impact et le courage de faire ce que lui n’aurait jamais fait. Elle avait fait des erreurs, elle avait pris des risques, mais elle avait affirmé à Baelor Cellaeron, à Echya Odenys, à Lucerys Arlaeron ou encore à Maegon Riahenor, que la faction mercantiliste ne pouvait parler sans la voix des Tergaryon. C’était un symbole, et elle l’avait protégé, au péril de sa fierté. Elle avait non seulement gagné la confiance et la fidélité d’un groupe plus étendu que celui qui l’avait soutenue avant cette séance, mais elle avait surtout gagné la fidélité sans failles de Maelion.

« Ne laisse personne te forcer à ignorer ton instinct, Elaena. Il est ta meilleure arme. »

L’air de surprise sur les traits de ce doux visage eut pour avantage de chasser les larmes, et Maelion s’en trouva curieusement soulagé. Il aurait aimé affirmer que ce lien qui l’attachait à Elaena était celui d’une affection paternelle, lui qui allait l’aider comme aurait dû le faire Vaegon, mais cela aurait été un mensonge.

« Nous t’avions dit de rester silencieuse, il est vrai. Et j’aimerais qu’à l’avenir tu sois plus attentive à nos conseils. Mais sur ce point… sans doute avions-nous tort. Nous aurions dû te préparer à prendre la parole, nous aurions dû te préparer au discours qui aurait dû être le tien. Baelor Cellaeron a saisi l’opportunité que nous… que je lui ai offert sur un plateau d’argent. Pour cela, ñuha riña, j’espère que tu pourras me pardonner. »

Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle réagisse ainsi. A peine eut-il terminé de parler que la jeune femme se leva et balaya du revers de la main ce qui se trouvait sur le bureau encombré. Le fracas du verre brisé, de l’argent heurtant le marbre, des parchemins voletant avant de retomber mollement, il fallut tout cela pour que Maelion réalise que les larmes qu’il avait aperçues n’étaient pas celles de la tristesse mais bien de la colère.

« Je ne veux plus jamais être humiliée de la sorte, Maelion ! Baelor Cellaeron… Echya Odenys… Ils me méprisent et me voient comme un obstacle mineur sur leur chemin. Et sans doute le suis-je… »

Elaena se mit à faire les cent pas, heurtant parfois des objets tombés quelques secondes auparavant.

« Nous ne serons plus pris au dépourvu. Si Cellaeron veut la guerre, je serai ravie de la lui offrir. Crois-tu que j’ignore ce que vous pensez tous ? Pour vous je ne suis rien que le pantin de mon père. Pour mon père lui-même suis-je sans doute un faire-valoir bien utile ! »
« … Je n’ai pas pensé que tu étais… »
« … Ne ment pas, Maelion ! Je n’ai guère besoin de voir mon égo cajolé par des mots que tu ne penses pas. J’ai pris la parole aujourd’hui, et je continuerai de la prendre, encore et encore. Je suis seulement aujourd’hui, mais un peu moins qu’hier, plus que demain, et il en sera ainsi jusqu’à ce qu’autour de moi soient fédérés tous ceux que le Sénat méprise ! Les as-tu vu ? Engoncés dans leur stupre et leur prétention. Ils ne peuvent voir en moi que la femme, la jeune femme, l’être vulnérable que leur éducation et leur aveuglement imposent à leurs esprits ! Et bien soit, qu’il en soit ainsi, car lorsqu’enfin leurs yeux s’ouvriront, nous serons prêts. »
« Dame Elaena ? »
« Quoi ? »

Emportée dans son élan furieux, la jeune femme cria littéralement sur la jeune servante qui avait fait irruption dans la pièce. La jeune fille se recroquevilla, tout à fait effrayée par la réaction inhabituelle de la dame qu’elle servait depuis des années déjà.

« … Pardonne-moi, Myssiah… Je… Qu’y a-t-il ? »
« Dame Alynera Vaekaron est ici et demande à te voir. »

Elaena hocha la tête, fermant les yeux un instant pour prendre une longue respiration et calmer le feu qui la consumait depuis le début de cette journée. Maelion resta silencieux, la regardant simplement. Il se dit qu’elle n’avait jamais encore fait preuve d’une telle force, d’une telle détermination, et ne sut s’il en ressentait une crainte terrible ou une admiration sans bornes. Elle serait le génie ou la fin de cette dynastie. Elle serait incontrôlable, mais les amènerait plus haut ou au plus bas.

« Rassemble tous ceux qui ont décidé de rester fidèles aux Tergaryon, sondent tous les indécis, et organises un grand dîner ce soir. »

Il ne dit mot, se contentant de hocher de la tête en la laissant passer. Le parfum qu’elle laissa derrière elle était surprenant de profondeur, il était à la fois senteur de ce monde et impression invisible. Maelion sut qu’il associerait, pour toujours, ce parfum à cette jeune fille qui venait, de manière brutale et violente, de gagner sa fidélité.

Lorsqu’elle pénétra dans l’un des nombreux jardins qui ponctuaient le palais Hoskagon, Elaena avait retrouvé un certain calme, la présence de son amie Alynera n’y était pas étrangère. Elle également devait subir les remarques et doutes sur ses capacités, mais à la différence d’Elaena, la princesse Vaekaron laissait ces doutes s’imprégner en elle.

« Elaena, Skorkydoso gaomagon gaomā ?* J’espère que tu ne m’en voudras pas de m’imposer de la sorte… »

Alynera prit les mains d’Elaena, et cette dernière attira son amie à elle pour la serrer dans ses bras. Elles avaient toutes deux survécu à leur première séance à Drivo, et Elaena avait, plus que jamais, besoin de ressentir à nouveau cette impression qu’elle n’était pas seule au monde.

« ñuha jorrāelagon raqiros*. Comment pourrais-tu t’imposer alors même que ces portes te sont éternellement ouvertes ? »

Gardant l’une des mains d’Alynera dans la sienne, Elaena guida son amie jusqu’à un banc abrité par l’ombre douce d’un arbre au feuillage clairsemé.

« … que s’est-il passé à Drivo ? Pour quelle raison Cellaeron a-t-il bafoué l’autorité de ton père de manière aussi… irrévocable ? »

La mention de Baelor parvint à piquer à nouveau la colère d’Elaena qui dû se faire violence pour ne pas s’emporter à nouveau. Si elle se raisonnait, elle parvenait aisément à comprendre l’attitude ce dernier. Voilà bien des années qu’il luttait pour obtenir la place qu’il avait au sein de la faction. C’était un homme expérimenté et un fin négociateur. Qu’y avait-il de si absurde à envisager qu’il puisse être chef de faction ? Il n’y avait là rien d’illégitime, et sans doute était-ce ce qui inquiétait tant Elaena. Cette dernière resta silencieuse un instant, humant la douce fragrance florale qui les enveloppait au cœur de ce jardin sublime. Bien peu de palais pouvaient targuer de rivaliser avec le luxe et le raffinement du palais des Tergaryon à Valyria, l’amour de la famille pour les matières nobles, les œuvres d’art mais surtout les jardins n’était un secret pour personne. A la différence du reste de la ville, très minérale, le palais Hoskagon était le parfait mélange du génie de l’homme et de celui de la nature. Aux œuvres naturelles se mêlaient les statues, peintures et autres artefacts produit par le pouvoir créateur de l’esprit humain. Il y avait en ces lieux une paix qui évoquait à Elaena le palais où elle avait grandi. Oros. Une ville sans pareille et sans égale. Gelios, la ville de ses ancêtres, ouverte sur la mer. Tant d’endroits où la nature régnait en maîtresse… Sans doute était-ce là que prenait racine l’attachement des Tergaryon à la nature et au végétal.

« Baelor n’a pas attenté à l’autorité de mon père, c’est ma légitimité qu’il a bravée, publiquement, haut et fort. Je peux te le dire à présent que c’est officiel… Mon père a délaissé son siège à mon profit, non pas de manière temporaire mais… définitivement. »

Elaena senti son estomac se serrer alors qu’elle annonçait pour la première fois cette nouvelle qu’il avait fallu conserver secrète depuis le malaise de son père.

« Prendre ainsi la parole fut sa manière de se placer en successeur naturel de mon père, et j’imagine également d’afficher aux yeux de tous mon… inexpérience. J’aimerais prétendre qu’'il se trompe, et sans doute face à d’autres que toi n’hésiterais-je pas à le faire… Mais à toi je peux l’avouer… La mission que l’on a déposée sur mes épaules me semble un plus lourde et impossible chaque jour qui passe. »

Elaena fit un geste en direction d’un esclave qui se tenait non loin de là et lui demanda de dresser une petite desserte, à l’ombre de cet arbre, et d’y déposer une carafe d’eau à la fleur d’oranger, ainsi que quelques fruits et gourmandises.

« Je ne peux que te remercier de me rendre ainsi visite, peut-être ne le soupçonnes-tu pas mais ta présence m’est d’un grand confort, ñuha raqiros** »  


* ma chère amie
** mon amie




Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
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Elaena & Alynera

Palais Hoskagon, An 1066, Mois 4

« Baelor n’a pas attenté à l’autorité de mon père, c’est ma légitimité qu’il a bravée, publiquement, haut et fort. Je peux te le dire à présent que c’est officiel… Mon père a délaissé son siège à mon profit, non pas de manière temporaire mais… définitivement. »



À ces mots, inattendus, la main d’Alynera s’enlace brutalement dans celle de son amie. Définitivement. Voilà que les Dieux, de leur humour dévoué, avaient encore frappé ! Qu’avaient-elles donc fait pour mériter cette malédiction qu’Ils marquaient sur elles, pauvres femmes, d’un fer mauvais ? Désarmée, luttant contre les propres affres de sa tragédie, elle serre un peu plus fort les doigts d’Eleana. Comment, cette petite-fille d’Archonte, à un si jeune âge, pouvait avoir été projetée dans cette arène phallocratique ? Si elle disait vrai, alors, de ces hommes qui s’élèveraient contre elle, Baelor Cellaeron n’était que le premier. Et nul doute que cette décision devait bouleverser les alliances mêmes du clan Tergaryon… Tout son malheur était que, encore sous la patria potestas, elle n’avait pas même accédé à la dignité du rang d’épouse. Hélas, Vaegon Tergaryon avait peut-être donné à ses filles une éducation affiliée à celle donnée dans le Nord, où les gentilices n’observaient pas la même fidélité aux traditions, mais si il souhaitait que son aînée conserve sa position de chef de faction il faudrait se ployer aux règles. Des règles érigées par ces mêmes hommes qui gouvernaient cette péninsule depuis la fin des Tétrarques, deux mille auparavant, et dont le principe d’agnation pour la Curie était uniquement masculin.



« Prendre ainsi la parole fut sa manière de se placer en successeur naturel de mon père, et j’imagine également d’afficher aux yeux de tous mon… inexpérience. J’aimerais prétendre qu’'il se trompe, et sans doute face à d’autres que toi n’hésiterais-je pas à le faire… Mais à toi je peux l’avouer… La mission que l’on a déposée sur mes épaules me semble un plus lourde et impossible chaque jour qui passe. »



Malgré toute la tendresse qu’elles avaient l’une pour l’autre, Eleana ne pouvait comprendre l’ampleur de la nouvelle sur son amie. Voilà depuis presque une année qu’Alynera était plongée dans des tourments de glace hostiles. C’était un combat qu’elle menait seule, dans le silence de son intimité. Désormais, il faudrait partager ce fardeau du sort avec la douce fleur d’Oros… Par un caprice du sort, voilà que toutes deux se retrouvaient, à des âges différents de leur vie, devoir livrer la même bataille. Du moins une bataille similaire car les tenants et les aboutissements en étaient probablement très divers — après tout il y avait aussi la question publique de la pureté de leur sang et de leurs origines primordiales. Quoiqu’il en soit, ce n’était pas avec gaieté qu’elle comprenait, mieux que quiconque, les émois de sa belle amie.

« Je ne peux que te remercier de me rendre ainsi visite, peut-être ne le soupçonnes-tu pas mais ta présence m’est d’un grand confort, ñuha raqiros. »

D’un geste fraternel, Alynera lui fit part de tout son désespoir. Elle aurait souhaité une autre fortune, moins tortueuse pour celle qu’elle considérait comme une personne de son cercle restreint.



« Ñuha raqiros, tes paroles ouvrent en mon cœur des blessures profondes. Je suis désolée d’apprendre la tragédie qui frappe les tiens car j’imagine que la décision de ton père a été poussée par des contingences liées à sa maladie. »



Soucieuse de ne pas lui faire dire plus qu’il ne fallait, elle ne demanda aucune explication supplémentaire sur l’état de Vaegon, qu’elle déduisait suffisamment grave pour qu’une de ses filles hérite de son siège sénatorial. Plus tard, peut-être, elles parleraient de la tragédie mortelle qui le frappait mais, pour le moment, seul importait la fleur de ce jardin. 


« J’ai bien peur de ne pas être la bonne amie pour recevoir tes peines, car comment pourrais-je te réconforter en te disant que cette mission te semblera plus légère et possible demain ? Daelor s’est éteint aux Ides d’octobre et aucun haruspice n’a encore pu lire quand l’océan de mes tourments serait abrogé. Et, qui suis-je, moi, pour apporter conseil à la jeune femme qui s’est bravement dressée devant l’assemblée réunie pour défendre les morts ? »



Bien évidemment, le caractère, la position dans la société et toutes ces choses faisaient qu’Alynera n’aurait jamais, au grand jamais, pris la parole après s’être fait clore le bec par Baelor. Mais, du haut de ses vingt-huit âges, elle était déjà veuve et ce fiel, qui caractérisait la prime jeunesse, s'était estompé. Oui, cet idylle adolescent pour la justice et les conquêtes avait disparu depuis longtemps — et d'ailleurs qui sait si il avait vraiment eu la place de naître. À la différence de son amie, issue d'une branche mineure, elle n’avait pas été élevée pour être une femme de second rang. Les siens, et plus particulièrement Lorgor, avaient fait d’elle un joyau inestimable, dont la taille minutieuse n’était faite que pour illustrer la grâce divine de leur généalogie. Telle une mise en garde, elle avait été engendrée par les forces du monde pour rappeler la filiation de la dynastie Vaekaron aux Dieux vénérés de ce monde. Gardienne antique du feu de Valyria, très au fait de la condition à son existence, Alynera avait toujours observé son destin d’un œil lucide. Longtemps, elle n’avait pas eu un vœu qui ne lui soit incombé. Toutes ses pensées lui étaient dictées par ses racines ancestrales, à cette terre, à cette magie et à ses mystères. Tout comme les siens, et tout comme chaque enfant dynaste, elle marchait main dans la main avec la destiné de Valyria. Heureusement, moins condamnée, la vie d’Eleana serait différente, plus fastueuse et plus légère. Dans un réflexe maternel, dont le sourire était scellé, elle passa sa main sur la joue de la belle Targeryon. 


« Nous n’aurions jamais du être à ces places qui étaient dévolues à nos frères… Ils seront nombreux, et nombreuses, à te le répéter. Tu parles de ton inexpérience mais, ma douce amie, souviens-toi que ces hommes, qui tenteront de te faire taire, étaient tout aussi inexpérimentés avant qu’ils ne revêtent leur toge virile. Tu rattraperas ces années car, à leur différence, cette mission que Vaegon te fait porter tu dois la défendre pour l’honneur de ton père et celle de ta faction, dont tu portes, d’ores et déjà, les valeurs hautes sous le ciel d’Arrax. Sache que je te soutiendrai, et t’aiderai, aussi longtemps qu’il me le sera permis… »

Elle marqua une pause, n’étant pas certaine de savoir combien de temps cela serait exactement. À ce jour, son oncle refusait toujours de lui parler, mais cela ne signifiait pas pour autant un vœu de silence. Au contraire, ces derniers temps il avait du parler plus que de coutume car il semblait avoir réuni autour de lui d’importants alliés, dont le béguin pour la tragédie des Vaekaron augmentait un peu plus chaque jour.



« … mais il va te falloir un soutient important, bien plus que les alliés de ton père du moins ceux qui te sont restés fidèles. Quels sont tes plans ? »

Elaena Tergaryon
Elaena Tergaryon
Sénatrice

Quand la nuit vient,
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Elaena & Alynera

Palais Hoskagon, An 1066, Mois 4



« Ñuha raqiros, tes paroles ouvrent en mon cœur des blessures profondes. Je suis désolée d’apprendre la tragédie qui frappe les tiens car j’imagine que la décision de ton père a été poussée par des contingences liées à sa maladie. »



Un instant, le regard d’Elaena fut voilé, comme emporté par le souvenir d’une nuit qui avait, à jamais, changé son existence. Il aurait été inexact d’appeler cela un souvenir, il ne l’était pas à proprement parler. Un souvenir était une réminiscence lointaine, parfois vive mais lointaine, d’un événement passé. La chute de père tout puissant n’avait pas été un simplement événement, c’était un bouleversement solidement ancré dans le cœur et le corps de la jeune femme. Elle ne souvenait pas du moment. Elle le revivait. Encore et encore. Daenyra et Maekar avaient vu leur père faible mais vivant. Elaena, elle, l’avait vu tomber. Elle l’avait vu convulser, s’étouffer, fermer les yeux comme pour ne jamais les rouvrir. Elle l’avait vu mort. Elle avait entendu le bruit sourd d’un corps désarticulé heurtant le sol. Il ne passait plus une journée sans qu’un son, une odeur, ou un bruit, ne la ramène à cette nuit.

Cette mort brève mais pourtant bien réelle s’était ancrée en elle et avait ravivé un deuil qu’elle ne s’était pas encore autorisée à porter. Aenar était mort, et elle avait voulu se montrer forte pour Maekar, qui souffrait tant de la culpabilité de celui qui n’avait pas su sauver son ainé. Elle avait voulu se montrer forte pour Daenyra, qui avait perdu ce frère qu’elle aimait d’un amour sans doute plus puissant qu’elle n’osait le montrer. Et pour ses parents, qui perdaient un fils et l’avenir de la famille.

Chose curieuse que l’esprit, à la fois insondable et pourtant manipulable lorsqu’il s’agit de survivre. Elaena avait manipulé son esprit comme elle avait manipulé les autres. A force de feindre la force, elle était parvenue à se persuadée elle-même de sa résilience. Elle avait pleuré, en silence ou en secret, puis avait fini par se persuader que les larmes n’avaient pas leur place dans le drame de succession qui avait frappé les Tergaryon. Et puis, il avait fallu se montrer à la hauteur d’une tâche qu’elle n’avait jamais voulue. Il avait fallu soulever le poids tombé des épaules d’Aenar et le hisser sur les siennes. Elle avait parfois le sentiment de l’entendre, de sentir sa présence à ses côtés ; tribulations d’un esprit sous pression ou véritable signe magique, elle n’aurait pu le dire. Ce n’était qu’en voyant la chute de son père qu’Elaena avait réalisé le poids du deuil refoulé. Elle n’avait jamais accepté la mort d’Aenar, car elle ne s’était encore jamais autorisée à penser cette phrase si simple… Je souffre de la mort d’Aenar, et je donnerais tout pour le retrouver.

« J’ai bien peur de ne pas être la bonne amie pour recevoir tes peines, car comment pourrais-je te réconforter en te disant que cette mission te semblera plus légère et possible demain ? Daelor s’est éteint aux Ides d’octobre et aucun haruspice n’a encore pu lire quand l’océan de mes tourments serait abrogé. Et, qui suis-je, moi, pour apporter conseil à la jeune femme qui s’est bravement dressée devant l’assemblée réunie pour défendre les morts ? »

Elaena replongea son regard dans celui de son amie. Toutes deux étaient à la fois sembable et pourtant différaient sur tant de plans. Leurs destins se ressemblaient, toutes deux accablées d’une tâche à laquelle elles n’avaient guère été préparées. Alynera était plus âgée, de sang plus noble qu’Elaena, mais au fond ce n’étaient guère là des différences de taille. Ce qui les distinguait réellement était davantage ancré dans l’éducation qu’elles avaient reçue. Alynera était fille du Sud, pur produit de la pensée sudiste et de ses traditions. Elaena, elle, avait beau être une Tergaryon, fière famille du Sud de Valyria, elle n’en était pas moins fille de Saera Vaelarys. Les Vaelarys, implantés de très longue date à Oros, possédaient de nombreuses branches cousines dans le Nord de Valyria, et la famille était connue pour l’indépendance de ses femmes. C’était bien Saera qui avait aprêment combattu pour vaincre les réticences de son époux. Vaegon Tergaryon n’était pas homme à sous-estimer les femmes, il avait épousé une femme d’un genre que l’on ne peut se permettre de sous-estimer, et avait élever des jeunes femmes qui ne laissaient place au doute quant à la force du sexe faible. Il n’en était pas moins un fils du Sud, homme élevé dans l’idée que ses congénères devaient gouverner et les femmes rester au foyer. Il avait, d’ailleurs, élevé ses filles dans un environnement propice à les cantonner à ce rôle. Il en avait fait de véritables princesses d’Oros. C’était Saera qui en avait fait des guerrières, chacune à leur manière.

Toujours était-il qu’Elaena et Alynera avaient déjà eu l’opportunité d’échanger sur les responsabilités qui s’étaient, récemment, lourdement déposées sur leurs épaules, et que chacun avait sa propre conception de leur sort. Elaena n’ignorait rien du défi, et craignait à raison les responsabilités qui étaient, à présent, siennes. Elle ne s’estimait cependant pas moins capable de les assumer. A tort ou à raison, elle regardait ces hommes, ces sénateurs qui l’entouraient, et ne voyait rien en eux qu’elle ne possédait pas. N’était-elle pas, elle aussi, douée de parole ? Etait-elle incapable de former une pensée cohérente et pertinente ? N’était-elle pas capable de gérer des budgets et des projets alors même qu’il s’agissait là des bases de gestion d’un foyer ?

Lorsque Alynera déposait sa main sur la joue d’Elaena, la jeune Tergaryon esquissa un sourire tendre et déposa sa main sur celle de son amie. Elle aussi était capable de tant de choses. Elle détestait ce monde qui réduisait des êtres brillants au silence et à la tiédeur sous prétexte qu’ils étaient d’un sexe et non d’un autre. Elle détestait ce monde qui faisait de la femme face à elle une princesse, qui ne faisait que la réduire à sa beauté, la pureté de son sang et l’importance de sa dot. Comment ne pas voir la puissance qui couvait en elle ? Comment Alynera pouvait seulement ignorer ce que, sans doute, son défunt mari avait vu… Elle était d’une étoffe bien plus solide que ce qu’elle s’imaginait.

« Nous n’aurions jamais du être à ces places qui étaient dévolues à nos frères… Ils seront nombreux, et nombreuses, à te le répéter. Tu parles de ton inexpérience mais, ma douce amie, souviens-toi que ces hommes, qui tenteront de te faire taire, étaient tout aussi inexpérimentés avant qu’ils ne revêtent leur toge virile. Tu rattraperas ces années car, à leur différence, cette mission que Vaegon te fait porter tu dois la défendre pour l’honneur de ton père et celle de ta faction, dont tu portes, d’ores et déjà, les valeurs hautes sous le ciel d’Arrax. Sache que je te soutiendrai, et t’aiderai, aussi longtemps qu’il me le sera permis…
Mais il va te falloir un soutien important, bien plus que les alliés de ton père du moins ceux qui te sont restés fidèles. Quels sont tes plans ? »


Elaena saisit les mains d’Alynera, restant silencieuse un instant, presque contemplative, le regard perdu au loin là où le jardin se mêlait au marbre des fontaines.

« Et si nous n’étions pas censées être à cette place, comment expliques-tu que nous le soyons ? ñuha jorrāelagon raqiros, les Dieux ne font rien par hasard. Bien sûr le déroulement des événements nous échappe… Lorsque la souffrance est si forte que l’on perd pieds, lorsque notre destin semble prendre un tournant effrayant… Il nous semble parfois que rien n’a plus de sens. Mais pourquoi cette place ne serait-elle pas la nôtre, si telle est la volonté d’Arrax ? Parce que nous sommes nées femmes ? Ce sexe serait-il raison suffisante à nous écarter ainsi ? »

Elaena s’approcha d’Alynera, déposant ses mains sur les joues de la Vaekaron avec douceur, encadrant son visage pour mieux plonger son regard dans le sien et lui adresser un sourire chaleureux. Après quelques secondes de silence, la native d’Oros repris la parole en chuchotant.

« Je n’oublies pas que c’est bien le drame qui a fait de nous ce que nous sommes à présent. Par peur d’être emportée, je n’ai pas laissé couler suffisamment de larmes, je les porte en mon cœur et chaque nuit elles menacent de m’emporter avec elles. Je vois en ton regard la douleur de la perte. Une perte n’a jamais de sens. La mort ne peut avoir aucun sens aux yeux des vivants. La volonté de Balerion ne peut être contestée et pourtant nous autres, abandonnés sur cette terre par ceux qui l’ont quittée, nous ne pouvons que la questionner, la sonder, la rejeter… Car la disparition d’un être cher ne peut jamais avoir de sens. Elle ne peut être qu'injuste.

Mais je nous regarde, ñuha raqiros. Je nous regarde et sais-tu ce que je vois ? Des femmes. Oui bien sûr. Mais avant tout des êtres capables de convictions. Des êtres lucides face aux injustices de ce monde, et victimes des injustices de l’Autre monde. Qui a décidé que nous devions être silencieuses ? Qui a ce pouvoir, Alynera ? Baelor Cellaeron ? Ragaenor Vaekaron ? Devrions-nous leur concéder le droit de définir ce que nous sommes ? Ce que nous devons penser ? Dire ? Manger ? Boire ? Aimer ? Regarder ? Défendre ? »


Elaena se leva, faisant quelques pas avant de refaire face à son amie.

« Pourquoi les croire, eux ? Pourquoi les croire lorsque les Dieux eux-mêmes ont orienté nos destins vers ce que nous sommes aujourd’hui ? Pourquoi les entendre, eux, lorsque d’autres hommes voient en nous des êtres doués d’intelligence, capables de faire le bien ? Et finalement, pourquoi croire qui que ce soit d’autre que nous-mêmes ? Ne sommes-nous pas les plus à même de savoir ce dont nous sommes capables ?

Ils rejettent tout ce qui ne leur ressemble pas ! Ils ne veulent pas des pauvres, des jeunes, des natifs d’autres villes ou régions, ils ne veulent qu’un Sénat à leur image car là est leur seule force, Alynera ! C’est cela qui raffermit leur pouvoir sur nos esprits, nos corps et nos volontés. C’est ainsi qu’ils forgent une société à leur image. Une société qui continuera à forcer nos filles, la chair de notre chair, à penser qu’elles ont moins de valeur que leurs frères, que leurs cousins ou que leurs oncles.

Nous avons notre place dans ce monde, mon amie. Et nous ne sommes pas là par hasard. Nous ne sommes pas perdues dans un destin qui ne serait guère nôtre…

Je crois, au contraire, que nous sommes exactement là où nous devons être. »


Elaena, elle-même, ne s’était pas attendue à se lancer ainsi dans une telle diatribe. Elle était exaltée, en colère, frustrée, déterminée, effrayée, mais surtout, elle voyait en Alynera autant de sentiments qui les menaient toutes deux à se sentir incapables.

« Voilà mon plan. Porter, pour la première fois depuis des siècles, une voix dissonante au sein de cette assemblée homogène. La voix de ceux que l’on souhaite faire taire à tout prix, à grand renfort d’injonctions contradictoires et limitatrices. Les jeunes, que l’on critique pour leur manque d’expérience mais que l’on pousse du coude pour les empêcher de l’acquérir. Les femmes, que l’on maintient, coûte que coûte, dans cette position insupportable de n’avoir guère plus de valeur qu’une jolie statue à observer, à posséder, à jalouser. Ceux que les jeux des factions ont laissé de côté. Ceux du Nord, du Centre, qui ne se reconnaissent pas dans ces jeux de dupes qui ne trompent pourtant personne.

Ils sont nombreux, Alynera. Nous sommes nombreux ! Nous sommes divisés car ils nous montent les uns contre les autres. Par le jeu des factions. Par le jeu des faveurs, en accorder à certains pour les opposer aux autres. Ce que je veux, moi, c’est nous unir. Par-delà les factions, par-delà les origines… Donner une voix nouvelle, pour une nouvelle Valyria. Une Valyria plus forte, car n’étant plus amputée d’une partie de ses forces vives. C'est idéaliste, dirons certains ! Mais oui, et pourquoi pas ? Faut-il être cynique pour diriger ce monde ? Ne faut-il pas poursuivre un idéal pour créer un monde meilleur ? Et n'est-ce pas là ce que nous devrions tous nous efforcer de créer ? Créer un monde meilleur pour honorer ceux que la guerre nous a pris, pour que leur morts ne soient pas vaines ? Pour que de notre peine surgisse un avenir plus serein. Je les entends ricaner face à mon discours car je parle d'amour, d'idéal, de paix, de voie nouvelle, autant de concepts que la vieille garde ridiculise ! Non pas parce qu'ils n'ont pas de sens mais parce qu'ils les menacent. Une femme qui prend la parole ne le fait que par idéalisme, par sentimentalisme, et cela ne peut être pris au sérieux, c'est cela ? Ainsi il nous faudrait accepter d'être menés sans incursion du sentiment et de l'idéal ? Quel monde pourra bien ressortir de cela ?

Alynera, pour tout ça, j’ai besoin de toi. Commençons cela. Ne ploie pas le genou devant ton oncle. Ne lui offre pas ce qui te revient, sous prétexte qu’il se croit plus capable et que tu doutes de toi-même. Moi je ne doute pas, ni de toi, ni de moi, ni de tous ceux qui voudront nous rejoindre. Cela prendra du temps, bien sûr. Et je ne veux pas créer le chaos. Mais avec le temps, nous pourrons devenir ceux qui comptent, ceux avec qui on doit compter… de grès ou de force. »


Elaena s’était assise à nouveau, reprenant entre ses mains celles de son amie. Ses joues rougies l’étaient tant par l’effet du soleil que de son exaltation. Elle se savait extrême et elle connaissait les réserves de son amie. Mais comment douter encore alors qu’elles avaient vécu cette séance ?

« Mon amie, je connais tes réserves… Je sais comme mon emportement doit te sembler extrême, infondé peut-être même… Mais si seulement tu voyais ce que je vois lorsque je te regarde. Si tu savais la confiance que j’ai en tes forces. En nos forces. Nous sommes capables de jouer leur jeu pour mieux le retourner contre eux. Cette caste qui n’a pu s’empêcher de s’affronter aujourd’hui pour consolider leur propre pouvoir en lieu et place d’une lutte en faveur de notre République, de sa reconstruction, de son avenir.

Tu connais la confiance que je te porte, je n’ai aucune crainte à te révéler que je rêve encore d’une vie simple… Si tu savais comme je rêve de simplement épouser Maekar, porter ses enfants, être femme de Général et ne pas avoir à mener une lutte qui pourrait me perdre. Mais là n’a jamais été mon destin… Nos destins. Nous ne le savions simplement pas encore. »


A présent que retombait l’enthousiasme, Elaena se surprit à craindre la réaction de son amie. Elles étaient différentes, et le discours qu’avait tenu Elaena n’était pas de ceux que l’on acceptait d’entendre à Valyria. On acceptait les femmes comme figures d’exception, comme discrètes figures à détailler du coin de l’œil lors des séances de Drivo, mais certainement pas comme véritables combattantes. Ne l’étaient-elles pas, pourtant ?

« Que dis-tu de tout cela ? »


Alynera Vaekaron
Alynera Vaekaron
Mīsio Lentor

https://rise-of-valyria.forumactif.com/t661-epreuve-du-feu-d-aly
Quand la nuit vient,
nous devons créer notre propre lumière
Elaena & Alynera

Palais Hoskagon, An 1066, Mois 4

« Que dis-tu de tout cela ? »



« L’ardeur naïve de la jeunesse embrasse tes mots. »


Alynera ne put, ou ne sut, répondre autre chose à son ultime question. Profondément gênée, comme pour s’en excuser, dissiper le malaise grandissant, elle tapota discrètement la main de son amie. Elaena disait pourtant vrai. C’était la volonté d’Arrax que de les voir à la tête de leurs familles, dans des rôles hautement masculins. Dans le silence de sa condamnation, les mots résonnèrent en son esprit pour marteler tous les principes de son éducation millénaire. Qui a décidé que nous devions être silencieuses ? La première dissonance était bien là. En la Tour Vaekar, on n’élevait pas les filles en leur intimant d’être silencieuse. Et, à l’instar de ses mères, tantes ou cousines, elle savait parfaitement qu’elle était un être lucide, capable de conviction. Pour autant, cela ne signifiait pas vouloir, ou devoir, le clamer au milieu de l’hémicycle ! Si les femmes étaient reléguées aux nobles tâches du foyer c’est parce que leurs qualités gracieuses étaient plus à même d’y briller. Les humeurs bilieuses des hommes, particulièrement leur bile jaune, ne leur permettaient pas de s’adonner à autre chose qu’aux jeux politiques et militaires. Les femmes se devaient donc de se tenir en retrait. Leur tempérament sanguin leur permettait d’être plus réfléchies et objectives.



« Je t’en prie, n’exige pas de moi ce qui m’est impossible. »



Sa voix était douce, quoique fort lasse. Ne ploie pas le genou devant ton oncle. Ne lui offre pas ce qui te revient, sous prétexte qu’il se croit plus capable et que tu doutes de toi-même. Bien malgré elle, Alynera se rendait compte que les nobles qui n’étaient pas originaires de la Cité, mais des pièces rapportées au fil des âges anciens, ne pouvaient réellement comprendre ce que signifiait être natif, que dire, fondateur de Valyria ! Pour ces braves gens, des régions tempérées et du Nord, la vie était un nectar appétissant. Ils jouissaient de tous les privilèges. Protégés, par les Dieux, par les Dynastes et leur magie, ils pouvaient vivre sans craindre que le sol ne se dérobe sous leurs pieds. De fait, ils avaient raison. En vérité, le sol magique antique de cette terre ne les avalerait pas s’ils commettaient un pêché. Seules trois familles étaient gardiennes des antres des Enfers. Génération après génération, leurs membres devaient obéir à un code qui n’était inscrit nul part — autre que dans leur chair et dans leur héritage oral. Si elle s’en doutait, Elaena n’en voyait que les frontières visibles. Plus de cent siècles étaient inscrits dans les veines d’Alynera Vaekaron, aînée des aînés de Vaekar… Combien de siècles de félicité voluptueuse étaient inscrits dans celles de la Tergaryon ? 


« Voilà de nombreux mois que je lutte pour ne pas ployer face au silence de mon oncle et, par ailleurs, à celui de toute ma famille. Lyseon et Riahenor, tous mes pairs, sont contre moi. Je n’ai aucun soutien. Et, quand bien même, je suis en mon droit, que là est ma destinée, la volonté suprême d’Arrax, il me revient, par mon devoir premier, de ne pas être parjure aux miens. »



Interdite, elle secoua la tête.



« Je suis fille de Vaekar. Il y a un prix à payer pour naitre d'une telle famille. »



De toute évidence, les deux femmes étaient à des étapes différentes de leurs vies. La qualité même de leur sang, différent lui aussi, ne leur permettait pas de pouvoir voir les choses de la même manière. Tout était plus simple pour Elaena qui avait le soutient de son père et l’appui de son frère-époux en devenir. Les obligations du mariage n’étaient pas encore venues corrompre sa naïve jeunesse. Enfin, elle était issue d’une branche secondaire. Pour se faire un nom, sortir de l’ombre, ses aïeuls avaient du faire preuve de quelques traits de caractères bien spécifiques. Naturellement, il les lui avait enseignés... De son côté, en revanche, aucun membre de sa famille ne viendrait la seconder. Pas de fiancé, aucun homme sur lequel s’appuyer ou s’aider. Elle était seule. Parfaitement lucide, Alynera aurait même pu avancer qu’un pas supplémentaire était suffisant pour que les siens soient prêts à la donner en pâture aux fonds océaniques. Oui, d'elles deux, seule la Vaekaron bouleversait réellement l’ordre étatique des choses. La main tendue, plate et sincère, de son amie ne pouvait rien faire contre ça.



« Certes, ma place est légitime. La loi est claire, précise. »

Dans l’hémicycle elle était entrée seule. Elle n’avait pas été accompagnée d’un fiancé, d'un frère ou de la bénédiction paternelle, tous étaient dans l’autre monde depuis déjà bien longtemps. Comment son amie pouvait-elle lui intimer ce qu’elle devait faire ? Par quels sortilèges venait-elle lui inculquer une morale ?



« Malheureusement, par le désir de certains sénateurs, ou sénatrices, des alliances, et surtout en temps de campagne électorale, les lois peuvent être changée. Je ne suis pas maîtresse de ma destinée. Et, quand bien même je le voudrais, le temps me manque grandement pour t’accompagner dans tes projets. »

Alynera avait parlé les yeux rivés sur le sol. Elle n’avait pu affronter le regard de son hôte, par peur de voir son visage se décomposer. En vérité, elle n’était pas venue pour lui porter plus de tourments...



« Ma chère amie, ne te méprends pas, je t’en conjure. Pardonne-moi, si je donne à ton noble cœur quelque honte ! J’admire ton courage, ta bravoure et le brasier ardent qui te consume. »



Elle pressa ses mains contre les siennes, le cœur triste cousu sur les lèvres.

« Mais quoi, veux-tu donc créer une caste féminine, une division binaire au sein de Drīvo ? Penses-tu réellement que les femmes veulent se rallier entre elles ? Je ne m’étonnerais guère, si elles étaient les premières à refuser. Celles qui ont acquis leurs places, dument, ne peuvent risquer de perdre le respect de leurs confrères… Et puis, pour quelles raisons rallier des êtres sous prétexte qu’elles sont nées avec une matrice similaire ? L’hémicycle ne sépare pas les genres, mais bel et bien les idéaux ! Malgré toute ma volonté, je ne pourrais m’allier avec certaines d’entre elles… Nous aurions tout à perdre que de nous détacher des hommes. »



À prononcer ces mots Alynera se rendait bien compte qu’elle pouvait paraître faible, craintive et peu courageuse. Était-ce sa faute, cependant, si elle n’était pas habitée de la même flamme que son amie ? Pendant quelques instants, quelques chants heureux d’oiseaux exotiques, une pointe d’humiliation naquit en son sein. Bien sûr, elle aurait aimé qu’on voit en elle une femme de courage et de détermination. Ainsi, peut-être, ces autres oublieraient l’objet de beauté qu’elle représentait pour l’Empire. Pourtant, ce sentiment détestable contre elle-même, c’était oublier qu’elle avait pris part à la guerre avec une distinction certaine. C’était également oublier toutes ses aptitudes personnelles — et elles étaient nombreuses si elles devaient les énumérer. Mais, surtout, c’était accepter que les mœurs du Sud viennent déstabiliser les fondations même de la péninsule ! Aussi, comme toutes les choses de ce monde, ce sentiment passa bien vite.



« Valyria n’est pas amputée de ses forces, ou devrais-je dire, de sa sève. Les femmes sont présentes activement au sein de notre République. Nous possédons les mêmes droits et les mêmes devoirs que nos pères, époux et frères. Quoique, à la vérité, nous possédons plus puisque nous avons la charge de perdurer nos lignées par la sacralité de l’enfantement. Dans d’autres sociétés, les femmes sont beaucoup moins chanceuses. Prends, par exemple, cet ambassadeur Arryn… Hugor, dont tout le monde parle actuellement. Dans ses contrées reculées et austères, il est dit que les femmes sont interdites aux faits politiques, militaires, religieux et commerciaux. Alors, pourquoi désirer plus au risque de tout voir disparaitre ? Du temps de mes ancêtres, des Triarques, les femmes comme les hommes, pouvaient accéder à la fonction suprême. Mais la révolte des Dragons Verts, voulue par ces mêmes familles qui siègent aujourd’hui à Drīvo, a bouleversé le cours des choses. Rien n’est immuable ; tout pourrait être encore bouleversé. Nous pourrions tout perdre… Les femmes pourraient être interdites de toute fonction sénatoriale. 


La motion qu’a déposée mon oncle au Sénat pourrait bien venir porter atteinte à ce statu-quo implicite entre le Nord et le Sud. J’ai bien peur que certains s’empressent de se rallier à lui pour profiter de l’occasion. Ainsi, à plusieurs, ils pourraient exiger du Sénat que les femmes ne soient plus tolérées. Bien malgré lui, bien malgré moi, cette motion, ce testament, risque de projeter notre société dans des affres méconnus… »




Elaena était à l’aube de sa vie. Jusqu’alors, elle avait vécu feutrée dans un confort inique. Il fallait entendre la manière dont elle parlait du mariage comme d’un rêve, d’un conte de fée. Alynera n’osa émettre aucun commentaire, funeste, sur cette naïveté terrible. Pensait-elle donc que sénatrice elle ne serait plus la femme du Général Maekar ? Comment pouvait-elle dire qu’embrasser la dignité d’épouse n’était pas une lutte quotidienne ? Que savait-elle au juste du mariage ? En proie à quelques respirations douloureuses, Alynera se leva. 


« Je t’aiderai à ce que nous n’en arrivions pas à ce précipice terrible. Pour le reste… ne demande pas au plus beau des dragons de plonger dans un océan d’eau salée. »



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